Davantage de mesures de réadaptation et moins de rentes : les effets du changement de stratégie

Depuis la transformation de l’assurance-invalidité en une assurance de réadaptation, le nombre de premières demandes de prestations déposées auprès de l’AI a augmenté d’environ 40 % entre 2007 et 2017. Deux tendances se dessinent à la suite de ce changement de stratégie : si le nombre de personnes qui exerçaient une activité lucrative et étaient financièrement indépendantes quatre ans après le dépôt de leur demande à l’AI a augmenté, il en va de même du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale.
Jürg Guggisberg, Severin Bischof
  |  17 décembre 2020
    Recherche et statistique
  • Aide sociale
  • Assurance-chômage
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  • Réadaptation

En lien avec la transformation de l’assurance-invalidité en une assurance de réadaptation, engagée depuis la 4e révision de l’AI (2004), la question des conséquences de ce changement de stratégie sur les autres institutions de la sécurité sociale, et en particulier sur l’aide sociale, se pose depuis plusieurs années. Les informations permettant de répondre à cette question étant jusqu’à présent très fragmentaires, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a commandé une étude pour étudier les passages éventuels entre l’assurance-invalidité, l’assurance-chômage et l’aide sociale. L’accent a été mis principalement sur le transfert potentiel de l’AI (premières demandes, suppressions de rentes) vers l’aide sociale. Les résultats de cette étude sont présentés ici sous une forme résumée.

L’analyse a porté sur des données de 2005 à 2017. Des cohortes de personnes ayant déposé une première demande de prestations AI ainsi que (à partir de 2008) des cohortes de personnes concernées par une suppression de rente ont été formées sur cette base. Il n’a pas toujours été possible de prendre en considération exactement la même période pour chaque thématique, car les données disponibles au sujet de ces cohortes variaient. Les demandes AI en tant que telles ont, par exemple, pu être analysées pour toutes les cohortes de 2005 à 2017. L’examen des prestations octroyées par l’AI dans les quatre ans suivant le dépôt de la demande était possible jusqu’à la cohorte 2014. Par contre, la composition du revenu quatre ans après la demande n’a pu être prise en compte que jusqu’à la cohorte 2013, car, au moment de l’enquête, les données relatives au revenu de l’activité lucrative soumis à l’AVS ne couvraient que la période allant jusqu’à 2017. Des données complètes concernant l’aide sociale étaient disponibles à partir de 2010 seulement, raison pour laquelle les passages de l’aide sociale à l’AI, par exemple, n’ont pu être observés qu’à partir de cette année-là.

Premières demandes de prestations AI Au total, le taux de demande a augmenté de 28 % au cours des dix dernières années. Alors que le nombre de personnes âgées de 18 à 64 ans ayant déposé une demande de prestations AI était de 830 pour 100 000 habitants (0,83 %) en 2007, il a grimpé à 1060 pour 100 000 habitants (1,06 %) en 2017 (voir graphique G1). Or, cette hausse est principalement imputable à des personnes de moins de 50 ans, et non à la tranche d’âge des 50-64 ans, dont le taux de demande en 2017, malgré une légère augmentation au cours des années précédentes, était à peu près équivalent à celui de 2008. Une partie de la hausse des premières demandes à l’AI s’explique en outre par la croissance générale de la population, de 11 % durant la période considérée. Le vieillissement de la population joue également un rôle, puisque la probabilité de déposer une première demande à l’AI augmente avec l’âge. Parallèlement à ces phénomènes indépendants de l’AI, la nouvelle orientation donnée à l’assurance-invalidité dans la 4e révision de l’AI, puis, dans une plus forte mesure, dans la 5e révision (2008) constitue un autre facteur déterminant.

Prestations octroyées par l’AI Parmi les personnes ayant déposé une demande de prestations à l’AI en 2005 comme parmi celles l’ayant fait en 2014, environ un tiers ont perçu une prestation AI dans les quatre ans suivant le dépôt de la demande. Le rapport entre mesures de réadaptation et rentes octroyées a toutefois beaucoup changé au cours de cette période : si la part des mesures de réadaptation a progressé, celle des rentes octroyées a diminué (voir graphique G2).

  • Mesures de réadaptation : la part des personnes ayant déposé une première demande qui ont bénéficié d’une mesure de réadaptation externe dans les quatre ans suivant le dépôt de la demande a pratiquement triplé au cours de la période considérée. Sur les quelque 51 500 nouveaux demandeurs en 2014, 23 % (env. 11 650 personnes) se sont vu octroyer au moins une mesure de réadaptation externe dans les quatre ans qui ont suivi le dépôt de la demande, contre 8 % seulement (3130 personnes) en 2005. La forte progression observée après la 5e révision de l’AI en 2008 s’explique en grande partie par l’octroi d’un plus grand nombre de mesures d’intervention précoce, qui ne débouchent pour la plupart sur aucune autre mesure de réadaptation.
  • Taux de bénéficiaires de rente : sur les quelque 42 600 assurés ayant déposé une première demande en 2005, près de 11 000 percevaient une rente à la fin 2009, soit une proportion d’environ 26 %. Dans la cohorte des personnes ayant déposé une demande en 2014 (51 500 au total), 7600 touchaient une rente fin 2018, ce qui correspond à peine à 15 %. Il ne s’agit donc pas seulement d’un recul relatif par rapport au nombre de demandes déposées. En chiffres absolus également, 3400 nouvelles rentes de moins que pour la cohorte 2005 ont été octroyées aux assurés de la cohorte 2014, malgré un nombre plus élevé de demandes. Ce recul ne s’explique ni par les changements intervenus dans la composition structurelle de la population de demandeurs de prestations AI, ni par l’évolution observée sur le marché du travail.

La baisse à la fois relative et absolue du nombre de rentes octroyées s’est accompagnée d’une hausse équivalente du nombre de mesures de réadaptation, de sorte que le rapport entre les prestations octroyées et les personnes ayant déposé une première demande est resté plus ou moins constant. Du fait de la progression du nombre de premières demandes, en chiffres absolus, davantage d’assurés ayant déposé une première demande se sont vu octroyer une prestation de l’AI en 2014 (16 600) qu’en 2005 (13 200).

Situation professionnelle et financière au terme de la procédure AI La situation professionnelle et financière des cohortes considérées au terme de la pro­cédure AI a été analysée à partir des sources de revenus que sont l’exercice d’une activité lucrative, les indemnités de chômage et l’aide sociale (voir graphique G3).

  • Activité lucrative : les personnes ayant déposé une demande en 2013 étaient plus nombreuses à exercer une activité lucrative quatre ans après leur première demande AI que celles des cohortes précédentes. En comparaison avec les cohortes antérieures à la 5e révision de l’AI, la part des personnes exerçant une activité lucrative au terme de la procédure AI et ne percevant pas de rente AI est passée de 50 % (cohorte 2006 : 12 390 personnes) à 58 % (cohorte 2013 : 16 820 personnes). La hausse de 31 % (cohorte 2006 : 9590 personnes) à 38 % (cohorte 2013 : 14 800 personnes) de la part des personnes touchant un revenu d’une activité lucrative supérieur à 3000 francs par mois indique par ailleurs que, proportionnellement, davantage de personnes étaient financièrement indépendantes après une demande de prestations AI ou pouvaient le rester. Cela peut s’expliquer notamment par le fait que les personnes atteintes dans leur santé se manifestent plus tôt qu’avant auprès de l’AI, et que celle-ci peut ainsi intervenir et leur venir en aide plus rapidement. En parallèle, à partir de la cohorte 2012, la part des personnes ne touchant aucun revenu d’une activité lucrative ou touchant un revenu inférieur à 3000 francs par mois au terme de la procédure AI a également augmenté. Dans les cohortes 2006 à 2011, cette proportion est restée constante, à près de 40 % (cohorte 2006 : 12 390 personnes) ; au cours des années suivantes, elle a légèrement augmenté, atteignant environ 43 % (cohorte 2013 : 17 460 personnes). Cela signifie que, quatre ans après le dépôt de leur demande de prestations à l’AI, environ quatre personnes sur dix ne touchaient pas un revenu leur permettant de couvrir leurs besoins.
  • Aide sociale : la part des personnes touchant l’aide sociale économique au cours de la quatrième année suivant le dépôt de leur demande de prestations auprès de l’AI est passée de 11,7 % (cohorte 2006) à 14,5 % (cohorte 2013), ce qui correspond à un accroissement de 25 % (voir graphique G4). La hausse est particulièrement marquée pour les cohortes 2008 et 2012. En raison de l’augmentation concomitante du nombre de demandes de prestations AI, l’accroissement est encore plus important si l’on considère les chiffres absolus plutôt que relatifs : il atteint alors près de 58 %. Alors que 3620 personnes de la cohorte 2006 touchaient l’aide sociale économique quatre ans plus tard, le chiffre est passé à 5720 pour la cohorte 2013, ce qui correspond à un écart de 2100 personnes.

Étant donné que les conditions sociales peuvent changer au fil du temps, diverses méthodes statistiques ont été utilisées pour en évaluer les conséquences sur le recours à l’aide sociale. Si l’on se base sur les valeurs de 2006 tout en tenant compte des changements intervenus dans la composition de la population de demandeurs de prestations AI ainsi que de l’évolution du taux de chômage par canton, on obtient pour la cohorte 2013 une estimation de 10,3 % de bénéficiaires de l’aide sociale quatre ans après le dépôt de leur demande de prestations à l’AI. Or, la valeur effectivement observée se monte à 14,5 %. Cette différence de 4,2 points peut donc être interprétée comme la valeur maximale du transfert de l’AI vers l’aide sociale pour la cohorte 2013. Cela signifie que près de 29 % (4,2 % de 14,5 % = 28,97 %) des transferts observés vers l’aide sociale dans la cohorte 2013 n’auraient pas eu lieu dans le cadre légal de 2006. Sur les 5720 personnes de la cohorte 2013 qui ont perçu l’aide sociale au cours de la quatrième année suivant le dépôt de leur demande de prestations AI, cela représente environ 1650 personnes.

Dans le sens inverse, seuls de légers indices laissent à penser que le nombre relatif de personnes déposant une demande de prestations AI alors qu’elles bénéficient déjà de l’aide sociale augmente. Des informations complètes sur le recours à l’aide sociale n’étant disponibles que depuis 2010, les analyses effectuées à ce sujet se limitent aux cohortes 2011 à 2016 des demandeurs de prestations AI. Selon les années, entre 3,6 % (cohorte 2011 : 5820 personnes) et 3,8 % (cohorte 2015 : 7240 personnes) des bénéficiaires de l’aide sociale déposent une demande de prestations AI. L’augmentation du nombre de cas en chiffres absolus est due en grande partie à la hausse du nombre total de personnes adultes touchant l’aide sociale (2011 : 160 970 personnes ; 2015 : 192 380 personnes). Les nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale, c’est-à-dire ceux qui ne la percevaient pas encore l’année précédente, sont proportionnellement un peu plus nombreux à faire une demande AI que ceux qui perçoivent l’aide sociale depuis plus longtemps. Le taux correspondant s’élevait à 7,6 % en 2011 et a augmenté jusqu’à 8,3 % en 2015, avant de redescendre à 8,0 % dans la cohorte 2016. Il s’agit, selon les cohortes, de 3490 à 3770 personnes par année. Sur toute la période de 2011 à 2016, un total de près de 21 650 personnes ont donc déposé une demande auprès de l’AI alors qu’elles bénéficiaient aussi de l’aide sociale depuis la même année. Si cette proportion était restée à 7,6 % (comme en 2011) pendant la période de 2012 à 2016, près de 750 personnes de moins auraient, durant ces cinq années, déposé une demande de prestations AI alors qu’elles étaient déjà à l’aide sociale depuis la même année, autrement dit environ 150 personnes de moins par an.

  • Perception d’indemnités journalières de l’assurance-chômage : selon les années, la part des personnes qui touchaient des indemnités journalières de l’assurance-chômage au moment du dépôt de leur première demande de prestations à l’AI a varié entre 5 et 7 %, des chiffres dont l’évolution est plus moins analogue à celle de la situation générale du marché suisse du travail (voir graphique G5). La première année après la demande AI, la part des personnes qui touchaient des indemnités journalières de l’assurance-chômage est nettement plus importante et se situe entre 12 et 17 %. Cela veut dire qu’un nombre relativement important de personnes s’inscrivent à l’assurance-chômage pendant la première année qui suit le dépôt de leur demande AI. Ces chiffres sont également liés à l’évolution du taux de chômage ; la hausse due à la crise financière de 2008 est déjà perceptible dans la cohorte 2007. On observe que plus le temps passe depuis la première demande AI, moins il y a de nouvelles inscriptions à l’assurance-chômage. Ces pourcentages varient également selon l’année considérée, mais de façon moins marquée que ceux observés au moment de la demande AI. La prise en compte cumulée de tous ces pourcentages, c’est-à-dire la part des personnes qui touchaient des indemnités journalières de l’assurance-chômage entre la première et la quatrième année après la première demande AI, se situe entre 21,5 % (cohorte 2007 : 6440 personnes, avant le début de la crise financière) et 27,7 % (cohorte 2013 : 10 930 personnes). La hausse des taux cumulés de perception d’indemnités journalières de l’assurance-chômage (t1-t4) que l’on peut observer à partir de la cohorte des personnes ayant déposé une demande AI en 2012 est toutefois moins clairement liée à l’évolution du taux de chômage, ce dernier étant resté relativement stable à environ 3 %. La question de savoir si la hausse est due au fait que les personnes atteintes dans leur santé déposent une demande AI (encore) plus rapidement qu’avant la 5e révision de la LAI ne peut être tranchée avec certitude. On ignore en effet si le nombre de personnes ayant droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage et qui déposent une demande AI a évolué au fil du temps. Ont droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage les personnes qui sont aptes à être placées, c’est-à-dire les personnes à même d’accepter un travail convenable, qui sont en outre autorisées à exercer une activité lucrative en Suisse et qui remplissent les conditions du délai-cadre ordinaire pour la période de cotisation.

Suppressions de rentes Si l’on considère l’effectif total des rentes, le nombre de rentes supprimées a augmenté par rapport aux années précédentes, en particulier à partir de 2013 (voir graphique G6). La valeur passe de 0,87 % (2008) à un peu plus de 1 % entre 2013 et 2015. La hausse observée en 2013 intervient une année après l’entrée en vigueur, début 2012, de la 6e révision de l’AI, qui prévoit notamment un réexamen systématique du droit à la rente (« révision des rentes axée sur la réadaptation ») ainsi que la suppression des rentes dont la causalité n’est pas clairement établie (cas réexaminés en vertu des dispositions finales). Cela pourrait expliquer la hausse partielle des valeurs relatives des suppressions de rentes, bien que la période considérée soit trop courte pour que l’existence d’un lien de causalité puisse être appréciée de manière empirique. En chiffres absolus, 1700 à 2200 personnes par année étaient concernées par une suppression de rente. Au total, quelque 14 800 rentes AI ont été supprimées entre 2008 et 2015. Parmi les personnes concernées, 23 % (3400) touchaient à nouveau une rente AI deux ans plus tard, 27 % trois ans plus tard.

La part des personnes percevant l’aide sociale deux ans après la suppression de leur rente AI est passée de 16,4 % (cohorte 2008 : 280 personnes) à 21,5 % (cohorte 2015 : 410 personnes). Si l’on tient compte des changements intervenus dans la composition du groupe des personnes touchées par une suppression de rente ainsi que de l’évolution observée sur le marché du travail, on peut estimer à 20 % environ le risque de transfert vers l’aide sociale après une suppression de rente pour la période de 2009 à 2015.

La part des personnes qui percevaient un revenu d’une activité lucrative deux ans après la suppression de leur rente est de 41,9 % (730 sur 1730 personnes) pour la cohorte 2008 ; elle varie selon les cohortes, allant de 39,7 % (2013 : 800 sur 2000 personnes) à 42,9 % (2012 : 780 sur 1810 personnes). Celle des personnes touchant un revenu supérieur à 3000 francs par mois est de 25,3 % (440 sur 1730 personnes) pour la cohorte 2008 et varie durant la période de 2008 à 2015, allant de 26,9 % (2012: 490 sur 1810 personnes) à 22,5 % (2014: 480 sur 2120 personnes).

Interprétation des résultats et conclusion Le nombre de personnes ayant déposé une première demande de prestations AI qui touchaient l’aide sociale quatre ans plus tard a augmenté entre 2006 et 2013, tant en chiffres relatifs qu’en chiffres absolus. Du point de vue statistique, cette hausse ne s’explique ni par les changements intervenus dans la composition des demandeurs de prestations AI, ni par l’évolution des taux de chômage cantonaux. Toutes cohortes cumulées (2006-2013), quelque 36 520 personnes touchaient l’aide sociale quatre ans après le dépôt de leur demande à l’AI ; on compte entre 3620 (2006) et 5720 (2013) personnes par cohorte. D’après les estimations proposées, environ un cinquième de ces bénéficiaires de l’aide sociale (21,2 %, soit 7730 personnes) ne l’auraient pas perçue quatre ans après le dépôt de leur demande de prestations auprès de l’AI si le taux consolidé des rentes octroyées était resté le même qu’en 2006. Le pourcentage (maximal) de transfert estimé de cette façon a augmenté au fil du temps : à partir de la cohorte 2009, le nombre estimé de cas de transfert par année est passé de 920 (2009 : 20,3 % de 4530) à 1650 (2013 : 28,9 % de 5720).

Le nombre de passages à l’aide sociale après une suppression de rente a également augmenté entre 2008 et 2015, donc au moins en partie avant l’entrée en vigueur, en 2012, de la 6e révision de l’AI. Statistiquement, cette hausse n’est pas liée aux changements intervenus dans la composition du groupe des personnes dont la rente a été supprimée ni à l’évolution du taux de chômage. Parmi les personnes dont la rente AI a été supprimée entre 2008 et 2015, quelque 2700 percevaient l’aide sociale deux ans plus tard. Ici aussi, on observe une tendance à la hausse au fil des années, avec 240 cas en 2009 et environ 410 en 2015.

Une partie de ces transferts s’explique par le fait que la proportion de personnes qui se sont vu octroyer une rente AI et n’ont ainsi plus eu besoin de l’aide sociale est en diminution depuis 2010, comme l’ont montré les analyses réalisées à ce sujet. Faute de données suffisantes sur l’aide sociale datant d’avant 2010, de telles analyses ne sont possibles qu’à partir de cette année-là. L’autre partie du transfert s’explique par la hausse du nombre de nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale au terme d’une procédure AI, qui ne peut également être observée qu’à partir de 2010.

Des calculs plus approfondis montrent en outre qu’une part proportionnellement élevée de personnes bénéficiant de l’aide sociale au terme d’une procédure AI continuent à la toucher pendant une longue période. Sur tous les nouveaux demandeurs de prestations AI de la cohorte 2006 qui percevaient l’aide sociale en 2010, 59 % en étaient encore bénéficiaires pendant les quatre années suivantes, c’est-à-dire jusqu’en 2014. Pour les cohortes 2007, 2008 et 2009, cette proportion augmente légèrement, jusqu’à 61 %. En comparaison, selon les indicateurs de l’aide sociale dans les villes suisses (Initiative des villes 2019, données de quatorze villes), 40 à 50 % des personnes dont le cas a été clôturé en 2018 ont touché l’aide sociale pendant moins d’un an, et 20 à 30 % d’entre elles pendant trois ans ou plus, ces chiffres variant d’une ville à l’autre.

En conclusion de leur étude, les auteurs changent de perspective pour pouvoir mieux classer les chiffres présentés selon leur signification pour l’aide sociale. Ils quittent le niveau des cohortes AI et passent à une vue transversale, en considérant les 175 240 unités d’assistance qui ont eu recours à l’aide sociale en 2017 selon la statistique de l’aide sociale. La question examinée est celle de savoir dans combien d’unités d’assistance pour lesquelles l’aide sociale a été perçue en 2017 se trouvent des personnes qui ont déposé une demande de prestations à l’AI entre 2006 et 2013 ou dont la rente a été supprimée entre 2008 et 2015. Du côté de l’AI, l’analyse prend en compte les quelque 279 000 personnes ayant déposé une demande entre 2006 et 2013. Environ 27 710 d’entre elles ont bénéficié de l’aide sociale en 2017, parmi lesquelles 2000 couples en ménage commun dont les deux membres ont déposé une demande auprès de l’AI. Comme l’unité d’assistance constitue l’unité de base de l’aide sociale, ces couples ne doivent être comptés qu’une seule fois ; en supprimant le double comptage des couples, il reste environ 25 710 bénéficiaires de l’aide sociale ayant déposé une demande auprès de l’AI par le passé. Près de 14,7 % des 175 240 unités d’assistance qui ont touché l’aide sociale en 2017 incluaient par conséquent des personnes ayant déposé une demande auprès de l’AI entre 2006 et 2013. Outre ces personnes, on dénombre en 2017 plus de 2000 bénéficiaires de l’aide sociale dont la rente a été supprimée entre 2008 et 2015. Ce chiffre correspond à 1,1 % des 175 240 unités d’assistance. Près d’une de ces unités d’assistance sur six (15,8 %) correspond ainsi à des personnes soit qui ont déposé une demande de prestations auprès de l’AI auparavant (14,7 %), soit dont la rente a été supprimée pendant la période mentionnée (1,1 %).

En appliquant le pourcentage moyen de transfert de 21,2 %, obtenu par une estimation statistique, aux 25 710 personnes qui, en 2017, touchaient l’aide sociale alors qu’elles avaient précédemment déposé une demande de prestations auprès de l’AI (en comptant les couples comme une seule personne), on arrive à 5450 personnes, soit 3,1 % de l’ensemble des dossiers d’aide sociale de l’année 2017. Si les suppressions de rentes intervenues entre 2008 et 2015 ayant débouché sur une perception de l’aide sociale en 2017 sont assimilées à des transferts de l’AI vers l’aide sociale, cela représente 1,1 % supplémentaire des dossiers d’aide sociale pour l’année 2017. Les cas de transfert provenant de personnes ayant déposé une demande de prestations AI entre 2006 et 2013 ou concernées par une suppression de rente entre 2008 et 2015 représentent ainsi 4,2 % du total des dossiers d’aide sociale en 2017.

  • Bibliographie
  • Guggisberg, Jürg; Bischof Severin (2020): Entwicklung der Übertritte von der Invalidenversicherung in die Sozialhilfe. Analysen auf Basis der SVIVALV-Daten (en allemand, avec résumé en français); [Bern: BSV]. Aspects de la sécurité sociale; rapport de recherche n° 8/20 : www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Recherche et évaluation > Rapports de recherche.
  • Guggisberg, Jürg ; Bischof, Severin ; Jäggi, Jolanda ; Stocker, Désirée (2015) : Evaluation der Eingliederung und der eingliederungsorienterten Rentenrevision der Invalidenversicherung (en allemand, avec résumé en français) ; [Berne, OFAS]. Aspects de la sécurité sociale; rapport de recherche n° 18/15 : www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Recherche et évaluation > Rapports de recherche.
  • Kolly, Michel ; Patry, Eric (2014) : « Moins de rentes AI au détriment de l’aide sociale ? », in Sécurité sociale CHSS, n° 1, pp. 44-49 : www.securite-sociale-chss.ch > Éditions & Dossiers > Éditions 1993-2015 > Archives jusqu’à 2015.
Sociologue et économiste, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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Économiste, responsable du secteur Analyse des données, modèles et prévisions, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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