Si la plupart des arrêts-maladie sont heureusement de courte durée, ils peuvent aussi se reproduire à plusieurs reprises ou se prolonger, et occasionner des frais élevés à l’employeur, qui doit continuer à verser le salaire de l’employé. Certaines personnes en situation d’incapacité durable de travail ne sont plus à même de retourner à leur poste ou d’occuper un autre emploi, à moins qu’elles ne bénéficient de mesures. Or, comme l’a montré notamment l’évaluation de la réadaptation et de la révision des rentes axée sur la réadaptation dans l’assurance-invalidité (Guggisberg et al. 2015, p. 72), une intervention précoce augmente nettement la probabilité de l’employé de pouvoir réintégrer son poste. Il est donc indiqué de réinsérer les personnes en incapacité de travail le plus vite possible, soit à plein temps, soit à temps partiel.
A l’échéance du délai convenu, l’assureur d’indemnités journalières décharge certes l’employeur de son obligation de continuer à verser le salaire (art. 324 a CO), mais les incapacités de travail de longue durée entraînent tout de même à moyen terme une hausse des coûts pour l’employeur, car l’assureur répercute sur lui les prestations servies en majorant ses primes. Tout comme l’employeur, l’assureur d’indemnités journalières a généralement connaissance avant l’assurance-invalidité (AI) d’absences prolongées ou fréquentes pour cause de maladie. Dès lors, il peut, en sa qualité de premier assureur, mettre en œuvre des mesures de réadaptation professionnelle, en complément de celles adoptées par l’employeur, pour écarter le plus tôt possible et de façon durable le risque de mise en invalidité et l’augmentation des coûts qui en découle pour l’employeur et les assurances sociales. Notons à ce propos que l’action des assureurs d’indemnités journalières en cas de maladie s’inscrit plutôt dans le court terme, car ils peuvent cesser de fournir leurs prestations au plus tard après deux ans.
Depuis la 5e révision de l’AI en 2008, l’AI a elle aussi mis en place de nombreuses mesures de détection et d’intervention précoces afin de promouvoir la réadaptation professionnelle et l’employabilité de ses assurés. Le deuxième programme de recherche sur l’assurance-invalidité (PR-AI 2) a étudié en profondeur de 2010 à 2015 l’efficacité de ces instruments et la pratique décisionnelle de l’AI. Malgré tout, les entreprises – et en particulier les PME – ne connaissent et n’utilisent pas suffisamment les outils de réadaptation de l’AI. De surcroît, les offices AI sont souverains pour octroyer ces mesures, car elles ne constituent pas un droit subjectif.
De grandes entreprises montrent l’exemple
Face à un arrêt de travail motivé par une maladie, les caisses de pension ont une vision à long terme, car il est dans leur intérêt d’éviter le plus tôt possible toute mise à l’invalidité. Dans cette optique, de grandes entreprises et quelques caisses de pension ou fondations collectives appliquent déjà des processus de collaboration standard qui ont fait leurs preuves en matière de case management en vue de l’insertion ou de la réinsertion sur le marché du travail. Quelques-unes d’entre elles, membres de l’association Compasso, ont mis leur expérience à la disposition de celle-ci et contribué à la formulation d’une convention modèle, en vertu de laquelle les assureurs d’indemnités journalières et les caisses de pension se partagent les frais occasionnés par la gestion de cas ou par le job coaching. L’objectif est que les entreprises, en particulier les PME, soient davantage conscientes que leurs principales assurances collectives collaborent entre elles et contribuent à réduire la durée des arrêts maladie évitables et à prévenir autant que faire se peut la mise en invalidité.
Ce manque de connaissances et ce recours limité aux instruments de réadaptation précoce ne sont pas les seuls problèmes des PME : elles ne disposent en outre souvent pas des structures administratives qui leur permettraient de gérer les absences de manière professionnelle. C’est précisément pour cette catégorie d’employeurs qu’il est important de concilier les intérêts à court terme de l’assureur d’indemnités journalières avec les intérêts à long terme de la caisse de pension. Les assureurs savent en effet que l’insertion rapide sur le marché de l’emploi abaisse non seulement les coûts de l’employeur, mais aussi les leurs, à court et à long terme. C’est ici qu’intervient le modèle de convention : assureurs et employeurs peuvent planifier et mettre en œuvre rapidement des mesures de réinsertion.
Compasso (www.compasso.ch)
Réseau fonctionnant sur le principe de la neutralité, Compasso joue un rôle important dans la réinsertion professionnelle : il met en effet les employeurs en lien avec les acteurs du système, afin de créer ensemble les instruments qui s’imposent. Grâce à l’engagement solidaire de ses partenaires du système (grandes entreprises, associations professionnelles et autres, assureurs privés et assurances sociales), il fournit gratuitement aux PME des informations et des instruments qui les soutiennent dans leurs efforts d’insertion et de réinsertion professionnelle. L’Association suisse d’assurances (ASA) et l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) sont également membres de Compasso.
Modèle de convention en matière de partage des coûts Le coup d’envoi de la démarche aboutissant à la conclusion de la convention de partage des coûts (cf. graphique G1) est la prise de contact de l’assureur d’indemnités journalières en cas de maladie ou de l’employeur avec la caisse de pension, notamment lorsqu’ils estiment qu’il convient de mettre sur pied une gestion de cas ou un job coaching. Ils joignent à cette demande d’échange d’informations l’autorisation de la personne assurée, document dans lequel est réglementée la collaboration entre l’assureur et la caisse de pension.
Lors d’un bref échange téléphonique, l’assureur et la caisse de pension se limitent à voir si la reprise totale du travail est déjà prévue et s’il convient d’adopter une mesure. Si les deux parties estiment qu’un soutien est nécessaire, il suffit de l’accord de toutes les parties concernées pour que la convention puisse être conclue selon le modèle de Compasso. L’association propose des modèles en français et en allemand pour les cas où il s’avère nécessaire de passer une convention par écrit.
La partie responsable du dossier – généralement l’assureur d’indemnités journalières, ou l’employeur lorsque celui-ci n’a pas d’assurance – nomme un gestionnaire de cas, surveille l’intervention, le déroulement de la mesure, la réalisation des objectifs en matière d’insertion professionnelle, ainsi que les coûts. Le case management, qui ne dure généralement que quelques mois, vise à maintenir la personne assurée en emploi ou à lui trouver rapidement un autre poste afin de conserver son employabilité. La convention permet à la caisse de pension de prendre à sa charge une partie des coûts et de recevoir un rapport final au terme de la mesure, sans pour autant devoir elle-même instruire le dossier.
Plus-value attendue La société attend des employeurs qu’ils s’impliquent dans le maintien en emploi et la réinsertion des personnes atteintes dans leur santé. Certaines grandes entreprises dotées d’une solution de prévoyance autonome ou semi-autonome ont mis sur pied une gestion interne de la réinsertion bien rodée, de sorte que leurs caisses de pension ne sont pas obligées d’intervenir dans ce domaine. Elles n’en tirent pas moins un grand bénéfice, car, selon leurs données, cette gestion systématique leur a permis de réduire jusqu’à 70 % le nombre de nouvelles rentes octroyées en raison d’une invalidité. Toutes les entreprises devraient pouvoir bénéficier de ces avantages.
La collaboration entre les parties est toutefois particulièrement intéressante en cela qu’elle permet à l’employeur d’adopter des mesures d’insertion ou de réinsertion professionnelle d’employés en situation d’incapacité de travail également dans les cas où l’AI n’intervient pas ou n’apporte pas son soutien aux mesures d’intervention précoces. Stefan Ritler, chef du domaine AI à l’Office fédéral des assurances sociales, estime que la convention de partage des coûts profite aussi aux autres assurances sociales, et en particulier à l’AI. En effet, les employés qui bénéficient en temps opportun de mesures de réinsertion voient leur risque d’invalidité se réduire.
Pour cette raison, les PME doivent savoir qu’il existe des caisses de pension soucieuses de favoriser l’adoption de mesures d’insertion dans les plus brefs délais et disposées à contribuer à leur réussite en prenant à leur charge une partie des frais. Il s’agit donc d’encourager l’employeur qui cherche à conclure une assurance à demander aux assureurs d’indemnités journalières et aux caisses de pension s’ils sont disposés à collaborer en cas de nécessité et à l’aider ensemble à maintenir en emploi une personne en incapacité de travail. Compasso fournit aux employeurs les informations et instruments requis à cet effet et les diffuse dans son bulletin et dans ses publications. Quant aux membres de Compasso, comme les associations professionnelles et les assureurs, ils signalent l’existence de cette option aux entreprises qui leur sont affiliées. La gestion de cas aide toutes les parties prenantes à diminuer leurs frais et, dans le cas des assureurs d’indemnités journalières, à réduire leurs primes.
La convention : ce qu’en disent les membres de Compasso
Helsana participe au groupe de projet, car elle a formulé, d’entente avec son institution de prévoyance, une convention similaire afin de favoriser la collaboration entre cette institution et l’assureur d’indemnités journalières, pour le bien de ses employés. Beat Hunziker, directeur des ressources humaines, s’en félicite : « Nous apprécions beaucoup cette initiative de Compasso, car nous sommes convaincus que la prévoyance professionnelle se doit d’y participer et qu’elle a un rôle important à jouer. »
Chez l’assureur-vie La Mobilière, Daniel Andris se joint à ces éloges : « Cet instrument très judicieux incite encore davantage les assureurs d’indemnités journalières à mettre sur pied un case management, en dépit de leur perspective à court terme. » Il est l’une des personnes à l’origine de cette initiative et il est persuadé que les employeurs resteront fidèles aux assureurs (indemnités journalières et prévoyance professionnelle) lorsqu’ils remarqueront que ceux-ci les aident à insérer le plus rapidement possible les personnes atteintes dans leur santé et à économiser ainsi à moyen et long terme sur les primes de risque acquittées par leur caisse de pension.
La compagnie SWISS a elle aussi fait le pas. Michael Uebersax, responsable de la gestion de la santé, se félicite ainsi de la possibilité de conclure une telle convention : « Compasso nous est très utile. Lorsqu’une convention de partage des coûts est proposée, il nous est plus facile de convaincre notre caisse de pension de participer à la démarche de réinsertion. »
Amélioration de la réinsertion professionnelle : respecter la perspective de l’employeur et réduire les charges de l’AI Compasso fait la part belle à l’amélioration de la collaboration entre les parties prenantes au système. En proposant un modèle de convention adaptée aux PME pour régir la collaboration entre assureurs d’indemnités journalières et institutions de prévoyance, Compasso complète la panoplie d’instruments pouvant être utilisés dans les cas où les offices AI n’interviennent pas. Tant les employés que les employeurs, les caisses de pension, mais aussi l’AI profitent de cette approche.
- Bibliographie
- Guggisberg, Jürg et al. (2015) : Evaluation der Eingliederung und der eingliederungsorientierten Rentenrevision der Invalidenversicherung (allemand avec résumé en français) ; [Berne : OFAS]. Aspects de la sécurité sociale; rapport de recherche n o 18/15.