Analyse coûts-bénéfices 
de la politique familiale

Für eine familienfreundliche Unternehmenspolitik müssen die Firmen von den wirtschaftlichen und gesellschaftlichen Vorteilen der Vereinbarkeit von Beruf und Familie überzeugt werden. Dann würden mehr Arbeitgeber in diesen Bereich investieren.
Philippe Gnaegi
  |  07 septembre 2018
  • Egalité
  • Famille

La Suisse ne dispose que de rares études sur les politiques d’entreprises favorables aux familles. Plusieurs analyses coûts-bénéfices faites à l’étranger nous donnent cependant des indications très utiles sur le sujet, même si elles ne sont pas forcément transposables telles quelles dans notre pays. Elles montrent que l’investissement consenti pour mettre en place une politique favorable à la famille s’avère économiquement rentable. Sur la base des principaux résultats de ces analyses, nous pouvons aussi avoir une idée précise des éléments centraux qui devraient constituer toute politique d’entreprise favorisant la conciliation travail-famille.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler quelques facteurs qui caractérisent le marché féminin du travail :

  • De plus en plus de femmes étudient et souhaitent conserver une activité professionnelle. Ce taux d’activité avoisine aujourd’hui les 80 %. Cependant, notre pays est caractérisé par un très important pourcentage de femmes travaillant à temps partiel : Le taux d’occupation demeure à peine supérieur à 50 % jusqu’à ce que les enfants atteignent 12 ans.
  • Près d’une femme active sur sept quitte le marché du travail après une maternité : en 2017, elles étaient 23,3 % à ne pas exercer une activité professionnelle avant que l’enfant n’atteigne 3 ans. La naissance d’un deuxième enfant accentue encore cette tendance : 38,6 % des mères n’exercent alors plus d’activité professionnelle.
  • La sortie du marché du travail est souvent temporaire. Le retour à la vie active s’opère progressivement : les mères avec des enfants de 13 à 17 ans sont ainsi 85,1 % à exercer une activité professionnelle. Ce taux reste toutefois inférieur de 7 points à celui des femmes sans enfants (92,2 %).
  • S’occuper des enfants n’est pas le seul critère qui explique le choix du temps partiel pour les femmes. En effet, environ 42 % des femmes avec partenaire et sans enfant travaillent à temps partiel, contre 11,7 % des hommes dans la même situation. On peut dès lors penser que le fait d’avoir des enfants n’est pas l’unique critère pour diminuer son taux d’activité. Nous sommes enclins à penser que la situation économique du ménage joue un rôle important sur le taux d’activité. Ainsi, lorsqu’un ménage bénéficie de suffisamment de moyens financiers pour vivre, il adaptera son taux d’activité en fonction de ses revenus (Hoffmann 2016). Cette thèse est étayée par le taux d’activité des femmes seules qui élèvent des enfants. Ainsi, le taux d’activité en 2017 pour les femmes seules ayant des enfants de moins de 3 ans était de 85,9 %, alors que ce taux pour les femmes en couple avec des enfants entre 0 et 3 ans était de 75,5 %, soit 10 points de moins.
  • Le nombre de femmes qui étudient est élevé en Suisse : elles font donc partie de la main d’œuvre recherchée par les entreprises en raison de leurs qualifications.
  • Les associations patronales se plaignent d’un manque de main d’œuvre qualifiée dans un contexte de vieillissement démographique et de fermeture des frontières. Pour rappel : le 9 février 2014, le peuple suisse a accepté l’initiative populaire « contre l’immigration de masse » qui remet en cause les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne et introduit des quotas d’étrangers en fonction des besoins de l’économie. Cette décision aura pour conséquence une raréfaction encore plus importante de la main d’œuvre qualifiée.
  • Les femmes, respectivement les jeunes mères, revendiquent une plus grande participation des hommes au sein de la cellule familiale.
  • Les ménages ont toujours davantage besoin de deux revenus pour couvrir leurs besoins.
  • Le taux de divortialité a beaucoup augmenté (41,5 % en 2016) et incite plus de femmes à reprendre le travail ou à augmenter leur taux d’activité.

La conciliation travail-famille est perçue, par certains, comme un coût supplémentaire, comme une complication administrative ou encore comme le remède pour augmenter le potentiel de main d’œuvre qualifiée dans notre pays. Cependant, un élément avant tout devrait inciter les employeurs à développer une politique favorable aux familles : le retour sur investissement positif en terme économique. Nous évoquerons ci-dessous plusieurs études qui étayent la thèse que l’investissement financier consenti pour mettre en place une politique favorable à la famille s’avère économiquement rentable.

Un retour sur investissement positive en terme économique En 2005, quatre entreprises présentes dans toute la Suisse – Migros, Novartis, La Poste Suisse et le Groupe Raiffeisen – se sont rassemblées au sein d’un comité de projet à l’initiative du Pour-cent culturel Migros et du Département fédéral de l’économie. Ce groupe de projet a chargé la firme bâloise Prognos de réaliser, pour la première fois en Suisse, une analyse coûts-bénéfices d’une politique d’entreprise favorable à la famille. Nestlé, l’EPFZ, Victorinox et SSR se sont également joints au projet (Prognos 2005, p. 5-6).

À ce propos le conseiller fédéral Joseph Deiss, ancien professeur à l’Université de Fribourg et auteur de la première étude suisse sur les coûts de l’enfant, indiquait : « Au chapitre des coûts : il convient de faire tomber un préjugé courant qui consiste à croire que de telles mesures ont toutes un prix élevé. Certaines d’entre elles – par exemple celles relevant de l’organisation du temps de travail et des différentes formes de travail (télétravail, job-sharing) – sont relativement peu onéreuses. Au chapitre des bénéfices: si, selon l’étude, les entreprises ont déjà aujourd’hui tout intérêt à adopter de telles mesures, elles y trouveront encore plus leur compte dans un proche avenir. En effet, les projections démographiques nous disent que, dans une dizaine d’années déjà, la situation va se tendre de manière sensible sur le marché du travail. Les pénuries de main d’œuvre ne pourront pas être comblées par la seule immigration. Dans ce contexte, les entreprises qui auront su garder leur main-d’œuvre, féminine et masculine, auront un avantage précieux sur leurs concurrents. »

L’institut Prognos estimait à l’époque que le retour sur investissement était de l’ordre de 8 %. Il convient de préciser que les résultats reposent sur des hypothèses prudentes. En effet, les charges retenues dans l’étude sont généreuses, à savoir : les congés pour raisons familiales, les prestations de services et de conseils dispensés par l’entreprise, le congé paternité, la mise à disposition de poste de télétravail et les services de garde d’enfants soutenus par l’entreprise, ainsi que la flexibilisation du temps de travail. Il faut également mentionner tout particulièrement le fait que les effets positifs significatifs mais non quantifiables n’ont pas été pris en compte. Il s’agit avant tout des conséquences bénéfiques sur la motivation, sur la loyauté et sur la disponibilité des salariés, la réduction du stress, dont l’importance est confirmée par les responsables des ressources humaines interrogés. De même, les effets fondamentalement quantifiables sur l’attractivité de l’entreprise dans le cadre du recrutement des collaborateurs n’ont pas été retenus dans l’analyse plus restreinte, en raison de leur forte corrélation avec le secteur ou la situation géographique de l’entreprise.

De manière générale, cette étude permet de relever que les mesures portant sur la conciliation travail-famille ont comme conséquence :

  • la réduction des fluctuations du personnel et, en conséquence, la conservation du capital humain, ainsi que la baisse des dépenses engagées pour repourvoir des postes ;
  • une hausse du retour des femmes après un congé maternité, ce qui évite des frais importants d’engagement du personnel (coûts des postes non occupés, coûts de recrutement, coûts de sélection, coûts d’embauche, coûts de formation et de formation continue, coûts d’intégration) ;
  • la diminution des absences dues à la maladie ;
  • la possibilité d’exercer, pour les femmes principalement, une fonction à haute responsabilité ;
  • l’amélioration du climat au sein de l’entreprise ;
  • une productivité accrue ;
  • un travail davantage axé sur les résultats grâce à l’horaire flexible ;
  • l’accroissement du sens de la responsabilité des collaborateurs. Une suppléance plus facile au sein de l’entreprise, ainsi que des collaborateurs plus polyvalents ;
  • une planification plus efficace de l’engagement des ressources et un coût global des heures supplémentaires et des emplois temporaires qui diminue ;
  • la possibilité donnée à l’entreprise de revoir son organisation du travail ;
  • l’amélioration de l’image de l’entreprise qui aura des conséquences sur les ventes de produits et sur le recrutement du personnel toujours plus courtisé et plus rare.

Une amélioration de l’équilibre entre travail et vie privée Une analyse faite par le gouvernement anglais en 2014 (Smeaton et al. 2014) présente un rapport plus nuancé sur la rentabilité de la mise en place d’une politique favorable à la famille dans une entreprise et estime qu’il est difficile d’établir des statistiques. Cependant, l’étude montre clairement qu’une politique work-life balance a un effet sur les absences au travail et souligne aussi le fait que la durée du congé maternité ou parental influence sur le retour au travail : « If maternity leave is too short, women will break their employment rather than return to work while their children are very young. » (Smeaton et al. 2014, p. VIII)

La possibilité d’avoir un congé d’une durée conséquente combinée à celle de pouvoir retourner auprès du même employeur augmente les incitations à revenir sur le marché du travail. L’étude montre que certaines mesures ont des effets plus significatifs que d’autres (p. ex. la flexibilité du travail) et fait une distinction entre les mesures qui s’adressent à tous les employés et ceux qui ne concernent qu’un groupe cible (p. ex. les parents avec enfants en bas âge).

Une politique de la petite enfance qui allège la charge financière des familles Plus récemment, l’Université de St-Gall et le bureau Infras (Stern/Bütler 2016) ont chiffré les coûts de la politique familiale en 2015 en Suisse à 2,7 milliards de francs, dont 1,3 milliard concernait les conditions de travail (48 % de la totalité des coûts). 730 millions, soit 56 % des coûts, s’appliquaient à l’assurance-maternité et 580 millions à des mesures favorisant la flexibilité du travail. L’autre grand groupe de dépenses était constitué par les structures d’accueil (crèches, familles de jour, groupes de jeux), soit 1,4 milliard de francs représentant le 51 % de l’ensemble des coûts. Ceux-ci sont aujourd’hui supportés par les ménages pour une importante partie, les pouvoirs publics, les employeurs ainsi que par diverses autres organisations (loteries, fondation). Précisons que cette répartition varie beaucoup d’un canton à l’autre. Ainsi, en ville de Zurich, la participation des parents est de 66 % et celle des pouvoirs publics de 34 %. Dans le canton de Vaud, la participation des parents de 38 %, celle des pouvoirs publics de 49 %, celle des employeurs de 9 % et enfin la Loterie romande participe à raison de 4 % (Gnaegi 2017, 192).

Le dernier pour-cent des coûts, soit environ 40 millions, est versé pour des groupes de population spécifiques comme les populations immigrantes ou à risque. Les auteurs de l’étude estiment qu’un tel investissement présente une rentabilité élevée. En outre, les auteurs de l’étude invitent à reconsidérer les modèles de financement de la politique de la petite enfance pour éviter aux ménages une charge financière trop lourde (Stern/Bütler, 40 ss).

Accroissement de la productivité et
avantage pour le recrutement Dans le « Manuel PME Travail et familles » édité en 2016 par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) en collaboration avec l’Union patronale suisse et l’Union suisse des arts et métiers (Weber et al. 2016), il est mentionné : « L’expérience montre que les entreprises qui offrent des solutions adaptées à leurs employés ayant charge de famille en retirent elles-mêmes un bénéfice. Souvent, les entreprises de petite taille ne disposent toutefois pas des chiffres nécessaires pour calculer le rapport coût-bénéfice des mesures visant à concilier le travail et la famille. Les résultats de l’enquête du SECO réalisée auprès de 36 petites et moyennes entreprises (PME) en Suisse qui proposent de telles mesures montrent que ces entreprises sont confortées dans leur stratégie. Elles estiment que ces mesures sont bonnes pour leurs affaires et déclarent vouloir persévérer sur cette voie ». Selon l’étude susmentionnée, les entreprises qui offrent des mesures permettant de concilier travail et famille constatent auprès de leurs collaborateurs :

  • une plus grande satisfaction et motivation ;
  • un engagement, une flexibilité et une disponibilité plus élevés ;
  • un meilleur équilibre personnel et une diminution du stress ;
  • une baisse de l’absentéisme ;
  • une loyauté et une identification accrues avec l’entreprise ;
  • moins de rotation du personnel.

Les conséquences de la mise en place d’une politique favorable à la famille permettent, selon ces entreprises, d’augmenter la productivité. S’il est vrai que les mesures pour concilier travail et famille ne sont pas les seules à favoriser la productivité de l’entreprise, nous pouvons constater, à travers plusieurs enquêtes, que la jeune génération considère que ces mesures ont une influence considérable dans le choix de l’entreprise. Certaines l’ont bien compris puisqu’elles souhaitent se prévaloir d’un label de qualité en terme de conciliation travail-famille (comme le propose Pro Familia Suisse p. ex.) et bénéficier ainsi d’un avantage comparatif pour le recrutement de nouveaux collaborateurs ou nouvelles collaboratrices.

En faveur des mères, mais aussi des pères et des proches aidants La littérature et l’économie, d’une manière générale, se sont jusqu’à maintenant surtout concentrées sur une meilleure conciliation travail-famille pour les femmes. Ce sont en effet elles qui sont principalement responsables des charges domestiques et d’éducation des enfants tout en souhaitant parallèlement continuer à exercer une activité lucrative. Depuis quelques années, le Ministère allemand de la famille, des seniors, des femmes et des jeunes discute le concept de nouvelle conciliation travail-famille qui – avec les mères, les pères et les proches aidants – prend en compte tous les groupes de population impliqués dans les activités de care dans la famille. À notre avis aussi, les tâches des proches aidants deviendront toujours plus importantes, puisque l’espérance de vie augmente et que parallèlement les personnes actives de 55 ans et plus assument à la fois des tâches liées à leurs petits-enfants et des tâches de care liées à leurs parents ou leurs proches (famille ou amis).

D’après une étude qui analyse le potentiel de rendement de la nouvelle conciliation travail-famille (Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend 2016, 2), 96,1 % des actifs avec enfants et 87,8 % des actifs qui fournissent des activités comme proches aidants indiquent que la conciliation travail-famille constitue un des critères les plus importants pour être un employeur attractif. Si les conditions-cadres sont différentes de la Suisse et que les résultats ne sont pas transposables en raison de conditions économiques différentes, il n’en demeure pas moins que le retour sur investissement, selon l’étude du gouvernement allemand, peut atteindre 25 %, avec principalement une diminution des absences et un rapide retour au travail. Cependant, l’élément essentiel de cette recherche est que le retour sur investissement est calculé en prenant en compte des groupes de population plus larges (mères, pères, et proches aidants). Ce taux devient alors plus important et peut atteindre 40 %. Cela signifie que lorsque le concept de conciliation travail-famille est pris au sens large, les effets positifs augmentent parallèlement.

Enfin, mentionnons l’étude effectuée par la Commission européenne de février 2017 (Commission européenne 2017) qui insiste sur la combinaison des mesures de politique familiale. Dans ce sens, la flexibilité du travail au sens large du terme a le plus grand impact sur la productivité, suivie du congé parental et du congé pour s’occuper de proches malades ou handicapés.

Tenir compte de la digitalisation Un dernier point nous semble important à mentionner. Notre société subit aujourd’hui des transformations dans toutes ses composantes en raison de la digitalisation. La réflexion sur la conciliation travail-famille doit intégrer cette tendance et faire en sorte qu’elle puisse servir la cause de la conciliation et être prise en compte dans un calcul coûts et bénéfices.

Conclusion Notre économie se prive aujourd’hui de milliards de francs constitués de compétences féminines. Cependant, tant que ces personnes ne verront pas d’avantages à plus s’engager sur le marché du travail constitué de meilleures conditions-cadres, la situation n’évoluera pas. Les entreprises qui recherchent cette main-d’œuvre qualifiée auraient avantage à participer politiquement, socialement et économiquement à la réflexion. Le retour sur investissement d’une politique d’entreprise axée sur la famille leur est favorable. Il le sera encore plus à l’avenir avec l’assèchement du marché du travail lorsqu’il s’agira d’attirer les personnes les plus qualifiées. De plus, il nous semble important de ne pas limiter la réflexion uniquement aux femmes, mais d’y intégrer les pères et les proches aidants, voire l’ensemble des collaborateurs. Notre société s’en trouvera renforcée socialement, mais aussi économiquement. Nous pensons, en outre, qu’il serait important d’approfondir cette thématique dans notre pays par une recherche qui s’inspirerait des nombreux modèles mis en place dans notre pays et à l’étranger, en évaluant les différentes mesures ou combinaisons de mesures proposées.

Docteur ès sciences sociales, directeur Pro Familia Suisse, chargé de cours à l’Université de Fribourg.
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