Renforcer la couverture sociale aux 3e et 4e âges

L’association KISS contribue à combler certaines lacunes de la couverture sociale. L’idée est de fournir des prestations d’aide bénévole qui sont portées au crédit d’un compte de prévoyance-temps individuel dont l’avoir peut être retiré plus tard ou transféré à d’autres membres de la coopérative.
Susanna Fassbind, Ruedi Winkler
  |  04 mars 2016
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Ralentir l’explosion des coûts liée à l’évolution démographique  Avec le vieillissement de la population, la proportion de retraités est en hausse. Or de nombreuses personnes âgées traversent sans difficulté ce que l’on appelle le troisième âge, la période s’étendant de l’âge de la retraite à 75 ans environ, pour atteindre une quatrième phase de l’existence au cours de laquelle les besoins de soutien et de prise en charge tendent généralement à s’accroître. La plupart du temps, l’aide nécessaire peut certes être apportée par les parents ou les voisins, mais la mobilité grandissante de la population conduit de plus en plus souvent les membres d’une même famille à habiter loin les uns des autres, rendant ainsi plus difficile l’entretien de relations de proximité. Associée au recul de l’engagement bénévole, cette évolution conduit à un fléchissement du nombre d’aidants potentiels. C’est là que le modèle KISS (www.kiss-zeit.ch) intervient : il renforce le ciment social de proximité et attribue pour les prestations d’aide délivrées des crédits de temps pouvant être transmis dans toute la Suisse à des parents et à des amis dans d’autres coopératives KISS. L’association renforce ainsi le contrat intergénérationnel que la Suisse, avec l’AVS, a institué depuis plus d’un demi-siècle, tout en améliorant la qualité de vie de ses membres et en favorisant les contacts sociaux.

Les besoins de soutien et de prise en charge ­s’accroissent au 4e âge.

KISS garantit des normes identiques dans toute la Suisse  Le modèle KISS mise sur l’engagement communautaire des citoyennes et des citoyens qui organisent l’aide de proximité au niveau communal et régional. Depuis 2011, l’association KISS (cf. graphique G1 ) transmet aux personnes, organisations, communes et cantons intéressés le savoir-faire et la documentation nécessaires à la création de coopératives. Celles-ci sont soumises à des normes et des bases juridiques contraignantes.

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La forme juridique choisie assure la participation active des personnes et entités intéressées à la mise sur pied de coopératives KISS dans lesquelles l’esprit communautaire et l’orientation intergénérationnelle occupent le premier plan. Si l’administration des coopératives est assurée par des bénévoles, la direction et la coordination des prestations sont conduites par des professionnels salariés. En effet, la tâche – psychologiquement très exigeante – de l’enregistrement des données personnelles, la mise en correspondance adéquate et empathique des aidants et des aidés, ainsi que l’accompagnement de ces tandems exigent un savoir-faire professionnel et un encadrement permanent.

Les formes de capital selon Pierre Bourdieu

L’objectif premier de KISS est de renforcer les quatre formes de capital – économique, social, symbolique et culturel – définies par Pierre Bourdieu. Le fait que le temps ne soit pas monnayable entre les participants renforce en particulier le capital économique, qui contribue à son tour à consolider le capital social et le capital symbolique. L’amélioration de la santé physique mais aussi et surtout de la santé psychique peut contribuer à réduire les coûts de la santé du grand âge. Le renforcement du capital culturel joue principalement un rôle pour les retraités issus de l’immigration (Gasser et al. 2015).

La saisie uniforme des crédits de temps est assurée par le biais d’un logiciel mis à disposition par l’association. Indépendamment du type de prestation, qu’il s’agisse d’un moment d’écoute ou de quelques achats, une heure consacrée à l’autre est toujours évaluée de la même manière. Ainsi, ce temps non monnayable garde toujours la même valeur, contrairement à l’argent qui est soumis à l’inflation. Compte tenu de la grande mobilité sociale, l’échange de crédits de temps d’une coopérative à l’autre est également une possibilité appréciée et utilisée : une femme résidant à Cham, p. ex., peut collecter des crédits de temps pour sa mère installée à Obwald qui, grâce à ce logiciel compatible entre les coopératives, peut en profiter via sa coopérative locale. Là, l’encadrement de la mère est assuré sans que cela nécessite d’innombrables allers-retours de la part de sa fille. Même une personne qui n’est pas très robuste physiquement peut dans la plupart des cas collecter des crédits de temps, p. ex. en faisant la lecture, en jouant ou en chantant. Celui ou celle qui n’est plus à même de fournir des prestations d’aide peut puiser des heures dans le capital de la coopérative.

KISS complète les offres des prestataires de soins établis.

Afin de ne pas entrer en concurrence avec des prestataires établis tels que Spitex, Caritas ou les établissements médicosociaux, des conventions sont passées avec leurs représentations locales qui excluent expressément toute prestation thérapeutique de l’offre KISS. Les directions locales vérifient le respect de la convention. Les prestations d’aide dans le ménage incluent les actions du quotidien qui peuvent devenir difficiles pour les personnes âgées ou en situation d’urgence (cf. graphique G2 ). Il peut s’agir de rendre de petits services, comme changer des ampoules, vider la boîte aux lettres ou arroser les plantes, mais aussi de faire la cuisine ou de faire les courses. Pour les personnes plus fragiles, en particulier, les moments de partage revêtent une grande importance : jouer, faire la lecture, discuter, se promener ou partager un repas sont autant d’interactions qui aident à structurer le quotidien et à rompre la solitude. Les « cafés KISS », qui ont généralement lieu une fois par mois, sont beaucoup utilisés pour échanger et pour organiser d’autres rencontres telles que des après-midis jeux ou des promenades.

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Réseaux locaux  La prise en charge par des bénévoles sans aucune compensation financière telle que la propose l’association KISS peut éveiller la crainte de la concurrence chez des organisations établies qui offrent de leur côté des prestations généralement rémunérées. C’est pourquoi il est indispensable de rechercher le dialogue, de convenir d’une juste répartition des prestations et de tendre à une collaboration en réseau avec les autorités politiques locales, les administrations, les organisations et les institutions. L’idéal est de pouvoir les convaincre de publier un tous-ménages présentant toutes les prestations de soutien, qu’elles soient payantes ou fournies par des bénévoles. La population visée peut ainsi décider de payer un service ou de le solliciter en échange d’un autre service. Les nombreux retraités qui doivent se débrouiller avec leur seule rente AVS pour assurer leur subsistance ont ainsi la possibilité d’accroître – dans l’échange – leur capital économique, social, symbolique et culturel.

Perspectives des finances publiques et évolution démographique  Dans ses « Perspectives à long terme des finances publiques en Suisse » publiées en 2012, le Département fédéral des finances estime que si aucune mesure n’est prise, les dépenses qui dépendent de la démographie (assurances sociales, santé, soins de longue durée, formation) vont passer de 18,4 % à 22,3 % du PIB en 2060. Alors que cette hausse est principalement imputable aux assurances sociales au niveau fédéral, elle est essentiellement due aux dépenses pour la santé et aux soins de longue durée à l’échelon des cantons 1 .

Pour ralentir l’augmentation des coûts, il est impératif de renforcer la couverture sociale au moyen d’un pilier ne dépendant pas directement de l’argent et de l’évolution économique. A cette fin, il est raisonnable d’examiner toutes les mesures susceptibles de faire baisser les coûts ou tout au moins de juguler leur hausse, notamment les ressources à disposition en dehors du circuit financier et monétaire. Dans ce contexte, la solution KISS apparaît comme un possible quatrième pilier de la prévoyance reposant sur des ressources non liées à la capacité financière individuelle (cf. graphique G3 ).

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Financement mixte durant la phase de constitution du réseau KISS  Bien que le modèle KISS ne vise pas en premier lieu la consolidation du capital financier, il ne peut renoncer, notamment durant sa phase de constitution qui s’étend de 2014 à 2018, à un soutien financier. Celui-ci proviendra pour l’essentiel de fondations actives sur l’ensemble du territoire helvétique. Au cours des quatre années écoulées depuis la création de l’association, la mise en place des bases du système (logiciels, évaluations, infrastructure, formations complémentaires, séminaires internes, relations publiques, clarifications juridiques, etc.) a exigé le déploiement de nombreuses ressources, notamment quelque 15 000 heures de bénévolat classique.

KISS renforce le contrat intergénérationnel.

La constitution et le financement des groupes ainsi que, ultérieurement, des coopératives KISS se déroulent différemment selon les besoins ou les exigences locales et les souhaits des initiateurs du projet. L’approche choisie – ascendante et décentralisée – est extrêmement importante pour assurer la pérennité des coopératives. Elle induit le sentiment et la certitude de faire partie du mouvement, de jouer un rôle dans son orientation et de faire quelque chose de bien pour soi et pour la société. Au moment de leur constitution, les groupes bénéficient parfois d’un financement initial de la part des communes, de fondations locales, d’entreprises ou par le biais de conventions de coopération avec des acteurs caritatifs tels que les Eglises.

Décharger les pouvoirs publics  Il n’est pour l’instant pas possible de chiffrer le potentiel d’allégement des charges liées à la santé et aux soins ou aux prestations complémentaires et aux prestations sociales que représente un modèle tel que celui-ci pour les pouvoirs publics. Une première étude de la quantification de l’utilisation de ce système devrait toutefois être publiée ce printemps. Ainsi, le modèle KISS ne sera-t-il plus seulement jaugé sur la base de sa dimension qualitative et communautaire, mais également sous l’angle financier et économique. Au-delà de la phase de constitution, relativement onéreuse, les coûts d’organisation de l’encadrement KISS – lequel exclut expressément toute intervention thérapeutique – paraissent modestes au regard des coûts des prestations Spitex ou des prestations et soins résidentiels en établissement médicosocial. KISS table sur un équivalent plein temps pour qu’une personne soit suffisamment bien accompagnée au point qu’elle puisse continuer à habiter chez elle, qu’elle ne vive pas dans l’isolement et qu’elle puisse expérimenter pleinement la réalité du contrat intergénérationnel dans le cadre d’un échange quotidien de prestations de soutien très accessibles.

  • Bibliographie
  • Gasser, Nadja ; Knöpfel, Carlo ; Seifert, Kurt (2015) : Agile, puis fragile. La transition du troisième au quatrième âge chez les personnes vulnérables, Zurich : Pro Senectute Suisse.
  • 1. www.efd.admin.ch > Documentation > Publications > Publications périodiques > Perspectives à long terme des finances publiques en Suisse, 2012.
Coprésidente de l’association KISS.
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Membre du comité directeur de l’association KISS.
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