En un coup d’œil
- Très souvent, un divorce se traduit par une baisse importante du revenu disponible des personnes concernées, plus particulièrement des femmes.
- Les contributions d’entretien représentent une part importante du revenu des femmes divorcées.
- Le risque de pauvreté augmente pour une femme et ses enfants lorsque l’ex-conjoint ne dispose pas d’un revenu lui permettant de verser des contributions d’entretien suffisantes.
Les divorces ont fortement augmenté depuis les années 1970: alors que moins de 20 % des mariages se terminaient par un divorce il y a une cinquantaine d’années, ce taux atteint aujourd’hui 40 %, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique.
Parallèlement, le contexte général des relations de couple et des divorces a changé. La nouvelle façon de concevoir la répartition des rôles, la participation accrue des femmes au marché du travail et l’acceptation sociale du divorce sont autant d’éléments qui jouent un rôle dans cette évolution. Le droit du divorce et des contributions d’entretien a été adapté à ces nouvelles réalités.
Événement marquant de la vie, la dissolution d’un mariage ou d’une communauté de vie a souvent de graves conséquences sur la situation financière du couple et de ses enfants. C’est ce que montre une étude financée par le Fonds national suisse sur les conséquences économiques et sociales du divorce en Suisse, dont les résultats sont synthétisés dans un livre (Fluder et al. 2024). Après une séparation, les revenus à disposition doivent généralement couvrir les besoins de deux ménages, ce qui peut rapidement conduire à des difficultés financières.
Faute d’expérience professionnelle suffisante, les personnes qui ont interrompu leur carrière pour s’occuper de leurs enfants ont souvent des difficultés à augmenter leur taux d’occupation après une séparation. Lorsque l’on mesure le revenu pondéré par membre du ménage (revenu équivalent du ménage) à l’aide des données du Panel suisse de ménages, les femmes avec des enfants mineurs subissent en moyenne une perte de revenu de 38 % après un divorce. Pour les pères, la perte moyenne est nettement plus faible et se situe à environ 7 %.
Les répercussions économiques d’un divorce sont également considérables pour les couples sans enfant. Le divorce est donc associé à un risque accru de pauvreté. Le taux de risque de pauvreté augmente de 18 points de pourcentage pour les femmes avec enfants et de 12 points pour les femmes sans enfants.
L’augmentation du risque est deux fois moindre pour les hommes avec enfants, avec une hausse de 9 points. La hausse n’est que de 3 points pour les hommes sans enfants, mais elle n’est pas significative du point de vue statistique (Fluder et al. 2024 : 82-83).
Les enfants sont particulièrement touchés. C’est le cas à la fois parce que les personnes ayant des enfants mineurs sont davantage exposées au risque de pauvreté dû à un divorce et parce que les enfants vivent plus souvent avec leur mère.
Ces résultats rejoignent ceux d’une étude de Bischof et al. (2023), qui a constaté que la part des personnes avec de très faibles ressources financières progresse de 7 à 34 % chez les mères après un divorce, alors qu’elle reste constante à 7 % chez les pères.
On observe également une détérioration considérable de l’évaluation subjective de sa propre situation financière après un divorce, cette détérioration étant jugée aussi forte par les hommes que par les femmes (Fluder et al., 2024 : 84). Une explication possible est le versement de la contribution d’entretien, que les hommes perçoivent comme une charge financière importante.
Les contributions d’entretien restent importantes
Comme l’activité professionnelle et les tâches domestiques et familiales sont généralement réparties de façon inégale au sein des couples et le restent après un divorce, les contributions d’entretien visent à rétablir un certain équilibre financier entre les ex-conjoints. Qu’elles leur soient versées en propre ou pour leurs enfants, ces contributions constituent une part importante du revenu du ménage des femmes divorcées qui accomplissent des tâches domestiques et familiales. Deux tiers d’entre elles en perçoivent dans les premières années suivant le divorce, pour un montant mensuel moyen de 1900 francs (Fluder et al. 2024). Environ 22 % perçoivent une contribution d’entretien pour elles-mêmes et 59 % pour leurs enfants.
Les contributions d’entretien couvrent une part considérable des besoins vitaux des ménages monoparentaux. Des études sur la pauvreté menées dans les cantons de Berne et de Bâle-Campagne montrent qu’elles réduisent d’un tiers ou plus le taux de pauvreté de cette catégorie de ménages (Hümbelin et al. 2022 ; Fluder et al. 2020). En raison de l’évolution de la société, des changements de la législation et de la jurisprudence du Tribunal fédéral (comme le nouveau droit du divorce à partir de 2000), la fréquence des contributions d’entretien versées à l’ex-conjoint a toutefois diminué. Si l’on compare la situation depuis 2000 à celle du début des années 1990, on constate que la part des hommes avec des revenus modestes qui versent des contributions d’entretien à leur ex-conjointe s’est nettement réduite. En particulier, le versement d’une contribution d’entretien est devenu rare lorsque la femme dispose d’un revenu professionnel élevé. Ce n’est que lorsque les hommes ont un revenu élevé et les femmes un revenu faible que les autorités compétentes continuent de fixer une contribution d’entretien dans la majorité des cas (Fluder et al. 2024 : 103-105).
En pratique, une contribution d’entretien n’est ordonnée que si elle est financièrement supportable pour la partie qui doit la verser et que si elle répond à un besoin avéré. On attend de la personne dont la situation financière est la plus fragile (généralement la femme) qu’elle subvienne le plus rapidement possible à ses besoins et qu’elle devienne donc indépendante de son ex-conjoint ; c’est ce que l’on appelle le clean break dans la pratique du droit du divorce (Schwenzer 2009). Les décisions récentes du Tribunal fédéral concernant la contribution d’entretien entre ex-époux en témoignent. Pour la personne qui a fortement réduit son activité professionnelle au moment de fonder une famille et qui ne possède donc souvent pas l’expérience professionnelle requise, cela peut conduire à des situations financières difficiles et à la nécessité d’avoir recours à l’aide sociale.
Les femmes divorcées ont souvent recours à l’aide sociale
En raison d’une baisse importante de leurs revenus et de perspectives d’emploi limitées après une absence prolongée du marché du travail ou une réduction significative de leur activité professionnelle, les femmes sont souvent obligées de faire appel à l’aide sociale après un divorce. Environ une femme sur cinq reçoit des prestations de l’aide sociale, de l’assurance-chômage ou de l’assurance-invalidité pendant l’année qui suit son divorce. Si l’on considère l’évolution des dispositifs de soutien avant et après le divorce, l’on constate que ce sont surtout les prestations d’aide sociale qui augmentent et atteignent leur niveau maximal au moment du divorce. La situation financière se détériore généralement dès la séparation, qui intervient le plus souvent un an ou deux avant le divorce formel.
Cependant, le risque de recours à l’aide sociale n’augmente de manière significative que pour les ménages appartenant aux deux quintiles de revenus les plus bas, tandis que le divorce n’a qu’un impact modéré sur le risque de pauvreté des ménages aux revenus moyens (troisième quintile) et aucun sur celui des ménages faisant partie des 40 % les plus élevés (voir graphique 1). On constate également que l’augmentation du risque et la différence entre les sexes sont nettement plus marquées pour les couples avec enfants. Mais la dépendance à l’aide sociale est aussi plus importante parmi les couples sans enfant et à faibles revenus, en particulier les femmes.
Les personnes touchant un revenu professionnel modeste ne sont suffisamment protégées que si leur ex-conjoint dispose d’un revenu suffisamment élevé. Elles peuvent compter sur une certaine protection s’il touche un revenu annuel d’au moins 50 000 francs, mais une protection complète n’est assurée que si ce revenu est supérieur à 130 000 francs (voir graphique 2). Il apparaît en outre que le risque de pauvreté et de recours à l’aide sociale après une séparation est plus élevé lorsque la répartition de l’activité professionnelle et des tâches domestiques et familiales au sein du couple est inégale (Fluder et al. 2024 : 124).
Si les revenus des deux ex-conjoints ne suffisent pas à couvrir les besoins communs après un divorce, le manque de ressources est généralement reporté sur la personne qui gagne le moins et qui doit faire appel à l’aide sociale, le plus souvent la femme. La personne qui gagne le plus n’est tenue de verser une contribution d’entretien que pour autant que la couverture de ses propres besoins vitaux ne s’en trouve pas menacée. Cela signifie également que les contributions d’entretien ne sont, en règle générale, pas prises en compte dans le calcul du droit à l’aide sociale, ce qui peut mettre même la personne aux revenus plus élevés (généralement l’homme) dans une situation financière délicate.
Une action politique s’impose
En résumé, les revenus après un divorce dépendent de plusieurs facteurs : la situation de vie, la répartition des rôles, les possibilités de gain et les perspectives professionnelles, les contributions d’entretien et l’importance de la garde d’enfants. Ces divers éléments ont une influence considérable sur la situation économique après une séparation. Les femmes sont confrontées à des pertes de revenu nettement plus importantes que les hommes.
De manière générale, une action politique conséquente est indispensable pour réduire ces risques et ces disparités. Un dispositif de soutien ciblé sur les situations de précarité, des mesures d’aide à la recherche d’emploi en cas d’interruption de carrière ou d’expérience professionnelle insuffisante et des mesures facilitant la conciliation entre tâches familiales et activité professionnelle sont autant d’éléments qui contribueraient à y remédier.
Bibliographie
Bischof, Severin ; Kaderli, Tabea ; Guggisberg, Jürg ; Liechti Lena (2023), Die wirtschaftliche Situation von Familien in der Schweiz. Die Bedeutung von Geburten sowie Trennungen und Scheidungen ; étude commandée par l’OFAS ; Aspects de la sécurité sociale, rapport de recherche no 1/23 (en allemand, avec résumé en français)
Fluder, Robert ; Hümbelin, Oliver ; Luchsinger, Larissa ; Richard, Tina (2020), Ein Armutsmonitoring für die Schweiz : Modellvorhaben am Beispiel des Kantons Bern ; Caritas / Haute école spécialisée bernoise
Fluder, Robert ; Kessler, Dorian ; Schuwey, Claudia (2024), Scheidung als soziales Risiko
Friedman, Jerome H. (1991), Multivariate Adaptive Regression Splines. The Annals of Statistics 19(1) : 1-67
Hümbelin, Oliver ; Richard, Tina ; Hobi, Lukas Christian ; Fluder, Robert (2022), Armutsmonitoring im Kanton Basel-Landschaft: Bericht zuhanden des kantonalen Sozialamtes Basel-Landschaft
Schwenzer, Ingeborg (2009), Nachehelicher Unterhalt – oder: nach der Änderung Ist vor der Änderung, Mitteilungen zum Familienrecht, n° 10, p. 11-15.