En Suisse, les jeunes veulent être entendus et pris au sérieux en politique. Pour qu’elles et ils s’impliquent activement, il faut leur en faciliter l’accès et leur permettre de participer aux décisions.
En un coup d'œil
- Une étude mandatée par la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) a analysé la participation politique des jeunes en Suisse.
- Les jeunes de notre pays s’engagent déjà de diverses manières en politique, mais ils sont d’avis qu’il faut éliminer certains obstacles.
- Un potentiel de changement réside également dans le regard que la politique et la société portent sur les jeunes.
La démocratie est plus qu’un mode de gouverner : le philosophe et pédagogue américain John Dewey la considère comme une manière de vivre ensemble, le partage d’une expérience de vie commune (Dewey 2011, p. 121 dans le texte allemand). Sans renier l’importance de la démocratie pour garantir le respect des droits du peuple, un facteur déterminant est, au final, l’expérience que chaque individu fait de la démocratie et de sa participation à celle-ci.
Traduit en termes de participation à la vie politique, ce constat signifie que les jeunes doivent pouvoir faire l’expérience de la démocratie. Selon la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU, les enfants et les jeunes ont droit à la participation (Reitz 2015). Ce droit est d’autant plus important qu’ils ne bénéficient pas des mêmes droits à la participation que les adultes, ce qui leur rend l’acquisition de compétences démocratiques plus difficile. L’absence de telles compétences peut être un obstacle à la participation politique à l’âge adulte (Wittwer 2015).
Le point de vue des jeunes
Qu’entendent les jeunes par participation politique ? Quels sont les prérequis pour qu’ils participent à la démocratie et quelles formes de participation sont adaptées à leur âge ? Dans une étude mandatée par la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ), la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW) et le bureau d’étude Econcept, ont tenté, en collaboration avec la Haute école de travail social de Fribourg (HES-SO) et la Haute école spécialisée de la Suisse italienne (SUPSI), de répondre à ces questions (Nef et al., 2022). L’étude aborde en premier lieu les formes de participation politique chez les jeunes. Puis, elle cherche à expliquer les raisons pour lesquelles les jeunes s’engagent – ou non – en politique, et également à définir quels facteurs les y encouragent ou au contraire les découragent. Enfin, elle présente les potentiels de changement susceptibles de motiver les jeunes à s’engager davantage.
Modèle de recherche participatif
Entre septembre 2021 et septembre 2022, les problématiques de la participation politique ont fait l’objet d’observations tant du point de vue des jeunes que de celui de la littérature spécialisée et des professionnels du domaine. Le projet a été conçu de manière participative et modulaire, avec des méthodes de collecte des données qualitative et quantitative, les connaissances acquises à chaque étape venant étayer les observations de l’étape suivante.
Dans un premier temps, une analyse de la littérature a permis de faire un état des lieux et de dresser un inventaire des formes de participation politique. Puis, une série d’entretiens ont été menés avec une dizaine de spécialistes du domaine. Cinq barcamps ont suscité l’intérêt de 102 participants entre 12 et 27 ans, leur permettant de s’impliquer à un stade précoce du projet. Ils ont également permis de recueillir des intérêts, points de vue et expériences, et de générer des impulsions (Marquardt und Gerhard 2019). Les enseignements tirés ont été validés et approfondis au cours de dix discussions de groupe impliquant 59 jeunes. Par ailleurs, environ 800 jeunes ont répondu à l’enquête en ligne. Enfin, sept jeunes ont approfondi les résultats de l’étude dans le cadre d’un comité consultatif organisé en téléconférence.
Cet article se concentre sur les potentiels de changement. En effet, il ne s’agit pas seulement d’inciter les jeunes à davantage de participation, mais de responsabiliser l’ensemble de la société.
Facteur déclencheur et motivation
L’étude a mis en lumière la grande diversité des formes de participation des jeunes. La notion de participation a été explicitement élargie bien au-delà de son volet institutionnel (comme le vote) pour inclure diverses formes non-institutionnelles, telles que l’implication de jeunes dans les sections jeunes des partis politiques, les parlements de jeunes ou les mouvements activistes. Elles englobent également certaines activités de la sphère privée (famille, cercles d’amies et d’amis, clubs et réseaux sociaux). Selon cette conception, la participation politique peut en principe avoir lieu dans toutes les situations et dans tous les domaines de la vie.
Mais la question reste entière : qu’est-ce qui motive les jeunes à s’engager en politique ? Pour beaucoup, c’est une impulsion. À titre d’exemple, un jeune participant au focus group du Conseil des jeunes du Tessin a expliqué qu’en quatrième année, il avait vu une annonce sur le tableau d’affichage de l’école : « Mi sono reso conto che non sono maggiorenne ma posso fare qualcosa, mi sono detto ’perché non tentare, perché non far valere anche la mia voce ? ’ ». L’annonce lui a fait réaliser qu’il pouvait faire quelque chose, même s’il n’était pas encore majeur. Ce jeune s’est demandé : « Pourquoi ne pas essayer de donner mon avis (en politique) ? ».
Les expériences que font les jeunes jouent un rôle déterminant pour maintenir leur motivation sur le long terme. Les facteurs essentiels dans ce processus sont la reconnaissance personnelle et le sentiment d’auto-efficacité. Les jeunes s’engagent en politique lorsqu’ils s’y sentent reconnus, écoutés et pris au sérieux. L’enquête en ligne a montré que 84 % des personnes actives en politique le sont parce que « la politique nous concerne tous ». 83 % d’entre elles participent à la vie politique car elles veulent façonner l’avenir de leur génération. Par ailleurs, trois quarts des sondés affirment vouloir « s’engager davantage » (voir graphique).
Obstacles à l’engagement politique
Selon les jeunes, tout changement doit viser en priorité un certain nombre d’obstacles en lien avec l’âge, le milieu social, la formation, les connaissances linguistiques et la nationalité qui empêchent encore les jeunes de s’engager en politique. Il est possible d’en déduire quatre axes prioritaires pour encourager la participation politique des jeunes :
- Tout d’abord, un meilleur accès à la citoyenneté permettrait de réduire les barrières socio-économiques et éveillerait l’intérêt des jeunes. Ce constat rejoint les conclusions de la littérature qui souligne l’influence du contexte familial (cf. Zamora et al. 2020) et considère l’intérêt politique, étroitement lié au niveau de formation, comme une condition préalable à la participation (cf. Lussi et al. 2019, et Beyeler et al. 2015).
- En deuxième lieu, il faut faciliter l’accès aux offres, par exemple, au moyen de canaux numériques. Les offres conventionnelles et institutionnalisées sont souvent trop éloignées des réalités des jeunes.
- Troisièmement, il faut respecter le souhait des jeunes qui ne veulent pas être impliqués pour des motifs de légitimation. Leur revendication est d’obtenir de véritables possibilités de participation politique, qui les encouragent et les confortent. Il s’agit donc de sensibiliser le monde des adultes pour que soient aménagés des espaces de participation politique adaptés à la jeunesse.
- Quatrièmement, il faut développer les droits de codécision démocratique et faire en sorte qu’ils soient moins liés à l’appartenance nationale et à l’âge. Nombre de jeunes ne sentent actuellement pas représentés en politique, ils aimeraient voir sur la scène politique des jeunes qui leur ressemblent parler en leur nom.
Quant aux droits de participation, une certaine divergence est apparue entre la littérature et les opinions des jeunes impliqués concernant l’âge d’octroi du droit de vote. Les jeunes affirment en effet que les possibilités de participation ont un effet motivant et peuvent susciter en eux l’envie de s’engager. Si l’on prend au sérieux la question de l’engagement des jeunes en politique, le débat sur l’abaissement de l’âge du droit de vote est incontournable. D’autres études menées en Suisse concluent en revanche qu’un abaissement de l’âge du droit de vote n’aurait à lui seul que peu d’effet, ou seulement un effet à court terme (par ex. Dermont 2021).
Corrélations entre facteurs
Comme déjà en partie évoqué, l’intérêt personnel, les circonstances personnelles, l’existence d’un engagement ou d’une expérience où les jeunes ont eu le sentiment de pouvoir changer les choses (et en particulier, son propre avenir) sont d’importants facteurs de motivation.
Aux facteurs de motivation isolés semblent s’ajouter les interactions entre les différents facteurs : quiconque a davantage de connaissances en politique est plus susceptible de s’y intéresser et de s’informer, ce qui renforce à son tour la compréhension et l’intérêt pour la politique. Il convient également de souligner que, dans ce contexte, les modèles de participation étudiés reflètent les structures sociales : le sexe, la nationalité et la classe sociale, par exemple, peuvent influencer l’intérêt politique, la confiance en soi et le degré de participation. Ainsi, les participants soulignent l’importance de l’exemple de parents actifs en politique, qui votent ou discutent de manière animée de sujets politiques à la maison.
La question de la participation des jeunes en politique s’inscrit dans le contexte de la société tout entière. Le milieu social (y compris l’école), les prestataires d’offres de participation et les décideurs sont notamment appelés à éliminer les obstacles à l’accès à la politique pour les jeunes. Dans cette optique, il faut prendre en compte la légitimité des attentes des jeunes et adapter l’offre en conséquence. En effet, ni les jeunes dans leur ensemble, ni les sous-groupes qui les constituent (en fonction de l’âge, du sexe ou de la nationalité) ne sont homogènes.
Mieux cibler son objectif
Si l’accent est mis sur les exclusions et les discriminations plutôt que sur le manque de ressources ou le manque de socialisation des jeunes, il sera possible d’analyser les défis spécifiques comme la participation politique des jeunes atteints dans leur santé. De la même manière, il faudrait examiner dans quelle mesure le refus d’intégrer complètement les jeunes issus de la migration empêche leur participation politique ou suscite des formes alternatives de participation qui, par exemple, revendiquent ou refusent l’intégration de manière démonstrative.
Les facteurs d’inégalité tels que le milieu social ou le contexte de la migration sont souvent étroitement liés entre eux. Par ailleurs, les débats menés actuellement dans la littérature et la pratique portant sur les jeunes ayant un accès limité à l’éducation et une participation politique restreinte reproduisent les schémas de discrimination fondés sur l’appartenance à une classe sociale en les amplifiant parfois. Ces schémas, en lien avec la scolarisation et la formation, ayant un impact direct sur les formes et le degré de participation, sont encore souvent évincés, même dans les débats les plus critiques. Une importance toute particulière doit être accordée à l’interdépendance entre travail et participation politique : les jeunes qui entrent dans le monde du travail ou qui suivent un apprentissage à la fin de leur scolarité obligatoire ont souvent moins de temps à consacrer à la politique que ceux qui entrent au lycée ou font des études (cf. Honneth 2021).
S’y ajoutent les conséquences du système éducatif : de nombreux jeunes éprouvant des difficultés scolaires souffrent souvent d’un sentiment d’infériorité (Wellgraf 2018). En raison d’expériences scolaires négatives et de remarques péjoratives de la part des enseignantes et des enseignants ou de leurs camarades de classe, ils ont souvent le sentiment de ne pas être capables de comprendre la politique et ne s’y intéressent donc pas. C’est pour cette raison que le lien entre travail, éducation et participation est à examiner plus en profondeur, en tenant compte des réalités de la vie des jeunes.
Encourager la participation
En résumé, les mesures visant à encourager la participation des jeunes ne devraient pas se concentrer sur le fait de changer le comportement des jeunes mais plutôt à poser un regard critique sur la vision prédominante qu’ont le monde politique et la société sur les jeunes.
Pour augmenter leur motivation, il faut encourager les jeunes à participer à la vie politique. Dans le même temps, il faut reconnaître la diversité des pratiques de participation politique des jeunes. Ces enseignements pourraient déboucher sur des innovations sociales et institutionnelles.
Bibliographie
Beyeler, Michelle; Bütikofer, Sarah; Stadelmann-Steffen, Isabelle (2015). Ma Suisse et moi. Enquête menée auprès des jeunes de 17 ans résidant en Suisse Aspects de la sécurité sociale.
Dermont, Clau (2021). 50 ans de suffrage féminin et 30 ans de droit de vote à 18 ans : 17 Politique. OFS.
Dewey, John (2011). Démocratie et éducation, Introduction à la philosophie de l’éducation, 5e édition Weinheim : Belz.
Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse CFEJ (2020) : Droit de vote à 16 ans : renforcer et accompagner la participation. Prise de position. Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ).
Honneth, Axel (2021). Arbeit muss die politische Willensbildung fördern. Tiré de : Philosophie Magazin (en allemand) 05/2021, 11–12.
Lussi, Isabella ; Huber, Stephan Gerhard ; Cattacin, Sandro (2019). Politische Partizipation in der Schweiz (résumé en français). Tiré de : Huber, Stephan Gerhard (éds.). Young Adult Survey Switzerland, vol. 2. Berne : BBL / OFCL / UFCL, 77–83.
Nef, Susanne ; Gisiger, Jasmin ; Frigo Charles, Olivia ; Gertel, Ethan ; Pizzera, Michele ; Suppa, Anna ; Streckeisen, Peter (2022). Rapport de recherche : « Formes de participation politique et motivation des jeunes à s’engager » Étude mandatée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 15/22, Berne : OFAS.
Wellgraf, Stefan (2018). Schule der Gefühle. Zur emotionalen Erfahrung von Minderwertigkeit in neoliberalen Zeiten. Bielefeld: transcript.
Wittwer, Stefan (2015). Politische Partizipation von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz. Definition des Begriffs «Partizipation» und Bedürfnisanalyse über die politische Partizipation von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz. Berne : CSAJ.
Zamora, Patrik ; Schafroth, Carol ; Röder, Claudia (2020). Die politische Bildung in der Schweiz. Zurich : Fondation Anny-Klawa-Morf.