Congé de maternité : interruptions de travail avant et après l’accouchement

Une étude portant sur le congé de maternité prénatal livre pour la première fois des ­indications sur les interruptions de travail des mères avant et après l’accouchement, mais aussi sur les lacunes de couverture, les baisses de revenu et les difficultés que rencontrent les femmes et les employeurs concernés.
Melania Rudin
  |  07 septembre 2018
    Recherche et statistique
  • Allocations pour perte de gain
  • Egalité
  • Famille

Le cadre légal qui protège, du point de vue du droit du travail et sur le plan économique, les femmes enceintes, les accouchées et les mères qui allaitent pendant la période dite de maternité (art. 5 LPGA) est défini dans la loi sur l’égalité (LEg), la loi sur le travail (LTr), le code des obligations (CO) et la loi sur les allocations pour perte de gain (LAPG).

Tandis que la LEg interdit toute discrimination des travailleuses se fondant sur une grossesse, la LTr et les ordonnances qui s’y rapportent protègent la santé de la plupart des travailleuses pendant leur grossesse et juste après leur accouchement – notamment au moyen d’une interdiction d’occupation durant les huit semaines qui suivent l’accouchement – et posent les conditions auxquelles les femmes enceintes peuvent être occupées (protection de la maternité). En ce qui concerne les rapports de travail de droit privé, le CO prévoit le droit à un congé de maternité ainsi que la protection contre le licenciement pendant la grossesse et le congé de maternité. Enfin, la LAPG et son règlement définissent le maintien minimal du paiement du salaire pendant le congé de maternité.

Pour ce qui est du congé de maternité et de la protection contre le licenciement dans le service public, ce sont les lois sur le personnel de la Confédération, des cantons ou des communes qui s’appliquent au lieu du CO. La majorité des cantons et la Confédération sont plus généreux que la LAPG et le CO en permettant en particulier aux femmes de prendre un congé prénatal, en général de deux semaines, et en leur accordant tout de même quatorze semaines de congé de maternité après l’accouchement.

Objet et conception de l’étude Afin de vérifier la thèse selon laquelle les normes légales en vigueur ne prennent pas suffisamment en compte les interruptions de travail avant l’accouchement, que connaissent la plupart des femmes enceintes, le Conseil des États a transmis au Conseil fédéral le postulat Maury Pasquier (15.3793) exigeant de lui qu’il décrive dans un rapport l’étendue et les motivations des interruptions de travail avant la grossesse ainsi que la sécurité financière qui en découle pour les femmes enceintes, et qu’il examine l’éventualité d’un congé de maternité prénatal.

Ce rapport se fonde, d’une part, sur une étude réalisée pour l’OFAS qui a analysé le cadre légal en vigueur de la protection des mères et de la santé avant l’accouchement et, d’autre part, sur une enquête menée auprès des mères qui ont reçu une allocation pour perte de gain après l’accouchement et auprès des employeurs sur la pratique en matière de protection des employées pendant toute la période de maternité. L’étude s’appuie sur les réponses de 2809 femmes ayant droit à une allocation de maternité et de 3575 entreprises.

Cadre légal pendant la grossesse L’analyse du cadre légal et réglementaire de la sécurité des employées enceintes a permis d’identifier diverses lacunes et difficultés.

Lacunes de couverture Il existe des lacunes de couverture dans la LTr et dans le CO. D’une part, les employées qui travaillent dans le secteur agricole ou dans des ménages privés et les travailleuses à domicile ne sont pas ou que partiellement soumises à la LTr. La protection qui y est prévue contre les activités dangereuses ou pénibles ne s’applique donc pas pour elles. D’autre part, les dispositions du CO relatives à l’obligation pour l’employeur de continuer à verser le salaire en cas de maladie valent aussi pour les incapacités de travail liées à la grossesse. Étant donné que le maintien du paiement du salaire est calculé en fonction du nombre d’années travaillées et qu’il ne dure que quelques semaines lors des premières années de service, une incapacité de travail liée à la grossesse peut, selon la durée de l’engagement, entraîner une perte de gain parfois totale pour l’employée.

Défis Ce sont en particulier les femmes ayant un travail atypique ou employées depuis peu qui sont les plus vulnérables lorsqu’elles sont enceintes, tant du point de vue du droit du travail que sur le plan économique.

  • Les femmes qui tombent enceintes pendant leur période d’essai ne bénéficient pas du maintien du paiement du salaire en cas d’interruption de travail pour des raisons de santé, ni d’aucune protection contre le licenciement.
  • Les employées en contrat à durée déterminée ne sont pas non plus protégées contre le licenciement, car le CO ne prévoit pas de possibilité de résilier un tel contrat, qui prend donc fin à son terme.
  • Pour les femmes qui ont des revenus fluctuants, une réduction volontaire ou non de leur horaire de travail peut entraîner, outre une baisse de leur salaire à court terme, une diminution du montant de leur allocation de maternité après l’accouchement.
  • Les femmes au chômage qui sont en incapacité de travail liée à la grossesse sont considérées comme non aptes au placement, de sorte que leur droit à une allocation est limité à 30 indemnités journalières, comme pour toute personne inapte au placement. Il n’existe pas, pendant le chômage, de sécurité équivalente à la protection contre le licenciement dont bénéficient les salariées ; une femme qui arrive en fin de droit au cours de sa grossesse perd donc le droit à des allocations de maternité après l’accouchement.

La maternité du point de vue des employées et des employeurs 
Protection de la maternité La LTr et les ordonnances qui s’y rapportent règlent la protection de la maternité. En vertu de l’art. 63 de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail, toute entreprise est tenue de faire réaliser une analyse de risques pour les activités qui y sont réalisées par les femmes enceintes et à dispenser en temps utile – c’est-à-dire avant une éventuelle grossesse – aux femmes exerçant une activité pénible ou dangereuse l’intégralité des informations sur les risques que cette affectation comporte, ainsi que sur les mesures prescrites. Plus de la moitié des femmes interrogées qui déclarent avoir effectué à plusieurs reprises des tâches considérées comme dangereuses ou pénibles pour la mère et l’enfant n’ont pas été informées de ces dangers par leur employeur. Au total, 16 % des employeurs interrogés estiment, à tort, qu’il est de la responsabilité des femmes concernées de s’informer sur les dangers potentiels et d’en parler, le cas échéant, à leur supérieur hiérarchique.

Interruptions de travail pendant la grossesse Les résultats de l’enquête réalisée auprès des mères et auprès des employeurs montrent que les interruptions de travail avant l’accouchement sont un phénomène très répandu : 81 % des femmes interrogées et 86 % des entreprises interrogées ont déjà été confrontées à des interruptions de travail de femmes enceintes pour des raisons de santé. La plupart des femmes concernées étaient totalement incapables de travailler, et quelques-unes souffraient d’une incapacité partielle. Ces interruptions de travail ont duré en moyenne six semaines et ont été bien plus souvent motivées par des problèmes de santé que par la dangerosité ou la pénibilité des tâches à accomplir.

La majeure partie des interruptions de travail ont eu lieu peu avant le terme de la grossesse. Plus de deux tiers des femmes interrogées ont été en arrêt maladie à temps plein ou à temps partiel pendant les deux dernières semaines de grossesse. Ce pourcentage s’élève à 76 % les tout derniers jours avant l’accouchement. Par contre, 16 % des femmes ont travaillé quasiment jusqu’à la naissance de leur enfant.

Protection financière Les femmes comme les entreprises indiquent avoir connu des désavantages économiques en lien avec une maternité.

Un quart des femmes interrogées ont dû encaisser une diminution de leur revenu pendant leur grossesse, les pertes étant plus fréquemment partielles que totales. Les risques de pertes financières sont particulièrement importants pour les femmes jeunes, rémunérées à l’heure, qui ont peu d’ancienneté, un faible niveau d’étude ou de bas revenus (voir graphique G1).

Les entrepri ses bénéficient certes pour la plupart d’une assurance d’indemnités journalières pour continuer à verser son salaire à une femme enceinte pour une durée limitée en cas d’interruption de travail pour des raisons de santé ; toute­fois, elles doivent supporter elles-mêmes le risque financier pendant le délai d’attente, qui peut durer de 14 à 180 jours (30 en général) selon le contrat. L’employeur ne peut également pas s’assurer contre les interruptions de travail en cas d’interdiction d’occupation fondée sur le droit du travail. S’il est dans l’impossibilité de proposer un travail équivalent
 à une femme enceinte, cette dernière peut se dispenser ­d’aller travailler et l’employeur doit lui verser, à ses frais, 80 % de son salaire antérieur.

Congé de maternité et reprise du travail Près de la moitié des femmes interrogées bénéficient d’une durée du congé de maternité et d’un montant d’allocation qui dépassent le seuil légal, cette part dépassant la moyenne pour les femmes qui ont un niveau de formation élevé. Les congés plus longs et mieux indemnisés sont principalement accordés au sein des grandes entreprises, des administrations publiques, des établissements de formation ainsi que dans les secteurs de la santé et du social.

Les femmes qui bénéficient d’une partie de leur congé de maternité rémunéré avant l’accouchement sont peu nombreuses (3 % des femmes interrogées). La plupart préfèrent en effet prendre l’intégralité de leur congé après la naissance de leur enfant. Seule une minorité de femmes (18 %) reprend une activité professionnelle immédiatement après les quatorze semaines de congé de maternité. En accord avec leur employeur, plus généreux que la LAPG, la moitié des femmes interrogées reviennent travailler après 22 semaines (voir graphique G2).

Plus de 10 % des femmes déclarent que leur employeur a abordé l’éventualité de résilier le contrat de travail d’un commun accord lors de l’annonce de leur grossesse, ou qu’il a évoqué un licenciement au terme du congé de maternité. Au total, 6 % des femmes interrogées ont renoncé de leur propre initiative à leur emploi après la naissance de leur enfant, et 3 % ont été licenciées par leur employeur au terme du délai de protection contre les licenciements. Par contre, on ne sait pas combien de femmes ont renoncé à leur emploi sous la pression de leur employeur. Nombre de mères qui travaillaient avant d’accoucher mais plus au terme de leur congé de maternité ont justifié cette période de chômage par le manque de volonté de leur ancien employeur de les garder à un taux d’occupation réduit. Une analyse réalisée spécialement pour la CHSS montre qu’au total, 11 % des femmes qui avaient un travail avant leur accouchement n’en avaient plus après leur congé de maternité, bien qu’elles souhaitaient reprendre le travail. Ce chiffre monte à 15 % si on ajoute aux causes de ces longues pauses professionnelles non désirées les complications de santé ou le manque de solutions de garde des enfants.

Opportunité d’agir du point de vue des parties interrogées L’enquête menée auprès des mères et auprès des entreprises montre qu’un congé prénatal rémunéré ne résoudrait qu’une partie des difficultés liées à la maternité.

Pour de nombreuses femmes concernées, le retour à la vie professionnelle est ardu. Leur difficulté majeure est de trouver une solution satisfaisante pour reprendre une activité professionnelle à la fin du congé de maternité. Selon les mères, que le congé de maternité soit pris en partie avant l’accouchement ou non n’est pas la question ; par contre, elles estiment que la durée totale du congé est insuffisante. Sans même parler du congé de paternité ou du congé parental, qui se situent encore plus haut dans la liste des demandes en suspens.

Pour les employeurs, la collaboration avec les médecins représente une difficulté de taille : trop souvent, ceux-ci délivrent des certificats d’incapacité de travail ou des interdictions d’affectation à certaines tâches au lieu de préciser dans quelle mesure ou à quelles conditions une activité professionnelle adaptée serait encore possible. En outre, les petites entreprises en particulier déplorent la charge financière découlant des interruptions de travail liées à la grossesse qu’elles doivent supporter pendant le délai d’attente de l’assurance d’indemnités journalières. L’obligation de verser le salaire en cas d’interdiction d’occupation est également mentionnée comme un inconvénient économique. Par ailleurs, plusieurs entreprises pointent du doigt le risque de discrimination des jeunes femmes lors du recrutement, de potentiels employeurs n’étant pas toujours prêts à assumer les éventuels frais supplémentaires liés à la grossesse.

Conclusion Un congé prénatal financé par les cotisations aux assurances sociales soulagerait surtout les employeurs, puisque ce sont eux qui, dans le cadre de l’obligation de continuer à verser le salaire en cas d’absences pour raisons de santé, supportent les frais salariaux non couverts. En revanche, les employées enceintes qui ont un travail stable et à durée indéterminée subiraient peu de pertes économiques car, en cas d’interdiction d’occupation, la plupart sont bien couvertes par les indemnités journalières en cas de maladie ou par le maintien du versement du salaire pour les semaines qui précèdent l’accouchement. Les difficultés économiques auxquelles les femmes doivent faire face pendant leur ­grossesse sont plus souvent dues à des rapports de travail atypiques ou à l’accomplissement d’une période d’essai qu’à une absence pour des raisons de santé au cours des semaines qui précèdent l’accouchement. Les femmes enceintes au chômage connaissent en particulier d’importantes lacunes de couverture. L’assurance-chômage ne donne droit qu’à 30 indemnités journalières en cas d’incapacité de travail pour raisons de santé, et les femmes peuvent arriver en fin de droit avant leur accouchement.

L’enquête montre en outre que les employeurs faillissent à leur obligation d’informer sur la protection de la maternité. Nombre d’entre eux ne savent même pas qu’ils sont tenus de réaliser une évaluation du risque pour les tâches considérées comme potentiellement dangereuses ou pénibles pour la mère et l’enfant et ne remplissent donc souvent pas leur devoir d’en informer les futures mères.

Enfin, il est à noter que les femmes et les entreprises interrogées ont été nombreuses à souligner la difficulté, à bien des égards, de trouver des solutions réalisables et soutenues par tous les acteurs pour faciliter le retour à la vie professionnelle des mères après un congé de maternité.

MscE, membre de la direction et responsable du secteur Intégration sur le marché du travail et garanties sociales minimales, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS.
[javascript protected email address]