En un coup d’œil
- Chaque caisse de pensions peut choisir son niveau de solidarité lors de la phase de mise en retraite selon le taux de conversion qu’elle applique.
- Un taux de conversion unique par âge et par genre correspond à une solidarité maximale alors que l’application de taux de conversion individuels réduit la solidarité.
- La flexibilisation des prestations de vieillesse, comme le choix de la réversion de la rente de conjoint survivant, nécessite une individualisation du calcul des engagements de prévoyance.
Dans une caisse de pensions, différentes solidarités surviennent entre les assurés lors de la phase de mise en retraite. Les solidarités peuvent être plus ou moins marquées selon la manière dont les prestations de vieillesse sont définies, en particulier en fonction des taux de conversion règlementaires appliqués par une institution de prévoyance. Le Conseil de fondation d’une caisse de pensions peut fixer le niveau des solidarités souhaitées et offrir des options permettant une plus grande individualisation des prestations de vieillesse.
Cet article explore les solidarités entre les genres, ainsi que celles engendrées par l’état civil des assurés et la différence d’âge entre les époux ou concubins. Il examine également les effets du choix de la réversion – lorsqu’il est proposé par l’institution de prévoyance – sur les perspectives de rente du conjoint survivant.
Solidarité entre les genres
Une solidarité entre les hommes et les femmes est observée lorsqu’une caisse de pensions définit ses taux de conversion réglementaires de manière unisexe, c’est-à-dire qu’elle applique des taux de conversion identiques pour les hommes et les femmes à un âge donné. Ceci est notamment le cas pour les prestations minimales définies dans la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP), étant donné que le taux de conversion de 6.8% sera appliqué à 65 ans pour tous les assurés dès le 1er janvier 2029, comme prévu par la réforme de l’assurance vieillesse et survivant (AVS 21). Cette solidarité est essentiellement expliquée par deux facteurs : premièrement, l’espérance de vie d’un homme diffère de celle d’une femme ; deuxièmement, en cas de décès d’un homme, la rente de conjoint survivant sera versée en moyenne plus longtemps qu’en cas de décès d’une femme.
Les taux de conversion actuariels sont calculés par l’actuaire et garantissent l’équilibre financier à long terme de la caisse. Ils illustrent bien cette solidarité en chiffres (voir Tableau 1). Le genre impacte directement les taux de conversion actuariels. Ces taux sont déterminés en utilisant les données de mortalité par âge et par sexe (appelées LPP 2020) et autres hypothèses classiques du domaine de la prévoyance (appelées ci-après méthode collective), avec une réversion de 60% pour les rentes de conjoint survivant à leur époux ou épouse.
Sur la base des calculs actuariels, un homme de 65 ans ayant accumulé un avoir vieillesse de CHF 1’000’000 à la vieille de sa retraite auprès de sa caisse de pensions aura ainsi droit à une rente de retraite annuelle de CHF 47’200 (= 4.72% * 1’000’000). Une femme ayant accumulé le même capital aura droit à une rente annuelle de retraite de CHF 49’600.
Nous constatons ainsi que le taux de conversion des hommes est inférieur à celui des femmes, ce qui est essentiellement dû à la proportion plus importante de prestations de survivants versées lorsqu’un homme décède. En effet, l’homme est en moyenne plus âgé que la femme dans un couple et la femme vit en moyenne plus longtemps. Cela signifie que les caisses de pensions doivent anticiper des besoins financiers d’environ 5% plus élevés pour les hommes que pour les femmes, à âge de retraite et rente identiques. De ce fait, à avoir de vieillesse égal à l’âge de la retraite, la rente de vieillesse versée à un homme doit être plus faible que celle versée à une femme pour maintenir l’équilibre financier de la caisse. En utilisant un taux de conversion unisexe, par exemple à 4.8%, la caisse impose donc une solidarité des femmes envers les hommes, les femmes (hommes) percevant une rente plus faible (élevée) que ce qu’elles (ils) devraient.
État civil et âge du conjoint déterminants
Les rentes de conjoint survivant impliquent une solidarité entre les personnes ayant un conjoint disposant du droit à de telles prestations et celles n’en ayant pas, notamment les célibataires (sans concubin), les veufs ou les veuves, et ceci si les taux de conversion réglementaires sont définis indépendamment de l’état civil. En effet, dans un tel cas, un célibataire et une personne mariée ayant accumulé la même épargne à la vieille de la retraite toucheraient la même rente de retraite. Or, en cas de décès de la personne mariée, la caisse devra encore verser une rente de conjoint survivant, ce qu’elle ne devra pas faire en cas de décès de la personne célibataire. Pour pouvoir maintenir la stabilité financière à long terme de la caisse de pensions, la rente versée au célibataire sera un peu plus faible que ce à quoi cette personne aurait eu droit si on avait pris en compte le fait qu’elle n’était pas mariée, et la rente de la personne mariée sera un peu plus élevée que la rente à laquelle elle aurait eu droit si on avait pris en compte le fait qu’elle était mariée.
La durée du versement des prestations de survivants est aussi influencée par la différence d’âge entre les époux, impliquant également une solidarité, si les taux de conversion réglementaires ne tiennent pas compte de cette différence d’âge.
Afin de mesurer l’impact de ces solidarités, nous présentons les taux de conversion actuariels pour les hommes et les femmes de 65 ans en 2025, déterminés selon les mêmes hypothèses et réversion que précédemment, mais en appliquant la méthode dite individuelle permettant de tenir compte de l’état civil (la personne donnera-t-elle potentiellement lieu à une rente de conjoint survivant ?) et de la différence d’âge entre époux, en considérant un couple de genre différent (Tableau 2).
Prenons le cas d’un homme de 65 ans qui n’est pas marié et qui a accumulé à la veille de sa retraite un capital de CHF 1’000’000. La caisse de pensions pourra lui verser une rente annuelle de CHF 53’500 (= 5.35% * 1’000’000) sans se mettre en difficultés financières. En utilisant les hypothèses classiques du domaine (Tableau 1), cet homme ne percevrait une rente que de CHF 47’200 (= 4.72% * 1’000’000), soit 12% de moins que si l’on prenait en compte le fait qu’il n’est pas marié. Un calcul similaire pour les femmes engendrerait une rente de 2% plus élevée si nous prenons en compte le fait qu’elle n’est pas mariée, en comparaison à la rente résultant des hypothèses classiques utilisées au tableau 1. Nous constatons donc que le poids des prestations de conjoints survivants est significatif, en particulier pour les hommes.
En outre, l’impact de la différence d’âge entre époux apparaît clairement. En effet, pour maintenir son équilibre financier, cette caisse de pensions ne pourra verser une rente de retraite annuelle que de CHF 42’300 (= 4.23% * 1’000’000) à un homme marié de 65 ans qui a une femme de 55 ans (10 ans de moins que lui), étant donné que lorsque cet homme décèdera, la caisse devra encore verser une rente de conjoint survivant à son conjoint. Cela implique donc une rente de 21% plus faible que la rente qui peut être versée à un homme célibataire.
Choisir le niveau de solidarité
La fixation des taux de conversion réglementaires est de la responsabilité du Conseil de fondation qui peut ainsi choisir le niveau de solidarité voulu. Ce dernier peut aller de l’application d’un taux unique par âge et par genre (solidarité maximale), à l’application de taux de conversion individuels tenant compte d’un éventuel droit à une rente de conjoint survivant et de la différence d’âge entre époux.
De plus en plus de caisses de pensions proposent par ailleurs une flexibilisation des prestations de vieillesse et de survivants, par exemple en offrant le choix de la réversion de la rente de conjoint survivant ou la protection du capital via le versement d’un éventuel capital décès au conjoint ou aux héritiers. Le financement de ces choix est généralement effectué par une adaptation du taux de conversion. En effet, en offrant une rente de conjoint survivant plus élevée (et donc une réversion plus élevée), la caisse de pensions compensera l’augmentation des coûts qui s’en suit par une réduction de la rente de retraite (et donc du taux de conversion). A l’inverse, une réversion plus faible conduira à une augmentation du taux de conversion. Toutefois, cette adaptation du taux de conversion doit être mesurée avec prudence compte tenu des effets d’antisélection qui sont issus des choix individuels des assurés.
A titre d’exemple, nous analysons l’impact et les conséquences du choix de la réversion pour les rentes de conjoint survivant proposé aux assurés dans certaines caisses de pensions. Si le choix est donné entre plusieurs niveaux de réversion, seuls les assurés ayant un conjoint vont opter pour la réversion maximale, en particulier si le conjoint est bien plus jeune. En revanche, les célibataires et les veufs ou veuves vont généralement opter pour le niveau de réversion le plus faible puisqu’ils ne devraient pas donner droit à une rente de conjoint survivant.
Si nous considérons que seules les personnes mariées choisissent une réversion de 100%, un taux de conversion de 4.08% (4.66%) devrait être utilisé pour les hommes (femmes) afin de garantir l’équilibre financier de la caisse de pensions (Tableau 3).
Des réversions de 60% et de 100% sont prises en compte pour les rentes de conjoint survivant, selon la méthode collective, ainsi qu’une proposition pour tenir compte de l’effet induit par les situations matrimoniales personnelles des assurés (appelée antisélection). La méthode collective avec antisélection anticipe ici que seuls les assurés avec un conjoint opteront pour des réversions plus élevées. Les taux de conversion tenant compte d’un effet d’antisélection ont été déterminés sur la base des tables LPP 2020 en supposant que les personnes de 65 ans sont toutes mariées. Pour les âges supérieurs, nous tenons compte du fait que le nombre de personnes mariées diminue (dû notamment au décès de certains conjoints). Les taux de conversion selon la méthode collective traditionnelle sont quant à eux déterminés en tenant compte des pourcentages indiqués dans les tables LPP 2020 en ce qui concerne le nombre de personnes mariées (comme pour le Tableau 1).
En fixant un taux de conversion réglementaire à 4.39% (4.89%), la caisse de pensions serait amenée à payer des rentes trop élevées. Il parait en effet peu probable que des personnes non mariées optent pour une réversion élevée, cette dernière impliquant une diminution de leur rente de retraite (taux de conversion plus faible pour une réversion élevée). Nous observons également que l’impact du choix de la réversion est plus important pour les hommes. L’effet d’antisélection est donc particulièrement important pour ces derniers. Il est ainsi essentiel de le considérer dans la fixation des taux de conversion réglementaires.
Individualisation vs solidarité
L’individualisation du 2e pilier se traduit en Suisse de diverses manières. Une analyse des diverses solidarités présentes dans les taux de conversion met en évidence la possibilité qu’ont les caisses de pensions d’appliquer des taux différenciés selon le genre et le statut matrimonial, ce qui conduit à une individualisation accrue et à une baisse de la solidarité. Des taux de réversion plus élevés étant choisis par des personnes mariées, il est important que les caisses de pensions prennent en considération les biais induits par les choix individuels, certains choix pouvant être anticipés. L’individualisation des prestations implique donc également une individualisation dans l’évaluation des engagements de prévoyance, qu’il ne faut pas oublier, au risque de compromettre la stabilité financière de la caisse. C’est au Conseil de fondation de définir l’ampleur des solidarités qu’il souhaite offrir et ainsi la voie qu’il souhaite poursuivre.
Glossaire
Taux de conversion : taux permettant de transformer l’avoir accumulé à l’âge de la retraite en rente de vieillesse. Par exemple, un taux de conversion de 6.8% implique qu’une personne ayant accumulé un avoir de vieillesse de CHF 1’000’000 à la veille de sa retraite recevra une rente annuelle de vieillesse de 6.8% * 1’000’000 = CHF 68’000. Le taux de conversion réglementaire est celui appliqué par une caisse de pensions et est défini dans son règlement. Une caisse de pensions peut proposer plusieurs taux de conversion, ce taux étant adapté à la situation individuelle des assurés. Une telle individualisation des taux de conversion ne peut toutefois s’appliquer que dans des institutions très enveloppantes. Il existe aussi le taux de conversion minimum LPP défini dans la loi, indiquant le montant de rente minimum à verser aux assurés. Ce dernier est obtenu en appliquant le taux minimal à l’avoir de vieillesse minimum LPP.
Réversion : une réversion de 60% signifie que la rente de conjoint survivant est équivalente à 60% du montant de la rente de vieillesse de la personne décédée.
Méthodes collective, individuelle et collective avec antisélection : une évaluation selon la méthode collective se base sur les statistiques relatives à la probabilité d’être marié et à la différence d’âge entre conjoints des tables actuarielles appliquées (tables LPP 2020 de génération au taux technique de 1.75% dans le présent article). En revanche, la méthode individuelle prend en compte l’état civil et la différence d’âge entre conjoints. La méthode collective avec antisélection tient compte de l’effet d’antisélection, c’est-à-dire qu’elle anticipe que seuls les assurés avec un conjoint opteront pour des réversions plus élevées. Dans le cadre de cet article, elle se traduit par une adaptation des probabilités d’être marié.