Mesures d’assistance : favoriser l’autodétermination

En Suisse, dans le domaine social, la sécurité du droit n’est souvent pas garantie et les personnes concernées ne sont pas suffisamment consultées. Tel est le constat du Programme national de recherche « Assistance et coercition ».
Alexander Grob
  |  16 mai 2024
    Recherche et statistique
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  • Migration
Scolarisation de requérants d'asile mineurs non accompagnés dans le canton de Thurgovie. (Keystone)

En un coup d’œil

  • Le Programme national de recherche « Assistance et coercition » (PNR 76) s’est penché sur les mécanismes et les pratiques suisses en matière d’aide sociale.
  • Dans le domaine du social, la sécurité du droit n’est souvent pas assurée pour les personnes touchées par la pauvreté, en situation de handicap ou atteintes de troubles psychiques, de même que les requérants d’asile ou les mineurs.
  • Les droits et la participation des personnes concernées doivent être renforcés.

Le système social suisse ressemble à un véritable patchwork impliquant, outre les services sociaux communaux et les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), les tribunaux des mineurs, les offices AI, les offices compétents pour les questions de handicap, les services scolaires, les services de l’instruction publique et d’autres services de conseil, ainsi que les établissements psychiatriques ou médicaux. S’y ajoutent des acteurs privés, paraétatiques ou soutenus par l’Église. Cette hétérogénéité représente un défi non seulement pour le pilotage par les politiques et les autorités, mais aussi pour les personnes qui évoluent au sein des organisations sociales.

Dans ces structures complexes, la transparence et la sécurité du droit ne sont souvent pas assurées pour les personnes concernées (personnes touchées par la pauvreté, en situation de handicap ou atteintes de troubles psychiques, requérants d’asile et, en particulier, mineurs). C’est l’un des constats relevés par le Programme national de recherche « Assistance et coercition » (PNR 76), qui s’est penché sur le passé et le présent du domaine social suisse (voir encadré). Il est donc souvent difficile, pour les personnes concernées, de s’y retrouver sans points de repère supplémentaires et faute d’informations facilement compréhensibles.

Aussi, les études réalisées dans le cadre du PNR 76 recommandent aux autorités de faciliter l’accès aux renseignements pertinents, notamment en améliorant l’information sur les droits et obligations de chacun ainsi qu’en réduisant les barrières administratives et linguistiques.

Programme national de recherche « Assistance et coercition »

De 2018 à 2023, le Programme national de recherche « Assistance et coercition » (PNR 76) institué par le Conseil fédéral a analysé les caractéristiques, les mécanismes et les effets du système social suisse d’hier et d’aujourd’hui. Il s’inscrit dans le cadre du travail politique et scientifique sur le passé qui avait débuté dans les années 2000 sous la pression des personnes concernées. Vingt-neuf projets ont permis d’identifier les causes des pratiques portant atteinte à l’intégrité et les conditions propres à favoriser des pratiques protégeant l’intégrité.

Les autorités ont toujours une longueur d’avance

Lorsque les autorités et les personnes vulnérables se rencontrent, les échanges sont caractérisés par une asymétrie : l’autorité, qui a davantage de connaissances, dispose de plus de pouvoir ; souvent, elle ne perçoit pas le savoir des personnes concernées ou s’y intéresse peu. À l’inverse, la personne qui fait face à l’autorité se trouve en position de faiblesse, même quand elle dispose de droits formels.

L’idéal d’une collaboration d’égal à égal est sans cesse invoqué, mais les autorités se laissent souvent guider dans leurs tâches par une « fiction d’horizontalité ». On donne aux personnes concernées l’impression erronée que leur collaboration s’inscrit dans un cadre de liberté, alors qu’elles sont bien obligées de se présenter devant l’autorité, d’admettre leurs faiblesses, d’accepter les interventions recommandées par les spécialistes et, comme on a coutume de le dire, « d’assumer leurs responsabilités ». De telles circonstances ne sont pas propices à l’autodétermination. Il faut sensibiliser les spécialistes aux effets potentiellement stigmatisants des classifications sociales et des diagnostics psychologiques ou médicaux.

Intervenir plus tôt

Les mesures de protection de l’enfant et de l’adulte touchent fortement les personnes en difficulté. Souvent, la précarité économique, les problèmes de santé, la violence domestique et l’expérience de la migration se superposent. Le PNR 76 fait un autre constat : en cas de mise en danger du bien de l’enfant, les services sociaux ont tendance à assimiler la détresse d’une famille touchée par le chômage, la maladie ou les dettes à l’échec des parents, ou à considérer une gestion désordonnée du ménage comme le signe d’un manque de compétences éducatives et personnelles.

L’autorité de protection de l’enfant accorde souvent trop d’importance à l’évitement des conflits avec les parents. Elle intervient souvent trop tard, ce qui porte les intérêts des enfants au second plan. Cette attitude s’explique notamment par la glorification normative de la famille, considérée comme un lieu de protection et de sécurité. Selon ce modèle, les enfants devraient grandir au sein de leur famille d’origine ou, du moins, avec leur mère, quand bien même les conditions qui y règnent porteraient atteinte à leur intégrité et les parents souffrant d’addiction ou de troubles psychiques mettraient leurs enfants en danger.

Toute perception de l’aide sociale est inévitablement liée à des expériences sociales et à un vécu personnel. Une réflexion sur ses propres normes et valeurs est indispensable pour pouvoir aborder de manière constructive le carrefour entre autodétermination et pouvoir de détermination d’autrui. Les spécialistes devraient réfléchir davantage à leur propre position et pouvoir la développer, comme le montre le PNR 76. Ils devraient y être sensibilisés au niveau des formations initiales et des formations continues. Pour ce faire, ils ont besoin de temps et de ressources financières au quotidien dans leur travail.

Harmonisation au niveau fédéral

Le patchwork des affaires sociales se reflète dans les normes juridiques qui régissent les relations avec les personnes ayant besoin de soutien et les personnes à protéger. Le droit de la protection de l’enfant et de l’adulte de 2013 représente l’aboutissement provisoire d’une longue réforme. Mais malgré de nombreux progrès, celle-ci n’est pas close. La compétence cantonale en matière de procédure et l’organisation des autorités rend difficile une pratique uniforme et entraîne des inégalités juridiques, en particulier concernant les possibilités de participation des personnes concernées. Les conflits de normes, les divergences entre le droit et la pratique ainsi que l’inégalité d’accès seront davantage renforcés par les interfaces avec l’aide sociale et l’aide aux personnes handicapées, qui relèvent également de la compétence des cantons.

Les procédures concernant la protection de l’enfant et de l’adulte doivent donc être harmonisées au niveau fédéral, tout en renforçant une mise en œuvre garantissant l’égalité de traitement et la participation des personnes concernées.

Priorité à la protection de l’enfant

Enfin, le PNR 76 montre que la prise en charge et le placement des enfants et des jeunes reposent sur un financement mixte auquel participent la Confédération, les cantons ou les communes, selon le domaine. Manifestement, le nombre de placements dépend de l’échelon de la prise de décision. Le nombre de placements ordonnés est moins élevé quand les communes, également compétentes en matière d’aide sociale, prennent la décision au lieu des autorités administratives cantonales ou des tribunaux cantonaux. Ainsi, les motivations financières jouent un rôle important, même s’il est difficile d’y voir clair.

Les règles de financement doivent ainsi être fixées de manière à garantir des ressources suffisantes, à éviter les motivations inopportunes et à assurer la transparence pour l’ensemble des parties. Les personnes concernées doivent être encouragées dans leur autodétermination, et des formes accessibles de soutien sont bénéfiques.

En particulier, les jeunes qui ont fui en Suisse sans leurs parents ou les adultes qui les ont accompagnés et qui vivent dans des centres d’hébergement ou chez des parents nourriciers sont souvent soumis à l’autorité d’autrui. Leur prise en charge comporte des lacunes en raison d’un manque de clarté au niveau de la compétence entre le droit d’asile et la protection de l’enfant et des restrictions budgétaires auxquelles les autorités sont soumises. Les contraintes matérielles nuisent alors au bien de l’enfant et limitent sa participation.

La protection de l’enfant est à placer au centre de la politique d’asile. L’origine, les expériences de vie et les préoccupations des personnes concernées doivent être mieux prises en compte dans la protection de l’enfant – et également dans celle de l’adulte.

Les travaux du PNR 76 se veulent une incitation à une politique et une pratique d’amélioration de l’égalité des chances et des conditions institutionnelles. Il est essentiel d’impliquer les personnes concernées et vulnérables dans ce processus.

Président du comité de direction du PNR 76, professeur de psychologie du développement et de la personnalité, Université de Bâle
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