« Il est essentiel de conserver la confiance de la population en l’AVS »

Le 3 mars prochain, nous voterons sur deux initiatives qui concernent l’AVS : l’initiative pour une 13e rente AVS, qui vise à développer les prestations de vieillesse, et l’initiative sur les rentes, qui demande le relèvement de l’âge de la retraite. Dans cet entretien, Stéphane Rossini, directeur de l’Office fédéral des assurances sociales, décrit les conséquences financières de ces deux initiatives.
Markus Binder
  |  01 février 2024
    Entretien
  • Assurance-vieillesse et survivants
« Le pouvoir d’achat d’une rente n’a pas baissé », affirme Stéphane Rossini, directeur de l’Office fédéral des assurances sociales. (Photo : OFAS / Marcel Giebisch)

Quel est l’état des finances de l’AVS ?

Pour l’instant, la situation de l’AVS est bonne. Les deux dernières réformes RFFA et AVS 21 permettent de stabiliser les finances jusqu’en 2030 environ. Cela grâce à des cotisations salariales et une contribution fédérale supplémentaires, à une hausse de la TVA, ainsi qu’à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Tout cela consolide l’AVS pour une dizaine d’années.

Mais peu après 2030, les comptes basculeront dans le rouge.

Oui, et ça ira très vite. Selon nos prévisions, en 2033, les dépenses excéderont déjà les recettes de plus de 3 milliards de francs. Comme le résultat de répartition se détériorera ensuite de plus en plus, le fonds AVS se videra rapidement. C’est pourquoi le Conseil fédéral présentera au Parlement, à fin 2026, une prochaine réforme pour garantir les finances de l’AVS durant la période 2030 – 2040.

Pourquoi le déficit se creuse-t-il si rapidement ?

Au plan démographique, le nombre de rentiers augmentera plus rapidement que le nombre d’actifs qui cotisent à l’AVS.

L’augmentation des salaires est-elle prise en compte dans ces projections ?

Oui. Sans l’immigration et la progression des salaires réels, la situation de l’AVS ne serait pas aussi bonne aujourd’hui. La hausse de la masse salariale génère des recettes. La croissance économique est donc déterminante : une économie forte contrebalance les effets de l’évolution démographique. Mais ni la croissance économique ni la productivité ne parviendront à compenser le vieillissement de la population. L’OFAS utilise d’ailleurs ici les chiffres de la croissance moyenne de la productivité fournis par le groupe d’experts de la Confédération.

« Une économie forte contrebalance les effets de l’évolution démographique »

La participation des femmes au marché du travail a augmenté. Quel impact cela a eu sur les finances de l’AVS ?

Ces dernières décennies, la proportion des femmes ayant un emploi a augmenté. Dès lors, par leur masse salariale, les femmes contribuent de plus en plus au financement de l’AVS. Ce qui est déterminant, ce n’est pas seulement le nombre de femmes actives, mais aussi le montant de leurs salaires.

Dans quelle mesure le travail à temps partiel en vogue est-il un problème pour l’AVS ?

La croissance de la masse salariale est déterminante pour l’AVS. Or, on observe que les femmes qui exercent une activité lucrative le font à des taux d’occupation plus faibles que les hommes. De plus, elles le font souvent dans des professions où les salaires sont plutôt bas. À propos du temps partiel, il faut relever que les personnes qui réduisent leur taux d’occupation fournissent généralement aussi plus de travail non rémunéré, comme les tâches ménagères, l’éducation des enfants ou d’autres prises en charge. Les femmes accomplissent toujours 50 % de travail domestique et familial de plus que les hommes. A long terme, une baisse du taux d’activité va générer une baisse des rentes pour les personnes et moins de recettes pour le régime AVS.

À l’approche de la votation du 3 mars, l’inflation joue un rôle important. Quelle hausse a été la plus forte : celle du renchérissement ou de la rente AVS ?

Le pouvoir d’achat d’une rente n’a pas baissé. Entre 2000 et 2023, la rente de vieillesse minimale de l’AVS a augmenté en moyenne de 0,9 % par an et le renchérissement, de 0,6 %. Même sur une plus longue période, la rente minimale a augmenté plus fortement que l’inflation, en moyenne deux fois plus. L’indice mixte, qui est calculé selon l’évolution des prix et des salaires, est une bonne chose pour les personnes qui sont à la retraite.

Le renchérissement n’est donc pas un problème pour les retraités ?

Si, bien sûr, le renchérissement est un problème. Les bénéficiaires de rentes ne vivent pas uniquement de l’AVS. Dans la prévoyance professionnelle, contrairement à l’AVS, la compensation du renchérissement n’est pas prescrite par la loi. Avec l’inflation et les hausses des loyers et des primes d’assurance-maladie, de nombreuses personnes ont plus de peine à boucler leurs fins de mois. La réduction des primes d’assurance-maladie est d’autant plus importante. Les personnes qui bénéficient de prestations complémentaires perçoivent en principe une réduction de prime intégrale. Contrairement à l’AI, la part des bénéficiaires de rentes vieillesse avec des prestations complémentaires est restée stable.

Que sait-on de la situation financière des personnes à la retraite ?

Le seul montant de la rente AVS ne permet pas d’apprécier si un retraité est riche ou pauvre. Il faut aussi prendre en considération les prestations des 2e et 3e piliers, de même que la fortune. La définition du seuil de pauvreté influe aussi beaucoup sur l’appréciation de la situation des retraités. Pour les personnes qui n’ont que leur rente AVS pour subsister, les prestations complémentaires sont un moyen efficace pour lutter contre la pauvreté. Cependant, d’autres recherches doivent encore être menées dans ce domaine, nous sommes d’ailleurs en train de réaliser une étude qui nous fournira des réponses supplémentaires.

La 13e rente AVS coûterait 4 milliards de francs la première année et plus par la suite. Comment peut-on la financer ?

Il appartiendra au Conseil fédéral et au Parlement d’en décider, voire au peuple. L’initiative ne dit rien à ce sujet, mais ses auteurs proposent d’augmenter les cotisations salariales. Il faudrait les augmenter de 0,4 point pour les employeurs et de 0,4 point pour les employés. Pour financer la 13e rente par la TVA, il faudrait relever son taux d’un point de pourcentage dès l’année de son introduction. Il serait aussi envisageable d’augmenter l’âge de la retraite, ou de combiner ces mesures. L’utilisation des bénéfices de la Banque nationale ne semble plus d’actualité.

Pourrait-on financer la 13e rente par le fonds AVS ?

En principe, la fortune de l’AVS n’est pas destinée à financer des prestations supplémentaires. Selon la loi, l’AVS doit disposer de réserves suffisantes, soit l’équivalent d’une année de dépenses. L’AVS a besoin de cette réserve pour faire face aux fluctuations des recettes de cotisations et du produit des placements, et pouvoir disposer des liquidités nécessaires pour verser les prestations. Il est important aussi de toujours considérer la dette de l’AI envers l’AVS : ce sont 10 milliards de francs qui manquent au fonds AVS.

L’initiative pour une 13e rente AVS ne veut augmenter que les rentes de vieillesse de l’AVS, mais pas les rentes de l’AI ni les rentes de veuves et de veufs, ni celles d’orphelins. N’est-ce pas injuste ?

C’est de toute évidence contraire à la logique du système, car ces rentes sont coordonnées entre elles. D’autant plus que dans l’AI, la moitié des bénéficiaires de rentes perçoivent des prestations complémentaires. Se pose donc dans l’AI un vrai problème de précarité.

Comment la 13e rente serait-elle versée ? En décembre, comme un 13e salaire ?

Pour des questions de faisabilité, nous privilégions plutôt une augmentation de la rente mensuelle de 8,3 %. Le Conseil fédéral et le Parlement devront le décider dans le cadre de la mise en œuvre.

En cas d’acceptation de l’initiative, la 13e rente devrait être versée dès 2026. Serait-il vraiment possible de garantir son financement dans un délai aussi court ?

En regard de nos procédures démocratique, cela semble très difficile. En principe, le Conseil fédéral et le Parlement auront deux possibilités : soit ils élaborent un projet de financement additionnel pour la 13e rente, soit ils intègrent ce financement dans le projet de prochaine réforme de l’AVS, que le Conseil fédéral doit présenter fin 2026. Dans tous les cas, une solution s’impose car il est essentiel de conserver la confiance de la population en l’AVS.

« Le nombre de rentiers augmente plus rapidement que le nombre d’actifs qui cotisent à l’AVS », explique Stéphane Rossini (à gauche), en discussion avec Markus Binder, responsable de la Communication de l’OFAS. (Photo : OFAS / Marcel Giebisch)

Parlons de l’initiative sur les rentes, qui demande que l’âge de la retraite soit progressivement relevé à 66 ans d’ici 2033. Par la suite, il devrait continuer à augmenter en fonction de l’espérance de vie. Est-ce que cela permettrait d’assurer les finances de l’AVS à long terme ?

À partir de 2033, l’initiative rapporterait quelque 2 milliards de francs. Ensuite, puisque l’âge de la retraite serait lié à l’espérance de vie, chaque relèvement automatique déchargerait encore l’AVS. Toutefois, à terme, cela ne suffira pas pour compenser les effets de l’évolution démographique et à garantir le financement de l’AVS. Des mesures de financement supplémentaires seront de toute façon nécessaires.

En cas d’acceptation de l’initiative, combien de temps faudra-t-il pour que l’âge de la retraite atteigne 67 ans ?

Selon les prévisions de la Confédération, l’âge de la retraite atteindrait 67 ans en 2043 puis 68 ans en 2050. Le relèvement automatique prévu par l’initiative correspondra à 80 % de l’augmentation de l’espérance de vie. Autrement dit, si l’espérance de vie augmente d’un mois, l’âge de la retraite augmenterait de 0,8 mois. La référence sera l’espérance de vie à l’âge de 65 ans.

Si les deux initiatives sont rejetées, comme le recommandent le Conseil fédéral et le Parlement, que se passera-t-il ensuite ?

La votation sur la réforme du 2e pilier aura lieu en principe en septembre. Cette réforme vise à garantir le niveau des rentes, renforcer le financement et améliorer la couverture des personnes à temps partiel, souvent des femmes. Par ailleurs, le Conseil fédéral va entamer ses discussions sur la prochaine réforme de l’AVS. De plus, la consultation sur l’adaptation de la rente de veuve et de veuf est en cours. Enfin, une initiative a été lancée, visant à supprimer le plafonnement des rentes de couple dans l’AVS. L’année sera donc chargée pour la politique de la vieillesse.

Les deux objets concernant l’AVS qui seront soumis au peuple le 3 mars 2024

L’initiative pour une 13e rente AVS vise à augmenter la rente de vieillesse de l’AVS d’une rente mensuelle sans pour autant que les PC soient diminuées en raison de cette 13e rente. L’initiative sur les rentes demande le relèvement de l’âge de la retraite pour garantir le financement de l’AVS. Elle demande de relever progressivement à 66 ans l’âge de la retraite d’ici à 2033. Par la suite, cet âge de référence devrait continuer à augmenter en fonction de l’espérance de vie. Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent le rejet de ces deux initiatives.

Responsable de la Communication de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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