« La loi sur l’assurance-maladie vieillit bien »

Grâce aux réformes récentes, Thomas Christen, directeur suppléant de l’Office fédéral de la santé publique, estime que l’assurance-maladie est sur la bonne voie : « la LAMal offre une base solide ».
Stefan Sonderegger
  |  20 février 2025
    Droit et politique
  • Assurance-maladie
« Les cantons doivent renforcer leur collaboration en ce qui concerne la planification hospitalière » estime Thomas Christen, directeur suppléant de l’Office fédéral de la santé publique (Photo : Marcel Giebisch)

Monsieur Christen, la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) est entrée en vigueur il y a près de 30 ans. A-t-elle fait ses preuves ?

Oui. Il est impossible d’imaginer notre système de sécurité sociale sans la LAMal. Le principe de solidarité, qui prévalait au départ, est toujours central aujourd’hui. En d’autres termes : une personne qui tombe malade ne doit pas pour autant devenir pauvre et une personne pauvre ne doit pas pour autant tomber malade ou le rester. Il est donc important que nous prenions soin de cette assurance.

Que se serait-il passé sans l’introduction de la LAMal ?

Récemment, une journaliste m’a demandé si une patiente atteinte d’une grave maladie héréditaire pouvait avoir la chance de bénéficier d’un nouveau médicament très efficace mais très onéreux, au vu de son coût pour la collectivité.

Et que lui avez-vous répondu ?

Bien entendu, cette patiente peut prendre ce médicament en toute bonne conscience. Mais à vrai dire, poser la question en termes de chance est incorrect, car cette situation part d’un grand malheur, à savoir souffrir d’une maladie héréditaire. Sans assurance-maladie obligatoire, cette femme devrait affronter son malheur seule.

Avec le recul, qu’aurait-on dû faire autrement lors de l’introduction de la LAMal ?

J’estime que la loi sur l’assurance-maladie vieillit bien. Elle constitue une base solide. Mais il est clair que des remaniements réguliers sont nécessaires en 30 ans d’existence. Ces dernières années, des réformes importantes ont donc été adoptées concernant la qualité, les règles d’admission, les objectifs en matière de coûts, la réduction des primes ou encore le financement uniforme des prestations.

En novembre 2024, le peuple a accepté le projet de financement uniforme des prestations. Est-ce la preuve que des réformes de grande envergure sont possibles dans le domaine de la LAMal ?

Absolument. Le financement uniforme est d’ailleurs la toute première réforme de la loi sur l’assurance-maladie que le peuple a acceptée. Quant aux autres réformes, soit elles n’ont pas été soumises à la votation populaire car aucun référendum n’avait été lancé, soit elles ont été refusées par le peuple.

En ce qui concerne le financement uniforme, qu’est-ce qui a mieux fonctionné par rapport aux réformes qui n’ont pas abouti ?

Il s’agit d’un compromis savamment élaboré. C’est pourquoi, lors de la votation, il bénéficiait d’un large soutien de la Confédération et des cantons, de même que des fournisseurs de prestations et des assureurs.

Quelles améliorations ce projet va-t-il apporter ?

Premièrement, le nombre de traitements ambulatoires devrait augmenter ; ceux-ci sont moins coûteux et généralement dans l’intérêt des patients. Deuxièmement, la réforme entraîne une meilleure répartition des coûts entre les cantons et les payeurs de primes, ce qui profitera à ces derniers. Et troisièmement, elle améliorera la transparence : jusqu’ici, seules les personnes initiées connaissaient les coûts annuels des prestations de l’assurance-maladie. Or, cette transparence (il s’agit de plus de 50 milliards de francs par année, dont environ un quart financé par les cantons et trois quarts par les payeurs de primes) est essentielle pour les discussions à venir sur les coûts et leur financement.

Les primes vont-elles continuer d’augmenter ?

Le financement uniforme va freiner leur hausse. Mais les primes continueront d’augmenter. Nous vivons plus longtemps, et il existe de nouveaux médicaments et traitements souvent très chers.

« Les primes continueront d’augmenter »

Dès 2032, les prestations de soins seront aussi principalement financées par les primes. Cette situation provoquera-t-elle une augmentation supplémentaire des primes ?

En effet, les coûts continueront d’augmenter dans les soins. Mais ce domaine ne représente qu’un quart environ des coûts ambulatoires. Étant donné que les cantons participeront désormais à ces coûts, les payeurs de primes seront donc globalement déchargés.

Felix Gutzwiller, le président de prio.swiss, critique le fait que les hôpitaux soient souvent soutenus financièrement par les cantons. Il parle de « défaillance du fédéralisme ». Partagez-vous cet avis ?

Cette critique va trop loin de mon point de vue. C’est comme s’il disait : « les cantons n’y arrivent pas, c’est à la Confédération de prendre le relais ». Mais je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense plutôt que les cantons doivent davantage collaborer en ce qui concerne la planification hospitalière – comme c’est le cas pour la médecine hautement spécialisée, domaine où la planification commune est déjà un succès. Mais en fin de compte, en ce qui concerne la planification hospitalière, la question n’est pas de savoir s’il y a trop d’hôpitaux en Suisse.

Alors de quoi s’agit-il ?

La question devrait plutôt être : quelles prestations doivent être fournies à quel endroit ? Pour les interventions urgentes ou fréquentes, la proximité joue un rôle important. Par contre, il est envisageable de parcourir un plus long trajet pour les interventions spécialisées. Et pour répondre à cette question, il faut en effet que les cantons se concertent davantage.

« La question devrait plutôt être : quelles prestations doivent être fournies à quel endroit ? »

Quel rôle la Confédération peut-elle jouer ici ?

En ce qui concerne la médecine hautement spécialisée, les cantons planifient sans la Confédération, et cela fonctionne bien. Les cantons sont plus proches des hôpitaux et des patients. L’approche la plus judicieuse consiste donc bien à renforcer la collaboration des cantons. Cependant, celle-ci doit vraiment être améliorée.

L’année prochaine verra l’introduction du nouveau système tarifaire Tardoc et des forfaits ambulatoires. Quelles améliorations apporteront-ils ?

Tardoc représentera mieux la réalité médicale que l’actuel système tarifaire Tarmed, qui n’a jamais été révisé en plus de 20 ans d’existence. En outre, Tardoc et les forfaits ambulatoires renforcent les soins de base : ce qu’on appelle « la médecine narrative » – c’est-à-dire le dialogue avec les patients – doit gagner en importance par rapport à la médecine technique.

Avant même son introduction, le nouveau système tarifaire fait déjà face à la résistance des chirurgiens. Leur fédération met en garde contre une médecine à deux vitesses.

De telles critiques doivent être prises au sérieux. Dans un premier temps, il convient d’abord d’introduire le nouveau système tarifaire. Mais il ne faudra pas attendre 20 ans ensuite avant de remanier la nouvelle structure tarifaire ambulatoire. Elle devra plutôt faire l’objet d’améliorations continues et être adaptée aux nouvelles réalités, comme c’est déjà le cas dans le secteur hospitalier stationnaire. Dans ce domaine, le Conseil fédéral vient d’approuver la 14ème version de la structure tarifaire SwissDRG, et les partenaires tarifaires se penchent déjà sur la prochaine révision.

En ce qui concerne les tarifs, qu’est-ce qui fonctionne mieux dans le secteur stationnaire que dans le domaine ambulatoire ?

Depuis des années, il existe une organisation tarifaire qui fonctionne et qui s’attelle régulièrement au remaniement du tarif. Cela n’a pas été le cas dans le domaine ambulatoire. Mais la situation a changé. Et cela me rend optimiste quant aux futures révisions.

Dans quelle mesure la nouvelle association des assureurs-maladie prio.swiss va-t-elle faciliter les négociations tarifaires ?

Désormais, il existe un interlocuteur pour tous les acteurs. Cette nouvelle association tombe à point nommé, car les défis sont nombreux, notamment les nouveaux tarifs médicaux et les nouveaux tarifs pour la psychothérapie, la physiothérapie ou les pharmacies. Sans oublier les nouvelles tâches liées à l’assurance qualité et au pilotage des coûts.

Quel rôle la Confédération joue-t-elle dans ces négociations, par exemple concernant la psychothérapie ?

Dans l’assurance-maladie, le partenariat tarifaire prévaut. Cela signifie que les assureurs et les fournisseurs de prestations doivent s’assoir autour d’une table et négocier un tarif. Puis nous en évaluons les grandes lignes. Par exemple : le nouveau tarif est-il légal ? Respecte-t-il la neutralité des coûts ? Mais la recherche d’une solution incombe aux partenaires tarifaires.

Il y a dix ans, l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss regrettait dans la CHSS le manque d’incitations à la maîtrise des coûts dans l’assurance-maladie. Y a-t-il eu des améliorations à ce niveau-là ?

Oui, des progrès ont été enregistrés ces dernières années. Parmi les réformes évoquées, plusieurs visent à freiner la hausse des coûts. Au premier rang figurent bien sûr les objectifs en matière de coûts : les acteurs de la santé doivent désormais indiquer quelle part de l’augmentation des coûts n’est pas justifiée d’un point de vue médical.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Après avoir consulté les acteurs, le Conseil fédéral détermine dans quelle mesure les coûts peuvent augmenter dans le domaine hospitalier, le domaine ambulatoire en cabinet ou le domaine des médicaments. Si la hausse est plus importante, les fournisseurs de prestations doivent le justifier. Cependant, le législateur n’a pas prévu de sanctions.

Pour quelles raisons ?

L’accent est mis sur la transparence. Les fournisseurs de prestations doivent pouvoir motiver de façon valable tout dépassement du seuil fixé.

Les prix élevés des médicaments jouent un rôle dans l’augmentation des coûts : l’OFSP n’est-il pas en position de faiblesse lors des négociations de prix menées avec des entreprises pharmaceutiques actives au niveau mondial ? 

L’industrie pharmaceutique joue un rôle important en Suisse. Cependant, au cours des dernières années, l’augmentation des coûts a été supérieure à la moyenne dans le domaine des médicaments. Le cadre légal doit donc toujours être adapté : par exemple, à l’heure actuelle, le Parlement débat de l’introduction de rabais sur la quantité pour les médicaments générant de gros chiffres d’affaires. Les économies potentielles s’élèvent à 300 voire 400 millions de francs par an.

Les modèles de prix confidentiels, c.-à-d. les rabais que l’OFSP et les entreprises pharmaceutiques négocient loin des yeux du public, soulèvent des critiques. Qu’en pensez-vous ?

Des mesures sont nécessaires au niveau international : on observe une mondialisation économique, mais pas de mondialisation politique. D’une part, cela signifie que les entreprises pharmaceutiques savent exactement quand, où et comment elles peuvent commercialiser leurs médicaments au meilleur prix. D’autre part, chaque pays mène des négociations confidentielles de son côté pour obtenir les médicaments au meilleur prix. Si tous les autres le font, la Suisse doit suivre le mouvement. Mais il est vrai que la collaboration interétatique et la transparence doivent être améliorées.

Quelle organisation internationale pourrait s’en charger ?

L’Organisation mondiale de la santé a déjà lancé une première initiative. Les États se sont réunis et ont souligné vouloir plus de transparence concernant les prix des médicaments.

Différents sondages révèlent que la hausse des primes d’assurance-maladie figure parmi les principales préoccupations de la population. Que fait l’OFSP ?

Nous devons agir en premier lieu sur les coûts : s’ils augmentent, les primes augmentent aussi. Ces dernières années, nous avons pu réduire les coûts liés aux médicaments, aux laboratoires et au corps médical. Mais il va de soi que des mesures supplémentaires sont nécessaires : il s’agit d’un travail de longue haleine. C’est pour cette raison que la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a réuni les acteurs de la santé autour d’une table ronde.

Pourtant, de nombreuses couches de la population peinent à payer leurs primes. L’assurance-maladie est-elle vraiment encore solidaire ?

Effectivement, les primes pèsent énormément sur le budget de nombreuses familles. Les réductions de prime constituent ainsi une mesure corrective importante au mécanisme des primes par tête. Je suis content que la population ait accepté l’été passé le contre-projet à l’initiative d’allègement des primes. À l’avenir, près de 400 millions de francs supplémentaires seront donc disponibles chaque année pour la réduction des primes. En outre, chaque canton doit déterminer la part maximale que les primes doivent représenter par rapport au revenu.

« Effectivement, les primes pèsent énormément sur le budget de nombreuses familles »

Dans quelle mesure chaque individu doit-il faire un effort ? Par exemple, je suis assuré depuis ma naissance auprès de la même caisse-maladie.

En tant que particulier, vous avez différentes options pour économiser sur les primes. L’une d’entre elles consiste à changer d’assureur. Mais il est encore plus important de choisir un modèle adapté à ses besoins, comme le modèle du médecin de famille ou le modèle de soins coordonnés. De nombreuses personnes âgées ou malades pourraient précisément profiter d’un changement de modèle. Par ailleurs, il faut aussi faire preuve d’un sens des responsabilités au niveau individuel, par exemple en n’allant chez le médecin que si c’est vraiment nécessaire.

La médecine offre des possibilités de traitement toujours meilleures. Le système va-t-il s’effondrer à un moment donné, faute de pouvoir être financé ?

Il est important que tous les assurés puissent bénéficier de médicaments et de traitements efficaces. Les prestations médicales des assurances de base sont accessibles indifféremment à tous les assurés. C’est l’un des principaux acquis de la loi sur l’assurance-maladie, un acquis qu’il faut conserver. Mais pour que l’assurance-maladie reste financièrement viable, il faut redoubler d’efforts au niveau des coûts. En même temps, il doit rester suffisamment d’argent à disposition pour la réduction des primes afin que l’assurance- maladie reste abordable pour les personnes à bas et moyens revenus.

À un moment donné, ne devrons-nous pas retirer un traitement onéreux du catalogue de prestations ?

Non, j’estime que nous devons éviter d’en arriver au point où des assurés ne puissent plus accéder à des prestations innovantes et efficaces.

Thomas Christen

Thomas Christen est le directeur suppléant de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Depuis 2017, ce juriste de formation dirige l’unité de direction Assurance-maladie et accidents. Auparavant, il était le collaborateur personnel de l’ancien conseiller fédéral Alain Berset.

Rédacteur en chef, Sécurité sociale (CHSS)
[javascript protected email address]