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Migration tardive : quelles conséquences pour la retraite?

De plus en plus de personnes migrantes arrivent en Suisse après l’âge de 40 ans, ce qui induit une période de cotisation réduite dans la prévoyance vieillesse. À la retraite, le choix de rester en Suisse est alors dicté par leurs capacités financières.
Philippe Wanner
  |  21 octobre 2025
    Recherche et statistique
  • Démographie
  • Migration
Une arrivée tardive en Suisse augmente la probabilité de devoir quitter le pays à l’âge de la retraite pour des motifs économiques. Aéroport de Zurich. (Shutterstock)

En un coup d’œil

  • Depuis les années 2000, la Suisse connaît une hausse marquée de la migration de travailleurs hautement qualifiés arrivant après 40 ans.
  • Cette arrivée tardive a des conséquences sur les avoirs de vieillesse des personnes originaires de l’étranger arrivant à la retraite.
  • Il existe un lien entre l’âge d’arrivée et la probabilité de quitter la Suisse à la retraite.

Entre 1980 et 2000, la Suisse enregistrait en moyenne 91 300 entrées annuelles de personnes de nationalité étrangère. Ce chiffre a atteint 157 000 durant la période 2007-2023. Cette augmentation de la migration étrangère en Suisse, observée depuis l’entrée en vigueur en 2002 de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, a des implications importantes sur les assurances vieillesse. Sur le plan macro, la migration contribue à ralentir le vieillissement démographique et contribue donc positivement au financement du 1er pilier. Toutefois, à l’échelle individuelle, elle soulève des enjeux spécifiques quant à la situation financière des personnes d’origine étrangère à l’âge de la retraite. Nous présentons ci-après quelques aspects caractéristiques de la migration internationale et leurs impacts sur les ressources financières individuelles au moment de la retraite.

Une migration de plus en plus qualifiée

La migration internationale a vu son profil se modifier profondément depuis vingt ans. Une enquête effectuée, portant sur plus de 7000 personnes d’origine étrangère arrivées en Suisse depuis 2006 (Enquête Migration-Mobility 2022) indique ainsi que 59,5% de ces personnes étaient de niveau de formation tertiaire en 2020. Cette proportion varie cependant selon la nationalité, puisque seuls 24,5% des Portugais sont dans ce cas, contre 61,5% des Allemands (Wanner et Fibbi, 2025).

Les spécificités du marché du travail suisse expliquent le développement de cette migration de personnel hautement qualifié : l’économie suisse a besoin d’un nombre croissant de compétences dans des activités tertiaires. Or, les personnes qui arrivent en Suisse pour y exercer des activités qualifiées sont la plupart du temps formées à l’étranger. En outre, elles ont souvent exercé une activité dans le pays d’origine ou dans un pays tiers avant leur arrivée en Suisse. Une migration de personnel hautement qualifié implique donc une augmentation de l’âge moyen de la population étrangère qui arrive en Suisse.  Alors qu’en 1991, les personnes âgées de 40 à 64 ans représentaient 11% de l’ensemble des personnes étrangères immigrant en Suisse, cette proportion est passée à 24% en 2023.

Durée de séjour en Suisse plus courte

Cette évolution a des conséquences sur le temps passé en Suisse pour les personnes atteignant l’âge de la retraite. Nous nous intéressons ici spécifiquement à celles nées à l’étranger (la population migrante) et âgées entre 60 et 64 ans. Fin 2023, 162 300 personnes en Suisse répondaient à ces critères, soit près du double comparativement à 2010 (85 700 personnes).

Parmi ces personnes, 6,3% étaient arrivées en Suisse avant le début de la vie professionnelle (à moins de 18 ans), 25,5 % au début de celle-ci (18-29 ans), 24,8% un peu plus tardivement (entre 30 et 39 ans), et 43,5% en deuxième moitié de vie professionnelle (40-64 ans). Pour cette dernière catégorie d’âge, la proportion observée en 2010 était de 20,5%. En d’autres termes, la proportion de personnes migrantes arrivées après 40 ans en Suisse et en âge de préretraite a doublé entre 2010 et 2023.

Cette proportion de personnes migrantes de plus de 40 ans est plus élevée encore parmi celles originaires d’un pays de l’Union européenne (52%) ou de l’Amérique du Nord (65%). Elle est plus faible pour les ressortissants de pays européens candidats à l’UE ou non membres (autour de 30%). Ces écarts selon la nationalité d’origine s’expliquent en partie par les profils de qualification : les flux de migrants hautement qualifiés sont majoritairement composés d’individus arrivant à un âge plus avancé que ceux faiblement qualifiés.

Ainsi, un nombre croissant de personnes atteignent aujourd’hui l’âge de la retraite après avoir cotisé durant une période réduite à la prévoyance vieillesse, ce qui engendre des lacunes, tant dans le 1er pilier que dans le 2e pilier (en cas absence de rachat des années de cotisation).

L’âge d’arrivée en Suisse est déterminant

Les statistiques disponibles fournissent une illustration du lien entre l’âge à l’arrivée en Suisse et la probabilité de quitter la Suisse une fois l’âge de la retraite atteint. Nous avons pris ici en compte les personnes immigrées âgées entre 60 et 64 ans révolus au 31 décembre 2018. Nous avons ensuite vérifié si ces personnes étaient toujours en Suisse cinq ans plus tard ou si elles avaient quitté le pays (voir graphique).

Hommes et femmes confondus, la proportion de départs ne dépasse pas 10% pour celles et ceux arrivés en Suisse avant l’âge de 20 ans, mais atteint 20% en cas d’arrivée en Suisse entre 45 et 50 ans, et plus de 30% en cas d’arrivée après 50 ans. Il est par ailleurs intéressant de noter que les femmes quittent moins souvent la Suisse comparativement aux hommes, quel que soit l’âge à l’arrivée. L’écart entre hommes et femmes s’explique certainement par le regroupement familial, plus fréquent chez les femmes.

Rester en Suisse à la retraite ?

Une durée de cotisation raccourcie incite un nombre croissant de personnes étrangères à s’interroger sur la possibilité de passer leur retraite en Suisse. Selon les données de l’enquête mentionnée précédemment, la moitié des personnes ayant migré en Suisse désirent y rester toute leur vie, alors que près de 40% n’ont pas encore pris de décision. Celles ayant décidé de rentrer dans leur pays sont minoritaires. Cependant, lorsqu’elles s’expriment sur la question, ces personnes relèvent la difficulté de mener à bien leur projet de vie. Comme l’indique une personne interrogée ayant dit vouloir quitter la Suisse : « J’aimerais rester en Suisse après ma retraite, mais je sais que je n’en aurai pas les moyens. Par conséquent, mon futur départ de Suisse n’est pas totalement volontaire ».

La renonciation à rester en Suisse durant la retraite est par ailleurs influencée par des évènements de vie, ainsi que l’indique un autre témoignage : « Suite à mon divorce en Suisse et à l’investissement de mon deuxième pilier dans une entreprise suisse, je n’ai plus les moyens de finir ma vie en Suisse. »

Une analyse détaillée de la situation des personnes de nationalité allemande en âge de retraite (Steiner et Wanner, 2025) confirme indirectement que les prestations des assurances sociales jouent un rôle sur l’émigration. En effet, la migration en fin de vie active est sélective : les personnes présentant les plus faibles ressources financières partent plus souvent que celles ayant des ressources importantes. Ainsi, reste en Suisse une population « sélectionnée », présentant des avoirs de retraite suffisants ou à défaut un patrimoine leur permettant d’y vivre.

Risque de précarité

L’augmentation de l’âge à la migration reflète un changement dans les besoins du marché du travail suisse. Il a des conséquences sur les avoirs de vieillesse des personnes originaires de l’étranger arrivant à la retraite. En raison des différentiels du coût de la vie entre la Suisse et la plupart des pays d’immigration, il résulte un risque de précarisation des personnes migrantes aux âges de la retraite. Le choix de rester ou non en Suisse devient alors dicté par les capacités financières au moment de la retraite.

Le fait de partir représente souvent un sacrifice pour des personnes ayant vécu une partie de leur vie active en Suisse, notamment lorsqu’elles ont constitué un réseau social après leur arrivée et plus encore lorsque leurs enfants ont grandi et se sont insérés dans la société suisse. Mais le choix de rester ou de quitter la Suisse n’est pas donné à tout le monde. Pour les ressortissants de plusieurs pays, le retour au pays peut être rendu difficile par la situation politique ou d’autres aspects sécuritaires.

Ces éléments représentent des défis pour la sécurité sociale, dans le sens où ils peuvent mener à une précarité accrue des personnes retraitées issues de la migration. Compte tenu du nombre croissant de personnes ayant passé une grande partie de leur vie à l’étranger et arrivant aux âges de la retraite, cette problématique devrait être thématisée dans le cadre de la réforme de l’AVS.

Bibliographie

Wanner Philippe, Fibbi R. (eds). 2025. Paysage migratoire au XXIe siècle en Suisse.

Steiner I., Wanner P.  2025. Caractéristiques socio-économiques de la population allemande en Suisse. In. Wanner P., Fibbi R. (eds). Paysage migratoire au XXIe siècle en Suisse ; 185-204.

Professeur ordinaire à l’Institut de démographie et socioéconomie, Université de Genève
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