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Expertises AI : mise en œuvre des dernières nouveautés

Comme le montre une étude, les nouveautés mises en place dans les expertises de l’assurance-invalidité, telles que les listes publiques, sont largement utilisées. De longs délais d’attente sont cependant constatés.
Christian Bolliger, Martina Flick Witzig
  |  22 mai 2025
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
Depuis 2022, les entretiens d'expertise avec les assurés doivent être enregistrés. (Alamy)

En un coup d’œil

  • Depuis 2022, les enregistrements sonores et d’autres nouveautés comme les listes publiques ont été introduits dans les expertises de l’AI.
  • Les offices AI ainsi que les experts mettent en œuvre ces nouveautés, comme le montre une étude réalisée sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales.
  • De forts déséquilibres entre l’offre et la demande d’experts ont toutefois été constatés.

Lorsque l’assurance-invalidité (AI) ne peut pas établir les faits médicaux elle-même, sur la base des informations dont elle dispose, elle s’appuie, pour l’examen du droit aux prestations, sur des expertises médicales réalisées par des experts indépendants. À la suite de la dernière révision de l’AI « Développement continu de l’assurance-invalidité », le législateur a pu introduire plusieurs modifications à l’attribution et à la réalisation des expertises médicales ; cette évolution doit contribuer à améliorer la qualité des expertises et à accroître leur transparence.

Depuis début 2022, des exigences plus rigoureuses en matière de qualification s’appliquent aux experts. Les offices AI doivent désormais tenir des listes publiques contenant des informations sur les experts qu’ils mandatent. Les entretiens avec les experts font l’objet d’un enregistrement sonore, à moins que l’assuré ne s’y oppose. De plus, l’attribution des expertises bidisciplinaires de l’AI est désormais soumise à la procédure aléatoire, et la démarche à adopter pour la recherche d’un consensus entre l’assurance et l’assuré en cas de désaccord sur le choix de l’expert a été précisée. Enfin, les possibilités de contester l’attribution des expertises ont été restreintes.

Sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), notre étude a examiné pour la première fois les expériences faites en lien avec les nouveautés introduites dans le cadre de la révision de l’AI ; la qualité des expertises ne figurait pas dans le mandat et n’a donc pas été examinée (Bolliger et Flick 2025). L’évaluation s’appuie sur des études statistiques des données concernant les expertises ainsi que sur des enquêtes en ligne menées auprès des offices AI cantonaux, d’experts et de conseillers juridiques des assurés. En outre, des entretiens approfondis ont été menés dans les cantons alémaniques et latins avec les collaborateurs de quatre offices AI et leurs services médicaux régionaux ainsi que des experts et des conseillers juridiques.

Nouveautés bien accueillies par les acteurs impliqués

L’étude montre que trois ans après leur entrée en vigueur, les nouveautés concernant le domaine des expertises sont bien établies et acceptées auprès des acteurs impliqués ; dans l’ensemble, elles sont mises en œuvre en conformité avec les directives. Une grande partie des problèmes d’ordre pratique rencontrés initialement ont été surmontés. Toutefois, certaines difficultés semblent subsister, de même qu’une part de travail administratif.

Concernant la liste publique et l’accord sur l’expert adéquat, la recherche d’un consensus entre l’office AI et l’assuré échoue dans moins de 1 % des cas d’expertise monodisciplinaire. Selon les participants interrogés, les offices AI acceptent les contre-propositions de l’assuré ou de son représentant légal pour autant que les experts de substitution proposés figurent sur la liste publique. Certains déplorent que la liste publique indique, pour chaque centre d’expertises et pour tous les experts, combien de fois ils ont accordé un certain degré d’incapacité de travail. Ils estiment que cela pourrait inciter les experts à « rester dans la moyenne ».

Concernant les enregistrements sonores, on observe principalement des problèmes techniques ou pratiques, comme un enregistrement défectueux ou inexistant ou encore le fait que l’assuré ignore qu’il doit annoncer à l’office AI son éventuel refus de l’enregistrement sonore. Ces difficultés se sont surtout manifestées au cours de la phase initiale. D’après des déclarations concordantes faites lors des entretiens, ce point ne pose désormais plus qu’exceptionnellement problème. Une estimation statistique approximative montre que l’accès à l’enregistrement sonore n’est demandé que dans 6 % des expertises au maximum. 45 % des conseillers juridiques interrogés attestent que les nouveautés améliorent l’interaction entre experts et assurés lors des expertises. Les experts eux-mêmes ont des avis partagés sur la question, de nombreuses personnes interrogées ne se sentant toutefois pas capables de porter un jugement.

Enfin, concernant la limitation des possibilités d’objection : si aucun office AI n’a déclaré rencontrer des difficultés en raison de la limitation des possibilités de contester l’attribution des expertises, une minorité tout de même importante (30 %) des conseillers juridiques affirment le contraire ; une partie des personnes interrogées émettent également la critique que leurs objections ne seraient pas suffisamment entendues. S’agissant de savoir sur quels aspects de l’attribution des expertises la voie de recours reste ouverte, les avis des tribunaux cantonaux divergent. Quant au Tribunal fédéral, il n’est pas associé à la clarification de ces points de droit.

Pénurie temporaire d’experts

Les données statistiques de la plateforme suissemedap.ch montrent que beaucoup de mandats d’expertises polydisciplinaires n’ont pas pu être rapidement répartis par manque de capacités lors de la période d’introduction des nouveautés (voir graphique). Ainsi, fin juin 2022, plus de 1800 de ces mandats étaient en suspens, alors qu’ils n’étaient que 500 environ fin mars 2020. Lors de l’évaluation, la plupart des offices AI ont encore rapporté, en été 2024, un manque d’experts qui semble toutefois toucher différentes disciplines.

Selon les analyses statistiques, des retards importants sont survenus en 2023, notamment pour les expertises concernant la neuropsychologie, l’infectiologie ou la gynécologie. Selon 83 % des conseillers juridiques et 58 % des experts interrogés, il existe d’ailleurs un manque d’experts appropriés.

Le manque d’experts reconnus a parfois considérablement retardé l’attribution des expertises. En 2022, le délai d’attente pour la prise en charge d’un mandat était d’au moins 67 jours pour plus de la moitié des expertises polydisciplinaires dans l’ensemble de la Suisse, et même d’au moins 87 jours dans les cantons latins.

Au deuxième semestre 2024, on a constaté un meilleur équilibre entre l’offre et la demande. Fin 2024, la plupart des expertises ont pu être attribuées sans délai d’attente, surtout en Suisse alémanique. La grande majorité des moins de 200 mandats en suspens concernaient la Suisse romande, où la réduction des retards est moins marquée. L’évolution des expertises bidisciplinaires est similaire. Dans les cantons latins, on constate une dominance de certains centres d’expertises : en 2023, un seul prestataire a fourni 39 % des expertises polydisciplinaires en Suisse romande ; sur le petit marché italophone, il n’y a qu’un seul centre d’expertises. Cette particularité compromet le principe d’attribution aléatoire.

Des retraits dus aux nouveautés

Il n’a pas été possible, lors de l’évaluation, de déterminer les motifs de la forte hausse temporaire des manques d’experts constatés. On dispose toutefois de certains indices et de réponses partielles : du côté de la demande, la part des procédures AI pour lesquelles les offices AI demandent une expertise a diminué depuis 2018. La demande d’experts aurait néanmoins dû commencer par croître à partir de cette date, car le nombre total de procédures AI a nettement augmenté et un passage simultané d’expertises monodisciplinaires et bidisciplinaires à des expertises polydisciplinaires a eu lieu. Ce constat est toutefois sans lien avec les nouveautés évaluées. Du côté de l’offre, les enquêtes menées auprès des experts et des offices AI ont révélé, à l’inverse, que les nouveautés mises en place (notamment l’enregistrement sonore et les exigences en matière de qualifications) ont incité certains experts à se retirer et à renoncer à effectuer des expertises pour l’AI. Il est également connu qu’à cause du COVID, l’activité des experts a dû être en partie suspendue en 2020 (Messi et Salamanca 2023).

Les efforts visant à remédier à une offre d’experts lacunaire n’ont pas été systématiquement examinés dans le cadre de l’évaluation (pour les stratégies possibles, cf. Müller et al. 2020). Les entretiens avec les offices AI et les services médicaux régionaux ont donné quelques pistes pour réduire le nombre d’expertises (partielles) inutiles. Les exemples de telles stratégies sont les suivants :

  • exploitation des informations contenues dans le dossier de l’assuré, notamment celles issues de la procédure de réadaptation ;
  • externalisation vers d’autres centres d’observation de questions ou de problématiques plutôt périphériques tirées de l’expertise ;
  • dotation du service médical régional en disciplines clés ;
  • propres enquêtes menées par le service médical régional

Alors que certains offices AI demandent une expertise médicale pour moins de 10 % des demandes de mesures d’ordre professionnel ou de rente, dans d’autres, cette proportion s’élève à plus de 40 %. Malgré les facteurs externes à l’AI, tels que les différentes normes légales en matière de preuves, ces grandes différences laissent supposer que le potentiel de réduction des expertises inutiles n’est sans doute pas partout exploité de manière conséquente.

Bibliographie

Bolliger, Christian ; Flick, Martina (2025). Évaluation des nouveautés dans le domaine des expertises médicales dans l’assurance-invalidité. Étude commandée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche no 5/25.

Messi, Michela ; Salamanca, Daniel (2023). Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente. Sécurité sociale CHSS, 3 juin 2023.

Müller, Franziska ; Liebrenz, Michael ; Schleifer, Roman ; Schwenkel, Christof ; Balthasar, Andreas (2020). Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung: Bericht zuhanden des Generalsekretariats des Eidgenössischen Departements des Innern EDI (GS-EDI).

Politologue, chef de projets, Bureau d’analyses politiques Vatter
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Politologue, collaboratrice scientifique, Bureau d’analyses politiques Vatter
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