Commentaires discriminants, publications haineuses, mèmes diffamatoires : les attaques fondées sur le genre ou la sexualité sont monnaie courante sur Internet. Grandissant avec les technologies numériques, les enfants et les jeunes sont particulièrement exposés à ce genre de contenus. Il est donc d’autant plus important de prendre des mesures pour les protéger.
En un coup d’œil
- Les femmes sont nettement plus souvent victimes de sexisme que les hommes. Et les personnes LGBTQI+ sont avant tout confrontées à des formes subtiles d’hétérosexisme au quotidien et à des microagressions.
- Les discours de haine (hétéro)sexistes s’inspirent généralement de préjugés liés au genre ou de rôles assignés traditionnellement. Ils sont transmis par texte ou message oral, accompagnés d’illustrations, de photos ou de vidéos. Les intimidations ou menaces explicites sont plus rares.
- Internet est devenu un espace quotidien d’échange, d’expérience et d’expérimentation pour les enfants. Ceux-ci se retrouvent donc souvent confrontés à des discours haineux, sexistes ou hétérosexistes, en tant que témoins, victimes ou auteurs.
- Les facteurs de risque sont avant tout une utilisation problématique (excessive ou à risque) des médias, une surexposition publique notamment sur les réseaux sociaux ou des expériences et antécédents personnels.
- Les motivations de ces agissements sont multiples : jalousie, vengeance, convictions idéologiques, désir sexuel ou statut social.
- Pour améliorer la protection des enfants et des jeunes sur le Net, il faut renforcer les compétences spécialisées, médiatiques et sociales des experts, des jeunes et des personnes de référence, ainsi que développer un monitorage de données factuelles et améliorer la visibilité des offres disponibles.
Internet n’est pas une zone de non-droit. Il fournit pourtant un cadre propice à la discrimination, à la haine, aux menaces et aux appels à la violence. Les personnes à l’origine de ces propos peuvent publier, liker ou diffuser leurs messages sous le couvert de l’anonymat. Les autorités de contrôle sont souvent inexistantes, interviennent trop tard, ou les responsables des faits parviennent à se soustraire facilement à leur surveillance. L’interconnexion au niveau mondial permet une diffusion rapide à très large échelle.
Les attaques en ligne sont dirigées contre des individus ou des groupes de personnes. Elles sont basées sur différents aspects et particularités, tels que l’origine, la couleur de peau ou la langue, l’appartenance religieuse, le mode de vie ou de pensée, le handicap psychique ou mental, le genre ou l’orientation sexuelle.
Dans son dossier « La haine sur Internet », la plateforme Jeunes et médias de l’Office fédéral des assurances sociales discute les possibilités de contrer les discours de haine au niveau structurel et individuel. Dans ce contexte, elle a chargé Lea Stahel et Nina Jakoby, de l’Institut de sociologie de l’Université de Zurich, d’enquêter et de déterminer dans quelle mesure les jeunes sont victimes, témoins ou à l’origine de la misogynie, de l’homophobie et de l’hostilité envers les personnes trans ou d’autres formes de discrimination et d’attaques fondées sur le genre ou la sexualité sur Internet. Le rapport qui en résulte (Stahel/Jakoby 2021) fournit un aperçu des recherches menées et des données disponibles, présente des projets réalisés en Suisse et à l’étranger, met en lumière les enjeux pour les services concernés et propose des recommandations d’action dans les domaines de la sensibilisation, de la prévention et de l’intervention.
Le rapport montre que les jeunes – que ce soit en tant que victimes, témoins ou responsables des faits – constituent un groupe particulièrement vulnérable. Leur mode de vie est très marqué par la culture numérique dès leur plus jeune âge, phénomène qui s’accentue au fil des années. En parallèle, les jeunes ne disposent bien souvent pas des compétences leur permettant d’évaluer les risques et d’agir ou de réagir correctement.
Un phénomène répandu aus multiples facettes
Le sexisme se base sur des théories et des préjugés qui dévalorisent des personnes en raison de leur genre, et s’exprime à travers des stéréotypes et des comportements discriminants, aussi bien dans le monde « réel » que virtuel. Alors que le point de vue traditionnel se limite à la perspective de genre binaire (femme-homme), la notion d’hétérosexisme s’étend aussi à l’hostilité envers les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles, transgenres, queer ou intersexes (LGBTQI+).
Les inégalités au quotidien, qui n’ont rien de nouveau, se traduisent par des discriminations et des attaques liées au genre et à la sexualité et se répètent à la fois dans l’espace réel et virtuel. À cet égard, les femmes sont nettement plus touchées par le sexisme que les hommes ; la communauté LGBTQI+, quant à elle, est en particulier confrontée à des formes subtiles d’hétérosexisme au quotidien et à des microagressions.
Möller (2015, p. 16) définit le discours de haine sexiste et hétérosexiste de la manière suivante : « … le fait de prôner, de promouvoir ou d’encourager sous quelque forme que ce soit le dénigrement, la haine ou la diffamation d’une personne ou d’un groupe de personnes ainsi que le harcèlement, l’injure, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation ou la menace envers une personne ou un groupe de personnes, et la justification de tous ces types d’expression au motif […] du sexe, du genre, de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle [ou] d’autres caractéristiques personnelles. »
Le rapport se concentre sur les phénomènes virtuels correspondants, qui s’avèrent multiples en termes d’organisation et d’intensité. Ce type de propos peut s’adresser à une personne en particulier, mais aussi à un grand nombre de personnes également concernées, de manière explicite ou implicite. Dans la plupart des cas, il s’agit de discours, d’illustrations, de photos ou de vidéos inspirés par les stéréotypes de genre et par les rôles assignés traditionnellement. Les femmes féministes sont par exemple raillées pour leur manque d’intelligence ou leur haine envers les hommes. Parfois, ces sont des selfies mettant en scène le modèle masculin (hétéronormatif) prétendument idéal qui sont postés et likés sur les réseaux.
Plus rarement, on recense des intimidations et des menaces explicites, parfois ponctuées d’une soi-disant pointe d’humour, comme le fait de conclure une menace de viol par un émoticône qui rit. Le tableau T1 donne un aperçu des phénomènes sexistes et hétérosexistes en ligne, assortis d’exemples.
Les reproches souvent formulés à l’encontre des victimes, qui consistent à les accuser d’avoir provoqué les attaques ou d’être trop sensibles, reviennent à banaliser ces actes et à faire peser une charge émotionnelle et sociale supplémentaire sur les victimes. D’après certaines enquêtes, les femmes et les personnes LGBTQI+ jeunes ou adultes qui sont victimes d’agressions sexistes et hétérosexistes en ligne souffrent de stress, d’angoisses, de crises de panique, de troubles de la concentration et de dépression. Elles ont perdu en estime et en confiance en elles. Sur Internet, les contenus diffamatoires peuvent non seulement être diffusés à l’infini mais sont aussi bien souvent difficiles à effacer, ce qui constitue un facteur aggravant. L’anonymat des personnes à l’origine des faits, les anciennes expériences négatives et le manque de compétences numériques peuvent également renforcer l’affliction ressentie.
L'utilisation problématique des médias, un facteur de risque
Grandissant avec les technologies numériques, les enfants et les jeunes d’aujourd’hui s’y familiarisent très tôt et se sentent naturellement à l’aise dans le monde virtuel. Internet est un espace d’échange, d’expérience et d’expérimentation ; ce réseau mondial sert à développer l’interaction sociale, à rechercher des informations et à se divertir, mais aussi à explorer sa propre identité. Particulièrement sur des sujets sensibles comme la sexualité, Internet fournit un environnement permettant d’accéder (anonymement) à des informations et à des réponses. Des communautés rassemblent des adeptes partageant les mêmes centres d’intérêt, et des influenceurs et influenceuses se mettent en scène sur les réseaux sociaux, servant de modèles aux jeunes, qui les imitent.
Dans ce contexte, les enfants et les jeunes peuvent se retrouver involontairement témoins de discours haineux sexistes et hétérosexistes, en devenir victimes ou en être responsables. Les auteures du rapport ne connaissent pas les chiffres correspondants en Suisse. À titre de comparaison, elles se sont référées à des phénomènes connexes : parmi les jeunes, 5 à 30 % des personnes interrogées déclarent avoir fait l’expérience du cyberharcèlement (Baier 2019, p. 39 ; Craig et al. 2020 ; rapport JAMES 2018, p. 53 s.) ; quant au grooming (approches non consenties à caractère sexuel), près de la moitié de l’échantillon, dont deux fois plus de filles, se dit concernée (étude JAMES 2020, p. 52 et 54). Pour ce qui est des discours de haine en ligne, deux à trois jeunes sur dix en ont été les témoins ou les cibles ; 5 % reconnaissent avoir diffusé de tels contenus (EU Kids Online 2020, p. 66 s. ; EU Kids Online Suisse 2019, p. 4).
Des études menées à l’étranger fournissent des résultats comparables, même si les variations sont marquées selon les pays. Dans le cas du cyberharcèlement de partenaires parmi les jeunes, les chiffres se situent entre 10 et 60 %, la part de victimes dépassant celle des responsables des faits (Stonard et al. 2014, p. 407). Une enquête internationale montre que 30 à 53 % des personnes de 15 à 30 ans sondées ont vu passer des propos haineux sur Internet (Hawdon et al. 2017) ; entre 5 % en France et 20 % aux États-Unis ont elles-mêmes relayé ces propos (Blaya/Audrin 2019, p. 6 ; Costello/Hawdon 2018, p. 58).
Le cyberharcèlement à caractère sexuel, que ce soit en général ou contre des partenaires intimes, concerne nettement plus fréquemment les filles, les garçons étant plus souvent les auteurs des faits. Des études scientifiques attestent en outre que les groupes de jeunes LGBTQI+ sont plus souvent exposés aux attaques et à la discrimination en ligne. Aux États-Unis, un sondage mené auprès des 13-18 ans révèle que près de la moitié des gays, lesbiennes ou queer ont été les cibles d’attaques sur Internet, contre 15 % chez les personnes hétérosexuelles (Ybarra et al. 2015).
Parmi les facteurs de risque, même si les rapports sont trop complexes pour pouvoir formuler une réponse simple à cette question, on recense en particulier une utilisation problématique (excessive et à risque) des médias, une surexposition publique sur les réseaux sociaux notamment ou des expériences et antécédents personnels. Ces facteurs s’appliquent tant aux victimes qu’aux responsables. Tout individu qui fréquente, par exemple, des communautés ou des forums en ligne diffusant des messages à caractère haineux est plus susceptible de poster ou de relayer ce type de message. Parallèlement, des indicateurs montrent que les minorités sexuelles recourent à Internet de façon plus problématique, car elles sont plus actives sur les réseaux sociaux et sont donc d’autant plus vulnérables. Les filles qui sont victimes d’attaques physiques sont également plus sujettes à la victimisation en ligne, et les jeunes responsables de violences sexuelles en ligne sont également plus souvent à l’origine d’agressions sexuelles physiques.
Les motivations de ces agissements sont multiples, allant de la jalousie et de la vengeance aux convictions idéologiques, en passant par le désir sexuel ou le statut social. Les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Instagram (voir graphique G1), ou encore les tchats, forums et blogs, les colonnes de commentaires, les jeux en ligne, les sites dédiés (développés p. ex. par des mouvements comme la manosphère, un ensemble de groupes d’intérêt misogynes) ou les applications de rencontre servent de plateformes.
Des mesures existent, mais elles doivent être développées
La protection des enfants et des jeunes contre les discours de haine sexistes et hétérosexistes diffusés sur Internet appelle des mesures adéquates. Le rapport pointe la nécessité d’agir à cet égard, d’autant que cette thématique n’a jusqu’ici pas été explicitement traitée du point de vue des jeunes. Des projets prometteurs axés sur la prévention, la sensibilisation ou l’intervention abordent déjà de façon générale les discours de haine, le sexisme et la haine des personnes LGBTQI+ dans l’espace public et virtuel.
Des entretiens avec des services impliqués mettent en évidence que le sexisme et l’hétérosexisme présentent de multiples facettes, en ligne et hors ligne, et qu’ils doivent être considérés comme un problème sociétal. Parmi les enjeux et les facteurs aggravants cités par les spécialistes figurent :
- le manque de ressources (financières et humaines)
- les conditions restrictives (bases légales, application juridique ; pas de groupe de pression ; régulation insuffisante par les exploitants de plateformes ou les services de rédaction)
- l’absence de conscience (banalisation du sexisme et de la haine envers les communautés LGBTQI+)
- la perception du phénomène en tant que problème de minorités (manque de sensibilisation, priorité donnée à d’autres thèmes)
- la sensibilité du thème (phénomène tabou, exposition personnelle)
- la complexité (différenciation entre évènements personnels/privés et généraux/publics ; phénomène multidimensionnel impliquant technologie, médias, compétences médiatiques et sociales, communauté LGBTQI+, éducation [sexuelle])
Les mesures recommandées par les auteures visent plusieurs objectifs : renforcer la sensibilisation à la thématique, consolider les compétences spécialisées, médiatiques et sociales des spécialistes, des jeunes et de leurs personnes de référence, développer le monitorage en vue de disposer de données factuelles, ou encore améliorer la visibilité des offres disponibles, par exemple en mettant en place une plate-forme centralisée et en soutenant les services compétents. Ce faisant, les initiatives et projets déployés à l’étranger peuvent servir d’orientation et fournir de précieuses impulsions.
Bibliographie
Stahel, Lea ; Jakoby, Nina (2021). Les enfants et les jeunes face aux discours de haine sexistes et anti-LGBTQI+ sur Internet : bases scientifiques et contre-mesures. [Zurich : Université de Zurich].
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