Comment les jeunes perçoivent leur santé psychique : compte rendu

En Suisse, les jeunes souffrent de plus en plus de problèmes psychiques. Une pression accrue au travail, à l’école et sur les réseaux sociaux en est probablement la cause.
Sandra Büschi
  |  15 août 2023
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Comment les jeunes peuvent-ils être soutenus face à la gestion de difficultés psychiques ? (Alamy)

En un coup d’œil

  • Fin mai 2023, Santé publique Suisse, le Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ), UNICEF Suisse et Liechtenstein, CIAO et Pro Juventute ont organisé une conférence avec des jeunes pour étudier les causes de l’augmentation des problèmes psychiques chez les adolescents et les jeunes adultes et élaborer ensemble des solutions.
  • L’école et l’intensification du travail accablent gravement beaucoup de jeunes ; à cela s’ajoutent des problèmes globaux comme la pandémie, la crise climatique ou la guerre ainsi que des influences négatives des médias sociaux.
  • Les discussions menées lors de la conférence ont permis de dégager des ébauches de solutions comme le renforcement des facteurs de protection, la collaboration entre les différents acteurs du domaine de la prévention, la déstigmatisation des problèmes psychiques au sein de la société, le renforcement des offres faciles d’accès, l’amélioration des données et une meilleure participation des jeunes.
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La charge psychique qui pèse sur les jeunes a augmenté ces dernières années. Selon la Swiss Corona Stress Study, un tiers des jeunes de 14 à 24 ans étaient alors touchés par des symptômes dépressifs graves. Une étude (résumé en français) publiée cette année par l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) a conclu qu’en 2022, 30 % des jeunes femmes de 15 à 24 ans et 15 % des jeunes hommes de la même tranche d’âge souffrent de symptômes dépressifs modérés à sévères.

Dans une étude de l’UNICEF, menée en 2021, 37 % des jeunes de 14 à 19 ans ont déclaré avoir des problèmes psychiques : un jeune sur onze a déjà tenté de mettre fin à ses jours. Les études et les chiffres des offres de conseil de Pro Juventute mettent en évidence le fardeau qui pèse sur les enfants et les jeunes. Le téléphone de consultation 147 reçoit sept à huit appels par jour liées à des pensées suicidaires. Par rapport à la situation avant la pandémie, le nombre de ces entretiens a donc presque doublé.

Mais quelles sont les causes de cette augmentation – qui dure déjà depuis quelque temps – des problèmes psychiques chez les adolescents et les jeunes adultes ? Comment soutenir les jeunes confrontés à des difficultés psychiques ? Et comment faire pour minimiser les facteurs de risque et maximiser les facteurs de protection afin de prévenir l’apparition de maladies psychiques ?

Afin de répondre à ces questions, Santé publique Suisse a organisé une conférence fin mai 2023 en collaboration avec le Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ), UNICEF Suisse et Liechtenstein, CIAO et Pro Juventute ainsi que les principales associations de jeunesse de Suisse. L’objectif n’est pas de parler des jeunes, mais avec les jeunes. Ainsi, dès le début, les adolescents et les jeunes adultes ont joué un rôle déterminant dans l’organisation de la conférence, ont défini des champs thématiques, ont mené des ateliers et ont présenté des offres déjà existantes et qui ont fait leurs preuves.

Pourquoi de plus en plus de jeunes sont-ils atteints de maladies psychiques ?

Les pédopsychiatres ont rapporté que, selon leur expérience quotidienne, la pression scolaire, le stress des examens, le choix d’une profession et la recherche d’un emploi pèsent lourdement sur le psychisme de nombreux jeunes. À cela s’ajoute l’intensification du travail de ces dernières années, et par laquelle on entend une augmentation du travail à fournir en un temps donné. Les changements dans le monde du travail qui accompagnent la numérisation croissante créent de nouvelles exigences pour les travailleurs. Le Job Stress Index 2022 montre que les travailleurs perçoivent une augmentation considérable du rythme de travail depuis 2016, ce qui peut contribuer à un épuisement émotionnel. Les personnes plus âgées sont certes également touchées, mais les jeunes qui entre dans la vie active subissent l’intensification du travail à un moment où ils sont particulièrement vulnérables. L’enquête du Job Stress Index 2020 relève qu’en Suisse, les personnes actives de 16 à 24 ans constituent – avec 42 % – non seulement le plus grand nombre d’actifs dans la zone critique du Job Stress Index par rapport aux autres classes d’âge, mais aussi la valeur la plus élevée sur l’échelle globale de l’intensification du travail.

Pendant la conférence, Pro Juventute a expliqué dans le cadre de son atelier qu’à cela s’ajoutent les crises comme la pandémie, le changement climatique, la guerre en Ukraine et la menace de l’inflation qui sont omniprésentes dans les médias sociaux, très fréquentés par les jeunes. En d’autres termes, les jeunes sont exposés à des messages non filtrés et non vérifiés ainsi qu’à une surcharge de stimuli dans les médias sociaux. De plus, ils y entrent en contact avec d’innombrables modes de vie. Les comparaisons avec d’autres modes de vie suscitent une remise en question de leur propre personnalité ou encore de leurs valeurs et opinions. Cela peut être utile, mais suscite aussi un sentiment d’incertitude chez certains. Par exemple, ils sont confrontés à des contenus qui peuvent affecter l’image de soi, comme des conseils en termes de comportement alimentaire, certains idéaux de beauté ou des rôles modèles problématiques.

Promouvoir la prévention

Plusieurs professionnels l’ont énoncé clairement durant la conférence : développer les compétences pendant l’enfance contribue à éviter les troubles psychiques à l’adolescence. Il est important d’enseigner aux jeunes l’auto-efficacité dès leur plus jeune âge, de les encourager à développer des compétences en matière de résolution de problèmes et de leur apprendre à se démarquer et à savoir ce qui est bon pour eux. Les programmes de prévention – dont le but est de renforcer ces facteurs de protection – doivent atteindre les jeunes dès leur plus jeune âge et assurer la collaboration entre différents acteurs, tels que les professionnels de la santé, les enseignants et les parents.

Mais des problèmes psychologiques peuvent survenir malgré les mesures de prévention. Dans le « Manifeste pour la santé des enfants et des adolescents » que Santé publique Suisse a publié en 2019, il est mis en évidence que de nombreuses anomalies psychiques commencent à l’adolescence et ne sont détectées que tardivement. Des années s’écoulent souvent entre les premiers signes de la maladie, un diagnostic et le début de la thérapie. Cela peut mener à l’installation d’un comportement malsain, à d’autres troubles et à une charge accrue de morbidité. Il est donc important d’identifier au plus tôt les troubles psychiques et les traiter efficacement. Pour que le dépistage précoce soit efficace, il est primordial de poursuivre la déstigmatisation des problèmes psychiques. Il reste encore un grand travail de sensibilisation à accomplir au sein de notre société, aussi bien auprès des jeunes que des adultes.

La crise actuelle survient dans le contexte d’un système de soins surchargé. Les enfants et les adolescents attendent souvent plusieurs mois avant d’obtenir un traitement psychiatrique ou psychothérapeutique. Cependant, de nombreuses offres de qualité et facile d’accès sont déjà disponibles pour aider les personnes concernées. Il serait souhaitable de contrôler quelles offres sont particulièrement efficaces, de tenir un registre clair et d’augmenter la visibilité des offres auprès du groupe cible. Les offres à bas seuil, comme les soutiens par les pairs, peuvent également être utilisées pour combler les délais d’attente avant le commencement d’un traitement psychiatrique ou psychothérapeutique. Pour cela, un accès équitable à ces offres doit toutefois être garanti. De nombreuses personnes touchées par des problèmes psychiques ne font pas appel à ces offres, car elles n’ont pas les moyens d’en couvrir elles-mêmes les frais.

Alors que, dans le système de soin, le financement des prestations est régi par la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), il manque des bases légales pour systématiser la réglementation des mesures dont l’efficacité est démontré scientifiquement, mais qui n’entre pas dans ce champ d’application. Seules les prestations médicales individuelles fournies par des professionnels de la santé reconnus par la LAMal et dispensées ou prescrites par un médecin peuvent être prises en charge par l’assurance obligatoire des soins (AOS). Santé publique Suisse estime qu’il faut clarifier le rôle que doivent jouer les professionnels non médicaux dans la prévention et la prise en charge à bas seuil des maladies psychiques, par exemple dans le domaine du conseil et suivi psychosocial, ainsi que la manière dont la prise en charge des coûts des prestations correspondantes peut être réglée de manière systématique et durable. Cela concerne en particulier les questions liées à la délimitation et au financement des prestations à mi-chemin entre les soins médicaux et le secteur des services sociaux et des collectivités.  

Plus de données sont nécessaires

Même si plusieurs études ont déjà été menées sur ce thème, il subsiste un grand manque de données. Un monitoring constant est essentiel. La situation des adolescents et leur santé psychique devraient régulièrement faire l’objet d’enquêtes afin d’évaluer l’évolution au fil des années et de mettre en évidence les liens de cause à effet. Il nous faut mieux comprendre pourquoi tant de jeunes sont soumis à une forte pression psychologique et quels changements sociaux sont nécessaires pour y remédier. L’utilisation faite des différentes offres devrait faire partie intégrante de ces enquêtes.

De plus, il serait utile de rendre les facteurs de la structure du problème quantitativement mesurables. Par exemple, de nouvelles unités de mesure concernant l’intensité du travail ou la consommation de médias sociaux pourraient être introduites afin d’évaluer leur lien avec la santé psychique et de lier des données objectives aux perceptions subjectives. Cela soulignerait encore une fois l’urgence de la situation et faciliterait la formulation de mesures concrètes.

La participation oui, mais…

Il semble évident qu’il est indispensable de faire participer les jeunes à l’élaboration des solutions. En même temps, la conférence a montré qu’il y a lieu d’accompagner et de soutenir les adolescents et les jeunes adultes.

Du point de vue de Santé publique Suisse, il faut s’assurer que les idées, basées en partie sur des sentiments subjectifs, soient « traduites » en exigences et activités concrètes, utiles et réalisables, qui soient entendues et comprises par les responsables politiques. L’échange avec les adolescents et les jeunes adultes doit être planifié, préparé et mis en œuvre. Si les politiques et les autorités veulent être à l’écoute des jeunes, ils doivent mettre en place des procédés correspondants et y consacrer des ressources.

Avertissement : les causes et les solutions présentées dans cet article reflètent l’opinion du secrétariat de Santé publique Suisse et ne doivent être considérées ni comme le rapport final sur les résultats de la conférence du 24 mai 2023 ni comme un rapport scientifique.

Collaboratrice scientifique, Santé publique Suisse
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