Jeunes et problématiques multiples : assurer un soutien efficace lors de la transition vers la formation et le monde du travail

Dorothee Schaffner, Rahel Heeg, Lalitha Chamakalayil, Magdalene Schmid
  |  05 juillet 2022
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Martin Bichsel

Les jeunes qui font face à des problématiques multiples ont besoin d’un soutien particulier dans leur cheminement vers une formation postobligatoire ou le monde du travail. Les aspects fondamentaux dont doivent tenir compte les systèmes de transition cantonaux pour proposer une aide sur mesure à ce groupe cible ont été identifiés dans le cadre d’une étude, avant d’être compilés dans un guide pratique.

En un coup d’œil

  • Les diverses offres d’aide à l’orientation professionnelle peuvent être regroupées sous le terme générique de « système de transition ». Ce système s’est développé parallèlement à celui de la formation professionnelle et contribue grandement à l’intégration des jeunes. Il se heurte toutefois à ses limites face aux problématiques multiples.
  • Les jeunes présentant des problématiques multiples ont la plupart du temps besoin de l’aide de plusieurs institutions. Afin de déployer ses effets et d’ouvrir la voie à une formation postobligatoire ou au marché du travail, cette aide doit être individualisée, axée sur les besoins et coordonnée.
  • Le succès du système de transition dépend de plusieurs facteurs : collaboration interdépartementale et interinstitutionnelle étroite et établie sur le plan structurel, offres coordonnées, conditions flexibles pour le suivi et accès facilité en sont quelques exemples. Cela requiert un développement du système aux niveaux du pilotage stratégique, de la gestion et du suivi des cas.
  • Un nouveau guide de la Plateforme nationale contre la pauvreté propose des pistes pour analyser les systèmes de transition.

Contexte

L’obtention d’un diplôme de degré secondaire II constitue le sésame pour une intégration professionnelle durable, un objectif qu’atteignent généralement 95 % des jeunes. Cela étant, les exigences de la formation professionnelle et du monde du travail se sont accrues et les filières de formation sont devenues plus complexes. Cette évolution constitue un véritable défi pour beaucoup de jeunes. En réaction, tous les cantons ont mis sur pied une offre de soutien diversifiée en vue d’accompagner la transition vers la formation postobligatoire ou vers le monde professionnel. Chaque système de transition cantonal présente ses particularités (selon la façon dont le canton a développé sa législation spécifique et exécute la législation fédérale) et est mis en œuvre par une multitude d’acteurs.

Si les offres disponibles proposent un soutien approprié à la majorité des jeunes, le système de transition présente des failles en ce qui concerne les jeunes faisant face à des problématiques multiples (voir aussi Schmidlin et al. 2018).

Pour cette raison, la Plateforme nationale contre la pauvreté a commandé une étude (Schaffner, Heeg, Chamakalayil et Schmid 2022) en vue d’analyser de façon approfondie les besoins spécifiques de ces jeunes, de fournir un aperçu de la pratique actuelle et de formuler des pistes visant à développer les systèmes de transition cantonaux.

Colloque national sur les jeunes présentant des problématiques multiples

La Plateforme nationale contre la pauvreté et la Collaboration interinstitutionnelle (CII) ont organisé, pour la première fois conjointement, un colloque sur la question des jeunes présentant des problématiques multiples, le 28 juin à Berne. L’occasion de réunir plus de 100 cadres et spécialistes de l’aide sociale, de la formation et de l’orientation professionnelle, de l’intégration sociale et professionnelle, de l’assurance-invalidité, de l’assurance-chômage, ainsi que de la CII des cantons, des villes et des communes.

Stefan Ritler, président de la CII et vice-directeur de l’OFAS, a résumé l’apport de ce colloque pour les participants en trois choses qu’ils peuvent ramener à la maison, respectivement sur leur lieu de travail :

  • Le « Guide de développement des systèmes cantonaux de transition école – formation – marché du travail » qui présente des pistes concrètes pour développer des offres de transition et des informations plus contextuelles issues notamment de l’étude (Schaffner et al. 2022), objet du présent article et présentée au colloque.
  • De nouveaux contacts grâce aux larges possibilités de rencontre au cours de la journée : exposition de posters avec cas pratiques, petites tables rondes et réseautage durant les pauses.
  • Des expériences partagées. Chacun a pu donner son point de vue ou partager son expérience sur ce qui fonctionne ou non dans son équipe, son service, son canton, etc. Cet échange au sujet des défis communs, des limites rencontrées et aussi des bonnes pratiques permet de stimuler la motivation et de trouver des pistes concrètes de solution.

Astrid Wüthrich, présidente de la Plateforme contre la pauvreté et vice-directrice de l’OFAS, a clos la journée en rappelant l’importance de « générer et de partager le savoir » dans le domaine social. Le colloque met un terme au point fort « Soutien et accompagnement des adolescents et des jeunes adultes défavorisés en vue de leur intégration sur le marché du travail » de la Plateforme nationale contre la pauvreté.

Toute la documentation du colloque se trouve sous : www.contre-la-pauvrete.ch > colloque2022 > documentation

(OFAS)

Questions étudiées 

L’étude s’est entre autres penchée sur les questions suivantes :

  • Qu’entend-on par problématiques multiples ?
  • Comment les adolescents, les jeunes adultes et les jeunes mères concernés perçoivent-ils leur situation ? Quelle forme de soutien et de suivi souhaitent-ils ?
  • Quelles sont les difficultés rencontrées par les spécialistes dans le soutien des cas complexes ? De quel appui les acteurs ont-ils besoin pour développer le système de transition ?
  • Quels sont les exemples de bonnes pratiques en matière de suivi des jeunes présentant des problématiques multiples ? Quelles caractéristiques générales peut-on déduire et reprendre de ces exemples ? Quelles sont les clés du succès pour un système de transition ?

Méthode

Afin d’apporter des réponses aux diverses questions, les autrices ont adopté une approche en regards croisés. Elles ont analysé des publications spécialisées sur les jeunes présentant des problématiques multiples et recherché des exemples de bonnes pratiques. Elles ont invité des jeunes en proie à ces difficultés à participer à trois discussions de groupe et organisé, par région linguistique, des ateliers impliquant des spécialistes de divers horizons. L’étude se penche également sur deux exemples de bonnes pratiques développés dans les cantons de Bâle-Ville et de Genève, avis de spécialistes à l’appui. Il en est ressorti différents repères pour le développement des systèmes de transition cantonaux. Le guide constitue l’aboutissement pratique de cette étude.

Qu’entend-on par problématiques multiples ?

« Je n’avais personne pour m’aider. »

(propos recueilli lors d’une discussion de groupe avec des jeunes concernés)

Le terme « problématiques multiples » est générique. Il désigne une réalité dans laquelle les personnes sont confrontées à des problèmes dans différents domaines de la vie. Ces problèmes peuvent être d’origine personnelle ou familiale, provenir de la difficulté d’accéder aux activités de loisirs ou d’ennuis avec les pairs. Ils peuvent se poser dans le contexte de l’école, de l’école professionnelle, d’une solution transitoire ou de l’entreprise de formation, ou encore résulter du manque de conseils et de suivi ou de soutien. Le contexte social et économique joue également un rôle (par ex. offre de formation insuffisante, formations inaccessibles faute de statut de séjour valide).

L’énumération des facteurs de risque montre clairement que la personne n’est pas la seule source des problèmes. Les facteurs socio-structurels et sociétaux influent aussi sur la transition vers la vie active. À ce niveau, le système de transition porte (en partie) la responsabilité d’éliminer les obstacles structurels et de viser l’égalité des chances.

Les situations problématiques évoluent différemment à mesure que les facteurs de risque se multiplient. Aspect non négligeable : les problématiques cumulées s’influencent les unes les autres et peuvent rapidement se renforcer mutuellement. Les résultats du sondage mené auprès des jeunes et des spécialistes illustrent l’importance de procéder, en cas de problématiques multiples, à une analyse approfondie portant sur l’ensemble des difficultés observées dans les différents domaines de la vie.

« Arrive le jour où tu dois faire face à une montagne de papiers administratifs. »

(propos recueilli lors d’une discussion de groupe avec des jeunes concernés)

Ces jeunes en difficulté considèrent que le système d’aide est opaque et ne mettent pas à profit les options qui leur sont proposées. Souvent, ils ne savent pas à qui s’adresser ni quelles formes de soutien sont disponibles. Il leur est difficile de faire le tri dans la grande diversité des organismes compétents. Ils se sentent bien souvent seuls face aux autorités et ne parviennent pas à gérer les aspects administratifs. Ils se trouvent ainsi confrontés à un dilemme : ils ont besoin d’aide, mais ne peuvent guère répondre aux exigences du système. Les jeunes expriment donc le souhait d’avoir un seul interlocuteur pour régler toutes les questions. Ils ont besoin d’une personne qui étudie leur situation personnelle, soit disponible dans le temps pour aborder différents thèmes et les soutienne dans la coordination des aides et la gestion des démarches administratives. En bref : un spécialiste qui s’adresse à eux tels qu’ils sont.

Logique des systèmes de transition existants et besoins de développement

Les résultats montrent que les jeunes faisant face à des problématiques multiples nécessitent une aide individualisée, axée sur leurs besoins et coordonnée, qui doit être sollicitée auprès de plusieurs institutions à différents moments et sur différents thèmes. Cela constitue un défi pour le système existant. En effet, les aides institutionnelles relevant de la formation professionnelle, de la vie active, de l’AI, de la santé ou de la migration sont axées sur un besoin spécifique ou sur le droit à des prestations données (par ex. lacune de formation, chômage, soutien financier, invalidité ou santé). Lorsque plusieurs aides doivent être combinées, les services gérant les cas se heurtent à leurs limites. Les prestataires d’offres spécialisées de suivi des cas avec lesquels collaborent ces services poursuivent, eux aussi, une mission spécifique (par ex. intégration professionnelle), laquelle les restreint de fait dans leurs possibilités de soutien. Par ailleurs, la collaboration interinstitutionnelle est encore bien souvent peu établie. Les spécialistes estiment qu’il y a lieu d’optimiser cet aspect.

À ce jour, les réflexions sur le développement des offres de soutien au niveau des transitions de l’école à la formation professionnelle (transition I) et de la formation au marché du travail (transition II) se concentrent en règle générale sur les offres destinées à des groupes cibles particuliers. Les questions de l’accès simultané à plusieurs offres, de la coordination des aides et de la collaboration interinstitutionnelle au sein du système de transition ont, jusqu’ici, été quelque peu laissées de côté. La mise à disposition d’aides axées sur les besoins dans des situations complexes constitue donc une tâche qui ne saurait être assurée au niveau des différents systèmes d’aide institutionnels eux-mêmes. Il s’agit davantage de combiner judicieusement les différentes aides.

La recherche de bonnes pratiques met en lumière la nécessité de considérer les développements à différents échelons : au niveau stratégique, la démarche consiste à décider de mettre à disposition des aides et d’instaurer la coopération interinstitutionnelle. Il en résulterait des mandats à confier au niveau de la gestion des cas et un cadre directeur pour les services de gestion et de suivi des cas. Au niveau de la gestion des cas, les services spécialisés et autres services concernés pratiquent la coopération interinstitutionnelle et coordonnent les offres de soutien au cas par cas. Au niveau du suivi des cas, en ce qui concerne les offres spécialisées de l’intégration professionnelle (et sociale), l’approche vise à accompagner et à coacher les jeunes dans la réalisation de leurs objectifs de formation.

Principes d’un soutien réussi en cas de problématiques multiples

La clé du succès pour soutenir les jeunes confrontés à des problématiques multiples réside dans deux principes généraux :

  • une analyse, des conseils et un suivi adaptés aux besoins
  • la coordination des cas par-delà les compétences institutionnelles

L’attention portée aux besoins lors de l’analyse et des conseils implique une certaine souplesse dans le temps, autrement dit des offres à durée flexible (options de prolongation si besoin est) et l’extension des offres de soutien au-delà de 25 ans. En effet, les jeunes présentant des problématiques multiples doivent aussi avoir la possibilité de suivre une formation bien au-delà de 20 ans.

La coordination des aides est par ailleurs fondamentale pour adapter le soutien aux besoins. La réglementation de la collaboration interdépartementale et interinstitutionnelle – dans le cadre des possibilités offertes par la loi – prime ainsi les réglages et adaptations ponctuels des offres individuelles.

Conclusion et recommandations

Le groupe des jeunes présentant des problématiques multiples est hétérogène, et les besoins en termes de soutien varient par conséquent d’une personne à l’autre. Le plus grand défi, à l’heure actuelle, consiste à pouvoir traiter les besoins complexes de ces jeunes en y répondant de façon individualisée et adaptée. Les cantons de Genève et de Bâle-Ville proposent chacun de relever ce défi sous un angle d’action différent.

Le succès du soutien face à des problématiques multiples entravant les transitions I et II tient à la coordination du système, qui permet une analyse, des conseils et un suivi (gestion des cas) ajustés en fonction des besoins et admet une coordination des cas par-delà les compétences institutionnelles.

Le guide élaboré sur la base de l’étude suggère, sous forme condensée, des pistes d’optimisation pour chaque niveau du système et explicite des facteurs de succès à intégrer dans le développement des systèmes de transition proposés par les cantons, les villes, les communes et les acteurs de l’intégration sociale et professionnelle.

Un système de transition conçu de la sorte permet de soutenir même les plus faibles et offre une réelle chance aux jeunes en difficulté de poursuivre leur formation et d’intégrer le marché du travail.

Bibliographie

Schaffner, Dorothee ; Heeg, Rahel ; Chamakalayil, Lalitha ; Schmid, Magdalene (2022). Unterstützung von Jugendlichen und jungen Erwachsenen mit Mehrfachproblematiken an den Nahtstellen I und II. Rapport de recherche no 2/22 (en allemand avec résumé en français). Berne : Office fédéral des assurances sociales, OFAS.

Schmidlin, Sabina ; Kobelt, Emilienne ; Caviezel, Urezza ; Allemann, Elisabeth ; Clerc, Rebecca (2018). Reduktion der Abhängigkeit von Jugendlichen und jungen Erwachsenen von der Sozialhilfe. Rapport de recherche no 7/18 (en allemand avec résumé en français). Berne: Office fédéral des assurances sociales, OFAS.

OFAS (2022). « Guide de développement des systèmes cantonaux de transition école-formation-marché du travail » sous : www.contre-la-pauvrete.ch > choix et débuts professionnels.

Pre, chargée de cours à la Haute école de travail social FHNW, Institut d’aide à l’enfance et à la jeunesse
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Dr phil., chargée de recherche, Haute école ­spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest, Institut d’aide à l’enfance et à la jeunesse.
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dipl. en psychologie, collaboratrice scientifique, Haute école de travail social FHNW, Institut d’aide à l’enfance et à la jeunesse
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Collaboratrice scientifique, Haute école de travail social FHNW, Institut d’aide à l’enfance et à la jeunesse
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