La Suisse est un laboratoire rêvé pour la politique de la vieillesse. En effet, comme celle-ci, dans la plupart des cantons, est de la compétence des communes, il est possible d’observer et de tester, sur quelque 41 000 km2, près de 2000 formes différentes de politique de la vieillesse. Cela permet d’expérimenter diverses pistes de solution dans différents contextes et d’apprendre des unes et des autres. Et c’est précisément ici que le défi se pose, car l’échange entre communes sur les expériences faites et les enseignements tirés n’est pas chose facile. De ce fait, le potentiel de la politique de la vieillesse reste parfois en friche. Dans le canton d’Argovie, c’est le service spécialisé pour la vieillesse et la famille (Fachstelle Alter und Familie) qui est responsable de mettre en réseau les communes et les organisations spécialisées. Il crée ainsi la base de processus d’apprentissage ainsi que du transfert de connaissances et d’expériences entre les professionnels et les communes. Une politique de la vieillesse fondée sur des connaissances solides et testée au quotidien permet à la population âgée de rester à domicile le plus longtemps possible en jouissant d’une bonne qualité de vie et en organisant sa vie en toute autonomie. Une politique de la vieillesse active contribue aussi, en fin de compte, à répondre aux défis posés dans le domaine des coûts de la santé et de l’organisation des soins.
Les défis de la politique de la vieillesse L’homme, depuis longtemps, s’efforce de prolonger la vie humaine, que ce soit par les progrès de la médecine ou de la technique ou par des mesures sanitaires. Nous profitons aujourd’hui de ces acquis et vivons plus longtemps, et restons aussi plus longtemps en bonne santé (Gasser et al. 2015). L’augmentation de l’espérance de vie a des conséquences au niveau individuel et familial, avec notamment les nouvelles possibilités de rester actif après 65 ans ou la coexistence de quatre générations. Ainsi, la longévité représente un défi pour l’ensemble de la société, et de loin pas seulement pour le système de santé et les assurances sociales.
De la mobilité à l’aménagement du territoire en passant par le logement, le bénévolat, l’activité professionnelle et la santé, mais aussi de la sécurité à la participation : la réussite de la politique de la vieillesse suppose la coopération de diverses autorités, instances et organisations qui agissent indépendamment les unes des autres dans de nombreux domaines, car ce n’est qu’ainsi qu’elles pourront, ensemble, résoudre les problèmes qui se posent dans le domaine de la vieillesse. La politique de la vieillesse est une tâche transversale, qui combine verticalité et horizontalité. Il est donc important que, d’une part, la Confédération, les cantons et les communes coopèrent et, d’autre part, que les diverses organisations spécialisées des différents niveaux se mettent en réseau, car « la pensée en vase clos au sein des autorités est l’un des principaux écueils sur lesquels achoppe la politique de la vieillesse » (Stremlow et al. 2018). En pratique, on s’aperçoit que cette mise en réseau doit être entretenue et vécue à tous les niveaux. Ainsi, il ne suffit pas qu’il existe un bon réseau institutionnel au niveau cantonal. Bien sûr, c’est une bonne base pour coordonner la coopération sur le plan local et créer des synergies ; mais le réseautage doit aussi être assuré au niveau communal, entre les personnes qui travaillent quotidiennement avec des personnes âgées.
L’importance de la mise en réseau se voit bien dans les communes, par exemple lorsque des personnes âgées ont besoin de différents services qui doivent être coordonnés, mais aussi lorsque la population demande des espaces de rencontre ou lance des projets pour une meilleure aide de proximité. Par sa petite taille, le contexte communal permet de négocier au mieux et le plus efficacement les conditions de base d’un lien plus étroit entre les générations, un aménagement des espaces de vie intérieurs et extérieurs qui soit adapté aux personnes âgées, ainsi que l’information et les conseils à la population. Il importe pour cela de combiner les opportunités et les points forts du niveau local avec le potentiel de mise en réseau du niveau supérieur.
Un canton, 211 communes : information et mise en réseau par-delà les frontières Au début du 2019, le canton d’Argovie compte 211 communes avec une population comprise entre 164 et 21 000 habitants. Les conditions dans lesquelles celles-ci font face aux enjeux de la politique de la vieillesse diffèrent donc beaucoup de l’une à l’autre ; c’est là un état de fait dont la stratégie cantonale de soutien aux communes pour la mise en œuvre de la politique de la vieillesse tient expressément compte.
La politique argovienne de la vieillesse tire son origine de la réforme de la loi cantonale sur les soins, pour le suivi de laquelle le Conseil d’État a institué en 2009 une commission consultative pour les questions de la vieillesse. Ce Forum für Altersfragen comprend vingt membres extérieurs à l’administration, notamment des représentants de l’association cantonale des EMS, des soins à domicile, de Pro Senectute, de la Croix-Rouge suisse, mais aussi de communes et de régions de tout le canton, ainsi que des délégués des associations de seniors. En outre, chacun des cinq départements cantonaux de même que la chancellerie d’État y ont un siège.
Le Forum für Altersfragen a pour tâche de conseiller l’exécutif cantonal dans le domaine des soins de longue durée et dans celui de la vieillesse en général. Il est apparu dès 2009, dans le cadre du forum, que les soins de longue durée sont déjà réglementés et établis sur bien des points. Dans le même temps, il s’est avéré que la politique de la vieillesse – toutes les activités qui, sans faire partie des soins au sens strict, contribuent à ce que les personnes âgées puissent rester chez elles plus longtemps – n’était pas encore à l’ordre du jour dans nombre de communes, ni encore considérée au niveau cantonal comme une tâche à part entière. En conséquence, le Forum für Altersfragen a lancé l’idée d’une politique de la vieillesse participative, et en 2011 s’est tenu le premier congrès cantonal de la vieillesse, dont les quelque 400 participants ont exigé l’élaboration de principes directeurs d’une politique cantonale de la vieillesse.
En 2012, le Conseil d’État a décidé de créer un service spécialisé pour les questions de la vieillesse (Fachstelle Alter), qui aurait pour tâche de donner forme à la politique cantonale en la matière. En 2013, le gouvernement argovien a adopté douze principes directeurs de cette politique et a chargé la Fachstelle Alter de soutenir les communes pour la mise en œuvre de celle-ci. Il entendait ainsi regrouper les forces qui se mobilisent pour la qualité de vie des personnes âgées et développer une politique de la vieillesse tournée vers l’avenir. Le Forum für Altersfragen joue un rôle stratégique dans la mise en œuvre des principes directeurs. Il examine les projets et les produits élaborés par le service, et en évalue la faisabilité ou l’utilité pratique.
Pour déterminer de façon plus systématique la situation en matière de politique de la vieillesse, une enquête à laquelle 167 communes ont participé a été menée en 2017, soit quatre ans après le lancement de la politique cantonale de la vieillesse et huit ans après l’instauration du forum. Il en est ressorti que 52 % des communes mènent une politique active de la vieillesse mais que, parmi celles-ci, seule une petite moitié ont pris deux mesures ou davantage pour répondre aux besoins de leurs aînés (cf. graphique G1). Il est frappant de constater à cet égard qu’un engagement politique ferme du conseil communal, que ce soit sous la forme de lignes directrices, d’une stratégie ou d’objectifs de législature, exerce une forte influence sur le nombre de mesures prises. Ainsi, 76 % des communes qui ont adopté une stratégie en matière de politique de la vieillesse ont pris plus de deux mesures (outre la stratégie elle-même). Par contre, les communes qui n’ont pas pris d’engagement stratégique se limitent pour la plupart à une seule activité.
L’enquête met en évidence les thèmes qui seront prioritaires pour les communes ces prochaines années. Ses résultats, combinés avec ceux du 4e congrès cantonal de la vieillesse, ont servi à définir quatre priorités pour la politique cantonale de la vieillesse de 2017 à 2021, qui ont été adoptées par la conseillère d’État compétente :
- éspaces de vie adaptés à l’âge,
- accès à tout l’éventail des offres,
- participation de la population âgée,
- lien entre les générations.
Ces priorités permettront d’adapter de façon ciblée les travaux de la Fachstelle Alter und Familie (tel est le nouveau nom porté par le service depuis la restructuration de 2018) aux besoins des communes et de la population.
Prestations cantonales destinées aux communes La Fachstelle Alter und Familie a pour objectif de sensibiliser les conseillères et conseillers communaux aux thèmes de la politique de la vieillesse, et de proposer des prestations d’aide facilement accessibles. Elle vise aussi à ce que les communes tirent notamment parti du transfert de connaissances et de la mise en réseau au niveau cantonal.
De manière proactive, elle envoie aux nouveaux membres des conseils communaux responsables du domaine Santé et social le dossier d’information « Willkommen in der Alterspolitik » (bienvenue dans la politique de la vieillesse). Dans ce courriel, elle attire leur attention sur le vieillissement démographique et sur les défis qui attendent les communes. Elle y présente aussi l’offre et les prestations d’aide du canton et du service. Les destinataires obtiennent ainsi les adresses où contacter les professionnels des soins ambulatoires et résidentiels, ainsi que des informations, sous forme de liste de contrôle, sur le mandat légal des communes dans le domaine de la vieillesse, et leur attention est attirée sur des thèmes d’actualité ou des manifestations prochaines. Deux fois par année, le service organise pour le Réseau vieillesse argovien (Aargauer Netzwerk Alter) des rencontres spécialisées destinées aux conseillères et conseillers communaux et aux professionnels, avec pour but de consolider les connaissances (notamment en diffusant des exemples pratiques) et d’améliorer la mise en réseau. Ces rencontres servent aussi à l’échange d’expériences et à l’entretien des relations.
Indépendamment des priorités cantonales, le service propose aussi aux communes intéressées, sur demande, des entretiens de bilan gratuits. Par cette offre de base, elle aide les communes à mettre en place leur politique de la vieillesse, à créer les structures d’une politique active de la vieillesse ou à contrôler les mesures déjà prises. Avec les communes, elle examine les offres et lacunes éventuelles et, sur la base des expériences faites et des projets lancés par d’autres communes, elle définit et planifie les étapes suivantes. Un des principaux thèmes des entretiens de bilan est le rôle joué par la commune dans la politique de la vieillesse. Dans nombre de petites et moyennes communes, le système de milice impose de ménager les ressources et de fixer des priorités. Dans un domaine où de nombreux acteurs, tant professionnels que bénévoles, sont à l’œuvre, il peut être indiqué de concentrer le rôle de la commune sur la coordination et la mise en réseau de ces acteurs. Une mesure possible est d’organiser des tables rondes sur la politique de la vieillesse afin de faciliter la gestion des interfaces et des tâches transversales. Un autre sujet important est l’élaboration d’une stratégie en matière de politique de la vieillesse.
Outre les informations de base et les entretiens de bilan, la Fachstelle Alter und Familie propose différentes prestations aux communes. Par exemple, elle a élaboré en 2018 le guide « Wohnen im Alter », basé sur ce principe directeur : « En Argovie, les espaces de vie sont adaptés à l’âge » (Fachstelle Alter und Familie 2018a). L’objectif de ce guide est d’informer les conseillères et conseillers communaux, les administrations communales et d’autres personnes intéressées sur les divers éléments clés des projets de logement pour personnes âgées, de les mettre en mesure de poser les questions essentielles et d’élaborer les bases nécessaires sans charges excessives. Le guide ne donne pas de recettes ou de recommandations pour des formes de logement adaptées à l’âge, mais incite les communes à trouver la forme qui convient le mieux à leurs structures et à leur situation. Il ne met pas l’accent sur la construction ou l’assainissement, mais sur la planification générale et sur l’intégration dans l’environnement et les prestations de service communales.
Une autre priorité de la politique cantonale de la vieillesse est de veiller à ce que les personnes âgées aient accès à l’offre existante. Pour cela, l’information donnée à la population est essentielle. Certaines communes – parfois avec l’aide de bénévoles – ont réalisé leur propre brochure. D’autres affirment manquer de ressources pour le faire, et d’autres encore disent qu’il est difficile de formuler les informations de façon neutre ou de penser à toutes les offres. Pour épauler les communes, le service a rédigé une brochure modulable intitulée « Älter werden in … » (« Vieillir à … »). Celle-ci contient par exemple des informations sur les aspects juridiques (comme le testament ou les directives anticipées du patient), un chapitre consacré au financement de la retraite et des soins, ainsi que des indications relatives aux prestations ambulatoires et hospitalières. Son contenu, contrôlé par des experts, est régulièrement mis à jour. Les communes obtiennent cette brochure sous forme de document modifiable, dans lequel elles peuvent facilement introduire les adresses locales aux endroits prévus (Fachstelle Alter und Familie 2018b).
Apprendre les uns des autres et avancer ensemble En résumé, l’objectif de la politique argovienne de la vieillesse est de soutenir les conseillères et conseillers communaux, mais aussi les administrations, de manière à leur permettre de mettre en place à peu de frais une politique de la vieillesse durable et accessible sans que les communes doivent à chaque fois réinventer la roue. Le soutien offert ici par la Fachstelle Alter und Familie se situe à trois niveaux : d’abord la mise en réseau et le transfert de connaissances, ensuite le conseil et la conception, et enfin des projets et des produits sur différents thèmes.
Les défis posés par le vieillissement démographique concernent tous les niveaux institutionnels et tous les secteurs de la société. C’est seulement si les acteurs collaborent sans se cantonner à leur champ thématique et institutionnel qu’une politique de la vieillesse capable de répondre aux défis à venir pourra être conçue. Pour cela, il est possible de tirer parti des forces du niveau local – comme la proximité avec les personnes âgées, la bonne connaissance du contexte et la solidité de l’ancrage – et de les combiner avec les avantages offerts par le réseau cantonal. C’est pourquoi le canton d’Argovie se mobilise, afin que ses communes soient en mesure d’investir de façon ciblée leurs ressources limitées en faveur de leurs citoyens âgés.
- Bibliographie
- Fachstelle Alter und Familie (2018a) : Wohnen im Alter. Handbuch für Aargauer Gemeinden: www.ag.ch/alter > Für Gemeinden > Wohnen im Alter.
- Fachstelle Alter und Familie (2018b) : Älter werden in … (brochure modulable) : www.ag.ch/alter > Für Gemeinden: Anpassbare Broschüre.
- Gasser, Nadja ; Knöpfel, Carlo ; Seifert, Kurt (2015) : Agile, puis fragile.Zurich : Pro Senectute Suisse.
- Stremlow, Jürgen ; Da Rui, Gena ; Müller, Marianne ; Riedweg, Werner ; Schnyder, Albert (éd.) (2018) : Gestaltung kommunaler Alterspolitik in der Schweiz ; Lucerne : Interact Verlag.