Réforme de la prévoyance professionnelle : à bout touchant

La réforme de la prévoyance professionnelle (réforme LPP) est sous toit. Elle pérennise le financement du 2e pilier et améliore la couverture des personnes à temps partiel ou avec de bas revenus.
Silvia Basaglia, Jean-François Rudaz
  |  30 mai 2023
    Droit et politique
  • Prévoyance professionnelle
La réforme LPP fait augmenter le nombre de femmes qui disposent d’un deuxième pilier. (Alamy)

En un coup d’œil

  • La prévoyance professionnelle fait face depuis plusieurs années aux défis posés par l’augmentation de l’espérance de vie et l’insuffisance du rendement des placements.
  • La réforme prévoit d’abaisser le taux de conversion minimal de 6,8 % à 6,0 % en une seule étape.
  • Afin de maintenir le niveau des prestations légales, l’épargne sera renforcée. Les assurés plus proches de la retraite vont également recevoir, sous certaines conditions, un supplément de rente.

Après le rejet aux urnes de la réforme Prévoyance vieillesse 2020 en septembre 2017, les partenaires sociaux ont été invités par le Conseil fédéral à présenter un projet commun de réforme du 2e pilier. Le compromis a été présenté durant l’été 2019 par l’Union patronale suisse, l’Union syndicale suisse et Travail.Suisse.

Reprenant les grandes lignes de ce compromis, le Conseil fédéral a transmis en novembre 2020 au Parlement le message sur la réforme de la prévoyance professionnelle (« Réforme LPP 21 »). Le 17 mars 2023, après plus de deux ans d’intenses débats, les deux chambres ont adopté à une large majorité la « Réforme de la prévoyance professionnelle », le Parlement ayant décidé de la renommer.

La prévoyance professionnelle est confrontée depuis plusieurs années au double défi que posent l’augmentation de l’espérance de vie et l’insuffisance du rendement des placements. Des propositions de réforme pour y faire face ont déjà été rejetées à deux reprises, en 2010 et en 2017. La troisième tentative qui vient d’aboutir au Parlement vise à assurer le financement de la prévoyance professionnelle et, en même temps, garantir le niveau des rentes et améliorer la couverture des personnes avec des bas revenus ou travaillant à temps partiel.

Taux de conversion : le défi de verser les rentes

Le taux de conversion minimum actuellement en vigueur est de 6,8 % pour la partie obligatoire du 2e pilier. Ce taux nécessite une espérance de vie constante et un rendement d’au moins 5 % pendant toute la durée de versement des rentes. Or, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter et, depuis le début de ce millénaire, les rendements sur les marchés financiers ont été en moyenne nettement inférieurs à l’objectif de 5 %.

Il s’est ainsi créé au cours des dernières années pour les institutions de prévoyance proches du minimum légal un déséquilibre entre les prestations à verser et leur financement. Les rentes déterminées avec un taux de conversion de 6,8 % sont trop élevées par rapport au rendement effectivement obtenu. Ceci entraîne une redistribution d’une partie des rendements sur le capital des assurés actifs au profit des rentiers, ainsi qu’un affaiblissement de la situation financière de ces institutions (voir encadré).

Caisses de pension inégalement concernées

Entre caisses de pension assurant le minimum légal ou qui sont proches de ce minimum et celles qui assurent des prestations dans l’assurance surobligatoire, l’acuité du problème d’un taux de conversion trop élevé peut varier.

La prévoyance obligatoire couvre les salaires compris entre le seuil d’entrée (actuellement 22 050 francs) et la limite supérieure (88 200 francs). De nombreuses institutions de prévoyance assurent cependant la part de salaire qui dépasse la limite supérieure et versent des prestations plus élevées que le minimum requis par la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Ces caisses dites « enveloppantes » ont réduit massivement leur taux de conversion ces dernières années puisqu’elles disposent d’une grande marge de manœuvre par rapport aux prestations minimales obligatoires.

La réduction du taux de conversion minimal n’aura donc généralement peu voire aucun impact sur les institutions de prévoyance enveloppantes et leurs assurés. Mais elle permettra de diminuer la pression financière sur les caisses proches du minimum LPP.

Maintenir le niveau des rentes 

La réforme prévoit d’abaisser le taux de conversion minimal de 6,8 % à 6,0 % en une seule étape. Cette diminution permettra aux institutions de prévoyance concernées d’alléger la pression financière liée à un taux de conversion trop élevé et de réduire le phénomène de redistribution qui pénalise les assurés actifs.

Abaisser ainsi le taux de conversion sans mesures de compensation conduirait à une réduction des rentes des futurs retraités de l’ordre de 12 %. Afin de maintenir le même niveau des rentes avec un taux de conversion de 6 %, la réforme renforce l’épargne à long terme : cela permet aux assurés des générations plus jeunes d’atteindre la retraite avec un avoir de prévoyance supérieur par rapport aux montants actuels. Les mesures prises présentent également l’avantage d’améliorer la prévoyance des personnes à temps partiel et/ou et qui ont des bas revenus. Il s’agit de :

  • Diminuer le seuil d’accès à 19 845 francs, soit le 90 % du montant actuel. Grâce à cette mesure, 70 000 personnes seront nouvellement assurées dans le 2e pilier.
  • Passer d’une déduction de coordination fixe de 25 725 francs à une déduction proportionnelle de 20 % du salaire AVS. Le salaire coordonné s’élèvera ainsi à 80 % du salaire AVS, ce qui représente une meilleure couverture des premières tranches de salaires.
  • Simplifier les bonifications de vieillesse : 9 % entre 25 et 44 ans et 14 % à partir de 45 ans. Il n’y aura plus que deux groupes d’âges à la place des quatre groupes actuels avec disparition des surcoûts pour les assurés de 55 ans et plus.

Mesures pour la génération transitoire

Ces mesures pour renforcer l’épargne vieillesse déploieront leurs effets à long terme. Pour les assurés qui partent à la retraite ou bénéficient d’une nouvelle rente d’invalidité dans les premières années après l’entrée en vigueur de la réforme, le renforcement de l’épargne ne pourra pas compenser de manière suffisante la diminution du taux de conversion. Des mesures de compensation pour la génération transitoire avec un effet immédiat sont donc nécessaires pour éviter à ces assurés une baisse de leur rente.

La réforme prévoit un supplément de rente pour les assurés appartenant à la génération transitoire (assurés âgés entre 50 et 65 ans au moment de l’entrée en vigueur). Le montant de ce supplément dépend de l’année de naissance et de l’avoir de prévoyance. Les assurés avec un avoir de prévoyance inférieur à 220 500 francs auront droit à la totalité du supplément. Ceux avec un avoir de prévoyance supérieur à 441 000 n’auront droit à aucun supplément et les assurés avec un avoir de prévoyance compris entre ces deux montants auront droit à un supplément partiel.

Le supplément de rente complet est de 2400 francs par année pour les assurés qui partent à la retraite à l’âge ordinaire ou qui bénéficient d’une nouvelle rente d’invalidité les 5 premières années après l’entrée en vigueur de la réforme ; il est de 1800 francs pour les 5 cohortes suivantes et de 1200 francs pour les 5 dernières. Le droit au supplément s’éteint au décès du bénéficiaire de la rente de vieillesse ou d’invalidité, un éventuel conjoint survivant n’ayant pas droit à ce supplément.

Financement des suppléments de rentes

Les institutions de prévoyance doivent financer les suppléments de rentes en appliquant la méthode de la capitalisation.

Une partie du montant nécessaire sera financée par des subsides du Fonds de garantie, qui prélèvera chaque année des cotisations auprès de toutes les institutions de prévoyance inscrites à la loi fédérale sur le libre passage. Le reste devra être financé par les propres moyens des institutions de prévoyance.

Chaque institution de prévoyance dispose de la liberté opérationnelle en ce qui concerne les sources de financement pour couvrir la cotisation au Fonds de garantie et la part à sa charge des suppléments de rentes. Elle peut par exemple les porter à la charge de chaque exercice, les financer par des cotisations spécifiques paritaires ou par dissolution de provisions techniques qui ne seraient plus nécessaires.

Autres améliorations prévues

La réforme a prévu plusieurs autres améliorations. Notamment, les possibilités de maintenir l’assurance pour les assurés licenciés à partir de 58 ans seront élargies. Ces assurés pourront désormais laisser leur prestation de libre passage dans l’institution de prévoyance, en s’acquittant uniquement du paiement d’une cotisation pour couvrir les frais administratifs.

Il sera en outre possible de recevoir en espèces la prestation de libre passage, si ce montant est inférieur à 2000 francs.

Coûts de la réforme

Les coûts annuels supplémentaires pour le renforcement de l’épargne et pour les suppléments de rentes s’élèveront en moyenne à 2,1 milliards de francs par année pendant une durée de 15 ans.  

Le peuple aura sans doute le dernier mot, puisqu’un référendum a été lancé fin mars par la gauche et les syndicats. Le délai pour la récolte des signatures est fixé au 6 juillet 2023 et la votation populaire aura vraisemblablement lieu, le cas échéant, au printemps 2024. Il en résulte que la date d’entrée en vigueur de la réforme n’a pas encore été fixée.

Dr. ès. sciences Actuarielles, experte en prévoyance professionnelle, responsable Financement de la prévoyance professionnelle, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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Sociologue, Financement de la prévoyance professionnelle, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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