La Suisse ne connaît pas encore de droit à une bonne prise en charge au troisième âge. Il existe toutefois un intérêt public à soutenir toutes les personnes âgées vulnérables en leur garantissant l’accès à une aide et à des soins, mais aussi et surtout à une prise en charge. C’est la raison pour laquelle une base légale est nécessaire.
En un coup d’œil
- L’auteur envisage deux voies possibles pour régler au niveau de la loi le droit des personnes âgées à une prise en charge : la première consiste à élaborer une loi-cadre, la deuxième à compléter la LAVS.
- Le grand nombre d’aspects devant être réglés légalement plaide en faveur d’une loi-cadre spécifique. L’inscription dans la LAVS permettrait de son côté d’intégrer formellement dans cette loi le droit à une prise en charge en tant que forme de soutien aux personnes âgées.
- Les offres en matière de prise en charge des personnes âgées sont multiples. Il importe par conséquent d’assurer la qualité des prestations.
Au cours des quatre dernières années, la Fondation Paul Schiller a défini les bases d’une bonne prise en charge pour tous au troisième âge, en collaboration avec la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) et de nombreux spécialistes actifs en politique, dans la recherche scientifique ou sur le terrain. Dans ce cadre, elle a délimité la notion de prise en charge et décrit dans quels domaines ce soutien doit être accordé et comment l’organiser et le financer (Knöpfel/Pardini 2020 ; Knöpfel et al. 2020 ; Kägi et al. 2021).
Ces travaux ont rencontré un écho très favorable et alimenté le débat public avec de nombreuses revendications. Ils soulèvent notamment des questions concernant l’inscription dans la loi du droit à une prise en charge au troisième âge, l’évaluation des besoins ou encore le modèle de financement proposé (allocation pour le temps de prise en charge).
Inscrire dans la loi le droit à une bonne prise en charge au troisième âge
La base constitutionnelle pour inscrire dans la loi suisse le droit à une prise en charge au troisième âge semble avérée (Landolt 2021). Divers articles de la Constitution fédérale (notamment les art. 41, 111, 112a ou 112c) imposent à l’État une obligation vis-à-vis de la société : celle de permettre à chaque individu de vieillir dans la dignité. Cette obligation n’implique pas uniquement de garantir aux personnes âgées une sécurité matérielle et des soins de santé de base, mais également de mettre en place des mesures de politique sociale leur permettant de conserver autant d’autonomie que possible au quotidien et de participer à la vie en société.
Cela soulève la question de savoir comment régler au niveau de la loi le droit des personnes âgées à une prise en charge. Il existe essentiellement deux possibilités : la première consiste à élaborer une loi-cadre spécifique, la deuxième à compléter la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Le grand nombre d’aspects devant être réglés au niveau législatif plaide en faveur d’une loi-cadre spécifique ; en revanche, l’inscription dans la LAVS permettrait d’y intégrer formellement le droit à une prise en charge en tant que forme de soutien aux personnes âgées (en complément à d’autres formes telles que l’aide ou les soins). Les éléments à régler dans une loi sont brièvement présentés ci-après.
- Tout d’abord, il convient de définir ce que l’on entend par prise en charge au troisième âge. Dans une étude très remarquée, la Fondation Paul Schiller en propose une large définition : la prise en charge consiste à soutenir les personnes âgées lorsque celles-ci ne sont plus en mesure de satisfaire leurs besoins quotidiens de manière autonome et conforme à leurs attentes, ceci en raison de leurs conditions de vie et de leurs déficiences physiques, psychiques ou cognitives (Knöpfel et al. 2020).
- La prise en charge porte sur différents champs d’action, allant de l’autonomie personnelle à la gestion du ménage en passant par l’organisation de la vie quotidienne, la participation sociale, le conseil et la coordination au quotidien ainsi que la prise en charge dans les situations de soins (Fondation Paul Schiller 2021a).
- Le droit à une prise en charge au troisième âge doit être réglementé. Dans l’idéal, la prise en charge devrait impliquer à la fois des membres de la famille et d’autres acteurs formels et informels, ceci afin d’assurer une prise en charge aussi optimale que possible. Une professionnalisation complète de la prise en charge n’est pas envisageable au vu des ressources temporelles qu’elle nécessiterait (Knöpfel et al. 2018).
- Les organisations qui offrent des prestations de prise en charge doivent prouver qu’elles sont qualifiées pour le faire. Elles doivent offrir des conditions de travail équitables, notamment en ce qui concerne le niveau des salaires, le temps de travail et la protection sociale, et être en mesure d’attester de la qualité de leurs prestations. Pour évaluer ces qualifications, la fondation propose d’adapter des normes minimales cantonales déjà existantes, par exemple celles des organisations de soins à domicile (Fondation Paul Schiller 2021a).
- L’accès à des prestations de soutien doit être garanti aux personnes âgées qui en ont besoin. Pour ce faire, la Confédération doit être tenue de soutenir, dans le cadre d’un programme d’impulsion, des projets dans le domaine du travail social de proximité (Kägi et al. 2021).
- Une solution doit être mise en place pour la prise en charge professionnelle des personnes âgées, sur la base du modèle « Allocation pour le temps de prise en charge ». Pour l’essentiel, ce sont les cantons et les communes qui seraient chargés de garantir le financement des prestations de prise en charge, que ce soit en étendant et en adaptant le mandat des organisations publiques de soins à domicile ou en redéfinissant les taxes de prise en charge dans les établissements stationnaires (Fondation Paul Schiller 2021b).
Ces six points couvrent la majeure partie des éléments à inscrire dans la loi. Quelques aspects nécessitant des précisions sont approfondis ci-après : l’organisation de l’évaluation des besoins, le modèle de financement et la garantie de la qualité de l’offre.
Clarifier le besoin de prise en charge
La prise en charge est une prestation de soutien indépendante, centrée sur la personne et fournie de manière ambulatoire, intermédiaire ou stationnaire, selon le lieu de résidence de la personne concernée. L’évaluation du besoin de prise en charge sur place doit donc être effectuée au moyen d’un outil spécifique, dans le cadre d’une analyse globale des besoins. Le choix des services chargés de l’évaluation doit être fondé sur leur compétence professionnelle et leur indépendance vis-à-vis des prestations à fournir. Il va de soi que cette tâche doit être assumée par des services spécialisés dans la prise en charge ambulatoire et stationnaire, comme c’est notamment déjà le cas dans la Principauté de Liechtenstein (Kägi et al. 2021, p. 26-29). Afin d’assurer leur indépendance et de permettre ainsi une standardisation de la profession avec une garantie de procédure et des voies de droit, il convient de mettre en place des contrôles réguliers, qui pourraient par exemple être réalisés par les caisses de compensation AVS cantonales.
Pour développer un outil d’évaluation des besoins approprié, il est possible de se référer aux modèles déjà existants (Ballmer/Gantschnig 2019). La Fondation Paul Schiller estime que cette tâche devrait revenir à la Confédération afin de garantir une uniformité à travers la Suisse. Généralement, l’évaluation consiste à clarifier, dans le cadre d’un dialogue participatif, le bien-être subjectif, les compétences comportementales, la qualité de vie perçue ainsi que la situation économique et l’environnement objectif de la personne concernée. Le résultat de cette évaluation permet de convenir en toute transparence des objectifs à atteindre et de se prononcer ensuite sur leur réalisation. Dans ce cadre, il est essentiel que les personnes âgées se voient attribuer un quota d’heures défini et qu’elles soient libres de faire appel au prestataire de leur choix.
Financer les prestations de prise en charge
Le modèle « Allocation pour le temps de prise en charge » est conçu à la fois comme un financement du sujet et comme un financement de l’objet. La partie orientée sujet consiste à octroyer aux personnes âgées un quota d’heures pour des prestations de prise en charge qu’elles peuvent faire valoir auprès d’une organisation spécialisée. L’organisation concernée reçoit de l’État une allocation de prise en charge pour la prestation fournie et envoie une facture au bénéficiaire.
D’une part, les autorités compétentes négocient donc des tarifs pour les prestations de prise en charge avec les organisations d’aide à la vieillesse ; d’autre part, les bénéficiaires de ces prestations doivent eux aussi contribuer personnellement aux frais. Le montant de cette contribution doit être fixé de manière à ce que la classe moyenne inférieure ait elle aussi les moyens d’accéder à une bonne prise en charge au troisième âge sans subir de pertes financières importantes. Les personnes touchant un revenu sous forme de rente peuvent, si celui-ci ne leur permet pas de payer cette contribution, demander des prestations complémentaires. Les prestations de prise en charge doivent donc être ajoutées au catalogue des dépenses à financer (art. 10 « Dépenses reconnues » et art. 14 « Frais de maladie et d’invalidité » de la loi sur les prestations complémentaires).
Pour fixer le montant de la contribution, deux options sont envisageables : définir un pourcentage spécifique (par ex. 25 %) ou faire dépendre le montant du revenu et de la fortune. La subvention étatique doit être du ressort des cantons ou des communes, car ceux-ci contribuent aujourd’hui déjà à financer différentes prestations de soutien pour les personnes âgées. Une telle obligation devrait être inscrite dans la loi, idéalement à l’art. 43 LAVS. Elle se justifie par l’objectif politique visant à permettre aux personnes âgées de rester aussi longtemps que possible dans l’environnement qui leur est familier, à savoir leur domicile.
En ce qui concerne la partie du financement liée à l’objet, le rôle de la Confédération est déterminant. En effet, cette dernière finance le développement de l’outil d’évaluation et des centres compétents, qui doivent être accessibles à toutes les personnes âgées ayant potentiellement besoin d’être prises en charge. La Confédération est également chargée de définir des normes de qualité et de financer les formations correspondantes dans le domaine de la prise en charge de proximité.
Enfin, elle doit soutenir par un financement incitatif des projets montrant comment atteindre les personnes âgées vulnérables qui, autrement, ne bénéficieraient pas d’une prise en charge suffisante. Les moyens nécessaires à la réalisation de ces tâches doivent être prélevés sur le Fonds AVS. Concrètement, la Confédération peut déléguer la mise en œuvre aux caisses de compensation à condition de leur fournir les ressources nécessaires.
Garantir la qualité de l’offre de prise en charge
La prise en charge des personnes âgées est assurée par de nombreux acteurs. Au vu de cette diversité, il importe de garantir la qualité des prestations, en visant en priorité les organisations professionnelles. Pour pouvoir fournir des services de qualité, celles-ci doivent recourir à du personnel spécialisé dans le domaine psychosocial et dans celui de l’accompagnement socioprofessionnel (pédagogie sociale, spécialistes de la prise en charge) et disposant de formations initiales et continues appropriées. Une telle orientation implique que les organisations inscrivent dans leurs structures la prise en charge comme champ d’activité d’un soutien global aux personnes âgées.
Cette orientation doit déjà être prise en compte dans la définition de nouvelles fonctions (direction de l’organisation, développement du personnel et des compétences, soutien et encadrement des assistants, gestion de la qualité). Une attention particulière doit être accordée au soutien et à l’encadrement professionnel des proches aidants et des bénévoles. En venant compléter l’engagement familial et informel, une prise en charge professionnelle de qualité contribue à permettre aux proches, aux voisins ou au cercle d’amis de soutenir la personne le plus longtemps possible.
La prise en charge au troisième âge est un défi de politique sociale auquel il devient toujours plus urgent d’apporter une réponse. De premiers pas ont déjà été faits dans cette direction aux niveaux cantonal et communal ; à présent, une réglementation fédérale s’impose pour permettre à tous les individus de vieillir dans la dignité.
Bibliographie
Fondation Paul Schiller (2021a) : Handlungsfelder der guten Betreuung im Alter: Betreuungsleistungen und Präventionswirkung. Impulspapier no 1. (consulté le 13 janvier 2022).
Fondation Paul Schiller (2021b) : Coûts et financement d’une bonne prise en charge au troisième âge en Suisse. Les résultats de l’étude et leur interprétation d’un point de vue professionnel et politique [Zurich : Fondation Paul Schiller].
Kägi, Wolfram ; Frey, Miriam ; Huddleston, Christopher ; Lamprecht, Matthias ; Metzler, Raphael ; Suri, Mirjam (2021) : Gute Betreuung im Alter – Kosten und Finanzierung [Zurich : Fondation Paul Schiller]. (consulté le 13 janvier 2022).
Landolt, Hardy (2021) : Ein Anrecht auf gute Betreuung im Alter – sozialrechtliche Anknüpfungspunkte. Pflegerecht 3/2021 (3), p. 189-191.
Knöpfel, Carlo ; Pardini, Riccardo ; Heinzmann, Claudia (2020) : Guide pour une bonne prise en charge au troisième âge. Clarification de la terminologie et lignes directrices [Zurich : Swissfoundations].
Knöpfel, Carlo ; Pardini, Riccardo (2020) : Une bonne prise en charge au troisième âge : axes de réflexion. Sécurité sociale (CHSS) 4/2020, p. 21-26.
Ballmer, Thomas ; Gantschnig, Brigitte (2019) : Lebensqualität und Wohlbefinden messbar machen. Assessment zur Erfassung von Lebensqualität und Wohlbefinden. Fachtagung SVAT. (consulté le 13 janvier 2022)
Knöpfel, Carlo ; Pardini, Riccardo ; Heinzmann, Claudia (2018) : Gute Betreuung im Alter in der Schweiz. Eine Bestandesaufnahme [Zurich : éditions Seismo].