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« Le travail en faveur de l’égalité est une tâche de longue haleine »

Urs Germann dirige depuis début mai le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH). Dans cet entretien, il explique pourquoi l’intégration et l’inclusion doivent rester deux notions distinctes et complémentaires.
Markus Binder
  |  22 juillet 2025
    Entretien
  • Égalité des chances
  • Handicap
  • Réadaptation
« Il est de notre devoir de garantir que les personnes en situation de handicap ne soient pas oubliées ou désavantagées. » Urs Germann, responsable du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH). (Photo : Lukas Lehmann / SG-DFI)

Germann, comment êtes-vous passé du métier d’historien au Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH) ?

Effectivement, je viens d’un autre milieu, mais le travail en faveur de l’égalité n’est pas une spécialité que l’on peut apprendre ou étudier. J’ai embrassé une carrière classique d’historien et j’ai travaillé pendant quinze ans aux Archives fédérales. Le thème de l’égalité pour les personnes handicapées m’a toujours intéressé, d’autant plus que je suis moi-même concerné. En effet, je suis né avec une déficience auditive et j’ai grandi dans un environnement entendant. Par la suite, j’ai assumé la direction du Bureau de l’égalité pour les personnes en situation de handicap de la ville de Berne. J’ai appris sur le tas, en quelque sorte. Et il y a cinq ans, j’ai finalement intégré le BFEH.

Pourquoi ce changement ?

Ce qui m’a attiré, c’est de pouvoir participer à des projets et des actions menés à l’échelle nationale et d’être associé à la conception de la politique fédérale en matière de handicap. Au BFEH, j’ai géré divers dossiers, comme la reconnaissance des langues des signes ou l’inclusion dans le monde du travail. Je me réjouis maintenant de succéder à Andreas Rieder à la tête du BFEH.

Quels étaient vos domaines d’étude en tant qu’historien ?

Ma thèse portait sur l’histoire de la psychiatrie, un domaine qui m’occupe encore aujourd’hui. Il a un rapport avec le handicap et avec la perception dans la société des personnes qui vivent avec des handicaps psychiques ou qui sont marginalisées. J’ai ensuite travaillé sur l’histoire de l’exécution des peines et sur la thématique des mesures de coercition à des fins d’assistance. J’ai également collaboré au rapport final de la Commission indépendante d’experts sur les internements administratifs, et j’ai pu participer au Programme national de recherche 76 « Assistance et coercition ».

Cela semble passionnant. Pourquoi avez-vous bifurqué ?

Dans ma vie professionnelle, jusqu’à tout récemment, j’ai toujours eu un pied dans la recherche historique et l’autre dans l’administration. Évoluer entre ces deux mondes a toujours été passionnant pour moi. Mais je vais maintenant tourner la page et me concentrer sur la direction du BFEH.

Le BFEH est un service spécialisé de la Confédération. Sa mission est d’œuvrer pour que les personnes handicapées puissent participer pleinement, sur un pied d’égalité et en toute autonomie à la vie politique, économique, sociale et culturelle de notre pays. Où en est-on ?

Ces vingt dernières années, des progrès importants ont certes été réalisés. Mais il est toujours nécessaire d’agir. C’était également le constat dressé il y a trois ans par le Comité des droits des personnes handicapées, une instance de l’ONU. La mise en œuvre concrète peut prendre beaucoup de temps, spécialement dans notre pays où les compétences sont réparties entre la Confédération et les cantons. Il est très important de poursuivre les progrès. Le travail en faveur de l’égalité est une tâche de longue haleine. Les développements sociaux et technologiques – comme la numérisation – nous confrontent également à de nouveaux défis. Il est de notre devoir de garantir que les personnes en situation de handicap ne soient pas oubliées ou désavantagées.

L’initiative pour l’inclusion doit permettre de franchir une étape supplémentaire. Fin juin, le Conseil fédéral a décidé de lui opposer un contre-projet indirect. Pourquoi ce choix ?

Le contre-projet vise à instaurer un cadre programmatique pour promouvoir l’inclusion et donner une orientation commune à la Confédération et aux cantons. Concrètement, il consiste en une loi-cadre sur l’inclusion, dont les objectifs et les principes s’inspirent de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Dans le domaine du logement, il est prévu de créer des réglementations plus concrètes afin que les personnes handicapées puissent choisir librement leur lieu et leur type de logement. La deuxième partie du projet comprend une révision partielle de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI).

Pourquoi le Conseil fédéral juge-t-il le contre-projet préférable à l’initiative ?

Sur le fond, le Conseil fédéral soutient l’objet de l’initiative. Mais en fait, elle ne va pas au-delà de ce qui est déjà inscrit aujourd’hui dans la Constitution. Le Conseil fédéral a voulu un contre-projet indirect afin de pouvoir lancer plus rapidement les développements dans certains domaines. Cela concerne également l’AI. Par exemple, les personnes en situation de handicap doivent pouvoir accéder plus facilement aux moyens auxiliaires de technologie moderne. Et les personnes dont la capacité d’exercice des droits civils est limitée doivent pouvoir obtenir plus facilement une contribution d’assistance. Il s’agit aussi de créer une base juridique pour les projets pilotes visant à promouvoir le logement autonome.

Comme pour l’initiative, l’inclusion est également une priorité pour le BFEH. Dans l’AI, il s’agit avant tout d’intégration professionnelle. Quelle est la différence entre inclusion et intégration ?

Selon la définition courante, l’intégration, c’est « adapter » les personnes handicapées à une société sans handicap, l’adaptation de la personne concernée étant par exemple soutenue par des moyens auxiliaires ou une assistance. Mais ce sont les attentes de la société qui restent déterminantes. Au contraire, l’inclusion, telle qu’elle est comprise actuellement, repose sur le principe d’une société accessible à tous, qui respecte et reconnaît les conditions particulières à chacun. C’est la société qui doit s’adapter aux besoins des individus et non l’inverse.

Les deux notions se complètent-elles ou sont-elles en opposition ?

Les deux sont nécessaires. L’inclusion se joue au niveau de la société dans son ensemble. Cela passe par la sensibilisation, l’élimination des obstacles et l’implication systématique des personnes en situation de handicap. Un environnement professionnel inclusif, par exemple, offrira un cadre qui permet aux personnes handicapées de travailler, c’est-à-dire des locaux accessibles sans obstacle et la possibilité de travailler à temps partiel. Cependant, même dans une société plus inclusive, des mesures de soutien spécifiques et de compensation des handicaps resteront nécessaires dans de nombreux domaines pour permettre l’intégration dans les structures existantes. Les mesures de l’AI peuvent alors apporter un soutien supplémentaire au niveau individuel.

« L’inclusion se joue au niveau de la société dans son ensemble »

Le deuxième projet de loi important est la révision partielle de la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées. C’est d’abord le Conseil national qui va se pencher sur la question. Quel est le projet du Conseil fédéral ?

Le projet comporte trois axes. Premièrement, il s’agit d’éliminer les inégalités dans le domaine du travail. Deuxièmement, le Conseil fédéral entend améliorer l’accès aux services publics : les employeurs et les prestataires de services seront tenus de garantir l’accès pour les personnes handicapées, si nécessaire en mettant en place des aménagements adéquats. L’objectif est de permettre aux personnes en situation de handicap de participer à la vie professionnelle et de pouvoir accéder, elles aussi, aux services publics. Le troisième axe est la reconnaissance et la promotion des langues des signes suisses.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Dans le domaine du travail, il s’agit surtout d’adaptations d’ordre organisationnel : par exemple, proposer à la personne un horaire de travail flexible, adapter le profil du poste ou le taux d’occupation. Dans le domaine des services, il s’agit notamment de l’obligation d’offrir des services numériques accessibles dans les limites du principe de proportionnalité.

Fondé il y a vingt ans, le BFEH ne comptait alors qu’une personne, contre 12 collaborateurs actuellement. Quelles sont ses missions principales ?

L’accent est mis d’une part sur le conseil aux organes de l’administration fédérale et leur sensibilisation aux attentes et aux besoins des personnes handicapées, sur la mise en réseau de la Confédération, des cantons et des organisations ainsi que sur la mise en œuvre de mesures de politique de l’égalité. D’autre part, nous consacrons chaque année un budget de 2,5 millions de francs au soutien de projets dans différents domaines de l’égalité dans toute la Suisse. Ainsi, nous pouvons promouvoir l’égalité également au niveau de la mise en œuvre.

Qu’est-ce qui a changé au cours des dernières années ?

Avec les projets de loi actuels et le nombre croissant d’interventions parlementaires concernant notre domaine, le travail du BFEH a beaucoup évolué au cours des deux dernières années. Les tâches en lien avec la législation nous occupent actuellement beaucoup. De plus, de nouveaux thèmes apparaissent régulièrement, par exemple les questions liées à l’Acte européen sur l’accessibilité (EAA). Ces développements à l’étranger influencent de plus en plus notre travail.

Urs Germann

Urs Germann dirige depuis le 1er mai 2025 le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH). Docteur en histoire, âgé de 52 ans, il travaillait déjà depuis 2020 comme collaborateur scientifique au BFEH et, parallèlement, à l’Université de Berne comme chercheur associé spécialisé dans l’histoire de la psychiatrie, ainsi que comme chargé de cours à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse. Il a succédé à Andreas Rieder, qui a repris le poste de vice-directeur de l’Office fédéral de la justice. En tant que service spécialisé de la Confédération, le BFEH œuvre pour que les personnes handicapées puissent participer pleinement, sur un pied d’égalité et en toute autonomie à la vie politique, économique, sociale et culturelle. Sur le plan organisationnel, le BFEH est rattaché au Secrétariat général du Département fédéral de l’intérieur (DFI). (Photo : Lukas Lehmann / SG-DFI)

Responsable de la Communication de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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