Les mesures de réinsertion favorisent la réadaptation professionnelle

Les mesures de réinsertion prévues dans la 5e révision de l’assurance-invalidité (AI) sont un instrument adéquat dans la préparation à la (ré)adaptation professionnelle. À moyen et long terme, près de 40 % des assurés parviennent à reprendre durablement une activité lucrative après avoir participé à une mesure de réinsertion.
Sabina Schmidlin, Cyrielle Champion
  |  05 mars 2021
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
  • Réadaptation

Les mesures de réinsertion ont été introduites en 2008 dans le cadre de la 5e révision de l’AI et servent à préparer les assurés à la réadaptation professionnelle. Elles s’adressent aux assurés qui présentent depuis six mois au moins une incapacité de travail d’au moins 50 % tout en conservant un potentiel de réadaptation en vue d’un retour sur le marché du travail (art. 14a al. 1 LAI). L’objectif des mesures de réinsertion est de reconstituer leur capacité de travail et de les préparer progressivement à répondre aux exigences du marché primaire. Aucune analyse approfondie des mesures de réinsertion et de leurs effets n’avait été réalisée jusqu’ici. L’évaluation commandée par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) en 2019 comble cette lacune. Elle a mis l’accent sur l’évolution des mesures de réinsertion depuis 2012 et a étudié les changements au niveau du groupe cible, de la mise en œuvre, des coûts et des effets concrets de ces mesures.

Utilisation et évolution des mesures de réinsertion en fonction des offices AI Après une phase introductive de quatre ans, les mesures de réinsertion ont été appliquées dans l’ensemble des offices AI à partir de 2012. On constate toutefois des différences dans l’évolution et l’utilisation des mesures : certains offices essaient de délivrer une décision concernant les chances de réadaptation aussi rapidement que possible et utilisent activement les mesures de réinsertion afin d’identifier et d’accompagner les assurés assez tôt dans le cours de la maladie. D’autres les proposent en premier lieu aux assurés ayant quitté le marché du travail depuis un certain temps. Ces offices utilisent les mesures de réinsertion principalement pour déterminer le degré d’endurance et la capacité de travail des assurés. Ils ont ensuite recours à d’autres types de mesures, notamment d’ordre professionnel, afin d’aider les assurés à se réintroduire dans le marché ordinaire du travail.

Le rapport entre le nombre de mesures de réinsertion nouvellement octroyées et le nombre d’assurés ayant déposé une première demande de prestation donne des indications sur le rôle de ces mesures au sein des différents offices AI. Pour neuf offices AI, ce rapport a nettement augmenté depuis 2012. Ces offices se distinguent par les caractéristiques suivantes :

  • Une part relativement élevée des mesures de réinsertion se déroule sur le marché ordinaire du travail (plus de 25 %).
  • Les taux de succès sont largement supérieurs à la moyenne : dans ces offices AI, plus de 70 % des assurés atteignent, grâce au soutien apporté par les mesures de réinsertion, une capacité de réadaptation professionnelle d’au moins 50 %.
  • Depuis 2012, les coûts par cas (sans indemnités journalières) ont soit diminué, soit très légèrement augmenté.
  • En outre, les offices AI présentant une augmentation des mesures de réinsertion nouvellement octroyées plus élevée que la moyenne (hausse de 100 % ou plus) ont en partie assoupli leur pratique d’octroi et/ou introduit des instruments de promotion de ces mesures.

Profils des assurés La composition sociodémographique et l’état de santé du groupe cible ont connu peu de changements ces dernières années : un peu plus de la moitié des personnes bénéficiant de mesures de réinsertion sont des femmes, soit 52,7 %. Plus de deux tiers (68,5 %) sont atteints d’une maladie psychique (affection principale). Leur niveau de formation est légèrement inférieur à celui de la population résidente permanente en Suisse de 15 ans et plus. Toutefois, trois quarts des assurés ont terminé une formation professionnelle ou du degré tertiaire. Une grande majorité d’entre eux travaille dans le secteur des services. Les spécialistes de la réadaptation des offices AI constatent en outre qu’ils ont de plus en plus souvent affaire à des cas complexes : plus de 80 % des assurés souffrent d’au moins une maladie concomitante à leur affection principale, et il s’agit fréquemment d’atteintes psychiques multiples. Cette comorbidité s’accompagne de plus en plus souvent de problèmes financiers, familiaux et sociaux, exigeant une coordination avec d’autres services et prestations de soutien.

Les caractéristiques sociodémographiques, l’état de santé et la situation professionnelle avant l’octroi des mesures de réinsertion ont une influence déterminante sur le succès de ces dernières. Les personnes de nationalité suisse dont l’affection principale n’est pas d’ordre psychique et qui n’ont pas quitté le monde du travail pendant plus d’une année présentent les meilleures chances de réadaptation professionnelle. Les bénéficiaires d’une rente AI en procédure de réadaptation, les personnes qui n’exerçaient pas d’activité lucrative avant le début des mesures ou qui ont quitté le monde du travail depuis plus d’une année présentent au contraire des chances nettement réduites d’atteindre cet objectif. Les taux de réussite diffèrent aussi d’un office AI à l’autre en fonction de la composition des profils des assurés : les offices pratiquant une politique d’octroi moins restrictive et qui tentent depuis 2016, voire déjà précédemment, de repérer les assurés assez tôt dans le cours de la maladie et de les accompagner par des mesures de réinsertion présentent des taux de réussite plus élevés. Les chiffres montrent également à quel point il est décisif pour la réussite de la réadaptation de commencer les mesures le plus rapidement possible après la première demande AI. En effet, lorsqu’il s’écoule plus de six mois entre cette demande et le début des mesures, les chances de succès sont divisées par deux.

Modalités de mise en œuvre et durée des mesures de réinsertion Contrairement aux années précédentes, les offices AI ont désormais tendance à octroyer plusieurs mesures de réinsertion successives ou à les prolonger. Cette nouvelle manière de faire favorise la préparation progressive à la réadaptation professionnelle. En moyenne, ils octroient deux mesures (sans prolongation) par assuré ; jusqu’à trois mesures, chaque mesure supplémentaire augmente la probabilité de succès, mais à partir de quatre, la hausse n’est plus significative. Les mesures ont les meilleures chances d’aboutir lorsqu’au moins une partie d’entre elles se déroule sur le marché ordinaire de l’emploi et que l’assuré est suivi par un coach sur le lieu de travail. La durée passée dans ce cadre augmente proportionnellement au nombre de mesures. La combinaison « classique » d’entraînement à l’endurance suivi d’un entraînement progressif dure en moyenne plus de neuf mois. Lorsque les mesures de réinsertion débutent durant la phase d’intervention précoce, les assurés ont en général recours aux mesures pendant près d’un an. Chaque mois supplémentaire augmente les chances de succès d’un facteur d’à peine 1,01.

Interruptions surtout durant l’entraînement à l’endurance Près de 20 % des mesures de réinsertion sont interrompues. En général, les assurés abandonnent déjà au cours de l’entraînement à l’endurance. C’est aussi à ce stade que les échecs sont les plus fréquents, c’est-à-dire que l’entraînement n’est suivi par aucune autre mesure de réadaptation. L’abandon est nettement plus rare lorsque la mesure prend la forme d’une réinsertion proche de la réalité économique et que l’assuré bénéficie d’un soutien sur le lieu de travail. L’écart parfois important des taux d’interruption constaté entre les cinq offices AI analysés dépend notamment de la composition des groupes cibles. Les offices AI présentant une part plus élevée d’assurés ayant cessé toute activité professionnelle depuis un certain temps ont des taux plus élevés. Les mesures de réinsertion sont avant tout interrompues en raison d’une dégradation de l’état de santé, d’une absence de progrès ou d’un manque de coopération et de motivation des assurés.

Hausse des dépenses corrélée à la hausse du nombre de cas Les dépenses liées aux mesures de réinsertion augmentent sans cesse depuis 2012, ce qui s’explique avant tout par le fait que le nombre d’assurés bénéficiant de ces mesures augmente au même rythme. Malgré l’augmentation du nombre de cas constatée jusqu’en 2018, certains offices AI ont toutefois réduit leurs dépenses. Il s’agit des offices qui ont recours aux mesures de réinsertion plus rapidement dans le cours de la maladie et qui font davantage appel aux mesures proches de la réalité économique et incluant un soutien sur le lieu de travail. Les coûts par cas (sans les indemnités journalières) n’ont pas non plus enregistré une hausse identique dans tous les offices AI. Leur montant est étroitement lié à la durée et au nombre de mesures effectuées. Le passage pour plusieurs offices AI des forfaits journaliers aux forfaits mensuels pour le financement des fournisseurs de prestations n’a eu aucune influence significative, en termes statistiques, sur l’évolution des coûts. Il s’est avéré toutefois que les forfaits journaliers offrent plus de flexibilité, notamment dans les cas complexes présentant de nombreuses absences.

Solutions transitoires et passage vers lemarché ordinaire de l’emploi En moyenne, près de deux tiers des assurés atteignent, grâce au soutien apporté par les mesures de réinsertion, une capacité de réadaptation professionnelle d’au moins 50 %. Le taux de réussite a augmenté de 9 points de pourcentage. Dans les cantons présentant un taux de chômage supérieur à la moyenne, les assurés ne prennent que rarement pied dans le marché ordinaire du travail immédiatement après avoir accompli une mesure de réinsertion et sont plutôt orientés vers une mesure d’ordre professionnel de l’AI. La manière dont les offices AI conçoivent les mesures de réinsertion influence également le choix de la solution transitoire. Les offices utilisant ces mesures pour déterminer l’endurance et développer la capacité de travail (jusqu’à 50 %) passent ensuite aux mesures d’ordre professionnel dans l’optique de renforcer cette capacité. Le succès du retour en emploi dans l’économie libre dépend avant tout de deux facteurs : d’une part, les personnes ayant interrompu leur activité lucrative durant moins d’une année avant l’octroi de la mesure de réinsertion retournent plus rapidement sur le marché du travail. D’autre part, les personnes ayant effectué leur dernière mesure de réinsertion sur le marché ordinaire du travail ont plus de chances de retrouver un poste.

Effets des mesures de réinsertion à moyen et long terme Trois ans après la dernière mesure de réinsertion, 37 % des participants sont intégrés dans le marché ordinaire du travail. Un quart des assurés perçoivent une rente AI entière et 16 % une rente partielle. En outre, 2 % sont inscrits au chômage et 9 % perçoivent l’aide sociale. Trois ans après avoir achevé la mesure de réinsertion, 10 % des assurés ne disposent ni d’un revenu d’une activité lucrative ni de prestations de la sécurité sociale (cf. graphique G1).

Conclusions et recommandations Les mesures de réinsertion se sont imposées au sein des offices AI comme instrument adéquat pour la préparation progressive à la ré­­adaptation professionnelle. En 2018, 4172 assurés ont bénéficié pour la première fois d’une mesure de réinsertion dans le cadre de la réadaptation professionnelle, ce qui correspond à une augmentation de 68,8 % par rapport à l’année 2012. Sur la même période, la probabilité d’atteindre une capacité de travail d’au moins 50 % à l’aide d’une mesure de réinsertion a augmenté de 5 points de pourcentage. À moyen et long terme, près de 40 % des assurés pourront reprendre durablement une vie professionnelle après avoir accompli une mesure de réinsertion.

Le succès de ces mesures dépend tant du profil des assurés que des modalités de leur mise en œuvre, sans compter des facteurs « mous » tels que la collaboration des acteurs, la formulation des objectifs, le choix de la mesure de réinsertion, le suivi des assurés et l’aspect social (milieu familial, etc.), qui jouent également un grand rôle dans leur déroulement.

Les auteures du rapport d’évaluation formulent dix recommandations en vue d’améliorer les mesures de réinsertion :

  • Les mesures devraient intervenir le plus tôt possible dans le cours de la maladie, tout en ayant vérifié au préalable que l’état de santé de l’assuré est stable.
  • Si des mesures de réinsertion sont mises en œuvre dans le cadre de la réadaptation d’un bénéficiaire de rente AI, il convient au préalable d’établir rigoureusement si ses chances de retourner sur le marché ordinaire du travail sont réelles. On utilisera pour ce faire d’autres instruments d’évaluation que les mesures de réinsertion.
  • Les spécialistes responsables de la réadaptation définiront les objectifs en collaboration avec les fournisseurs de prestations, les assurés et, si nécessaire, avec les médecins traitants, dans l’optique d’une gestion de cas globale et coordonnée.
  • La préparation à la réadaptation professionnelle dans le cadre d’une mesure de réinsertion se fera par étapes, à savoir que le travail est découpé en phases et que les divers types de mesures de réinsertion sont combinés de manière réfléchie. Une partie au moins de ces mesures se déroulera sur le marché ordinaire du travail.
  • Les mesures de réinsertion seront organisées selon des modèles flexibles permettant aussi d’alterner entre institutions et marché du travail ou promouvant des formes intermédiaires entre institution et employeurs du marché ordinaire, et garantissant un suivi étroit des assurés et des employeurs.
  • La circulaire concernant les mesures de réinsertion ne prévoit actuellement aucune mesure permettant de renforcer la capacité de travail de l’assuré au-delà du seuil des 50 %, bien que les mesures d’ordre professionnel et le marché du travail l’exigent en partie. Cette lacune devra être comblée.
  • Le soutien proactif des employeurs sera intensifié sous forme d’échanges réguliers, d’information transparente ou de manifestations de réseautage, par exemple.
  • Les offices AI devront renforcer la clarification globale de la situation et tenir compte des facteurs non liés à l’AI, en se coordonnant et en se mettant en rapport avec les services compétents pour ces problèmes.
  • S’agissant de la gestion des cas, il faut s’efforcer de conserver le même interlocuteur, y compris après les mesures de réinsertion. En outre, il faut particulièrement veiller à proposer des places de travail adaptées aux besoins qui correspondent aux capacités et aux possibilités des assurés.
  • Il convient également de réfléchir à la meilleure manière, pour l’AI, de soutenir et d’accompagner l’assuré sur le marché ordinaire du travail à l’issue des mesures de réinsertion, par exemple pendant le temps d’essai.
Lic. phil. I, responsable du Bureau national CII
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Docteur en administration publique, chef de projet, Socialdesign.
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