Changements dans la méthode mixte : que s’est-il passé depuis ?

Magali Baumann, Katrin Jentzsch
  |  21 décembre 2021
    Droit et politique
  • Assurance-invalidité

Le Conseil fédéral a modifié son règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) et introduit au 1er janvier 2018 un nouveau mode de calcul de l’invalidité pour les personnes exerçant une activité lucrative à temps partiel et accomplissant des travaux habituels (méthode mixte).

En un coup d’œil

  • À la suite d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, le mode de calcul de l’invalidité selon la méthode mixte a été adapté. 
  • L’OFAS tire un premier bilan pour les années 2018 à 2020 des effets de ce changement sur les nouvelles rentes et l’effectif des rentes AI. 
  • Les révisions de rente ont conduit en 2018 à un nombre accru d’augmentations de rente, tendance qui s’est ensuite ralentie. 
  • Le nombre de nouvelles rentes octroyées, auxquelles la méthode mixte a été appliquée, a considérablement augmenté dès 2018. Cela était particulièrement marquant pour les demi-rentes et les quarts de rente.  
  • La hausse des nouvelles rentes calculées selon la méthode mixte a induit une progression plus forte du nombre total des nouvelles rentes (toutes méthodes d’évaluation confondues). 
  • L’effectif total des rentes AI (toutes méthodes d’évaluation confondues) a toutefois continué de diminuer durant cette période.
  • Pour la période considérée, les coûts supplémentaires ne dépassent pas les estimations initiales. 

Par le passé, la méthode mixte a fait l’objet de nombreuses critiques. Il lui était reproché de tenir compte deux fois du fait que l’activité lucrative est exercée à temps partiel et, par conséquent, de souvent conduire à reconnaître des taux d’invalidité plus faibles que ce qui était le cas avec la méthode de comparaison des revenus ou avec la méthode de comparaison des types d’activité (Leuenberger/Mauro 2018).

Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (affaire Di Trizio contre Suisse, no 7186/09) a jugé que la suppression ou la réduction d’une rente d’invalidité à la suite d’une révision et de l’application de la méthode mixte était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme lorsque le passage d’une activité lucrative à plein temps à une activité lucrative à temps partiel associée à des travaux habituels (p. ex. le ménage) s’explique uniquement par des raisons familiales (réduction du taux d’occupation suite à la naissance d’un enfant). La méthode mixte, avec le mode de calcul qui était alors le sien, ne pouvait dès lors plus être appliquée dans ces situations.

L’entrée en vigueur de la modification du règlement (RO 2017 7581 ; cf. art. 27bis, al. 2 à 4, RAI) était accompagnée d’une réglementation transitoire selon laquelle toutes les rentes partielles en cours (quarts de rente, demi-rentes et trois quarts de rente) qui avaient été déterminées au moyen de la méthode mixte avant son adaptation devaient faire l’objet d’une révision, étant donné que le nouveau mode de calcul pouvait conduire à reconnaître le droit à une rente plus élevée. Les offices AI disposaient d’un délai d’an après l’entrée en vigueur de la modification du règlement pour entreprendre une révision de ces rentes. Si la révision entraînait une augmentation de la rente, celle-ci devait être accordée rétroactivement à partir du 1er janvier 2018. Le nouveau mode de calcul ne devait être appliqué aux rentes entières, qui ne pouvaient de toute façon pas bénéficier d’une augmentation, que dans le cadre de la prochaine révision ordinaire des rentes.

Les assurés pour lesquels l’application de l’ancien mode de calcul jusqu’à la fin de l’année 2017 avait débouché sur un taux d’invalidité trop faible pour reconnaître le droit à une rente devaient déposer une nouvelle demande auprès de l’AI. Les offices AI étaient tenus d’examiner les nouvelles demandes s’il paraissait vraisemblable que l’application du nouveau mode de calcul conduirait à reconnaître le droit à une rente.

Évolution des rentes révisées

Selon les données des registres de la Centrale de compensation (CdC), au début de l’année 2018, on comptait 6572 rentes partielles qui devaient être révisées. La mise en œuvre de ces révisions par les offices AI a été accompagnée et surveillée par l’OFAS. Comme on pouvait s’y attendre, les révisions ont conduit à un nombre accru d’augmentations de rente (cf. graphique G1).

Le nombre d’augmentations de rente entre 2018 et 2020 est nettement supérieur à celui des années précédentes. Avec 769 cas, la plupart des révisions ayant entraîné une augmentation de la rente ont eu lieu en 2018. Comme la modification du règlement demandait uniquement que les révisions de rente soient initiées et pas nécessairement terminées en 2018, le mouvement s’est poursuivi en 2019 et en 2020, mais avec un ralentissement progressif. Il convient toutefois de noter que les révisions en question ne se limitaient pas à l’application du nouveau mode de calcul du taux d’invalidité, mais comprenaient également une appréciation de la situation. Dans certains cas, par exemple lorsque l’état de santé de l’assuré s’était amélioré, les révisions ont pu conduire à une réduction de la rente.

Évolution des nouvelles rentes

Le nombre de nouveaux rentiers AI dont le taux d’invalidité a été déterminé selon la méthode mixte était plutôt stable, voire en diminution les années précédant l’entrée en vigueur de la modification du règlement. En 2018, la tendance change et le nombre de ces nouveaux rentiers AI augmente de façon significative (+40 % par rapport à 2015) et continue de croître en 2019 et 2020 (cf. graphiques G2 et G3).

L’augmentation du nombre de nouveaux rentiers AI dont le taux d’invalidité a été déterminé selon la méthode mixte a eu un effet sur l’évolution du nombre total (c.-à-d. toutes méthodes d’évaluation confondues) des nouveaux rentiers AI : le nombre total de nouveaux rentiers AI suit une tendance à la hausse qui s’accentue après l’entrée en vigueur de la modification du règlement.

On constate par ailleurs que l’augmentation du nombre de nouvelles rentes AI auxquelles la méthode mixte a été appliquée est plus importante pour les quarts de rente et les demi-rentes que pour les trois quarts de rente et les rentes entières (cf. graphique G4).

Évolution de l’effectif des rentes

En prenant comme référence l’année 2015, on constate que le nombre de rentiers AI (c.-à-d. l’effectif des rentes) auxquels la méthode mixte a été appliquée diminue chaque année jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification du règlement. Ensuite, la tendance s’inverse. Par rapport à 2015, on enregistre une augmentation de 1 % fin 2018 et de 9 % fin 2020 (cf. graphique G5).

On observe cependant que le nombre total de rentes AI (c.-à-d. l’effectif des rentes toutes méthodes d’évaluation confondues) continue de diminuer après l’entrée en vigueur de la modification. Cela signifie que l’augmentation de nombre de rentiers AI auxquels la méthode mixte a été appliquée ne compense pas la diminution du nombre de rentiers AI dont le taux d’invalidité a été déterminé sur la base d’une autre méthode d’évaluation (cf. graphiques G5 et G6).

Conséquences pour les dépenses de l’AI

Les estimations faites avant la modification du règlement prévoyaient que celle-ci occasionnerait des coûts supplémentaires de l’ordre de 40 millions de francs par an. Pour les adaptations de rentes dues aux révisions, un montant de 0,68 % de la somme totale des rentes a d’une part été estimé, ce qui correspond à un montant d’environ 35 millions de francs. On s’attendait à ce que la répartition des rentes auxquelles la méthode mixte a été appliquée évolue globalement vers des échelons de rente plus élevés. D’autre part, on estimait à 5 millions de francs les coûts supplémentaires occasionnés par environ 1000 nouvelles rentes attendues en raison des nouvelles demandes d’assurés dont les demandes de prestations avaient, par le passé, été rejetées sur la base de l’ancien mode de calcul.

Pour la méthode mixte, l’effectif des rentes a augmenté de près de 2000 rentes entre fin 2017 et fin 2020. Le nombre de nouvelles rentes octroyées suite à la modification du règlement n’a pas été compensé par les sorties ordinaires du système de rentes. Par ailleurs, de nombreux rentiers ont bénéficié d’une augmentation de leur rente (cf. graphique G1). L’hypothèse selon laquelle la répartition des taux d’invalidité déterminés au moyen de la méthode mixte évoluerait globalement vers des échelons de rente plus élevés ne s’est toutefois pas réalisée. On considère donc que les coûts supplémentaires engendrés par les révisions sont plus bas, mais que les coûts des nouvelles rentes sont plus élevés qu’initialement prévu.

Le tableau ci-dessous (cf. tableau T1) présente les coûts supplémentaires annuels de 2018 à 2020 (par rapport aux coûts de l’année 2017) des rentes auxquelles la méthode mixte a été appliquée. Les montants des rentes en cours au moins de décembre de l’année concernée, extrapolés sur un an, ont été utilisés à cet effet. L’adaptation des rentes à l’évolution des prix en 2019 a été prise en compte, mais pas les versements rétroactifs ni les prestations à restituer.

Les coûts supplémentaires devraient se stabiliser dans les années à venir, étant donné que toutes les révisions de rente devraient désormais être terminées et que les nouvelles demandes de prestations d’assurés, pour lesquels l’application de l’ancien mode de calcul jusqu’à la fin de l’année 2017 avait débouché sur un taux d’invalidité trop faible pour reconnaître le droit à une rente, devraient à l’avenir être en nombre limité.

Jusqu’à présent, les coûts supplémentaires sont inférieurs aux prévisions. Leur évolution future reste à voir.

Conclusion

La modification du règlement visait à mieux tenir compte des tâches ménagères et familiales et à renforcer les moyens de concilier vie familiale et vie professionnelle. Comme le montre la progression du nombre d’augmentations de rente et de nouvelles rentes dans les cas mettant en jeu la méthode mixte entre 2018 et 2020, un nombre important d’assurés a pu profiter de la modification du règlement pour obtenir le droit à une rente ou à une rente plus élevée que celle qui avait été calculée sur la base de l’ancien mode de calcul. Pour la période considérée, les coûts supplémentaires ne dépassent pas les estimations initiales.

Par résolution du 19 avril 2017, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui est en charge de surveiller l’exécution des arrêts, a déclaré que dans l’affaire Di Trizio, la Suisse a rempli ses fonctions en vertu de l’art. 46, par. 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et a par conséquent clos l’examen. Le Comité des Ministres a considéré que la Suisse s’est conformée à l’arrêt du 2 février 2016. Elle a en effet respecté ses obligations en adoptant des mesures individuelles pour mettre fin aux violations constatées et pour en effacer les conséquences. De plus, la Suisse a mis en œuvre des mesures générales permettant de prévenir des violations semblables.

Bibliographie

Leuenberger, Ralph; Mauro, Gisella (2018). Changements dans la méthode mixte. Sécurité sociale CHSS 2018(1), 40-46 (consulté le 17.12.2021).

Collaboratrice scientifique, Procédures et rentes, domaine Assurance-invalidité, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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Économiste et psychologue, domaine Assurance-invalidité, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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