Malgré une tendance à la baisse, les taux d’aide sociale des adolescents (c’est-à-dire des personnes de 15 à 17 ans) et des jeunes adultes (18 à 25 ans) sont depuis 2005 supérieurs à la moyenne, avec respectivement 4,3 et 3,9 %, contre 3,2 % pour l’ensemble de la population résidante permanente. Les problèmes d’accès à la formation et d’intégration dans la vie professionnelle comptent parmi les principales causes de recours à l’aide sociale chez les jeunes : selon la statistique suisse de l’aide sociale de 2015, près d’un quart (23,3 %) des adolescents à l’aide sociale n’avaient pas de formation postobligatoire, sans pour autant être en formation (pour un petit tiers d’entre eux environ, la situation en matière de formation n’était pas connue) : parmi les jeunes adultes bénéficiaires de l’aide sociale, plus de deux cinquièmes (43,4 %) n’avaient pas terminé de formation postobligatoire et ne se trouvaient pas non plus en formation : autant de personnes à qui il manque un outil essentiel pour accéder à l’indépendance financière et pouvoir mener une vie autonome.
En adoptant en septembre 2014 une motion du groupe socialiste (14.3890), le Parlement a chargé le Conseil fédéral d’élaborer, en collaboration avec les cantons et les organisations spécialisées compétentes, une stratégie visant à réduire la dépendance des adolescents et des jeunes adultes à l’égard de l’aide sociale. Le Conseil fédéral a intégré dans le Programme national contre la pauvreté l’identification de solutions efficaces, demandée dans la motion, et une étude a été mandatée dans le cadre de ce programme.
Cette étude, intitulée « Réduire la dépendance des jeunes et des jeunes adultes vis-à-vis de l’aide sociale » (Schmidlin et al. 2018), a identifié les mesures d’intégration efficaces pour prévenir et réduire cette dépendance. Pour ce faire, ses auteures ont décrit l’offre de chaque canton en matière d’accès à la formation et d’intégration dans la vie professionnelle : elles ont aussi évalué le cadre réglementaire ainsi que la disponibilité, la conception et la qualité des mesures en place. En conclusion, elles ont présenté de bonnes pratiques et des propositions pour optimiser l’offre existante.
UN TAUX D’AIDE SOCIALE VARIABLE D’UN CANTON À L’AUTRE Le taux de jeunes adultes bénéficiaires de l’aide sociale peut considérablement varier d’un canton à l’autre. Il dépasse ainsi nettement la moyenne suisse dans trois cantons romands : Genève, Neuchâtel et Vaud (cf. graphique G1). En Suisse alémanique, c’est à Berne, Bâle-Ville et Soleure qu’il est plus élevé que la moyenne. Les cantons dont le taux de chômage des jeunes est plutôt bas affichent généralement de faibles taux d’aide sociale. Dans ces cantons, qui proposent souvent un nombre de places d’apprentissage supérieur à la moyenne et où les secteurs primaire et secondaire sont bien développés (Dubach et al. 2009), les jeunes adultes réussissent manifestement mieux leur entrée dans la vie active. En revanche, dans les cantons qui comptent de nombreux employés dans le tertiaire, ou dont la structure économique est par ailleurs défavorable pour d’autres raisons (comme Neuchâtel), les jeunes sont souvent aux prises avec le fort chômage qui caractérise leur classe d’âge et des taux d’aide sociale élevés. De plus, la part des jeunes qui suivent une formation transitoire (passerelle, préapprentissage, etc.) à la fin de leur scolarité, retardant ainsi leur entrée en formation, y est relativement élevée. Ces cas de figure se retrouvent surtout dans les cantons francophones, où la formation professionnelle est traditionnellement moins bien ancrée (Montemurro et Schmidlin 2015).
STRUCTURE ET LACUNES DE L’OFFRE Ces dernières années, une variété d’offres et de projets ont vu le jour dans les cantons et les villes pour aider les adolescents et les jeunes adultes en difficulté à accéder à la formation et à la vie professionnelle. Bien que la structure de l’offre dans ce domaine n’ait pas fait l’objet d’un recensement exhaustif, les réponses obtenues lors d’une enquête menée auprès des offices cantonaux de la formation professionnelle et des affaires sociales permettent de conclure que tous les cantons proposent des prestations pour aider les jeunes à réussir leur entrée en formation professionnelle (transition I) et sur le marché de l’emploi (transition II) (cf. graphique G2). La palette d’offres pour la transition I comprend en particulier, outre les passerelles et l’orientation professionnelle prévue par la législation, des offres permettant d’accéder à la formation (semestres de motivation, coaching, mentorat, etc.). Pour la transition II, ce sont surtout des programmes de coaching et de placement qui sont mis en place en vue de la recherche du premier emploi. Il ressort de l’étude que ces dernières années, les cantons ont intégré la plupart des offres dans leurs structures ordinaires, et que ces prestations couvrent assez bien les besoins, en particulier pour ce qui est de la transition I. Les lacunes observées concernent surtout les offres destinées à des groupes particuliers tels que les réfugiés, les jeunes mères ou les jeunes présentant des problèmes psychiques.
TRANSITION VERS LA FORMATION ET LA VIE PROFESSIONNELLE : LES FACTEURS DE SUCCÈS Si l’existence d’un large éventail d’offres favorisant la transition vers la formation et la vie professionnelle est essentielle pour répondre aux besoins individuels et aux situations de vie des jeunes qui dépendent de l’aide sociale, les acteurs institutionnels ont toutefois opté ces dernières années pour le pragmatisme lorsqu’il a été question d’étoffer cette palette (Voith 2014), en répondant aux besoins des systèmes concernés (établissements scolaires, formation professionnelle, économie et sécurité sociale). Il en résulte une offre fragmentée, répartie entre différents systèmes, organes responsables et phases, ce qui empêche toute vue d’ensemble et toute coordination digne de ce nom. De plus, le financement de cette offre repose sur des bases légales différentes selon le groupe cible et la phase de transition concernés. Conscients de cette situation, certains cantons ont mis en place des solutions prometteuses, dans lesquelles quatre facteurs, que nous présentons ci-dessous, se sont révélés particulièrement importants pour garantir que les jeunes présentant un risque de dépendance à l’aide sociale puissent avoir durablement accès à une formation et à l’emploi.
GESTION DES ACCÈS : UN PROCESSUS INSTITUTIONNALISÉ, AVEC DES GARANTIES LÉGALES ET FINANCIÈRES La mise en place de portails ou de services d’aiguillage dotés d’un financement assuré s’avère particulièrement prometteuse pour résoudre les difficultés liées à l’attribution des offres ou au financement. Cette solution présente l’avantage de transférer la compétence d’attribuer les offres à un seul service, qui a ainsi une vue d’ensemble et peut orienter les jeunes vers la prestation la plus adaptée à leur cas. Les cantons de Bâle-Ville, d’Argovie, de Berne, de Genève, de Lucerne, de Neuchâtel et de Vaud se sont dotés récemment de services d’aiguillage ou de portails d’accès pour la transition I.
TRANSPARENCE ET CONTINUITÉ Il ne suffit pas de proposer une large palette d’offres pour répondre aux besoins des jeunes en passe d’entrer dans la vie professionnelle. Il faut aussi inscrire les diverses prestations dans un système de soutien global et continu, qui va de l’orientation professionnelle à l’entrée dans la vie active, de manière à ce qu’elles s’insèrent de manière harmonieuse entre celles situées en amont et en aval, comment sont en train de le faire les cantons de Berne, de Bâle-Campagne, de Neuchâtel, de Vaud et de Genève. Les structures qui réunissent sous un même toit des offres telles que consultations, coaching, programmes de formation et gestion des cas, et en assurent la coordination, se sont révélées particulièrement utiles. La transparence des structures contribue également à la clarté, pour les groupes cibles comme pour les conseillers et les spécialistes. À ce titre, elle est aussi source d’efficacité, puisqu’un service a une vue d’ensemble de la situation et peut coordonner les offres.
STRATÉGIE GLOBALE ET STRUCTURES DE COOPÉRATION CONTRAIGNANTES Les divers systèmes étant régis par des logiques de compétences et de financement différentes, il s’ensuit des frictions aux interfaces, qui ne disparaissent pas forcément en adaptant la législation. L’une des conditions essentielles pour s’assurer un régime de transition cohérent et durable consiste à mettre en place une stratégie globale à long terme, qui bénéficie d’un large soutien politique et associe l’ensemble des services cantonaux ou communaux compétents. Conscients de cette nécessité, plusieurs cantons (BE, BS, GE, LU, VD et TI) ont fait en sorte queles acteurs de la formation et les organismes de la sécurité sociale renforcent leur collaboration au plan politique.
HARMONISATION DES BOURSES D’ÉTUDES ET DE L’AIDE SOCIALE Les adolescents et les jeunes adultes sans formation ni emploi peuvent dépendre de divers systèmes de prestations sociales (AC, AI et aide sociale). Quand les parents ne disposent pas de moyens suffisants pour financer la formation initiale de leurs enfants, ces derniers peuvent, en vertu de la loi sur les bourses d’études de leur canton, demander une allocation de formation. Toutefois, si tant l’aide sociale que le système des bourses d’études se fondent sur le principe de subsidiarité, ils se distinguent par leur finalité et la manière dont ils octroient leurs prestations : tandis que la première assure une existence digne aux personnes dans le besoin, quelle que soit la raison de leur dénuement, le deuxième est conçu pour favoriser la formation, et les boursiers n’ont aucun droit à voir leur minimum vital garanti. Dans ce domaine, le canton de Vaud a ouvert la voie en 2006 déjà avec son projet pilote FORJAD, qui permet aux jeunes à l’aide sociale de s’affranchir de ce soutien : ces derniers reçoivent, au lieu de l’aide sociale, des bourses d’études couvrant leurs besoins de base et leurs parents s’engagent de leur côté à ce que les boursiers entament et achèvent une formation (Maillard 2015, p. 334 à 337). Le programme FORJAD ayant produit des résultats encourageants, il a été généralisé en 2017. Depuis lors, tous les jeunes sans formation qui demandent l’aide sociale sont suivis pour les préparer à suivre une formation.
Dans la plupart des cantons, décrocher une bourse d’études signifie encore surmonter bien des obstacles, notamment bureaucratiques, pour un jeune en formation tributaire de l’aide sociale. Jusqu’à présent, seuls les cantons de Vaud et de Berne ont pris des mesures pour harmoniser ou rapprocher les régimes de l’aide sociale et des bourses d’études. La majorité des autres cantons se sont contentés d’adhérer au concordat sur les bourses d’études et d’adapter leur loi sur les bourses d’études aux principes et normes minimales fixées dans ledit concordat. Or, ces mesures sont insuffisantes : les jeunes en formation qui ne sont pas soutenus financièrement par leurs parents dépendent la plupart du temps, pour subvenir à leurs besoins, non seulement de leur salaire d’apprentis ou de leur bourse d’études, mais aussi de l’aide sociale. Les auteures de l’étude concluent que seule une harmonisation complète des régimes des bourses d’études et de l’aide sociale garantit des allocations de formation couvrant le minimum vital, permet d’éviter les effets de seuil et simplifie l’accès aux bourses d’études pour les jeunes à l’aide sociale.
OPTIMISATIONS NÉCESSAIRES ET RECOMMANDATIONS Étant donné le risque élevé, pour les personnes sans formation, de dépendre durablement de l’aide sociale, il faudrait détecter rapidement les adolescents et les jeunes adultes qui sont en passe d’échouer dans leur transition vers la formation, et leur dispenser un accompagnement. En effet, plus ces personnes attendront pour commencer une formation, plus il leur sera difficile de la mener à terme. Si, dans la plupart des cantons, la palette de programmes de transition vers la vie professionnelle est bien étoffée, il s’agit maintenant d’améliorer des aspects tels que la qualité de l’offre, la réglementation, la détection et la prise en charge systématiques, la gestion des accès et la collaboration ou encore la coordination et le suivi, selon les cantons (cf. tableau T1).
Les neuf recommandations faites aux cantons, aux communes et aux villes visent toutes à mieux coordonner l’offre et à l’inscrire dans un cadre global. La continuité des offres permet de mettre en place des chaînes d’encouragement et de prise en charge qui répondent aux besoins individuels desadolescents et des jeunes adultes. Pour cela, il faut qu’une seule instance chapeaute et coordonne les offres. Par ailleurs, si l’on veut éviter que les jeunes adultes en formation ne dépendent de l’aide sociale, il faut que les bourses d’études, additionnées au salaire d’apprenti, permettent à leurs bénéficiaires de subvenir à leurs besoins.
- Bibliographie
- Schmidlin, Sabina; Kobelt, Emilienne; Caviezel, Urezza; Allemann, Elisabeth; Clerc, Rebecca (2018): Reduktion der Abhängigkeit von Jugendlichen und jungen Erwachsenen in der Sozialhilfe (allemand avec résumé en français); [Berne: OFAS]. Aspects de la sécurité sociale; rapport de recherche no 7/18 .
- Sécurité sociale (2017) : Dossier : la collaboration interinstitutionnelle, Sécurité sociale CHSS 3/2017.
- Maillard, Pierre-Yves (2015) : « Vaud : l’aide sociale est devenue un revenu d’insertion », dans Sécurité sociale CHSS 6/2015, pp. 334-337.
- Montemurro, Francesco ; Schmidlin, Sabina (2015) : Valutazione del Case Management Formazione professionale Ticino. Rapporto finale : www.acrossconcept.ch > Projekte.
- Voith, Dagmar (2014): «Brückenangebote brauchen Gestaltungsspielräume», dans: Ryter, Annamarie; Schaffner, Dorothee (Hg.): Wer hilft mir, was zu werden? Professionelles Handeln in der Berufsintegration; Berne: hep Verlag, p. 37.
- Kraus, Katrin (2011): «Case Management Berufsbildung», dans Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften 32 (2), p. 295.
- Dubach, Philipp; Guggisberg, Jürg; Stutz, Heidi (2009): Jeunes adultes à l’aide sociale. Les principaux résultats ; [Neuchâtel : OFS].