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Assurances sociales : pourquoi les scénarios démographiques sont décisifs ?

Les projections démographiques sont un outil essentiel pour anticiper l’avenir des assurances sociales. Elles permettent d’estimer l’impact que le vieillissement de la population aura sur les assurances sociales dans les prochaines décennies.
Raymond Kohli
  |  08 juillet 2025
  • Général
Durant les prochaines décennies, la structure par âge de la population suisse va se modifier. Gare de Lucerne. (Alamy)

En un coup d’œil

  • Les scénarios démographiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS) permettent d’estimer les dépenses et les recettes à venir des assurances sociales.
  • Les événements récents, tels que la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine, ont accentué les incertitudes sur la migration, la fécondité et la mortalité.
  • Le nombre de personnes au bénéfice d’une retraite augmentera fortement, alors que la population active ne devrait que légèrement s’accroître.

Les scénarios démographiques sont importants pour les assurances sociales, car ils permettent d’estimer leurs dépenses futures et une part de leurs recettes à venir. Les scénarios démographiques projettent le nombre de personnes par âges et par sexes. On peut ainsi estimer des dépenses futures en tenant compte du nombre de futurs bénéficiaires de rentes. Il faut bien entendu également tenir compte des personnes vivant à l’étranger ayant travaillé en Suisse qui bénéficient également d’une rente.

On peut de même estimer des recettes à venir en déterminant le nombre de personnes qui cotiseront lors des prochaines années. Pour estimer au mieux cette valeur, il est nécessaire d’estimer le nombre de personnes actives. Il faut aussi tenir compte des frontaliers et des Suisses vivant à l’étranger qui cotisent volontairement.

Il est nécessaire d’utiliser des projections pour ce type de calcul en raison des changements importants de la structure par âge de la population au cours des prochaines années. Elles prévoient que le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus et surtout celui des personnes de 80 ans et plus augmentent effectivement fortement (voir graphique 1). À l’inverse, les populations de 20 à 64 ans et de moins de 20 ans ne vont que légèrement augmenter, stagner ou même diminuer en fonction des migrations et du niveau de la fécondité (OFS 2025).

Une affaire d’experts

L’OFS utilise la méthode des composantes pour le calcul des scénarios de l’évolution de la population en Suisse. Elle consiste à calculer des bilans démographiques pour les prochaines décennies à partir des événements naturels (naissances, décès) et des flux migratoires (immigrations, émigrations). Ces événements et ces flux sont calculés en appliquant des taux à la population projetée selon le sexe, l’âge et la nationalité. Ces taux sont déterminés à l’aide d’hypothèses sur l’évolution future de différents indicateurs démographiques, comme le nombre moyen d’enfants par femme, les espérances de vie à la naissance des hommes et des femmes et les soldes migratoires.

Ces hypothèses relatives à la fécondité, la mortalité ou la migration sont élaborées dans deux groupes de travail composés d’experts connaissant bien la situation socioéconomique de la Suisse (démographes, géographes, sociologues, économistes, etc.). Dans un premier temps, ces spécialistes sont consultés à l’aide d’un questionnaire et ensuite ils sont invités à participer à des séances où les différents points de vue sont confrontés et discutés. Les hypothèses et les résultats sont présentés ensuite lors de plusieurs séances à un groupe d’accompagnement composé de représentants des offices fédéraux utilisant ces scénarios pour leurs travaux.

Quelles différences par rapport aux scénarios précédents ?

Les scénarios de l’évolution de la population sont actualisés tous les cinq ans. À l’occasion de chaque nouvelle série, les hypothèses sont révisées afin de tenir compte d’une part des changements dans l’évolution démographique et d’autre part des nouvelles situations politiques, économiques et sociales.

Il faut noter que les principales différences entre cette nouvelle série de scénarios et la précédente sont une plus faible fécondité, des espérances de vie plus basses et un solde migratoire plus élevé. Le nombre de personnes de 0 à 19 ans et de 65 ans ou plus sont ainsi plus bas dans la nouvelle série alors que celui des personnes actives est plus élevé.

Les hypothèses de la nouvelle série tablent sur une augmentation moins rapide de l’espérance de vie que celles de la série précédente, en raison du ralentissement de l’accroissement observé ces dernières années et de l’absence d’éléments laissant entrevoir une diminution marquée de la mortalité au cours des trois prochaines décennies. Les hypothèses de migration ont quant à elle été adaptées dans le sens d’un solde migratoire annuel plus élevé en raison de l’évolution soutenue de la migration ces dernières années et en l’absence d’éléments indiquant une rupture de cette tendance.

Où se situent les incertitudes ?

Il existe actuellement de grandes incertitudes sur toutes les composantes de l’évolution démographique. Le niveau à venir de la fécondité est spécialement incertain dans l’actuelle série de scénarios. Le nombre moyen d’enfants par femme a diminué rapidement au cours des dernières années, passant de 1,52 en 2021 à 1,33 en 2023. Cette évolution va à l’encontre des attentes exprimées par la majorité des experts lors de l’élaboration de la précédente série de scénarios. Lors des prochaines années, ce nombre pourrait tout aussi bien remonter rapidement que se stabiliser ou continuer sa chute.

L’évolution de la mortalité est également moins prévisible que par le passé. L’espérance de vie en Suisse a en effet diminué en 2020 en raison de la pandémie de covid-19, passant de 81,9 en 2019 à 81,0 en 2020 pour les hommes et de 85,6 à 85,1 pour les femmes. Les épidémies de grippe et les vagues de chaleur avaient déjà entraîné auparavant des fluctuations de la mortalité plus importantes que lors des dernières décennies. Les espérances de vie pourraient ainsi tout aussi bien connaître des accroissements que stagner aux valeurs actuelles au cours des prochaines années.

Quant à la migration, elle reste la composante la plus délicate à projeter. Lors des vingt dernières années, les immigrations ont passablement fluctué à un niveau élevé. Les émigrations ont été plus stables avec cependant une tendance à la hausse. Le volume migratoire était très élevé et devrait le rester lors des prochaines années. On a observé que des événements tels que la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine ont entrainé des fluctuations importantes du solde migratoire. Il n’est ainsi pas exclu que d’autres événements engendrent à nouveau dans le futur des variations du même ordre.

L’incertitude inhérente aux scénarios de l’évolution future de la population est reflétée par la fourchette comprise entre le scénario « bas » et le scénario « haut » (OFS 2025, voir graphique 2). Étant donné la relativement grande inertie des changements de la structure démographique, on peut tout de même s’attendre à ce que l’évolution observée se situe entre ces deux scénarios durant les prochaines années.

La projection est d’autant plus incertaine que l’horizon temporel considéré est lointain. Si la fécondité, la mortalité et les migrations évoluent très différemment de celles supposées dans les hypothèses utilisées, les valeurs observées peuvent s’éloigner passablement de valeurs projetées. L’évolution à venir sera proche des scénarios si les hypothèses contextuelles et quantitatives s’avèrent pertinentes.

 

Quelles tendances jusqu’en 2055?

Les chiffres les plus importantes pour les assurances sociales sont le nombre de personnes de 65 ans et plus, le nombre de personnes actives et le rapport numérique entre ces deux groupes. L’évolution de ces grandeurs dépendra avant tout de la structure par âge actuelle de la population et des soldes migratoires futures. Selon le scénario de référence, la population âgée de 65 ans et plus passera de 1,8 million en 2025 à près de 2,7 millions en 2055 (OFS 2025, voir graphique 3). 

La population active – comprenant toutes les personnes actives occupées et les chômeurs au sens du Bureau international du travail – augmentera de 5,2 millions en 2025 à 5,8 millions en 2055. Le nombre de personnes de 65 ans et plus pour 100 personnes actives de 20 à 64 ans passera ainsi d’un peu moins de 38 en 2025 à près de 51 en 2055.

Collaborateur scientifique, section Démographie et migration, Office fédéral de la statistique (OFS)
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