« La croissance quantitative peut être un problème »

De plus en plus de petites caisses de pension s’affilient à une institution collective. Une croissance incontrôlée de ces institutions de prévoyance n’est pas dans l’intérêt des assurés, explique Laetitia Raboud, directrice de la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP).
Stefan Sonderegger
  |  28 novembre 2024
    Entretien
  • Prévoyance professionnelle
« Limiter la concurrence entre les institutions de prévoyance est certainement dans l’intérêt des assurés » estime Laetitia Raboud, directrice de la CHS PP. (Photo : Marcel Giebisch/OFAS)

Madame Raboud, vous avez pris vos fonctions de directrice de la CHS PP il y a dix mois. Sur quels aspects de la prévoyance professionnelle estimez-vous nécessaire d’agir ?

Je pense que nous devons surtout nous concentrer sur les institutions collectives et communes. Plus des trois quarts des assurés de la prévoyance professionnelle sont désormais affiliés à ce type d’institutions. Chaque année, environ 4 % des institutions de prévoyance se retirent du marché. De plus en plus d’employeurs décident de dissoudre l’institution de prévoyance propre à leur entreprise pour s’affilier à une institution collective.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il y a plusieurs raisons à ce processus de concentration : d’abord l’augmentation des coûts et les exigences toujours plus élevées auxquelles l’organe suprême doit satisfaire ; ensuite, les structures de plus en plus complexes, qui sont difficiles à comprendre et à gérer.

L’expertise représente donc un défi pour les institutions de prévoyance d’entreprise ?

Oui, mais cela n’est pas spécifique à ce type d’institutions. Siéger dans un organe suprême qui supervise la gérance notamment et qui est constitué paritairement de salariés et d’employeurs est une tâche exigeante. Celle-ci requiert non seulement des connaissances juridiques et techniques, mais aussi des connaissances en matière de placement. Être membre d’un organe suprême implique en outre une grande responsabilité. Certaines affaires portées devant les tribunaux en sont la preuve. Or, en raison du système de milice suisse, les membres de l’organe suprême ne sont généralement pas des spécialistes. Pour les raisons mentionnées, il est de plus en plus difficile de trouver des candidats appropriés et motivés.

S’agissant du processus de concentration des institutions collectives et communes, vous avez récemment déclaré dans le Tages-Anzeiger que la croissance n’était pas toujours dans l’intérêt des assurés. Pouvez-vous en expliquer le mécanisme ?

La croissance quantitative peut être un problème. Par exemple, si une institution collective reprend une œuvre  de prévoyance dont le taux de couverture est moins élevé, les répercussions sur son propre taux de couverture ne sont pas dans l’intérêt de ses assurés actuels. En revanche, une croissance ciblée et adossée à une stratégie à long terme est tout à fait souhaitable. Il appartient à l’organe suprême de trouver le bon équilibre et de définir la stratégie à long terme. Comme pour les autres aspects, l’organe suprême doit toujours placer les intérêts des assurés au centre de ses préoccupations et viser une croissance qualitative.

Qu’est-ce qui conduit les institutions collectives à privilégier malgré tout une croissance quantitative ?

Ce sont surtout les institutions collectives et communes gérées par des entreprises à but lucratif qui misent sur une croissance quantitative. Plusieurs acteurs gravitant autour de ces institutions peuvent chercher à influencer l’organe suprême afin d’obtenir des avantages financiers.

Pouvez-vous donner un exemple ?

Un gestionnaire d’actifs peut améliorer sa rémunération en appliquant le total expense ratio (TER) à un volume d’actifs plus important. Une croissance incontrôlée n’est pas dans l’intérêt des assurés et il est important que l’organe suprême soit en mesure de résister à une éventuelle tentative de prise d’influence.

Que doit-il faire ?

L’organe suprême doit toujours agir dans l’intérêt des assurés et avoir conscience qu’il est légalement tenu de veiller à la stabilité financière de l’institution de prévoyance.

« L’organe suprême doit toujours agir dans l’intérêt des assurés »

L’association PK-Netz, qui représente les salariés, reproche à la CHS PP de ne pas tenir suffisamment compte des intérêts des assurés dans ses prescriptions en matière de rémunération.

Limiter la concurrence entre les institutions de prévoyance est certainement dans l’intérêt des assurés : les institutions collectives et communes ne doivent pas attirer les assurés en proposant une rémunération élevée au détriment de la stabilité financière de l’institution de prévoyance. De plus, ces prescriptions ne concernent qu’une catégorie particulière d’institutions de prévoyance, à savoir celles qui sont en concurrence entre elles.

Quels autres aspects de la prévoyance professionnelle appellent une action de votre part ?

Il me semble également nécessaire d’agir au niveau des intermédiaires. Certaines institutions collectives et communes leur versent des commissions élevées pour l’apport de nouveaux clients. Je pense qu’il s’agit là d’une incitation inopportune, car un intermédiaire pourrait être tenté de recommander à une entreprise l’institution collective qui le rémunère le mieux plutôt que celle qui est la plus appropriée pour elle. La rémunération des intermédiaires fait l’objet de discussions politiques depuis un certain temps déjà, et les avis sur la question divergent.

Que faudrait-il faire ?

Il faudrait repenser la rémunération, qui est généralement forfaitaire, fondée sur un pourcentage fixe des primes et versée pendant toute la durée du contrat. La formation des intermédiaires est un autre levier possible : les conseillers en prévoyance devraient remplir certaines exigences de base, car leurs recommandations peuvent avoir des conséquences importantes. On peut penser, par exemple, aux différences de prestations en cas d’invalidité selon l’institution de prévoyance.

« Les conseillers en prévoyance devraient remplir certaines exigences de base »

Qu’en est-il de la surveillance dans la prévoyance professionnelle ? Le système fonctionne-t-il ?

L’année prochaine marquera le quarantième anniversaire de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle. Le système de contrôle reste conçu pour les institutions de prévoyance propres à une entreprise et ne tient pas suffisamment compte de la nouvelle réalité que constituent les institutions collectives et communes. J’attends également avec impatience le rapport du Conseil fédéral sur l’évaluation de la dernière réforme structurelle du 2e pilier, qui devrait être publié l’année prochaine. Par ailleurs, la CHS PP et les autorités cantonales et régionales de surveillance ont déjà pris des mesures dans le cadre fixé par la législation en vigueur. La gouvernance est notamment un aspect important.

En tant qu’autorité de haute surveillance, la CHS PP surveille huit autorités régionales de surveillance. Comment garantissez-vous une surveillance uniforme ?

La CHS PP a rédigé, en collaboration avec les autorités cantonales et régionales de surveillance, un document de référence sur la conception de la surveillance. Ce document décrit les exigences minimales applicables à l’activité des autorités de surveillance et sert de base à la CHS PP pour l’élaboration de directives.

Quelles sont les améliorations à apporter sur ce plan ?

Pour obtenir une vue d’ensemble de la situation financière d’une institution de prévoyance, les autorités cantonales et régionales de surveillance devraient disposer par défaut des informations nécessaires ou pouvoir les demander si elles ne les possèdent pas. Afin de pouvoir porter un jugement sur cette situation, il faudrait également définir des indicateurs uniformes pour les risques financiers. Des normes uniformes devraient aussi être définies en ce qui concerne les risques non financiers, notamment le contrôle de l’intégrité et de la loyauté des responsables des institutions de prévoyance. Enfin, les prix des services qu’une institution de prévoyance achète à des prestataires externes devraient correspondre à ceux du marché.

Comment procédez-vous ?

Avant d’édicter des directives, nous recherchons le dialogue avec les autorités de surveillance et les autres parties prenantes. Je pense que c’est la meilleure façon de parvenir à une réglementation appropriée, pertinente et adaptée à la pratique.

Les organes de révision sont également des acteurs importants du système de la prévoyance professionnelle. Comment se déroule le transfert d’informations entre les autorités de surveillance ?

Les organes de révision vérifient chaque année si les mesures destinées à garantir la loyauté dans l’administration de la fortune ont été prises et si le respect du devoir de loyauté est suffisamment contrôlé par l’organe suprême. La prévention des conflits d’intérêts des responsables de l’institution de prévoyance occupe une place centrale dans ces rapports. Or, les organes de révision sont uniquement tenus d’indiquer à l’autorité de surveillance si l’organe suprême a rempli ses obligations, sans donner de détails. Cela ne me semble pas idéal ; la transparence pourrait être améliorée.

Pouvez-vous développer ce point ?

Il faudrait, par exemple, renforcer la transparence dans le cas des actes juridiques passés avec des personnes proches. Beaucoup de choses figurent déjà dans la loi, mais ne sont pas suffisamment appliquées. En effet, une personne proche n’est pas seulement la cousine ou le copain du club de sport. Il peut également s’agir d’une personne morale, par exemple d’un ayant droit économique. Il peut ainsi s’avérer problématique qu’une institution collective fondée par une entreprise à but lucratif fasse principalement appel aux services de sociétés ayant un lien juridique ou économique avec elle, notamment pour l’administration de sa fortune, la gestion ou la réassurance.

En septembre, la réforme de la LPP a été rejetée dans les urnes par deux tiers des votants. Le taux de conversion dans le régime obligatoire reste donc à 6,8 %. Le 2e pilier est-il en danger ?

Les institutions de prévoyance qui opèrent exclusivement dans le régime obligatoire sont effectivement sous pression. Certes, il ne s’agit que d’une minorité des institutions, mais on considère généralement qu’il n’est pas réaliste de penser que le rendement nécessaire au financement du taux de conversion légal puisse être obtenu chaque année sur les marchés financiers.

La rudesse de la campagne de votation a-t-elle entamé la confiance dans le 2e pilier ?

Les déclarations tapageuses proférées pendant la campagne n’ont certainement pas aidé. Mais pour moi, le principal problème se situe ailleurs : la population connaît mal le 2e pilier et n’a donc pas suffisamment confiance dans le système. De nombreuses institutions de prévoyance tentent de remédier à cette situation en informant leurs assurés. Cela me semble très important. Nous devons sensibiliser davantage la population aux questions de prévoyance.

« Nous devons sensibiliser davantage la population aux questions de prévoyance »

On reproche aussi souvent aux institutions de prévoyance d’avoir des frais d’administration trop élevés.

C’est peut-être vrai pour certaines. Mais là encore, je suis d’avis que l’organe suprême doit remplir son obligation légale et examiner de manière critique le prix des prestations fournies par le gestionnaire d’actifs. Si d’autres prestataires offrent un meilleur rapport qualité/prix, alors il faudrait envisager de changer. C’est finalement assez simple.

On parle parfois de la numérisation dans le 2e pilier. Où en sommes-nous ?

De nombreuses institutions de prévoyance ont mis en place des outils en ligne, qui permettent par exemple de réaliser des simulations pour les assurés ou de transférer des fonds de prévoyance entre les institutions de prévoyance. Cependant, ce qui nous fait défaut en tant qu’autorité de haute surveillance, ce sont des données au niveau des institutions de prévoyance. Nous aimerions disposer d’un ensemble de données contenant notamment les chiffres clés du bilan et du compte d’exploitation des institutions de prévoyance, et auquel nous pourrions accéder, en collaboration avec les autorités cantonales et régionales de surveillance et avec l’Office fédéral des assurances sociales. Cela nécessiterait probablement une modification de la loi, mais c’est un objectif à long terme.

L’année 2023 a été très mauvaise pour les placements des caisses de pension. Qu’en sera-t-il en 2024 ?

Jusqu’à présent, 2024 est une très bonne année pour les placements. La plupart des institutions de prévoyance ont par ailleurs adapté leurs paramètres techniques, constitué des provisions techniques suffisantes pour financer leurs engagements et amélioré leurs réserves de fluctuation de valeur. La situation est donc plutôt encourageante.

Laetitia Raboud et la CHS PP

Laetitia Raboud, âgée de 40 ans, dirige le secrétariat de la CHS PP depuis février 2024. Avocate de formation, elle était auparavant directrice adjointe de Baloise Perspectiva Fondation collective LPP.

La CHS PP est une commission décisionnelle indépendante, dont les coûts sont entièrement couverts par des taxes et des émoluments. La surveillance directe des institutions de prévoyance est de la compétence des huit autorités cantonales ou régionales de surveillance, en fonction du lieu où se trouve le siège de chaque institution. La CHS PP assume en outre la surveillance directe des fondations de placement, du Fonds de garantie et de l’Institution supplétive, et constitue l’autorité d’agrément des experts en prévoyance professionnelle.

Rédacteur en chef, Sécurité sociale (CHSS)
[javascript protected email address]