Colmater des brèches et bâtir des ponts

Marcel Amrein
  |  12 novembre 2021
    Droit et politique
  • Affaires internationales
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Le Brexit a sonné le glas d’une grande partie des bases légales qui régissaient jusqu’à présent les relations entre la Suisse et le Royaume-Uni. Que ce soit pour les marchandises, les droits aériens ou les émigrés, les deux États ont dû négocier rapidement des solutions de remplacement. La Suisse entend maintenant profiter de cet élan pour approfondir ses relations avec le Royaume-Uni.

En un coup d’œil

  • Avec le Brexit, tous les accords liant la Suisse et l’UE sont devenus caducs dans les relations avec le Royaume-Uni.
  • En vue de maintenir les droits et obligations existants entre la Suisse et le Royaume-Uni, le Conseil fédéral a mis en place une stratégie – la stratégie Mind the Gap – impliquant une action coordonnée de tous les Départements concernés par le Brexit.
  • Les travaux étaient caractérisés par une forte pression temporelle et par une incertitude quant aux relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE.
  • La Suisse a pu négocier à temps plusieurs accords avec le Royaume-Uni, par exemple un Accord commercial, qui reprend essentiellement une série d’accords avec l’UE dans le domaine économique et commercial pour les relations bilatérales.
  • L’Accord commercial s’applique depuis le 1er janvier 2021. Il en va de même pour l’Accord sur les droits de citoyens, l’Accord sur le transport aérien, l’Accord sur le transport routier, l’Accord sur les assurances et l’Accord sur la mobilité des fournisseurs de services.
  • Entre-temps, d’autres accords se sont ajoutés, comme la nouvelle Convention de sécurité sociale.
  • L’objectif est de renforcer les relations entre la Suisse et le Royaume-Uni, par exemple avec un accord sur les services financiers.

Le soleil brillait de mille feux, et pourtant un orage venait d’éclater en Europe. Devant l’emblématique porte de sa résidence londonienne, le Premier ministre David Cameron s’est résigné, avec une émotion visible, à la sortie de son pays de l’UE et a immédiatement annoncé son propre départ du gouvernement. À Bruxelles, le président du Conseil européen Donald Tusk a mis en garde contre des réactions hystériques à la suite de la décision prise par le peuple britannique la veille. Et à Berne aussi, les journalistes se sont rassemblés pour une conférence de presse rapidement organisée en ce début de matinée estivale du 24 juin 2016. Annonçant qu’il faudrait trouver de nouvelles bases pour les relations entre la Suisse et le Royaume-Uni, le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann a pour ainsi dire donné le coup d’envoi de l’un des plus importants projets de politique extérieure de ces dernières années.

Mot de code : « Mind the gap! »

Pour la Suisse, le résultat du vote populaire britannique signifiait que son réseau très dense d’accords avec l’UE ne s’appliquerait plus dans les relations avec le Royaume-Uni. Très peu de temps après le vote, en octobre 2016, le Conseil fédéral s’est donc fixé pour objectif de colmater les brèches que le Brexit menaçait de créer. Les droits et obligations existants devaient être, lorsque cela était possible et indiqué, préservés au-delà de la sortie de l’UE. S’inspirant de la célèbre mise en garde du métro londonien, le gouvernement suisse a appelé son projet la stratégie Mind the Gap. Il est clair qu’il n’était pas possible de laisser tomber complètement les relations avec le Royaume-Uni, qui n’est autre que le sixième plus important partenaire commercial de la Suisse. Près de 40 000 Suisses vivent au Royaume-Uni et encore plus de Britanniques en Suisse. Et avant la pandémie, ce sont près de 150 vols quotidiens qui ralliaient les deux pays.

Excepté le DDPS, tous les Départements fédéraux gèrent dans leur domaine de compétence des accords avec l’UE pour lesquels il fallait trouver une solution en raison du Brexit. Pour garantir une coordination des travaux entre les Départements, le Conseil fédéral a mis en place un groupe de pilotage interdépartemental conduit par le DFAE. Une action ciblée était également appropriée pour d’autres raisons. À partir du 29 mars 2017, le Royaume-Uni et l’UE disposaient d’un délai de retrait de deux ans, ce qui ne laissait que très peu de temps. Alors que le compte à rebours avait commencé, la forme qu’allait prendre le futur arrangement entre Londres et Bruxelles restait très floue. Or la définition du nouveau régime entre la Suisse et le Royaume-Uni en dépendait.

Au vu de cette situation, la solution la plus efficace consistait dans un premier temps à répliquer les accords existants entre la Suisse et l’UE pour les relations entre la Suisse et le Royaume-Uni, et ce sans apporter de changements significatifs. L’Accord commercial (RS 0.946.293.671) signé le 11 février 2019 reprend simplement une série d’accords avec l’UE dans le domaine économique et commercial, dont l’Accord de libre-échange de 1972, qui a déjà pris de l’âge. La même procédure fut suivie dans d’autres domaines. Dans le domaine de la migration, la Suisse entendait en premier lieu garantir les droits acquis dans l’autre pays par les ressortissants suisses et britanniques au titre de l’Accord sur la libre circulation des personnes (Accord sur les droits de citoyens [RS 0.142.113.672] ; voir aussi Fréchelin, Kati (2021). Accord sur les droits de citoyens : protection des droits acquis sous l’ALCP. Sécurité sociale CHSS).

L’occasion d’en faire plus

Lorsque finalement sonna l’heure de vérité, au passage à l’année 2021, la Suisse était bien préparée. Après des reports répétés de la date de sortie de l’UE, après le Brexit formel du 31 janvier 2020 et après une période de transition de onze mois, les accords Suisse-UE devinrent caducs pour les relations avec le Royaume-Uni. Six nouveaux accords étaient prêts : outre l’Accord commercial et l’Accord sur les droits de citoyens, également ceux sur le transport aérien (RS 0.748.127.193.67), sur le transport routier (RS 0.741.619.367), sur l’assurance (RS 0.961.367) et sur la mobilité des fournisseurs de services (FF 2021 1777 ; procédures internes pendantes). D’autres accords (notamment, la nouvelle Convention de sécurité sociale) devaient bientôt suivre. Des solutions à caractère multilatéral ou bilatéral existaient pour d’autres domaines, tels que l’échange automatique d’informations ou encore la protection des données.

Dans l’ensemble, la majeure partie des droits et obligations ont pu être garantis. La stratégie Mind the Gap a donc été un succès. Quelques lacunes sont toutefois demeurées. Le Royaume-Uni a certes quitté l’UE de manière « ordonnée », c’est-à-dire avec un Accord de retrait (JO 2020 L 29/7) ainsi qu’un Accord de commerce et de coopération (JO 2021 L 149/10). Il ne s’agit pas moins d’un Brexit « dur », car le Royaume-Uni ne fait plus partie du marché unique de l’UE, ce qui n’est pas sans conséquence pour la Suisse au vu de son accès sectoriel au marché unique. Entre autres choses, la libre circulation des personnes et des mesures de facilitation des échanges fondées sur l’harmonisation du droit ont disparu. En revanche, la Suisse et le Royaume-Uni entendent rebâtir ailleurs de nouveaux ponts. Ainsi, une modernisation de l’accord commercial est à l’étude et, dans le domaine des services financiers, la Suisse et le Royaume-Uni, deux places financières importantes, œuvrent pour un accord vaste et ambitieux.

De tels projets vont bien au-delà de la préservation des droits et obligations qui existaient avant le Brexit. Pourtant, l’intention d’approfondir autant que possible les relations avec le Royaume-Uni après le Brexit existait déjà au moment du lancement de la stratégie du Conseil fédéral. Au cours des quelque cinq années qui se sont écoulées depuis cette journée d’été 2016 aux répercussions considérables, les deux États ont travaillé intensivement sur leurs relations, et l’objectif est désormais de construire sur la base de ce qui a été atteint.

Collaborateur scientifique, Secrétariat d’État DFAE.
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