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L’impact des sanctions dans l’assurance-chômage

Les sanctions font partie des mécanismes standard de l’assurance-chômage. Elles ont une incidence sur l’intensité des efforts de recherche d’emploi et sur la durée du chômage, mais peuvent aussi donner lieu à une baisse du revenu lors de la reprise du travail.
Patrick Arni, Rafael Lalive, Jeremias Klaeui, Boris Kaiser, Markus Wolf
  |  05 juin 2025
    Recherche et statistique
  • Assurance-chômage
La plupart du temps, un carton jaune suffit : des sanctions légères incitent les chômeurs à rechercher plus activement un emploi. (Alamy)

L’assurance-chômage (AC) fournit un soutien aux personnes ayant perdu leur emploi tout en exigeant en retour que celles-ci s’impliquent activement dans la recherche d’un travail. Les bénéficiaires qui contreviennent à cette obligation sont sanctionnés. Tel est le cas quand ils ne soumettent pas suffisamment de candidatures, omettent de se rendre à des rendez-vous fixés avec un office régional de placement (ORP), refusent un poste réputé convenable ou perdent leur emploi par leur propre faute. L’AC réduit alors les indemnités, en prononçant des « jours de suspension » dont le nombre varie en fonction de la gravité du manquement : jusqu’à 15 jours pour une faute légère, entre 16 et 30 jours pour une faute de gravité moyenne et plus de 30 jours en cas de faute grave.

Les sanctions pour faute légère concernent généralement des efforts insuffisants de recherche d’emploi avant ou pendant la période de chômage. Quant aux manquements graves, il s’agit le plus souvent de chômage imputable à une faute de la personne assurée ou de refus d’un emploi réputé convenable. Dans tous les cas, il y a lieu de se demander quels sont les effets concrets des sanctions prononcées.

De précieux enseignements pour l’AC

C’est pour répondre à cette question qu’un projet de recherche a été lancé, sur mandat de la Confédération (Arni et al. 2025). L’objectif : réaliser une étude empirique de la pratique en matière de sanctions et de l’impact des différentes mesures prises par l’AC, en se penchant en particulier sur les intérêts antagonistes entre une réinsertion plus rapide sur le marché du travail et d’éventuels préjudices à long terme pour les personnes concernées.

L’étude réalisée intègre à la fois des évaluations descriptives et des analyses causales qui s’appuient sur des méthodes économétriques modernes permettant une évaluation différenciée des effets des sanctions en fonction de leur nature, de leur degré de sévérité et de la date d’intervention. De plus, et pour la première fois, des données comportementales issues de la plateforme de l’emploi Job-Room ont été analysées afin que les effets des sanctions sur le comportement du demandeur d’emploi en matière de recherche soient recensés précisément.

Grâce à cette vaste base de données, l’étude présente un niveau de détail unique à l’échelle européenne. Elle apporte une contribution nuancée, fondée sur des faits, à la discussion sur les sanctions appliquées dans l’AC et sur leurs répercussions.

Motif de sanction le plus fréquent : des efforts insuffisants de recherche

En Suisse, au moins une sanction est prononcée dans près d’un tiers de tous les épisodes de chômage, une proportion qui a légèrement augmenté au cours des dix dernières années. Par épisode de chômage, on entend une période continue d’inscription en tant que demandeur d’emploi auprès d’un ORP. En cas de réinscription par la suite, un nouvel épisode commence. Sur plus de 3,9 millions d’épisodes de chômage analysés pour les années 2009 à 2022, deux tiers n’ont fait l’objet d’aucune sanction.

Dans près de 70% des cas, les sanctions prononcées par l’AC portent sur des fautes légères. Le plus souvent, il s’agit d’efforts insuffisants de recherche d’emploi, soit avant la période de chômage (env. 40%), soit au cours de cette dernière (env. 22%). Viennent ensuite la non-présentation à des rendez-vous (env. 13%) et le chômage imputable à une faute de la personne assurée (env. 17%).

Souvent, des sanctions sont appliquées à plusieurs reprises : près de 44% des personnes ayant été pénalisées le sont une seconde fois, généralement dans les deux mois qui suivent la première sanction. Là encore, ce sont les fautes légères qui prédominent, mais leur nature évolue quelque peu, avec une fréquence particulièrement répétée des manquements aux obligations et des non-présentations aux rendez-vous. Les sanctions prononcées interviennent souvent à un stade précoce de la période de chômage, envoyant tôt un signal aux demandeurs d’emploi quant à l’importance attachée au respect des obligations. D’une manière générale, on observe aussi des différences régionales dans la pratique des sanctions.

Un effet patent sur l’intensité des recherches

Les sanctions donnent lieu à une augmentation de l’intensité des recherches d’emploi, et ce immédiatement (voir graphique 1) : dans le mois qui précède la première sanction prononcée pour cause de recherches de travail insuffisantes, il y a en moyenne deux candidatures de moins que ce qu’impose la règle, d’où la sanction, mais juste après l’application de cette dernière, le nombre de postulations augmente de nouveau fortement en s’approchant du nombre fixé. Par ailleurs, le nombre de candidatures obligatoires s’accroît après la sanction. La fréquence des clics sur des offres d’emploi en ligne augmente elle aussi, mais brièvement, régressant souvent après quelques mois pour revenir à son niveau de départ.

Les sanctions ont des effets variables sur la durée du chômage: dans l’ensemble, elles entraînent une réduction de la période de chômage de l’ordre de 6,5 jours en moyenne, sachant que les sanctions pour faute légère s’avèrent nettement plus efficaces (réduction de 15 jours). Quant aux sanctions pour faute lourde ou pour le chômage imputable à une faute de la personne assurée, elles peuvent même donner lieu à un allongement de la période de chômage. Bien qu’elles soient multiples, les raisons de cette hausse reflètent sans doute des comportements difficiles et les situations des personnes concernées.

Un effet légèrement négatif sur l’emploi et le revenu ultérieurs

À long terme, les sanctions ont un effet légèrement négatif sur le revenu et l’emploi : jusqu’à trois ans après la fin de la période de chômage, le revenu professionnel mensuel est inférieur de 0,6% à 1,8% en moyenne (voir graphique 2). On observe aussi une légère baisse du taux d’emploi, de l’ordre de 0,5% à 0,8% (par taux d’emploi, on entend ici la probabilité d’exercer une activité lucrative après la période de chômage). Ces effets sont plus manifestes dans les cas de sanctions pour faute lourde et de sanctions répétées. En revanche, les mesures sanctionnant un manquement aux obligations avant le début de la période de chômage n’ont guère d’incidences négatives sur le parcours professionnel ultérieur.

L’impact négatif varie donc très nettement en fonction du type de sanction, et c’est là un enseignement précieux pour alimenter la discussion sur les effets de ces mesures. Les effets légèrement négatifs sur le revenu et l’activité lucrative peuvent être liés au fait que les sanctions nuisent à la qualité de la réinsertion sur le marché du travail. Quand une personne en recherche d’emploi est sous pression, elle est susceptible d’accepter plus rapidement un poste qui lui convient moins bien ou est moins bien rémunéré, ce qui peut se traduire par un salaire inférieur et une situation d’emploi plus instable.

Renforcement de l’efficience du service public de l’emploi

Sur le plan économique, les sanctions ont pour effet de réduire la durée de la période d’indemnisation et, par conséquent, les dépenses de l’assurance-chômage. En revanche, elles occasionnent des coûts à plus long terme pour les personnes concernées, qui voient notamment leur revenu professionnel diminuer.

D’un point de vue financier, il est donc fondamental de déterminer l’horizon de référence pour l’évaluation des sanctions : est-il à court terme (allègement du budget et activation des recherches d’emploi) ou à long terme (intégration des personnes concernées sur le marché du travail et garantie des revenus) ? L’appréciation variera en fonction de l’optique adoptée. Vu sous l’angle de l’économie du bien-être, nombre d’arguments plaident en faveur d’une prise en compte des deux perspectives : d’un côté, les gains d’efficience obtenus au niveau du service public de l’emploi et, de l’autre, les pertes subies individuellement en termes de revenu et d’opportunités professionnelles.

Les résultats de l’étude montrent clairement que les sanctions légères, surtout dans les cas de manquements avant la période de chômage, représentent un compromis : elles ont un impact positif sur le comportement des demandeurs d’emploi et l’intensité de leurs recherches, sans avoir d’incidences significatives à long terme. En revanche, les sanctions lourdes ont des effets négatifs à court terme sur la durée du chômage et, à plus long terme, sur le parcours professionnel. Elles pourraient donc être considérées d’un œil relativement critique dans un débat. Il est ainsi souhaitable que les résultats de l’étude viennent nourrir une réflexion aussi vaste que possible sur les objectifs et les effets visés par les sanctions.

Cet article est paru le 3 juin 2025 dans La Vie économique. Il est conforme aux directives rédactionnelles de cette publication.

Bibliographie

n°Arni, Patrick ; Kaiser, Boris ; Lalive, Rafael ; Kläui, Jeremias ; Wolf, Markus (2025). Impact des différentes sanctions de l’assurance-chômage. Bases de la politique économique n° 57, Secrétariat d’État à l’économie Seco, Berne, Suisse. Étude mandatée par le SECO, à la demande de la Commission de surveillance du fonds de compensation de l’assurance-chômage (CS AC).

Professeur d’économie politique, Haute école des sciences appliquées de Zurich, et Université de Bristol
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Professeur d’économie du marché du travail, Université de Lausanne
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Postdoctorant, Crest (Ensae et École Polytechnique), Paris et Université de Lausanne
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Conseiller principal, BSS Volkswirtschaftliche Beratung
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Chercheur indépendant, Nuremberg
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