Un constructeur de tunnels reconverti dans l’horlogerie, un poly-monteur devenu assistant socioéducatif, un opérateur de machines automatisées au volant d’un bus : trois destins tragiques brisés par un accident professionnel, trois personnes qui ne pouvaient plus exercer leur métier, trois victimes d’accident qui avaient besoin d’une nouvelle perspective et qui ont saisi leur chance. Grâce à l’initiative « Réintégration professionnelle » (IRP) de la Suva, tous les trois ont suivi une formation et sont aujourd’hui réintégrés dans le monde du travail.
Combler une lacune Bien souvent, un accident grave a des conséquences dramatiques sur la vie des personnes concernées. Outre les atteintes physiques et les nombreuses questions médicales auxquelles elles sont confrontées, elles doivent aussi faire face à un avenir professionnel souvent incertain. Elles bénéficient alors du soutien ciblé de la Suva, qui s’occupe p. ex. des aspects organisationnels, en étroite collaboration avec les médecins et les employeurs, et fait appel au besoin à un service de placement et à un conseiller en orientation professionnelle. Le succès de la réinsertion nécessite un engagement hors du commun de tous les acteurs impliqués. La Suva a lancé l’IRP il y a cinq ans afin de soutenir les personnes victimes d’un accident qui ne peuvent percevoir des prestations de ce type de l’assurance-invalidité, soit parce qu’elles n’ont pas droit à un reclassement faute d’avoir suivi une formation, soit parce que l’AI n’intervient pas pour une autre raison. Dans les autres cas, les deux assurances se complètent : l’AI verse une prestation de base et la Suva prend en charge, via son initiative, une prestation complémentaire profitable à l’assuré. Adrienne Schüpbach, responsable IRP et case manager à l’agence Suva de Berne, souligne qu’il est important dans ce type de cas de développer rapidement une étroite collaboration avec l’AI.
Un suivi rapide et compétent (www.suva.ch/reinsertion)
Statistiquement, plus de 50 accidents se produisent en moyenne par heure, et ce sont chaque année quelque 460 000 accidents qui sont annoncés à la Suva par ses assurés. L’assurance tient non seulement à offrir un suivi individuel et global aux victimes d’un accident, mais aussi à les aider à retrouver le chemin du travail. Les chances de guérison et de réinsertion sont proportionnelles à la rapidité et à la qualité du suivi des intéressés par la Suva, mais aussi par l’entourage. Un retour rapide en emploi profite à tous : à la personne accidentée et à sa famille, à ses collègues et à son employeur. L’objectif premier est que la personne réintègre son poste de travail. Pour soutenir dans leur réinsertion professionnelle les personnes victimes d’un accident qui ne peuvent pas réintégrer leur ancien poste et n’ont pas droit à des mesures d’ordre professionnel de l’AI, la Suva a lancé l’initiative « Réintégration professionnelle».
Un coup de chance Pour simplifier, l’IRP consiste en un placement au sein d’une entreprise par la Suva. L’assurance recherche des entreprises prêtes à proposer une initiation au travail de 3 à 12 mois ou une formation de 6 à 24 mois, et disposées ensuite à fournir un emploi fixe ou à favoriser l’engagement de la personne dans une autre entreprise pour une durée indéterminée. Il est plutôt rare que des employeurs s’annoncent spontanément auprès de la Suva, comme l’a fait Daniel Gattiker. Il dirige Gattag AG, une petite entreprise de recrutement. Il a entendu parler de l’IRP et l’idée lui a tout de suite plu, car il est convaincu que de nombreux bénéficiaires de prestations sociales préféreraient travailler. Quelques jours après son appel à la Suva, il avait un dossier sur son bureau. Et deux semaines plus tard, un camionneur accidenté se présentait dans son entreprise pour son premier jour de travail. Daniel Gattiker l’initie au recrutement dans l’objectif de l’engager à plein temps.
Pour Adrienne Schüpbach, il s’agit d’un véritable coup de chance, car il faut généralement être presévérant pour placer des gens en entreprise. Une fois qu’elle a trouvé une entreprise appropriée, il faut encore convaincre cette dernière de participer. Depuis 2011, la Suva est parvenue à réinsérer professionnellement 180 personnes victimes d’un accident grâce à l’IRP : pour 55, la réinsertion est passée par une nouvelle formation et pour 125, par une initiation à un nouveau métier.
Incitations pour l’employeur Durant la phase d’initiation ou de formation, la Suva soutient l’employeur en continuant à verser des indemnités journalières à la personne, afin que l’employeur n’ait pas à lui verser de salaire. Elle prend également en charge le coût des mesures de réinsertion nécessaires au sein de l’entreprise, telles que l’agencement spécifique du poste de travail ou des cours. A la fin de la mesure, elle verse à l’employeur une récompense dont le montant, de 10 000 francs au maximum, dépend des frais encourus et du degré de réussite. Par ailleurs, si la personne subit un nouvel accident au cours de la phase de réintégration, cela n’a aucune incidence sur le niveau des primes de l’entreprise assurée.
La Suva a économisé environ 30 millions de francs de rentes.
De meilleures perspectives et moins de rentes L’IRP est financée par les primes. L’initiative s’adresse donc uniquement aux personnes susceptibles de voir leur rente diminuer d’au moins 10 % grâce aux mesures de réinsertion et pour qui la diminution de gain ne devrait pas être trop importante. Depuis le lancement de l’IRP, la Suva a économisé environ 30 millions de francs de rentes. Les économies réalisées profitent à l’ensemble des assurés, sous forme de réductions de primes.
Malgré le système d’incitation, il n’est pas facile de trouver des employeurs qui acceptent de former ou d’initier des collaborateurs venant d’une autre entreprise, car les entreprises qui possèdent des postes appropriés sont aussi sollicitées par d’autres organisations et l’offre dépend aussi de la situation économique. Adrienne Schüpbach ne place personne dans une entreprise intéressée uniquement par les incitations financières. Il faut que l’employeur soit convaincu que le collaborateur placé peut lui apporter d’autres avantages, comme un plus à l’équipe ou une motivation élevée du fait de la deuxième chance qui lui est offerte.
Des victimes d’accident comme modèles Marlies Stettler, responsable RH de l’entreprise commerciale Kiener + Wittlin, confirme qu’un programme de réinsertion ne peut qu’être bénéfique pour une entreprise. Son entreprise a acquis une large expérience avec divers programmes de différentes institutions. La Suva lui a p. ex. adressé un ouvrier du bâtiment victime d’un accident : d’abord initié à la logistique, il a ensuite été embauché à plein temps et suit aujourd’hui un apprentissage en logistique. « Avec sa volonté de fer, ce collaborateur joue un véritable rôle de modèle », estime Marlies Stettler. Pour une équipe, il est enrichissant de constater que c’est n’est pas donné à tout le monde de travailler sans douleur. « Parfois voir des gens qui ont eu moins de chance dans la vie permet de relativiser. » Mais pour que la réinsertion soit un succès, il faut aussi que l’équipe fasse preuve d’ouverture et de tolérance à l’égard des limitations de la personne.
Un programme de réinsertion ne peut qu’être bénéfique pour une entreprise.
Conditions Avec son initiative, la Suva aide les assurés qui ne peuvent réintégrer leur ancien poste de travail ou exercer une autre activité au sein de leur ancienne entreprise. Il faut cependant que le profil d’exigibilité médicale de l’assuré et l’examen de l’AI ou de la Suva attestent clairement que l’assuré peut être réinséré ou placé chez un nouvel employeur. Les responsables IRP des 18 agences de la Suva détectent rapidement si une personne remplit les conditions de l’initiative et possède la motivation et les compétences sociales nécessaires, en particulier la ponctualité et la fiabilité.
Durant la période d’initiation ou de formation, le case manager de la Suva suit de près la personne et l’entreprise. Adrienne Schüpbach en souligne l’importance pour les cas où des problèmes surviennent. Cependant, les conflits ne se présentent généralement qu’après cette période : p. ex. parce que le profil d’exigences de l’activité change, parce que l’employeur exige soudain davantage du salarié que ce qui avait été convenu au départ ou parce que la personne n’est pas encore tout à fait prête à réintégrer le quotidien professionnel. Ces difficultés sont néanmoins rares.
Responsabilité sociale En 2015, la Suva a mis sur pied un autre système d’incitation pour les entreprises qui initient leurs collaborateurs de plus de 50 ans victimes d’un accident à une nouvelle activité. Les entreprises touchent ici aussi une indemnité lorsque la mesure est un succès. Outre les considérations d’ordre financier, l’accent est mis sur la responsabilité sociale.