Rente complémentaire pour enfant : situation économique des bénéficiaires de rente AVS et AI

Quiconque perçoit une rente AVS ou AI du 1 pilier et a des enfants mineurs ou des enfants majeurs en formation ayant besoin de soutien a droit à une rente complémentaire pour enfant. Malgré cela, le risque de grandir dans un milieu économiquement défavorisé est plus élevé pour ces enfants que pour ceux de parents qui ne perçoivent pas de rente.
Jürg Guggisberg
  |  23 décembre 2019
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
  • Assurance-vieillesse et survivants

Le rapport que le Bureau BASS a réalisé à ce sujet sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) examine deux questions : d’une part, combien d’enfants et de jeunes adultes vivent en Suisse dans différents types de situation familiale et budgétaire, et combien d’entre eux ont des parents qui perçoivent une rente de l’AVS ou de l’AI complétée par une rente pour enfant. D’autre part, dans quelle situation économique vivent les enfants qui donnent droit à une rente et dans quelle mesure les rentes pour enfant du 1er pilier ainsi que de la prévoyance professionnelle ont une influence.

Le postulat de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États du 14 novembre 2016 (16.3910 « Rentes pour enfant du premier pilier. Analyse approfondie ») chargeait le Conseil fédéral d’analyser la situation économique des bénéficiaires de rentes pour enfant, de se pencher sur la pratique suivie lors de l’examen des conditions d’octroi, ainsi que sur la question de l’exportation des rentes pour les enfants recueillis (rentes pour enfant de l’AVS et de l’AI et rentes d’orphelin), et d’en rendre compte dans un rapport. Le présent article ne porte que sur l’analyse de la situation économique des bénéficiaires. Les résultats obtenus sur les autres points étudiés en réponse à ce postulat ont été publiés dans le message relatif à la stabilisation de l’AVS (AVS 21).

Données utilisées Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont pu recourir au jeu de données de synthèse intitulé « Wirtschaftliche Situation der Personen im Erwerbs- und im Rentenalter » (WiSiER), encore en phase de constitution au début des travaux. Cet instrument comprend des informations fournies par la Statistique de la population et des ménages (Statpop), par différents registres de la Centrale de compensation (CdC), par un relevé structurel, ainsi que par les données fiscales de onze cantons (AG, BE, BL, BS, GE, LU, NE, NW, SG, TI et VS). L’analyse de la situation économique des « unités de soutien » (pour la définition de ce terme, voir ci-dessous, « Capacité économique ») se limite donc à ces onze cantons. Par rapport à l’ensemble des bénéficiaires de rente domiciliés en Suisse, le taux de couverture est d’environ 43 %. Globalement, les résultats obtenus peuvent être considérés comme représentatifs de la Suisse, quoique les parents vivant séparés soient légèrement sous-représentés dans l’échantillon analysé, et les parents vivant ensemble, légèrement surreprésentés. L’année de référence est 2015.

Enfants donnant droit à une rente et bénéficiaires Sur 1000 enfants et jeunes adultes jusqu’à 24 ans, 7 donnent droit à une rente pour enfant de l’AVS et 27 à une rente pour enfant de l’AI. Dans l’AVS, il s’agit bien plus souvent de jeunes adultes (12 sur 1000) que de mineurs (4 sur 1000). Dans l’AI, cette différence est bien plus faible (respectivement 25 et 28 sur 1000).

Les quelque 100 000 rentes pour enfant octroyées le sont pour un peu moins de 96 000 enfants, ce qui signifie que, dans un peu plus de 4000 cas, les deux parents touchent une rente pour le même enfant. Ces rentes sont versées à quelque 68 000 bénéficiaires au total, ce qui représente en moyenne 1,5 rente par bénéficiaire. La moyenne est légèrement inférieure dans l’AVS (1,3) que dans l’AI (1,6) ; la part des bénéficiaires ayant plusieurs enfants qui donnent droit à une rente est en outre nettement plus élevée dans l’AI (40 %) que dans l’AVS (25 %).

Un quart environ du total de ces rentes est versé en complément de rentes de l’AVS, et trois quarts en complément de rentes de l’AI. Au total, 20 % des rentes pour enfant vont à des bénéficiaires résidant à l’étranger ; cela concerne 33 % des rentes pour enfant de l’AVS et 15 % de celles de l’AI. Le montant moyen des rentes pour enfant versées à l’étranger (390 francs) est nettement inférieur à celui alloué aux bénéficiaires domiciliés en Suisse (770 francs). Dans l’AVS en particulier, il en résulte que, bien qu’un tiers des rentes pour enfant soient versées à l’étranger, les dépenses afférentes ne représentent que 20 % des dépenses totales au titre des rentes pour enfant.

Parmi les bénéficiaires de rente pour enfant de l’AI, les personnes présentant une infirmité congénitale sont nettement sous-représentées, c’est-à-dire qu’elles ont moins souvent des enfants qui donnent droit à une rente que celles dont l’invalidité est due à une maladie ou à un accident. Les bénéficiaires d’une rente de l’AI atteints dans leur santé psychique sont légèrement surreprésentés (près de 50 %), et ceux qui sont atteints d’une maladie non psychique ou qui subissent les séquelles durables d’un accident, légèrement sous-représentés (44 %). Au regard de la quotité de la rente, les bénéficiaires d’une rente AI partielle (quart de rente, demi-rente ou trois-quarts de rente) ont un peu plus souvent des enfants qui donnent droit à une rente que les bénéficiaires d’une rente entière. Globalement, un bénéficiaire de rente AI sur cinq perçoit au moins une rente pour enfant.

Capacité économique L’étude présentée ici n’est pas focalisée sur la question de savoir combien il y a de rentes pour enfant, d’enfants donnant droit à une rente et de bénéficiaires de rente pour enfant, et dans quelle situation familiale et budgétaire ceux-ci vivent, mais sur celle de savoir dans quelles conditions économiques ces enfants grandissent. Pour y répondre, chaque enfant donnant droit à une rente a été attribué à une unité de soutien, composée de l’enfant, du ou de la bénéficiaire de la rente pour enfant et du second parent, pour autant que celui-ci ne réside pas ­à l’étranger ou ne soit pas décédé. Si le père et la mère ne vivent pas dans le même ménage, le nouveau ou la nouvelle partenaire éventuel(le) est aussi considéré(e) comme faisant partie de l’unité de soutien. Si le second parent vit à l’étranger ou est décédé, l’unité de soutien comprend l’enfant et le ou la béné­ficiaire de la rente pour enfant, ainsi que, le cas échéant, le nouveau ou la nouvelle partenaire. Les analyses n’ont porté que sur les personnes soutenues qui avaient leur domicile légal et leur domicile fiscal principal dans un des onze cantons ayant mis leurs données fiscales à la disposition des chercheurs. Pour toutes les unités de soutien, il a été possible de calculer un revenu équivalent qui permet de représenter la situation économique des enfants et jeunes adultes concernés dans des unités de diverses tailles, et de comparer entre elles les situations respectives.

Les résultats obtenus révèlent une image nuancée de la situation économique dans laquelle vivent, en Suisse, ces enfants et jeunes adultes (cf. graphique G1). Il est apparu que trois dimensions jouent, à cet égard, un rôle déterminant.

  • Tout d’abord, il existe des différences relativement importantes entre mineurs et jeunes adultes, différences nettement plus marquées dans les unités de soutien percevant une rente de l’AVS que dans celles au bénéfice d’une rente de l’AI.
  • Ensuite, la différence de situation économique est très nette entre les unités de soutien percevant une rente pour enfant de l’AVS et celles au bénéfice d’une rente pour enfant de l’AI.
  • Enfin, on observe des différences très nettes entre les enfants suisses et les enfants de nationalité étrangère.

Dans l’ensemble, les enfants mineurs donnant droit à une rente sont nettement plus nombreux en proportion à vivre dans des unités de soutien à faible capacité économique que les mineurs vivant avec des parents qui ne perçoivent aucune rente du 1er pilier et n’ont donc pas droit à une rente pour enfant (soit 96,6 % de l’ensemble des enfants). Il apparaît ainsi que, parmi les unités de soutien avec enfants mineurs donnant droit à une rente pour enfant de l’AI, le quartile le moins favorisé dispose au maximum d’un revenu équivalent d’environ 32 000 francs. Pour les mineurs donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS, cette limite se situe à 36 100 francs et, pour le groupe témoin ne percevant aucune rente pour enfant, à 41 100 francs. Ces résultats se réfèrent exclusivement à des enfants suisses. En effet, il n’existe pas de groupe témoin pour les enfants étrangers vivant en Suisse, car les données disponibles ne renseignent pas suffisamment sur la situation de leurs parents.

Les différences sont un peu moins marquées en ce qui concerne les jeunes adultes, les analyses n’étant toutefois possibles, là aussi, qu’avec les unités de soutien de nationalité suisse. Le quartile le moins favorisé des unités avec jeunes adultes suisses de 18 à 24 ans donnant droit à une rente pour enfant de l’AI dispose au maximum d’un revenu équivalent d’environ 32 600 francs. Dans l’AVS, cette limite se situe à 40 000 francs et, pour le groupe témoin des parents actifs ne percevant pas de rente, à 43 700 francs.

Dans les deux groupes d’âge il y a, proportionnellement, davantage d’enfants et de jeunes adultes donnant droit à une rente qui vivent dans des unités de soutien à capacité économique modeste que ce n’est le cas pour les enfants de parents qui tous deux sont actifs et ne perçoivent pas de rente.

Il est à noter que chez les jeunes adultes de 18 à 24 ans donnant droit à une rente, les disparités en termes de revenu sont nettement plus marquées entre les unités de soutien lorsque les parents perçoivent une rente de l’AVS. Ainsi, parmi les unités de soutien avec jeunes adultes donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS, il y a davantage d’unités dont la capacité économique est modeste, mais aussi davantage d’unités provenant d’un milieu à capacité économique relativement importante. Tel n’est pas le cas dans l’AI.

S’agissant de la situation des enfants de nationalité étrangère donnant droit à une rente, il n’est pas possible de former un groupe témoin d’enfants étrangers donnant droit à une rente et dont les deux parents sont en âge de travailler, car les données disponibles ne fournissent que très peu d’informations sur les identités des familles étrangères. On peut néanmoins constater que, dans tous les groupes considérés, les enfants étrangers qui donnent droit à une rente grandissent dans un milieu dont la capacité économique est nettement plus faible que ce n’est le cas pour les enfants suisses donnant droit à une rente.

Conclusion Les résultats de l’étude montrent que les rentes pour enfant des 1er et 2e piliers jouent un rôle important pour une relativement forte proportion des enfants concernés. Elles contribuent à réduire les différences de revenu entre unités de soutien bénéficiaires de rentes de l’AVS et de l’AI avec enfants et unités de soutien dans lesquelles les parents ne perçoivent pas de rente du 1er pilier. Sans les rentes pour enfant, le pourcentage d’enfants et de jeunes adultes contraints de grandir dans un milieu économiquement modeste serait plus élevé. Étant donné que, comme l’a très clairement montré un rapport d’experts du Conseil suisse de la science (2018), l’impact d’un milieu à faible capacité économique est négatif sur la carrière scolaire de l’enfant dès le niveau secondaire I, les rentes pour enfant contribuent aussi à ce que les inégalités sociales existantes tendent moins à se reproduire.

Sociologue et économiste, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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