En un coup d’oeil
- Une analyse des politiques de soutien au logement à domicile déployées dans trois pays européens a permis de formuler des recommandations pour optimiser les mesures proposées en Suisse.
- Bien que la répartition des compétences qui découle de la décentralisation entraîne des défis, des mesures innovantes sont développées dans plusieurs régions.
- Le financement au sujet sous forme de budget personnalisé constitue une piste pour la Suisse inspirée des modèles flamands et néerlandais.
Pouvoir vivre chez soi avec des soutiens adaptés constitue une préoccupation majeure pour de nombreuses personnes avec un handicap. Le droit international et suisse s’est développé en ce sens ces dernières décennies. L’art. 19 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) impose ainsi aux États parties de prendre des mesures efficaces et appropriées afin d’assurer la liberté de choix du lieu de résidence sur la base de l’égalité entre personnes avec et sans handicap. L’accès à une gamme de services à domicile ou en établissement permettant la vie en société doit être garanti. Ainsi, le développement de prestations de soutien à la vie à domicile constitue un enjeu actuel majeur.
En Suisse, la loi fédérale sur l’assurance-invalidité prévoit différentes prestations pour permettre aux assurés de mener une vie autonome et responsable. Par exemple, l’allocation pour impotent et la contribution d’assistance visent spécifiquement à permettre aux personnes avec un handicap de vivre de manière indépendante grâce au soutien de tierces personnes. Des mesures complémentaires peuvent être apportées par d’autres acteurs fédéraux, cantonaux, communaux ou privés.
L’étude a été réalisée sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), elle visait à fournir une vue d’ensemble, dans une sélection de pays comparables à la Suisse, des politiques de soutien au logement à domicile, qui pourraient être mises en œuvre en Suisse à la fois par l’AI et par les cantons. L’analyse comparative repose sur l’examen de quelque 200 documents ainsi que sur 24 entretiens menés avec des acteurs du domaine du handicap, associations privées ou pouvoirs publics.
Dans une première étape de travail, les modèles de soutien au logement à domicile mis en œuvre en Belgique (Flandre), aux Pays-Bas et en Suède ont été comparés. Ces trois pays ont été choisis pour diverses raisons notamment leur système politique décentralisé, leur adhésion à la CDPH, leur modèle d’état social et leur stratégie de soutien à la vie à domicile. La deuxième étape visait à documenter le cas suisse. Les mesures proposées au niveau fédéral ainsi que les modèles déployés dans les cantons de Berne, de Saint-Gall, du Valais et de Vaud ont été détaillés. En plus d’assurer une représentativité linguistique, tous les cantons disposent de projets pilotes innovants et/ou d’un cadre législatif clair dans le domaine du soutien au logement à domicile. Une dernière étape consistait en la formulation de recommandations soutenues par deux groupes de discussion menés avec des acteurs clés du domaine du handicap en Suisse.
Politique de désinstitutionnalisation
Dans tous les pays étudiés, à l’exception de la Suède, le logement institutionnel reste une option largement mobilisée. La Suède se distingue en ayant adopté, avant la ratification en 2008 de la CDPH, une politique claire et contraignante de désinstitutionnalisation ayant entrainé la fermeture des grandes institutions. De petits logements, de quatre à cinq places, sont toutefois proposés aux personnes qui ne souhaitent ou ne peuvent vivre à domicile. Les rapports de mise en œuvre de la CDPH suédois relèvent la conformité de la législation en vigueur aux exigences de l’art. 19.
A contrario, l’ONU, sur la base de ses dernières observations, demande à la Suisse, à la Belgique et aux Pays-Bas de développer une stratégie claire de désinstitutionnalisation reposant sur l’élaboration d’un plan d’action national concret et de dénombrer les personnes avec un handicap encore placées dans un milieu fermé. Dans ces trois pays, les organisations de défense des personnes handicapées jugent insuffisantes les mesures prises relativement à l’art. 19 de la CDPH.
En Suisse, en Flandre et aux Pays-Bas, des offres de logements dits alternatifs ou inclusifs complètent l’offre de logement institutionnel. La Flandre et les Pays-Bas partagent la particularité de faire reposer, en grande partie, le développement de ces alternatives sur l’investissement, souvent bénévole, des proches et d’associations. En Suisse, le rapport de mise en œuvre de la CDPH, note l’importante diversification des offres de logements protégés favorisant l’autonomie. Les organisations de défense des personnes handicapées pointent toutefois certains freins au développement de ces alternatives, notamment la loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides. De leur point de vue, les cantons sont légalement tenus d’assurer l’accès à une place dans une institution pour toutes les personnes, indépendamment de leurs moyens financiers. Cependant, toujours selon ces organisations, si la couverture des frais est garantie lors d’un séjour en institution, cen’est pas le cas lorsque la personne fait le choix de vivre dans un logement privé.
Dans l’ensemble des pays analysés, le manque de logements accessibles tant économiquement que physiquement est relevé. En Belgique, une étude menée auprès de personnes avec un handicap souligne la discrimination dont elles sont victimes sur le marché de l’immobilier.
Défis de la coordination
La Suède et les Pays-Bas sont des états unitaires décentralisés. Ainsi, l’orientation de la politique en matière de handicap repose sur le gouvernement central. Des lois-cadres nationales réglementent le soutien au logement à domicile. La responsabilité de mettre en œuvre les mesures de soutien incombe également à de nombreux acteurs communaux. Avec cette répartition des tâches, des problèmes relatifs à l’application du droit aux prestations sont observés.
En Belgique et en Suisse, structures fédéralistes, les entités fédérées sont autonomes dans l’orientation de la politique de soutien au logement à domicile. Ainsi, dans les deux pays cohabitent des modèles très différents axés tant sur le financement direct de services généraux que sur le développement de prestations ambulatoires couplées avec des possibilités de financement au sujet.
Des disparités cantonales ou régionales, concernant le développement de l’offre de logement et des modes de financement mis en œuvre, sont aussi observées. Les cantons adoptent diverses stratégies pour satisfaire aux exigences de la CDPH : révisions de législations cantonales ou encore projets pilotes visant à tester de nouveaux modèles de financement.
Prestations de budget personnel
La Flandre et les Pays-Bas ont en commun le fait d’avoir développé une prestation de budget personnel. Il permet à la personne d’acheter des prestations, fournies par les prestataires de son choix, en institution ou à domicile. Dans les deux pays, la prestation s’adresse à un large public sans que des distinctions ne soient faites en fonction du type de handicap.
En Flandre, une évaluation basée sur l’élaboration d’un plan de soutien individualisé permet de déterminer si un budget peut être alloué ainsi que le montant accordé. La personne peut ensuite choisir de percevoir le budget en espèces ou via un système de bons. Cette deuxième option offre la possibilité de déléguer une partie de la charge administrative à une agence gouvernementale. Aux Pays-Bas, le système permet d’octroyer un budget à toutes personnes ayant besoin de soutien, tant en ce qui concerne les soins que le soutien social, peu importe son âge ou le type de handicap. Dans les deux pays, l’ensemble des acteurs concernés évalue positivement cette prestation. En Belgique, certains experts rapportent des effets positifs sur l’offre institutionnelle qui s’élargit et évolue.
Dans les deux pays, assurer la pérennité et la soutenabilité du financement constitue un défi majeur. En Flandre, les dotations gouvernementales sont insuffisantes pour répondre à l’ensemble des demandes, engendrant d’importantes listes d’attente. Une part considérable de non-recours est expliquée aux Pays-Bas par la crainte de ne pas disposer d’un budget personnel suffisant pour payer des prestataires qualifiés à un salaire attractif.
Prestations d’assistance personnelle
La Suisse et la Suède partagent la particularité de proposer des prestations d’assistance personnelle. Ce type de prestation, basé sur un modèle patronal, permet d’employer des assistants personnels à domicile. Le principe d’autodétermination, qui régit ce dispositif, implique que la personne décide par elle-même de la manière dont l’aide doit être organisée et comment elle se déroule au quotidien. Notons qu’en Flandre et aux Pays-Bas, les titulaires d’un budget personnel peuvent l’utiliser pour financer ce type de prestation.
En ce qui concerne l’évaluation de la prestation d’assistance personnelle, en Suisse, la majorité des bénéficiaires de la contribution d’assistance indique être satisfaite ou très satisfaite de cette prestation. Les principales raisons évoquées sont l’amélioration de la qualité de vie et de l’autonomie ainsi que la réduction de la charge pesant sur les proches.
Quatre critiques principales sont identifiées dans les différents pays. La première a trait à la charge administrative : le fait de devoir organiser son assistance soi-même représente une tâche conséquente qui n’est pas envisageable pour toutes et tous. La deuxième concerne les montants alloués jugés insuffisants. La troisième réfère au cadrage peu clair de la profession d’assistant personnel. Finalement, la dernière critique souligne le manque de contrôle de qualité des prestations fournies.
Aide fournie par les membres de la famille
Le soutien des proches et/ou des associations est considéré comme étant particulièrement important, voire incontournable, pour élaborer et mettre en œuvre un projet de vie à domicile. Il prend différentes formes, par exemple : prestations de conseil, aide à la gestion du budget personnel, organisation du soutien ou encore accompagnement dans la réalisation de tâches quotidiennes. Dans l’ensemble des pays analysés, l’indemnisation des proches comme assistants personnels est possible. Cette possibilité s’inscrit dans une orientation politique tournée vers le libre choix. Elle permet également de répondre aux besoins de certaines personnes, pour qui l’aide fournie par du personnel externe pourrait difficilement être acceptable.
En Suisse, la rémunération des proches n’est possible dans le cadre de la contribution d’assistance. Ce point constitue toutefois une préoccupation politique (initiative parlementaire Lohr). Certains cantons prévoient également des changements de législation visant à permettre la rémunération des proches.
Plan d’action pour la Suisse ?
Sur la base des résultats de leur étude, les auteures recommandent notamment à la Confédération, en collaboration avec les cantons, de formuler des lignes directrices d’un plan d’action visant à soutenir le logement à domicile. Une clarification des compétences et responsabilités aux différents échelons est également souhaitée, le but étant de concentrer la responsabilité de la mise en œuvre du soutien au logement à domicile à un seul niveau institutionnel. L’integration des critères de financement du soutien au logement à domicile dans une base légale fédérale est également conseillée.
Le développement d’un financement lié au sujet de type budget personnel est recommandé. Le montant doit être suffisant pour permettre de faire le choix effectif de la vie à domicile. Notons que dans les cantons de Saint-Gall et Berne, des projets de loi, visant à instituer le financement au sujet, sont en consultation ou en révision. La volonté de développer ce type de financement est également constatée dans le canton du Valais, suite à la révision de la loi cantonale sur les droits et l’inclusion des personnes en situation de handicap.
Une recommandation a été formulée concernant le renforcement des prestations d’accompagnement proposées par les organisations, dont le rôle a été identifié comme indispensable pour permettre la vie à domicile. Le soutien apporté par les proches aidants nécessiterait également d’être davantage soutenu.
Les auteures invitent par ailleurs les cantons et les communes à prendre des mesures pour renforcer l’accès à des logements accessibles physiquement et économiquement. Enfin, la nécessité de consulter les personnes concernées pour développer des prestations adéquates et pertinentes, et d’évaluer continuellement leur satisfaction est rappelée.
Bibliographie
Veyre, Aline ; Lequet, Marie ; Pestoni, Amélie ; Kühr, Judith (2023). Soutien au logement à domicile : comparaison de modèles internationaux. Aspects de la sécurité sociale. Étude commandée par l’OFAS. Rapport de recherche n°10/22.