Accès facilité aux crèches grâce aux bons de garde

La ville de Berne a été la première commune du canton à introduire le système des bons de garde pour l’accueil extrafamilial des enfants d’âge préscolaire, en 2014. Le projet pilote a fait l’objet d’une évaluation concomitante pendant deux ans.
Philipp Walker, Annick de Buman
  |  03 juin 2016
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A l’instar d’autres cantons, le canton de Berne subventionne les structures d’accueil extrafamilial pour enfants. Au niveau préscolaire, ce soutien est accordé dans le cadre d’une structure tarifaire fixée en fonction des revenus. Les parents qui souhaitent pour leurs enfants une place subventionnée dans une structure d’accueil collectif de jour (SAJ) s’acquittent d’une somme définie en fonction de leurs revenus et de leur fortune. Les coûts restants sont pris en charge par les communes et le canton dans le cadre de la compensation cantonale des charges. Le financement est réalisé par le biais de contrats de prestations conclus avec des SAJ sélectionnées, à l’exception de la ville de Berne. En 2011, les électeurs bernois se sont en effet prononcés pour un changement de système au profit des bons de garde. Ceux-ci ont été introduits en 2014 dans le cadre d’un projet pilote. Depuis, les parents ayants droit peuvent utiliser leurs bons de garde dans toutes les structures d’accueil qui participent au nouveau système.

Seuls certains résultats de l’évaluation du projet pilote (Ecoplan 2016) sont présentés ci-après. L’évaluation a été réalisée sur mandat de la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale du canton de Berne et cofinancée par l’Office fédéral des assurances sociales. Cet article s’intéresse d’une part aux effets des bons de garde sur le marché de l’accueil extrafamilial de la petite enfance et d’autre part aux conséquences de la limite de tarif imposée. Les autres aspects de l’évaluation, tels que l’évolution et l’appréciation de différents modèles en vue de l’aménagement cantonal futur du système, ne font pas l’objet du présent article.

Description du modèle bernois et com­paraison avec le modèle lucernois En ville de Berne, les parents reçoivent des bons de garde définis en fonction de leurs revenus et de leur fortune. Ceux-ci leur permettent de se procurer les services offerts par une structure d’accueil collectif de jour à des conditions préférentielles. Le montant des bons dépend du taux d’occupation cumulé des parents. Par exemple, si les parents travaillent à 140 %, 40 % sont pris en compte pour le calcul du bon. Le calcul est similaire pour un parent élevant seul ses enfants, à partir d’un taux d’occupation de 10 %. Les formations reconnues par l’Etat et la perception d’indemnités de chômage sont assimilées à une occupation. En outre, des bons de garde peuvent être octroyés sur indication sociale ou médicale. Les bons de garde peuvent être utilisés dans toute SAJ qui possède une autorisation d’exploitation et participe au système. Les structures d’accueil facturent aux parents les frais de garde restants après déduction du bon et demandent à la commune de verser le solde. Elles décident elles-mêmes du nombre de places proposées dans le cadre du système de bons. Néanmoins, ce nombre ne doit pas être inférieur à 50 % de leur capacité totale.

La ville de Lucerne a été la première commune suisse à introduire les bons de garde à titre expérimental, en 2009. Le modèle bernois et le modèle lucernois sont conçus de manière similaire, mais se distinguent par certains points. Les principales différences entre les deux modèles sont présentées ci-dessus (cf. tableauT1).

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Méthodologie L’évaluation du projet pilote a été effectuée à l’aide d’un modèle de type « avant-après » reposant sur deux dates de collecte des informations. La première collecte a été réalisée en 2013 et a permis d’appréhender la situation telle qu’elle était avant l’introduction des bons de garde. La deuxième a eu lieu en 2015 et a brossé un tableau de la situation après l’introduction des bons de garde. A ces deux dates, une enquête a été réalisée auprès des structures d’accueil et des parents afin de recenser les modifications résultant du changement de système selon le point de vue des uns et des autres. L’enquête auprès des SAJ a été réalisée les deux années dans toutes les structures d’accueil qui existaient déjà avant l’introduction des bons de garde et qui étaient habilitées à participer au système de bons. S’agissant des parents, en revanche, un échantillon aléatoire indépendant a été prélevé pour chacune des deux enquêtes parmi toutes les familles résidant en ville de Berne et ayant un enfant âgé de six mois à six ans. Afin de pouvoir mener une discussion approfondie sur des aspects spécifiques des questions traitées, des entretiens ont été menés en 2013 et en 2015 avec des fournisseurs de services d’accueil collectif de jour, des associations et des représentants de l’administration communale et cantonale. Les enquêtes écrites et orales ont été complétées par des analyses fondées sur la théorie des modèles et par des comparaisons avec l’évolution enregistrée en ville de Lucerne.

Impact sur l’offre Les effets des bons de garde sur le marché ont été l’un des principaux aspects de l’évaluation. Compte tenu de considérations théoriques et des expériences réalisées à Lucerne, on s’attendait à ce que le changement de système entraîne un accroissement du nombre de places d’accueil, bien que Berne disposât déjà d’une offre bien étoffée avant l’introduction des bons de garde. Ces attentes n’ont pas été démenties : entre 2013 et 2015, sept nouvelles SAJ ont vu le jour, offrant 676 places d’accueil supplémentaires. En juin 2015, on recensait ainsi en ville de Berne 88 SAJ totalisant 2584 places. Rappelons toutefois que la ville avait déjà nettement augmenté le volume de ses subventions avant le changement de système, en 2013, ce qui a indéniablement contribué à la création de nouvelles places dans le cadre du système de bons. Quoi qu’il en soit, l’introduction des bons de garde a eu un effet positif sur l’évolution de l’offre. En effet, tous les parents remplissant les conditions d’octroi ont désormais droit à un bon de garde et voient donc leur accès aux subventions facilité. Par ailleurs, avec le nouveau système, toutes les SAJ peuvent offrir des places subventionnées selon le système de bons, et pas seulement celles ayant été sélectionnées. Par conséquent, non seulement l’offre de places d’accueil subventionnées a de nouveau augmenté, mais également le cercle des bénéficiaires de subventions et le volume des subventions.

En raison de l’accroissement du nombre de places d’accueil, les structures d’accueil et les parents portent un jugement sur l’offre plus favorable qu’auparavant. Les listes et les délais d’attente se sont réduits et l’accès aux places d’accueil – notamment celles offertes par l’intermédiaire des bons de garde – est plus aisé (cf. graphiqueG1). En 2013, 43 % des parents avaient trouvé une place d’accueil dans une SAJ pour la date souhaitée alors qu’ils étaient déjà 66 % dans ce cas en 2015. Avant le changement de système, 28 % des parents devaient attendre en moyenne 40 semaines avant d’obtenir une place ; après l’introduction des bons de garde, ils n’étaient plus que 17 % et le temps d’attente moyen était de 20 semaines. De plus, en 2013, un tiers des personnes interrogées n’avaient pas encore trouvé de place au moment de l’enquête. En 2015, cette part était nettement moindre (17 %). La situation des parents qui ne parvenaient pas à trouver une place d’accueil immédiatement s’est donc elle aussi améliorée.

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En dépit de l’extension de l’offre, il semble que la ville de Berne présente toujours un léger déficit de places d’accueil. Toutefois, il est vrai que la majorité des parents qui ne confient pas la garde de leurs enfants à une SAJ y renoncent délibérément – soit parce qu’ils ne souhaitent pas recourir à une solution d’accueil extrafamilial ou n’en ont pas besoin (pour 53 % d’entre eux), soit pour une autre raison, qui n’a pas été précisée (pour 32 %).

Notons tout de même que 7 % des parents n’ont pas recours à une SAJ par manque de place adaptée. Les raisons le plus souvent invoquées sont le manque de possibilités de prise en charge des enfants à proximité du lieu de travail des parents ou l’insuffisance des places subventionnées. Résultat encourageant, seule une minorité de parents ont estimé que les démarches nécessaires en vue d’obtenir des bons de garde sont trop fastidieuses ; de même, le nombre de demandes rejetées a été très limité.

Effets sur la demande L’introduction des bons de garde dans la ville de Berne a eu une influence non seulement sur l’offre, mais également sur la demande. Avant l’existence des bons, 59 % des parents interrogés recouraient à une SAJ pour la garde d’un enfant ou plus ; ils étaient 62 % après l’introduction des bons. En 2013, comme en 2015, la majorité des parents ont confié leurs enfants à une SAJ pour une durée comprise entre 2,5 et 3 jours par semaine. Selon les indications de la ville de Berne, la durée de prise en charge moyenne s’est légèrement réduite. Le recul est surtout perceptible pour les durées de prise en charge plus longues comprises entre 4,5 et 5 jours, ce qui est lié au fait que les bons de garde sont couplés au taux d’occupation.

Davantage de concurrence grâce aux bons de garde Bien que l’offre de prise en charge existant à Berne ne suffise toujours pas à répondre à la demande, on pouvait s’attendre à ce que l’ouverture du marché aux places subventionnées pour toutes les SAJ et l’extension de l’offre stimulent la concurrence entre les prestataires. Les SAJ et les experts confirment que la concurrence s’est accrue depuis l’introduction des bons de garde.

Cette intensification de la concurrence s’accompagne d’une sécurité de planification plus faible pour les prestataires de services d’accueil. Ainsi, il est plus difficile aujourd’hui pour les SAJ de parvenir à une utilisation des capacités satisfaisante qu’avant le changement de système. En outre, en raison de la relation existant entre les bons de garde et le taux d’occupation, les SAJ enregistrent davantage de changements au niveau des durées de prise en charge. Toute modification du taux d’occupation des parents se répercute sur le montant du bon de garde et, partant, sur la durée de prise en charge de leurs enfants.

L’une des possibilités de se démarquer de la concurrence consiste à différencier l’offre (s’agissant des repas p. ex., ou en proposant des activités d’éveil musical ou des langues étrangères). On s’attendait à ce que l’accroissement de la concurrence entre les SAJ entraîne une différenciation accrue de l’offre. Or, comme cela avait déjà été observé à Lucerne, cette différenciation n’a pas été aussi marquée que prévu à Berne. Il s’est avéré que les SAJ sont nombreuses à proposer les mêmes offres spécifiques et que ces offres, telles que les repas personnalisés, sont presque toutes devenues la norme. En revanche, les heures d’ouverture spéciales (le week-end ou le soir p. ex.) sont encore plus rares qu’avant l’introduction des bons de garde. Cette faible différenciation peut s’expliquer par le fait que les offres spécifiques dépendent fortement de la demande. Lorsque les parents souhaitent une prestation particulière, celle-ci devient une prestation standard. Sinon, elle disparaît. Par ailleurs, de nombreuses SAJ n’ont pas les moyens financiers leur permettant de concevoir de nouvelles offres. Certes, les offres spécifiques peuvent être facturées aux parents à prix coûtant, mais leur élaboration et leur instauration nécessitent de mobiliser des ressources humaines et financières supplémentaires, qui font défaut. Le seul lancement des bons de garde ayant exigé de nombreux moyens, le développement de nouvelles offres n’était pas prioritaire au cours des derniers mois.

Effets du tarif limite sur le marché L’évolution du marché à Berne montre que la concurrence est possible même avec un tarif limite. A cet égard se pose toutefois la question de savoir quelles sont les conséquences de ce tarif limite sur le marché, ou plus exactement, quelle serait l’évolution attendue si ce tarif limite n’existait pas. Le montant du tarif limite par rapport aux coûts effectifs d’une place d’accueil est décisif pour juger de l’influence de celui-ci sur le marché. Si le tarif limite est fixé à un niveau tel qu’il soit nettement supérieur aux coûts effectifs d’une SAJ, une concurrence au niveau des prix peut s’exercer en deçà de cette limite. Les SAJ disposent ainsi d’une certaine marge de manœuvre pour générer les fonds nécessaires à la différenciation de leur offre. Une situation de concurrence survient lorsque les restrictions sont faibles. Le tarif limite garantit que les offres les plus chères restent également abordables pour les revenus plus faibles et qu’aucune offre de luxe ne soit cofinancée.

Si le tarif limite est trop faible, et même inférieur aux coûts effectifs moyens de la prise en charge, les prestataires ne sont pas en mesure d’offrir les services existants au prix prédéfini. Dans ces conditions, deux scénarios sont envisageables. Etant donné que les SAJ n’ont pas le droit d’augmenter les prix en raison du tarif limite, elles pourraient réduire leurs coûts, en procédant à des baisses de salaire p. ex. La qualité de l’offre risquerait néanmoins d’en pâtir. Compte tenu des exigences de qualité prévues par la loi, il semble donc plus probable que le marché bipartite offrant des places subventionnées et des places privées à des tarifs différents se maintienne. Par ailleurs, si la demande de places d’accueil privées à des prix supérieurs au tarif limite s’avère suffisante, il peut être très intéressant pour les prestataires de ne pas participer au système de bons de garde ou de ne proposer qu’une offre limitée dans le cadre de ce système. Car proposer au sein de la même institution des places financées par bons de garde et des places non financées par bons de garde à des tarifs différents – ce qu’autorise le système bernois actuel – permet d’affecter une partie des recettes issues des places plus chères – pour lesquelles aucun bon de garde ne peut être utilisé – au financement des places subventionnées par bons de garde qui ne couvrent pas les coûts.

Les résultats de l’évaluation indiquent clairement que le tarif limite choisi pour le projet pilote, soit 110 francs 85 sans les repas, est trop juste et que l’offre est toujours scindée en deux parties. Sur les 45 SAJ interrogées qui participent au système des bons de garde, 39 ont indiqué que les bons ne suffisaient pas à couvrir la totalité des coûts. Parmi celles-ci, 85 % appliquent des tarifs différents pour les places financées par les bons et pour les places privées. Elles ne cachent pas qu’elles utilisent les tarifs privés, plus élevés, surtout pour couvrir le déficit résultant du tarif limite, fixé à un niveau trop bas.

Un autre inconvénient du niveau insuffisant du tarif limite est qu’il freine l’innovation. Le tarif limite oblige les SAJ à calculer des prix très serrés, ce qui ne permet pas de dégager les fonds suffisants pour réaliser des idées novatrices. Ainsi, une SAJ sur quatre renonce à engager des investissements et utilise les quelques fonds libres restants pour combler le déficit existant entre les recettes issues des bons de garde et les coûts à couvrir. Le développement insuffisant des offres spécifiques en est notamment le reflet.

C’est la raison pour laquelle il est recommandé de supprimer, ou tout au moins de relever, le tarif limite. L’objectif initial du tarif limite en ville de Berne était de garantir un accès équitable aux services d’accueil à toutes les familles, quel que soit leur revenu, et d’assurer ainsi l’égalité des chances. Or, une telle limite n’est nécessaire que si les tarifs augmentent fortement en son absence. Se pose donc la question de savoir comment les tarifs évolueraient s’il n’y avait pas de limite. Les tarifs applicables aux places d’accueil sans bons de garde fournissent une indication à cet égard. Ils s’élèvent en moyenne à 118 francs 65  (sans le repas) et sont ainsi supérieurs d’environ 8 % au tarif limite. Le financement croisé évoqué plus haut est toutefois partiellement pris en compte dans ce prix. Sans le subventionnement croisé, les tarifs des places d’accueil sans bons de garde pourraient être légèrement inférieurs. C’est ce que montre également le montant moyen du tarif limite souhaité par les SAJ. Avec 117 francs 72, il est certes supérieur au tarif limite actuel (cf. graphique G2), mais inférieur au tarif moyen des places d’accueil privées. S’agissant du montant souhaité pour le tarif limite, les opinions divergent fortement entre les SAJ interrogées qui offrent des places avec bons de garde : les tarifs souhaités sont compris entre 112 et 130 francs. Précisons en outre que le tarif limite n’est pas assimilé au montant de la subvention octroyée par les pouvoirs publics. Par conséquent, la suppression du tarif limite n’a pas d’impact sur les finances publiques, mais augmente la part des frais pris en charge par les parents.

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Conclusion En égard aux effets sur le marché, l’évaluation montre que l’introduction des bons de garde pour la prise en charge extrafamiliale des enfants en ville de Berne peut majoritairement être jugée positivement. Dans l’ensemble, le changement de système a atténué le déséquilibre existant entre l’offre et la demande. L’offre a été sensiblement élargie et l’accès aux SAJ nettement amélioré. Aujourd’hui, les familles qui bénéficient d’un soutien financier sont plus nombreuses qu’avant l’introduction des bons de garde ; le volume de subventions s’est accru. Désormais, les parents dont les places d’accueil sont subventionnées peuvent choisir eux-mêmes la SAJ à laquelle ils souhaitent confier la garde de leurs enfants. De ce fait, toutes les SAJ sont soumises aux mêmes conditions de concurrence.

Le tarif limite, quant à lui, fait l’objet d’une appréciation moins positive. Il a un effet anticoncurrentiel, notamment parce qu’il ne couvre pas les coûts dans la plupart des SAJ. En moyenne, les SAJ souhaitent que le tarif limite soit supérieur de 6 francs 90 à la limite actuelle, qui est de 110 francs 85. Compte tenu du tarif limite tel qu’il est fixé actuellement, le marché reste divisé en deux, avec des tarifs qui diffèrent selon que les places sont proposées avec ou sans bons de garde. Les coûts effectifs des places sans bons de garde sont supérieurs au tarif limite d’environ 8 % en moyenne. Pour des raisons liées à la concurrence, il est donc possible – voire nécessaire – de préconiser une suppression ou un relèvement du tarif limite et de mettre un terme à la discrimination tarifaire entre les places subventionnées et les places non subventionnées au sein du même établissement.

  • Évaluation
  • Ecoplan (2016) : Betreuungsgutscheine in der Stadt Bern. Evaluation des Pilotprojekts (Bons de garde en ville de Berne. Evaluation du projet pilote), [Berne : étude non publiée].
Master of Science in Economics, 
conseiller principal, Ecoplan.
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Master of Science in Psychology, consultante d’Ecoplan (jusqu’en avril 2018).
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