Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS)
Remo Dörig
Secrétaire général adjoint
Quels sont actuellement les principaux défis à relever en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté du point de vue de la CDAS ? Remo Dörig : La pauvreté a plusieurs visages, elle est pluridimensionnelle et n’est pas réduite à sa composante matérielle. Elle peut découler de ressources financières insuffisantes, de revenus faibles ou du chômage, mais elle peut également résulter d’un logement vétuste, d’une santé précaire ou encore d’un manque de formation. Etre pauvre signifie aussi ne pas pouvoir participer à la vie sociale et culturelle ou seulement de manière sporadique.
Ces divers visages de la pauvreté constituent déjà un obstacle à l’efficacité de toute action et ressortent encore une fois clairement des différentes positions adoptées par rapport à la notion de pauvreté : Quelle situation peut-elle être qualifiée de pauvreté ? Qui est affecté ou menacé par la pauvreté ? A quel moment devient-on pauvre, où se situe la frontière ? La pauvreté a-t-elle la même signification partout ? Bénéficier de l’aide sociale signifie-t-il être pauvre ? Le discours public sur ces questions dépend énormément des valeurs prônées, et les chiffres correspondants ainsi que l’appréciation de l’efficacité du système de la sécurité sociale diffèrent selon l’interprétation de la notion de pauvreté.
Vu sous l’angle de la politique sociale, les principales difficultés résident dans la mise au point de mesures spécifiques qui répondent à la situation des personnes touchées et qui soient susceptibles de les préserver de la précarité et de la pauvreté. L’insertion professionnelle joue évidemment ici un rôle central et l’engagement des employeurs en particulier s’avère aussi crucial. Un emploi sur le marché primaire du travail ainsi que des salaires corrects et équitables sont les armes les plus efficaces contre la pauvreté. D’après les statistiques, les ménages avec enfants sont les plus exposés à la pauvreté ; il faut donc leur accorder une attention toute particulière.
Les coûts de logement et de santé constituent depuis longtemps les principales charges financières qui pèsent sur les ménages et les pouvoirs publics. Trouver des solutions pour freiner les coûts dans ces domaines constitue aussi un véritable défi et une mission d’importance.
Quinquennal, le Programme national contre la pauvreté est à mi-chemin. Est-il sur la bonne voie ? Quelles lacunes subsistent à mi-parcours ? Je constate qu’une équipe engagée s’emploie à répondre aux attentes placées dans ce programme et à atteindre les objectifs fixés. Jusqu’ici, faits attestés et connaissances de base ont été rassemblés de manière solide et équilibrée. A mi-parcours, nous ne sommes pas encore en mesure d’identifier un impact réel et concret sur la lutte contre la pauvreté. Pour la période restante, nous devons passer du niveau plutôt aride de l’acquisition de données et d’informations à celui de l’action. Car c’est le résultat final qui compte en définitive. Des effets durables, tel doit être l’objectif : il faut que le programme laisse des traces concrètes.
Personnellement, je souhaite mettre en exergue le colloque « Innover dans la lutte contre la pauvreté » qui s’est tenu en janvier 2016. Avec relativement peu de moyens et une organisation simple, une grande variété de projets novateurs menés par les cantons et les communes a pu être présentée au public de spécialistes. Même si les responsables de ces projets n’ont pas réinventé la roue ni sorti d’idée révolutionnaire de leur chapeau, ils ont néanmoins fourni à ce public d’experts une quantité d’impulsions ciblées et efficaces. Enfin et surtout, les participants ont pu réaliser qu’un grand nombre de personnes s’engagent et s’investissent pour combattre la pauvreté dans notre société.
Quels résultats attendez-vous du programme ? Qu’est-ce que le programme peut et doit faire bouger ? Où arrive-t-il à ses limites ? Le programme doit permettre une meilleure prise en compte globale de cette problématique et développer une sensibilité accrue à cet égard. Car la politique en matière de pauvreté touche divers domaines comme les politiques économique et fiscale ainsi que celle du marché du travail, mais aussi les questions relatives à la santé, à l’éducation, au logement et à la migration. Les acteurs impliqués dans ces divers domaines sont conjointement responsables de leur intervention en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il est primordial que tous les secteurs de la société et de l’économie conjuguent leurs forces. Une bonne collaboration entre les représentants des différents domaines politiques et des différents niveaux de l’Etat, de la société civile ainsi que des partenaires sociaux est indispensable, et le programme y contribue grandement.
La politique en matière de pauvreté touche divers domaines.
Evidemment, il n’est pas facile de satisfaire toutes les exigences, et il faut aussi prendre en compte les différences de situation d’un canton à l’autre ou d’une région à l’autre. Il n’en est pas moins indispensable que la Confédération contribue activement à la prévention et à la lutte contre la pauvreté et qu’elle assume ses responsabilités en conséquence.
Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP)
Hans Ambühl
Secrétaire général
Quels sont actuellement les principaux défis à relever en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté du point de vue de la CDIP ? Hans Ambühl : C’est une question que vous devriez plutôt poser à un acteur de la prévention et de la lutte contre la pauvreté. Si le secteur de l’enseignement, que je représente au sein du groupe de pilotage du programme national, apporte un concours précieux dans le cadre de la prévention de la pauvreté, son approche repose tout d’abord sur l’éducation et la formation.
Concernant le secteur de l’enseignement, je peux dire que garantir une égalité des chances la plus complète possible constitue un objectif important. Savoir gérer l’hétérogénéité – l’hétérogénéité des performances tout comme l’hétérogénéité sociale – est l’un des défis majeurs auxquels l’école est confrontée. Grâce à l’enquête internationale PISA, nous savons que la Suisse est très efficace en matière d’intégration. Néanmoins, la recherche de l’égalité des chances demeure une tâche permanente, et les responsables de la formation ne cessent de se demander comment préserver et améliorer cette égalité en matière d’accès à l’éducation. Cela commence par des mesures dans le domaine de l’encouragement de la petite enfance et des structures d’accueil extrafamilial et va jusqu’aux bourses d’études. L’école enfantine pour tous est une thématique importante. La participation des parents aussi, que ce soit lors de la petite enfance, au moment du choix d’une profession ou pendant la formation au degré secondaire II. L’important, c’est que le système éducatif reste extrêmement perméable et qu’aucune voie ne soit sans issue. Il faut accorder une attention particulière aux transitions, à savoir veiller à ce que les procédures de passage soient les plus équitables possibles – du degré primaire vers le secondaire I ou du secondaire I vers le secondaire II. Enfin, la postqualification des adultes est aussi un thème majeur.
Quinquennal, le Programme national contre la pauvreté est à mi-chemin. Est-il sur la bonne voie ? Quelles lacunes subsiste-t-il à mi-parcours ? Au lancement du programme – lorsque sa configuration était encore en discussion – la CDIP a suggéré qu’un tel programme soutienne en premier lieu les activités existantes ou celles déjà planifiées. Par exemple en analysant l’efficacité des projets déjà en route, en définissant les conditions nécessaires pour qu’une mesure puisse aussi être mise en place ailleurs ou en rendant accessibles des projets et des offres qui ont fait leurs preuves (bonnes pratiques). Quant au domaine de l’éducation, nous avions dégagé trois priorités : l’encouragement de la petite enfance (0 à 4 ans) et des projets aménageant le passage à l’école ; deuxièmement, le passage de l’école obligatoire au degré secondaire II et, troisièmement, la qualification des adultes, p. ex. le diplôme professionnel pour les adultes.
Ces différentes requêtes ont été plutôt bien accueillies, même si, au niveau du contenu, l’accent a surtout été mis sur l’encouragement de la petite enfance. D’autres projets, comme l’élaboration d’un guide précisant les critères de bonnes pratiques en matière d’encouragement de la petite enfance, vont également dans la direction souhaitée.
Le système éducatif doit rester perméable et aucune voie ne doit rester sans issue.
Quels résultats attendez-vous du programme ? Qu’est-ce que le programme peut et doit faire bouger ? Où arrive-t-il à ses limites ? Comme je viens de le dire, nous souhaitons surtout voir les activités existantes soutenues, et les méthodes et les mesures déjà testées, bien documentées. Lorsque l’on pense que le projet dispose d’un budget de neuf millions de francs au total sur une durée de cinq ans, lequel sert aussi à financer la conduite du programme, l’investissement dans les bonnes pratiques et la communication des mesures éprouvées est certainement une bonne chose et peut tout à fait s’avérer payant. Dans la deuxième phase du programme, il s’agit maintenant aussi de financer des projets de tiers. Lors du choix des projets, nous avons tenu à ce que ceux-ci soient réalisés dès le départ en collaboration avec les autorités compétentes ou qu’il y ait au moins un lien avec les structures existantes. Par exemple, s’il est question de seconder les parents lors du choix professionnel de leurs enfants, le projet considéré – même s’il est conçu par un organisme privé – devrait être dès le départ en lien avec les structures existantes consacrées à l’orientation professionnelle, sinon la mise en œuvre du projet risque d’être compliquée sur la durée. Mais, globalement, il est encore difficile à l’heure actuelle de prédire l’impact exact du programme.
Association des communes suisses (ACS)
Norbert Graf
Ancien conseiller communal de Jegenstorf
Quels sont actuellement les principaux défis à relever en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté du point de vue de l’ACS ? Norbert Graf : La Suisse compte au nombre des pays les plus riches du monde, mais les richesses y sont inégalement réparties : 1 % des contribuables possèdent à eux seuls plus que les 99 % restants. Dans ce contexte et en termes statistiques, près d’un million de personnes, soit 14,3 % de la population suisse (ou une personne sur sept), étaient menacées de pauvreté en 2011.
Par ailleurs, les personnes affectées ou menacées par la pauvreté se retrouvent exclues de la vie sociale, car elles ne peuvent pas se permettre certaines activités, comme des vacances, une sortie au cinéma ou au théâtre ou encore une activité sportive.
En premier lieu, il faut donc sensibiliser les habitants de nos villes et de nos communes à la problématique de la pauvreté et de ses conséquences à long terme pour les personnes concernées et pour notre société. En même temps, il est de notre devoir de montrer à toutes les personnes vivant dans ce pays quels sont les personnes et les groupes de la population affectés ou menacés par la pauvreté ainsi que les conditions et les lieux dans lesquels ils vivent. Des mesures efficaces et pérennes en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté ne pourront être prises que dans un deuxième temps par des particuliers ou des acteurs économiques et politiques, et ce tant au niveau de la Confédération que des cantons, des villes ou des communes.
Avoir connaissance des conditions de vie et de la situation d’une famille touchée ou menacée par la pauvreté, p. ex., permet de soutenir et d’encourager ses enfants de manière ciblée en veillant à leur intégration sociale, linguistique, scolaire et professionnelle afin qu’ils aient des perspectives d’avenir et puissent sortir de la spirale de la pauvreté. De la sorte, nous créons l’équité des chances !
Quinquennal, le Programme national contre la pauvreté est à mi-chemin. Est-il sur la bonne voie ? Quelles lacunes subsiste-t-il à mi-parcours ? Depuis les années 1990, les appels se multiplient pour demander à la Confédération de prendre des mesures au niveau national en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Le programme national constate que, les causes de la pauvreté étant multiples, les mesures de prévention doivent donc être prises dans les domaines politiques les plus divers et à tous les niveaux institutionnels. En conséquence, la Confédération, les cantons, les villes, les communes ainsi que les organisations de la société civile sont tous également sollicités : la bataille contre la pauvreté ne pourra être gagnée qu’en unissant nos forces. Tous sont invités à renforcer leurs efforts en faveur des personnes touchées. Le premier travail d’Hercule consistait donc à intégrer dans ce programme des acteurs majeurs, tant aux niveaux stratégique que conceptuel, à exploiter leurs connaissances et leurs compétences, et aussi à les obliger à collaborer. L’ACS estime que les responsables du programme ont parfaitement rempli leur mission : le programme et ses différents projets sont de plus en plus connus, suscitent un intérêt grandissant et prennent de l’ampleur.
La pauvreté mène à l’exclusion de la vie sociale.
Le grand défi de ces prochains mois consiste à faire connaître, dans les cantons, les villes et les communes, les quatre champs d’action que sont les chances de formation des enfants, des jeunes et des adultes, l’intégration sociale et professionnelle, les conditions de vie générales ainsi que la mesure de l’efficacité et le monitoring des mesures prises, comme bases pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation d’une stratégie ciblée et efficace en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Plusieurs sous-programmes proposent aux acteurs des guides pratiques et des manuels rassemblant les connaissances actuelles et les enseignements tirés sous la forme de bonnes pratiques, et ce aussi afin de les inciter à renforcer leur collaboration.
Le programme ne produira pleinement ses effets que si chaque service fédéral concerné, chaque canton, chaque ville et chaque commune prend conscience de la nécessité de la prévention et de la lutte contre la pauvreté pour assurer l’avenir de la société, et agit de manière ciblée en conséquence.
Ce qui bouge et qui est mis en œuvre dans notre pays aux niveaux national, cantonal, communal et social est également en relation avec le développement de la question de la prévention et de la lutte contre la pauvreté sur la scène mondiale. Dans l’agenda 2030 signé lors du sommet de l’ONU en septembre dernier, le premier des dix-sept objectifs en faveur du développement durable est le suivant : « Eliminer l’extrême pauvreté et la faim partout dans le monde ». Dans ce domaine, la Suisse ne sera donc pas évaluée seulement au niveau national, mais surtout au niveau international, en fonction de l’efficacité de sa stratégie et des résultats concrets obtenus. Notre pays, l’un des plus riches du monde, ne manquera pas d’attirer les regards en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Quels résultats attendez-vous du programme ? Qu’est-ce que le programme peut et doit faire bouger ? Où arrive-t-il à ses limites ? Le rassemblement des connaissances, la prise en compte des bons projets et leur diffusion, ainsi que les échanges et la mise en place de coopérations entre les spécialistes et les acteurs économiques, permettront de renforcer la collaboration en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté, d’optimiser les mesures déjà prises et de les compléter. Les villes et les communes ont ici un rôle essentiel à jouer. En sa qualité de partenaire du programme et d’interface avec les communes suisses, l’ACS veille donc à ce que les expériences réalisées, les enseignements tirés et les attentes formulées au niveau communal soient intégrés efficacement et globalement dans le programme national. Par ailleurs, l’ACS entend soutenir et accompagner les villes et les communes dans leurs efforts en vue de définir et de mettre en œuvre des stratégies communales ciblées vouées à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
De leur côté, les villes et les communes sont invitées à intensifier sur le terrain la collaboration entre elles, mais aussi avec les acteurs économiques et ceux de la société civile. C’est la seule manière de créer les conditions indispensables à une coopération étroite et à un transfert réciproque de connaissances, tout en permettant une exploitation ciblée et efficace des ressources, des compétences et des moyens disponibles. A cet effet, il faut des processus bien définis et des aides concrètes ainsi que des exemples tirés des bonnes pratiques.
L’ACS entend contribuer à l’encouragement et à la mise en réseau des stratégies cantonales et communales en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Nous verrons bien dans quelle mesure une prévention et une lutte harmonisées et communes contre la pauvreté pourront, à ces niveaux ayant leur propre autonomie, se concrétiser dans les champs d’action définis par le programme national.
Union des villes suisses (UVS)
Marius Beerli
Responsable communication et politique sociale de l’Union des villes suisses
Quels sont actuellement les principaux défis à relever en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté du point de vue de l’UVS ? Marius Beerli : Les villes sont des points névralgiques sociaux : dans les zones urbaines, les effets de l’évolution de la société sont plus accentués et souvent plus précoces que dans les campagnes. Si l’on considère la prévention et la lutte contre la pauvreté, le taux d’aide sociale constitue sûrement un indicateur statistique important même si, bien évidemment, ce n’est pas le seul. Par rapport au reste du pays, les villes affichent un taux d’aide sociale supérieur à la moyenne. Ce phénomène a de multiples explications : les centres économiques attirent les personnes à la recherche d’un emploi et les agglomérations disposent souvent aussi d’une offre d’appartements bon marché. Ces taux d’aide sociale supérieurs à la moyenne signalent que les villes doivent accorder une grande importance à la lutte contre la pauvreté. Cela évidemment aussi dans la mesure où les phénomènes d’extrême pauvreté, comme le sans-abrisme et la mendicité, sont essentiellement visibles dans les villes.
Dans l’ensemble, on peut néanmoins constater que l’aide sociale est un système solide et qui fonctionne bien. Jusqu’ici, cette aide a permis de prévenir de larges phénomènes de paupérisation. L’aide sociale contribue donc à la paix sociale et à la stabilité économique. Mais elle subit une pression politique importante et a de sérieux défis à relever. Le nombre croissant de bénéficiaires de longue durée donne à réfléchir ; ce groupe présente d’ailleurs un risque de paupérisation permanent. Il est particulièrement inquiétant de constater que les bénéficiaires de longue durée sont de plus en plus difficiles à réinsérer sur le marché du travail, même simplement à temps partiel. De plus en plus axé sur la compétitivité, notre marché du travail n’offre quasiment plus de niches ni d’emplois pour les travailleurs sans grandes qualifications. L’aide sociale est en train de devenir une assurance chômage longue durée ; or, ce n’était pas son but originel. Sur ce point, les défis auxquels les villes se trouvent confrontées en matière de prévention de la pauvreté relèvent plutôt de la politique sociale au sens propre : l’idée est de trouver des solutions pour qu’il y ait de moins en moins de laissés-pour-compte de la vie sociale et économique.
D’après les services d’aide sociale en milieu urbain, le risque de paupérisation est particulièrement prononcé en cas de cumul de plusieurs facteurs de risque : les statistiques montrent, p. ex., que les mères élevant seules leurs enfants sont fortement exposées à la pauvreté.
L’aide sociale contribue à la paix sociale.
Les villes estiment qu’il est primordial de rompre le cercle vicieux qui fait que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre. Les enfants issus de familles défavorisées doivent avoir une chance de vivre une vie « normale ». En ces temps justement où la pression politique sur l’aide sociale est forte, il faut défendre sans relâche les prestations qui vont au-delà d’un minimum vital et permettent aux enfants de participer davantage à la vie sociale.
Quinquennal, le Programme national contre la pauvreté est à mi-chemin. Est-il sur la bonne voie ? Quelles lacunes subsiste-t-il à mi-parcours ? Le programme contribue de manière décisive à l’inscription durable du thème de la pauvreté dans l’agenda politique au niveau national. Pour cette seule raison, il mérite déjà une immense reconnaissance. Jusqu’ici, la politique en la matière et la lutte contre la pauvreté étaient surtout considérées comme du ressort des cantons, des villes, des communes et des ONG. Désormais, cette problématique est élevée au rang de préoccupation nationale. Ce pas est crucial aux yeux des villes, car nombre de causes profondes de la pauvreté, comme l’évolution du marché du travail, doivent être traitées principalement dans le cadre de la politique fédérale.
Jusqu’à présent, l’accent du programme a surtout été mis sur le travail scientifique préliminaire. La question centrale d’un monitoring suisse durable de la pauvreté a notamment été soulevée. Dans la seconde partie du programme, il serait souhaitable de faire avancer des projets qui tiennent compte du point de vue des personnes touchées. En outre, les questions d’ordre structurel ou législatif portant sur le système social et sur la lutte contre la pauvreté ont très peu été abordées jusqu’ici. Or leur traitement s’impose également si l’on entend définir une politique durable contre la pauvreté.
Quels résultats attendez-vous du programme ? Qu’est-ce que le programme peut et doit faire bouger ? Où arrive-t-il à ses limites ? Le travail préliminaire qui aura ainsi été effectué peut être considéré comme un fondement solide pour la politique de lutte contre la pauvreté des prochaines années, voire des prochaines décennies. Toutefois, une veille continue, ledit monitoring, constitue l’élément décisif dans une perspective à long terme. Il s’agit donc d’élaborer et d’appliquer un modèle qui soit convaincant et produise les effets nécessaires. Par ailleurs, il faut aussi que la Confédération élève la lutte contre la pauvreté et la politique en la matière au rang de priorité durable et qu’elle affiche clairement sa volonté de mettre en place, au niveau national, les conditions institutionnelles et réglementaires requises.
Caritas
Hugo Fasel
Directeur de Caritas Suisse
Quels sont actuellement les principaux défis à relever en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté du point de vue de Caritas ? Hugo Fasel : Le défi principal réside encore et toujours dans le très faible degré de sensibilisation de l’opinion publique et des politiques au phénomène de la pauvreté comme problème majeur de la politique sociale. A ce jour, plusieurs cantons ne disposent encore d’aucun état des lieux de la pauvreté sur leur territoire et, par conséquent, n’ont toujours pas défini de stratégie en matière de lutte contre la pauvreté précisant des objectifs et des mesures clairs. La question de la pauvreté est parfois sciemment occultée. Dans le même temps, les problèmes liés à la pauvreté sont réduits aux seules questions de l’aide sociale. Jusqu’ici, peu ont compris que les problèmes de pauvreté ne demandent pas à être gérés, mais combattus à l’aide d’une politique active et diversifiée. Au lieu de cela, on s’attaque à l’aggravation du phénomène de la pauvreté en réduisant les prestations d’aide sociale. Ce n’est pas la bonne voie.
Un important travail de sensibilisation est encore nécessaire. En effet, une réponse adéquate ne pourra être apportée au problème de la pauvreté que lorsque ce phénomène sera analysé et considéré dans sa diversité et avec ses multiples causes. Telle est la condition sine qua non de toute action ciblée de l’économie et de la politique.
Même si le Parlement fédéral a jusqu’ici délégué systématiquement la question de la pauvreté aux cantons et rejeté l’élaboration d’une loi-cadre ou l’introduction de prestations complémentaires pour les familles au niveau national, il semble aujourd’hui inévitable que la Confédération assume dorénavant un rôle essentiel. Un long travail de persuasion est encore nécessaire en la matière.
Plusieurs cantons n’ont toujours pas défini de stratégie en matière de lutte contre la pauvreté.
Quinquennal, le Programme national contre la pauvreté est à mi-chemin. Est-il sur la bonne voie ? Quelles lacunes subsiste-t-il à mi-parcours ? Le programme national contre la pauvreté est en bonne voie. Les résultats déjà obtenus sont impressionnants au regard des moyens limités à disposition. Le programme a fixé des priorités claires et mis l’accent sur l’analyse et la recherche, d’une part, ainsi que sur une bonne collaboration des acteurs les plus divers et sur la mise en commun de leur savoir, d’autre part. Un véritable trésor de connaissances et de compétences a ainsi pu être amassé et constitue un fonds précieux pour des actions politiques et économiques concrètes, aux niveaux communal, cantonal et fédéral, dans la société civile et la recherche.
Au cours de la seconde période du programme, il va falloir davantage travailler les différents aspects de l’intégration. Il s’agit de rassembler des projets d’intégration positifs consacrés aux groupes cibles et répondant à ce problème de manière adéquate. La lutte contre la pauvreté ne saurait se limiter à la distribution de fonds pour compenser la faiblesse des revenus. Une politique efficace contre la pauvreté doit investir dans l’éducation, le logement et l’accueil extrafamilial. Ces axes doivent être définis plus précisément et illustrés par de bons exemples. L’idée est que les personnes touchées par la pauvreté puissent, dans toute la mesure du possible, assurer leur existence sans les subventions publiques. L’importance de cet outil et des champs d’action correspondants doit être soulignée de manière beaucoup plus claire et intelligible. Enfin, il faut que transparaisse clairement le fait que tout investissement dans la lutte contre la pauvreté est profitable, y compris en termes économiques.
Une attention particulière doit être accordée aux travailleurs pauvres, les working poor. Jusqu’à présent, le problème n’a toujours pas été cerné avec précision ; et il y a encore moins de solutions. Cette question est d’autant plus importante que la problématique des travailleurs pauvres se situe à la jonction entre économie et politique sociale ; or, chacun des deux côtés attend que la solution vienne de l’autre.
Quels résultats attendez-vous du programme ? Qu’est-ce que le programme peut et doit faire bouger ? Où arrive-t-il à ses limites ? Le principal apport du programme résidera dans la constitution d’un fonds de connaissances et de compétences sur les questions liées à la pauvreté. A l’issue du programme, nous devrions pouvoir, du moins c’est à espérer, identifier les lacunes et les mesures nécessaires, mais aussi nous inspirer des solutions intéressantes ressortant des exemples récoltés. Il est à souhaiter que l’on élaborera alors un ensemble d’instruments qui sera mis à la disposition des acteurs politiques et aussi économiques pour qu’ils puissent prendre des mesures concrètes de lutte contre la pauvreté. C’est là que le programme arrive à ses limites : s’il crée les conditions nécessaires à la définition d’une politique ciblée, il n’est pas (encore) en mesure de la mettre en œuvre. Peut-être n’était-ce d’ailleurs pas l’idée de départ, sinon le programme n’aurait même jamais été voté. En signant l’agenda 2030 de l’ONU en septembre 2015, la Suisse s’est engagée à combattre la pauvreté chez elle aussi. Le programme contre la pauvreté est une première étape importante. Il faut s’engager maintenant à réaliser les suivantes.