Une enquête représentative menée en Suisse auprès de familles séparées a analysé leur quotidien et leurs conditions de vie. Les résultats montrent entre autres que les parents ont besoin d’offres d’accueil extrafamilial fiables et abordables.
En un coup d’œil
- Une étude réalisée à l’intention de la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF) montre que la majorité des couples qui se séparent ne rompent pas les liens entre eux ni avec leurs enfants.
- La qualité des relations entre les parents et leur capacité à gérer les conflits sont déterminantes pour le bien-être de l’enfant.
- En se basant sur l’étude, la COFF a formulé neuf recommandations à l’attention des spécialistes et des milieux politiques.
Les séparations et les divorces sont empreints d’une lourde charge émotionnelle et peuvent affecter le bien-être des enfants. Ils peuvent également engendrer des difficultés financières, des préjudices fiscaux et des complications administratives.
L’Institut Marie Meierhofer pour l’enfant (Marie Meierhofer Institut für das Kind [MMI]), le Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS et Andrea Büchler de l’Institut des sciences juridiques de l’Université de Zurich ont étudié à l’intention de la COFF les difficultés auxquelles sont confrontées les familles qui ne vivent pas sous le même toit (Stutz et al. 2022). L’étude met aussi en lumière certaines lacunes dans le cadre légal et administratif.
L’étude repose sur les réponses données par 2868 pères et mères qui vivent séparément et 244 enfants et adolescents concernés qui ont participé à une enquête en ligne en 2021, ainsi que sur 20 études de cas réalisées en 2020 et 2021.
Les arrangements familiaux sont extrêmement variés. L’étude montre par exemple que si 72 % des enfants de moins de 18 ans passent au moins une nuit toutes les deux semaines chez l’autre parent, seulement 7 % d’entre eux connaissent une durée d’hébergement à peu près égale chez les deux parents. Dans leur quotidien hors vacances, 19 % des enfants passent au moins un tiers des nuits chez chaque parent. 46 % des parents indiquent que les enfants passent plus de deux tiers, mais pas toutes les nuits, chez leur mère. En tout, 6 % des enfants rencontrent l’autre parent moins d’une fois tous les trois mois voire jamais.
L’implication des nouveaux partenaires
La plupart des parents interrogés, en particulier les pères, ont une nouvelle relation. Un tiers des mères vivent avec leur nouveau partenaire ; un cinquième environ vivent séparément. Parmi les pères, près de 40 % cohabitent avec leur nouvelle partenaire et un tiers des nouveaux couples vivent dans des logements séparés. Les personnes interrogées déclarent que les nouvelles relations de couple n’ont pas d’incidence sur les arrangements familiaux où l’enfant vit à la fois chez sa mère et son père.
Parmi les enfants qui vivent alternativement chez l’un et l’autre parent, la responsabilité de la prise en charge (en dehors des vacances) est répartie en fonction de la durée respective d’hébergement. Lorsque l’enfant passe au moins deux tiers des nuits chez la mère, le père assume la responsabilité de la garde surtout les week-ends et, en semaine, le vendredi. Toutefois, la mère se sent également impliquée dans la prise en charge pendant ce temps, soit parce que le père n’accueille pas l’enfant chaque semaine soit parce qu’il ne s’en occupe pas pendant toute la journée. En revanche, lorsqu’un enfant vit au moins pour un tiers chez ses deux parents, le père assume plus souvent la responsabilité de la garde aussi en semaine, généralement le matin ou le soir. Les grands-parents ou les partenaires sont eux aussi souvent impliqués dans la prise en charge.
Pendant les vacances, la moitié des pères et un quart des mères assument davantage de temps de prise en charge. Les parents se partagent donc le temps de garde lorsque l’enfant n’est pas à l’école ni dans une structure d’accueil.
Pères moins satisfaits
Les parents sont particulièrement satisfaits lorsque l’enfant vit tous les 15 jours ou plus souvent sous leur toit. Dans ce cas, 80 % des personnes interrogées se déclarent plutôt ou très satisfaites de la répartition de l’hébergement et de la garde. Cette proportion diminue toutefois massivement chez les parents qui n’accueillent jamais ou que rarement l’enfant.
Tous arrangements familiaux confondus, les pères se déclarent plus insatisfaits que les mères : seuls deux tiers des pères qualifient d’« idéal » l’arrangement trouvé. Chez les mères, cette proportion est de trois quarts. En particulier, les pères qui n’accueillent jamais ou que rarement leurs enfants chez eux souhaitent souvent une répartition plus égalitaire de l’hébergement et de la prise en charge. De même, parmi les mères qui souhaitent modifier l’arrangement, beaucoup souhaitent que le père assume davantage de responsabilités.
La coopération favorable au bien-être des enfants
Le bien-être des enfants qui vivent à tour de rôle chez chacun des deux parents n’est généralement ni pire ni meilleur que dans la moyenne suisse. L’enquête montre notamment qu’il ne dépend pas des pourcentages de garde. Le seul facteur dont il est avéré qu’il favorise le bien-être des enfants est la bonne qualité des relations entre les parents.
Il est frappant de constater que les enfants ne sont que rarement impliqués dans la décision concernant l’arrangement d’hébergement et de prise en charge, tant par les parents, que par les tribunaux et les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA).
Des moyens financiers limités
Des contributions d’entretien sont versées dans près de 80 % des cas, mais de nombreux parents ne sont pas satisfaits de l’arrangement financier. Ce sont les parents dont le temps d’hébergement et de prise en charge est inégal qui rencontrent le plus de difficultés financières : un tiers d’entre eux déclarent manquer d’argent. Cela laisse supposer que peu de parents parviennent à financer un modèle de prise en charge égalitaire avec deux logements familiaux.
Les mères ayant des problèmes financiers indiquent plus souvent qu’elles bénéficient d’aide sociale et les pères déclarent plus souvent qu’ils sont confrontés à de graves problèmes financiers et à des dettes, à défaut d’aide sociale. L’arrivée d’un nouveau partenaire dans le ménage permet d’améliorer la situation.
Changements du cadre normatif
En résumé, l’étude montre que les liens des enfants avec leurs parents et les échanges entre ces derniers sont fréquents. Les relations de l’enfant avec l’un des parents ne sont qu’exceptionnellement rompues et la majorité des parents séparés restent en contact. Toutefois, le cadre juridique avec sa dichotomie entre « droit de visite » et « garde alternée » convient mal au quotidien des familles après une séparation. Le recours à la notion plus extensive de « responsabilité de la prise en charge » serait plus opportun pour tenir compte de la diversité des situations.
Quel que soit l’arrangement familial, il existe une minorité de parents non réconciliés et conflictuels. Leur aptitude à gérer les conflits est d’autant plus importante. Tout soutien facile d’accès aidant les parents à trouver des solutions profite aux enfants. Il faudrait par ailleurs déployer davantage d’efforts pour que les enfants soient informés, écoutés et impliqués adéquatement au sein de la famille et au niveau administratif. À l’heure actuelle, une grande partie des enfants n’ont pas voix au chapitre en ce qui concerne l’arrangement familial.
Que signifie élever seul son enfant ?
L’étude montre également que dans la majorité des cas, les nouveaux partenaires contribuent à la prise en charge des enfants. Il faut donc vérifier au cas par cas la réalité des ménages monoparentaux dans ces situations. Les nouvelles relations mériteraient d’être considérées plus attentivement dans la recherche et en pratique.
Ce qui compte avant tout c’est que l’arrangement familial soit applicable au quotidien et que les deux parents maintiennent une relation vivante avec leurs enfants. Le plus simple serait de partir de l’hypothèse que la responsabilité de garde est partagée entre les parents puis de trouver des solutions individuelles appropriées. Il faut éviter d’enfermer les familles séparées dans le carcan d’un modèle rigide, se rappelant que la pratique compte plus que la théorie : l’arrangement est-il applicable au quotidien ? Convient-il aux enfants ? Peut-il s’adapter à la croissance des enfants ou aux changements professionnels des parents ? Favorise-t-il une relation saine et vivante entre les enfants et chaque parent ?
Dans l’ensemble, les pères sont plus insatisfaits que les mères. L’arrangement trouvé après une séparation reflète souvent la répartition des tâches qui existait entre les parents auparavant. Il risque de restreindre considérablement les contacts entre le père et ses enfants par rapport à la situation antérieure. Que les pères cherchent à changer cet état de fait est une bonne nouvelle. En même temps, il ne faut pas perdre de vue qu’une répartition unilatérale des tâches choisie par les deux parents alors qu’ils sont en couple diminue les possibilités de gain des mères à long terme en raison d’interruptions de l’activité lucrative ou de faibles taux d’occupation tandis qu’elle augmente celles des pères. Il faut en tenir compte de manière équitable après une séparation. Cela passe par la négociation et la facilitation d’une répartition non sexiste et égalitaire du travail lucratif et du travail familial au quotidien.
Contraintes financières
La difficulté de concilier vie familiale et vie professionnelle fait croître la pression financière sur les familles. Surtout lorsqu’ils ne vivent pas ensemble, les parents doivent pouvoir contribuer de manière substantielle au revenu familial. Pour cela, ils doivent disposer sur l’ensemble du territoire de structures d’accueil extrafamilial fiables, de qualité et abordables.
En outre, les contraintes financières s’opposent souvent à des arrangements équilibrés pour l’hébergement et la prise en charge des enfants. La possibilité pour les enfants de vivre à tour de rôle chez chacun des parents dépend dans une large mesure des ressources financières disponibles. Les familles à revenu bas ou moyen ne peuvent généralement pas se permettre de tels arrangements, quand bien même une prise en charge accrue des enfants par les pères offre une plus grande marge de manœuvre professionnelle aux mères. Une part importante des parents séparés fait face à des difficultés financières et il incombe à la politique de trouver des solutions plus judicieuses et plus équitables.
Enfin, des conditions-cadres défavorables affectent les possibilités de coparentalité. En faisant de l’autorité parentale conjointe la règle et avec l’obligation d’examiner la possibilité d’une garde alternée à la demande du père ou de la mère, le droit rend mieux compte du fait qu’il est possible de s’occuper ensemble des enfants en vivant séparément. Certaines conditions-cadres s’opposent néanmoins à ces arrangements. Notamment le fait que l’enfant ne peut avoir qu’un seul domicile officiel (art. 23 CC) ; une contrainte lourde de conséquences tant pour le lieu de scolarisation, que pour la réduction des primes d’assurance ou l’accès à un logement familial abordable. L’étude met en évidence un besoin de réformes en la matière.
Pour une coopération digne de ce nom
Sur la base de l’étude, la COFF a formulé neuf recommandations à l’attention des milieux politiques, de l’administration, de la recherche, de la justice, des APEA et des spécialistes concernés (COFF 2022). Elle souhaite ainsi contribuer à améliorer la situation des familles vivant séparément, en particulier lorsque la multilocalité s’accompagne d’une situation socio-économique défavorable.
Trois recommandations visent la qualité des relations, étant donné que de bonnes relations entre les parents, leur capacité à mener des échanges constructifs au sujet de leurs enfants et l’implication de ces derniers ont une influence considérable sur la possibilité de vivre de manière multilocale :
- Recommandation 1 : assurer des offres de conseil de qualité et faciles d’accès pour les parents avant ou pendant la séparation et le divorce, afin d’améliorer la qualité des relations et des échanges portant sur les enfants.
- Recommandation 2 : institutionnaliser la collaboration interdisciplinaire et légiférer en matière de médiation et de conseil dans les cas litigieux.
- Recommandation 3 : garantir de manière contraignante les droits des enfants à exprimer leur opinion et à être entendu, conformément à l’art. 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et participation obligatoire des enfants.
Pour des solutions égalitaires
Trois recommandations visent à favoriser les arrangements familiaux pratiques et égalitaires, dont on sait qu’ils apportent plus de satisfaction à tous les membres de la famille. Le chemin menant à de nouvelles formes familiales, pour passer de la famille « normale » qui vit en un seul lieu (Schlinzig 2020) à la famille recomposée, ouvre une marge de manœuvre pour de nouveaux arrangements en matière de garde et d’activité lucrative. Il convient de réécrire sans attendre le discours sur la parentalité et sur les normes dans les familles.
- Recommandation 4 : mettre en œuvre de nouvelles mesures visant à réduire le coût des offres d’accueil extrafamilial et parascolaire et à garantir l’accès de tous à ces offres, sans en détériorer la qualité.
- Recommandation 5 : mener une recherche sur cette thématique pour la Suisse et sensibiliser aux conditions de réussite des arrangements familiaux multilocaux.
- Recommandation 6 : renforcer le discours sociétal sur la parentalité et la famille en l’orientant vers un modèle de diversité.
Adaptation des normes juridiques
Enfin, trois recommandations sont adressées au monde politique. Un partage de la responsabilité de la prise en charge nécessite des conditions structurelles qui permettent aux parents de définir eux-mêmes leur taux d’activité et le taux de prise en charge et d’hébergement des enfants. Actuellement, le code civil ne prévoit que deux possibilités, à savoir la garde exclusive de l’enfant par un parent avec garantie des relations personnelles pour l’autre parent, d’une part, et la garde alternée ou partagée avec des taux de prise en charge, d’autre part (art. 133, al. 1, CC). Ce modèle n’est plus adapté à notre époque.
- Recommandation 7 : prendre en compte les besoins des familles qui vivent de manière multilocale lors de l’évaluation des prestations garantissant le minimum vital, telles que l’aide sociale, les prestations complémentaires ou le calcul du minimum vital au sens du droit des poursuites.
- Recommandation 8 : orienter les prestations et les processus de l’administration publique, des écoles et des institutions privées sur les besoins des familles ayant des arrangements multilocaux ; identifier et éliminer les désavantages.
- Recommandation 9 : réviser les bases juridiques (lois, ordonnances) selon le principe du partage de la responsabilité de la prise en charge.
La COFF considère que des réformes sont nécessaires dans le droit de la famille : pour être adapté au temps présent, le droit de la famille ne doit pas se fonder sur l’existence d’une « union maritale », mais être indépendant de l’état civil. Au lieu de parler de « garde alternée » et de « droit de visite », le droit devrait retenir la notion de responsabilité de la prise en charge. Cette dernière doit également être ouverte aux nouveaux partenaires des parents dans une famille recomposée. Une évidence s’impose : le bien-être de l’enfant doit toujours être prioritaire.
Bibliographie
Schlinzig, Tino (2020). Zwischen Anlehnung, Zurückweisung und Selbstbehauptung. Positionierungen multilokaler Nachtrennungsfamilien zum Leitbild der «Normalfamilie». In : Schondelmayer, Anne-Christin ; Riegel, Christine ; Fitz-Klausner, Sebastian (éd.). Familie und Normalität: Diskurse, Praxen und Aushandlungsprozesse. Opladen : Verlag Barbara Budrich. p. 189-205.
Stutz, Heidi ; Simoni, Heidi ; Büchler, Andrea ; Bischof, Severin ; Degen, Muriel ; Heusser, Caroline ; Guggenbühl, Tanja. Quand les parents ne vivent pas ensemble – Parentalité et quotidien des enfants, rapport de recherche à l’intention de la COFF, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS SA, Institut Marie Meienhofer pour l’enfant.