L’existence d’une offre de logements adéquate est une préoccupation politique très répandue en Suisse. Les grandes villes et les communes qui connaissent une forte croissance sont, en effet, confrontées à une pénurie de logements abordables. Les ménages socialement défavorisés ou touchés par la pauvreté éprouvent, par conséquent, de grandes difficultés à trouver un logement et à le conserver sur la durée. La Constitution fédérale oblige pourtant la Confédération et les cantons à s’engager, « en complément de la responsabilité individuelle et de l’initiative privée, à ce que (…) toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables » (art. 41, al. 1, let. e, Cst.). Les pouvoirs publics sont ainsi tenus d’œuvrer en faveur d’une offre de logement de qualité et, le cas échéant, de jouer un rôle actif dans l’aide au logement. Les garanties financières constituent, à cet égard, un élément essentiel pour améliorer la capacité des ménages d’accéder à un logement et de le conserver.
Les pouvoirs publics déploient déjà des moyens importants pour améliorer les conditions de logement des ménages à faible revenu. Les cantons, les villes et les communes subventionnent des logements à loyer modéré ou prennent en charge les frais de logement dans le cadre de l’aide sociale ou des prestations complémentaires. Ces approches n’ont toutefois qu’une efficacité limitée pour permettre aux ménages socialement défavorisés de trouver et de conserver un logement. Ce constat a conduit plusieurs cantons, villes et communes à développer l’aide au logement ces dernières années, soit en augmentant directement leur offre, soit en subventionnant celle de tiers.
Une étude antérieure, réalisé par ETH Wohnforum – ETH CASE (centre de recherche interdisciplinaire sur le logement du département d’architecture de l’École polytechnique de Zurich) dans le cadre du programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, a examiné la gamme et le cadre général des offres non financières de l’aide au logement (Althaus et al. 2016). Cette étude a mis en évidence que les garanties financières jouent, en complément des offres non financières, un rôle fondamental pour permettre aux ménages socialement défavorisés de disposer d’un logement.
Il existe, à l’heure actuelle, trois modèles de garantie financière : le cautionnement de la garantie de loyer, la responsabilité solidaire et la reprise du bail. Ces modèles s’adressent tous les trois aux ménages socialement défavorisés et à faible revenu, qu’ils bénéficient ou non de prestations de l’aide sociale. Leur objectif est de remédier à la situation financière difficile qui peut survenir à la sortie de l’aide sociale, d’éviter, grâce à un soutien ciblé, que des ménages ne tombent (de nouveau) dans la pauvreté, et d’aider à prévenir les conséquences coûteuses associées à la perte du logement. À ces divers titres, ces modèles présentent, pour les villes et les communes, une utilité à la fois économique et sociale. L’équipe du ETH Wohnforum – ETH CASE a mené une étude de suivi afin de mieux évaluer leur potentiel dans le domaine de l’aide au logement pour les ménages touchés par la pauvreté. Elle a examiné comment ces modèles sont mis en œuvre par différents acteurs et le rôle que les pouvoirs publics jouent ou pourraient jouer à l’avenir pour les soutenir.
Trois Modèles
- Le modèle du cautionnement de la garantie de loyer intervient lors de la conclusion d’un bail. La garantie de loyer qui est fréquemment exigée à la conclusion d’un tel contrat pénalise fortement les ménages à faible revenu sur le marché du logement. S’ils ne sont pas en mesure de verser cette garantie – dont le montant correspond généralement à trois mois de loyer –, ces ménages n’obtiendront pas de nouvel appartement. Depuis les années 1990, la fondation Edith Maryon1; propose, parmi d’autres, de cautionner la garantie de loyer en offrant au bailleur la garantie financière désirée grâce à des provisions sur son fonds de solidarité. La fondation ne cautionne pas des garanties en espèces, mais prend à sa charge, lors de la résiliation du bail, les éventuelles créances du bailleur visant à couvrir des détériorations ou des impayés de loyer à concurrence de trois mois. Pour couvrir le risque, les locataires versent au fonds de solidarité une contribution unique représentant 15 % du montant de la garantie de loyer demandée par le bailleur et paient des frais d’inscription et de gestion non récurrents. A la différence des deux autres modèles examinés, le cautionnement de la garantie de loyer n’est pas combiné avec des prestations non financières.
- Dans le modèle de la responsabilité solidaire, une organisation répond solidairement du bail de façon à permettre aux personnes socialement défavorisées d’accéder à un logement et de le conserver. Outre la garantie financière du loyer, des charges et des autres créances dues au bailleur en vertu du bail, la responsabilité solidaire offre au bailleur une sécurité juridique. Depuis le milieu des années 1990, la fondation Domicil2 s’engage, dans le cadre de la responsabilité solidaire, à accompagner les locataires en cas de problèmes avec le bailleur ou avec le voisinage. Le bailleur obtient de la sorte une sécurité que les locataires ne peuvent pas lui offrir par leurs propres moyens. La fondation ne prend pas elle-même en charge la garantie de loyer, mais aide les locataires à en constituer une. Des provisions provenant du fonds de dotation couvrent les frais liés à d’éventuels dégâts ou impayés de loyer que les locataires ne peuvent pas régler eux-mêmes et qui excèdent le montant de la garantie de loyer.
- Dans le modèle de la reprise du bail, une organisation signe le contrat de bail en son nom propre et remet le logement à une ou plusieurs personnes socialement désavantagées qui ne trouvent pas de logement approprié ou sont sur le point d’être expulsées. La fondation Apollo3 conclut de tels contrats pour une durée initiale de deux ans, puis les renouvelle chaque année si nécessaire. En l’absence de litiges, un glissement du bail au profit du ou des occupants est proposé au bailleur. Afin d’éviter une concentration des situations problématiques, les appartements de la fondation Apollo sont répartis entre plusieurs immeubles. L’offre s’accompagne en général d’un suivi social pour résoudre d’éventuels problèmes et permettre, à terme, aux bénéficiaires d’obtenir un bail à leur nom. La fondation fournit une déclaration de garantie avec le bail, mais ne prend pas de garantie de loyer à sa charge.
La signature ou la cosignature du bail implique des risques importants. Pour supporter ces risques, la combinaison de garanties financières et de mesures non financières de conseil et de soutien est au cœur des deux modèles de la responsabilité solidaire et de la reprise du bail.
La fondation en tant que forme organisationnelle Il est frappant de constater que tous les modèles examinés sont proposés par des fondations indépendantes. La raison est que la fondation représente, par rapport aux institutions étatiques, une structure organisationnelle plus souple. Elle offre aussi une plus grande liberté et indépendance dans la définition, l’organisation et l’adaptation des contenus et des offres ainsi qu’une plus grande marge de manœuvre pour les décisions. Ces caractéristiques permettent de mieux gérer le risque lié aux garanties financières et de mieux se protéger des bailleurs qui offrent des logements de qualité médiocre pour des loyers excessifs, mais aussi des clients qui ont besoin d’un soutien plus important ou pour lesquels il serait trop risqué de se porter garant financièrement. La forme organisationnelle de la fondation permet en outre d’ouvrir et d’alimenter des fonds pour la minimisation des risques. La présence de représentants des milieux de l’économie et de l’immobilier au sein du conseil de fondation est également essentielle pour instaurer une relation de confiance et convaincre les propriétaires, les investisseurs et les gérances immobilières. Elle rend possible et renforce la collaboration avec les bailleurs actuels et futurs.
Possibilités pour les pouvoirs publics de soutenir les modèles de garanties Un état des lieux de la situation juridique dressé dans le cadre de l’étude a mis en évidence que les bases légales qui permettraient aux cantons et aux communes d’offrir directement des garanties financières aux bailleurs font actuellement défaut (à l’exception des lois cantonales sur l’aide sociale)4. Normalement, le financement d’offres de tiers par les pouvoirs publics doit s’appuyer sur une base légale qui règle les mandats de prestations au niveau cantonal (une loi sur le logement, p. ex.) ou communal. Dans certains cantons, par exemple dans le canton de Zurich, une décision budgétaire de l’organe compétent est suffisante pour subventionner des offres. Les juristes recommandent donc que les garanties financières soient mises à disposition par des tiers et que ces derniers soient soutenus par les pouvoirs publics au moyen de conventions de prestations, comme c’est le cas pour les modèles des fondations Domicil et Apollo. Les développements qui suivent décrivent les possibilités dont disposent en pratique les pouvoirs publics soucieux d’apporter un soutien direct ou indirect aux modèles existants.
CAutionnement de la garantie de loYER Selon les lois cantonales sur l’aide sociale, les bénéficiaires de l’aide sociale ont droit à un logement ou à des conditions de logement adéquates. Puisque les bailleurs exigent, avant d’attribuer un logement, une garantie de loyer et des assurances que le loyer sera régulièrement payé, les services sociaux leur offrent de telles garanties dans le cadre de l’aide sociale5. En fonction de la législation cantonale ou communale, les communes fournissent des déclarations de garantie dans le cadre de l’aide sociale ou versent parfois des garanties de loyer en espèces pour permettre aux bénéficiaires d’obtenir un logement. La prise en charge d’une garantie de loyer par les pouvoirs publics pose plusieurs défis aux services sociaux, notamment une charge administrative importante et un certain risque financier.
Les difficultés soulevées par ce type de garantie affectent toutefois en particulier les bailleurs. En effet, les services sociaux ne sont pas tenus de les informer de la sortie de leurs locataires de l’aide sociale. Les bailleurs se retrouvent ainsi pris au dépourvu s’ils font valoir aux pouvoirs publics des demandes de paiement pour des dégradations alors que les locataires sont sortis de l’aide sociale et que le service social ne peut plus être poursuivi. En outre, certains propriétaires privés et petites sociétés de gestion ne savent pas que le droit du bail les oblige à faire valoir les demandes de paiement aux locataires, sans leur consentement, dans un délai de trois à cinq jours après avoir constaté des dégradations. Si le service juridique d’un service social rejette les demandes tardives de recouvrement des garanties de loyer, la méfiance des bailleurs envers les institutions de protection sociale s’en trouve renforcée. Il n’est pas rare que des expériences négatives dissuadent les bailleurs de proposer des logements aux bénéficiaires de l’aide sociale. Pour cette raison, les bailleurs préfèrent généralement collaborer avec une organisation extérieure à laquelle ils font davantage confiance qu’à un service d’aide sociale (voir Althaus et al. 2016, p. 35ss).
responsabilité solidaiRE Le code des obligations n’offre pas de base pour conclure un contrat par lequel l’État et un particulier louent conjointement un logement de façon à permettre à ce particulier de l’habiter. Pour que les pouvoirs publics puissent assumer une telle responsabilité solidaire dans le domaine du logement et apporter un soutien aux bénéficiaires de l’aide sociale ou aux personnes socialement défavorisées qui ne touchent pas l’aide sociale, il faudrait d’abord créer les bases légales nécessaires. Cela semble difficilement réalisable dans le contexte actuel, marqué par une réduction des dépenses en matière de politique sociale et d’aide sociale. Mais puisque la responsabilité solidaire contribue de manière significative à améliorer les conditions de logement des groupes défavorisés dans un marché du logement tendu, il vaut la peine pour les pouvoirs publics d’en assurer, au nom de l’intérêt général, au moins le cofinancement indirect.
REPRIS du bail Un nombre assez important de communes louent, dans des cas particuliers ou dans des situations d’urgence, des logements pour les mettre à la disposition de bénéficiaires de l’aide sociale. Ces interventions ne s’inscrivent toutefois pas dans une démarche globale, comme c’est le cas de la fondation Apollo ou de la fondation Domicil6. Lorsqu’une commune prend le bail à son nom, le suivi social du bénéficiaire de la mesure fait souvent défaut, ce qui peut entraîner des complications. La gestion des logements et le suivi social – qui sont pourtant deux éléments essentiels de ce modèle – représentent des défis pour les communes et rendent difficile une généralisation du modèle. Par conséquent, il peut être préférable pour les communes de confier à des tiers les obligations qui découlent d’un bail. Grâce à cette collaboration, les communes peuvent avoir recours à des connaissances et des compétences en matière de droit du bail, de questions du logement, de travail social et de suivi qu’elles ne possèdent généralement pas elles-mêmes, ou seulement de façon limitée. Elles peuvent également profiter de contacts avec les milieux de l’immobilier.
Les pouvoirs publics ont donc actuellement différentes possibilités d’apporter leur soutien aux modèles de garantie vis-à-vis des bailleurs. Ils peuvent d’abord fournir directement leurs propres mesures de garantie financière, par exemple par le biais des services sociaux dans le cas du cautionnement de la garantie de loyer. Ils peuvent aussi proposer un soutien financier indirect à des offres existantes, siéger dans les organes stratégiques des instances qui fournissent ces offres et lancer de nouvelles offres grâce à des programmes d’incitation.
résumé Contrairement aux pouvoirs publics, pour lesquels une prise en charge directe des garanties financières s’accompagne de lourdeurs administratives, les fournisseurs privés de telles garanties font preuve de flexibilité et sont capables d’agir très rapidement. Les trois modèles de garantie examinés s’adressent en outre à des catégories de la population qui ne bénéficient pas forcément de l’aide sociale, mais ont besoin de soutien pour trouver un logement ou conserver celui qu’elles occupent. Pour les cantons, les villes et les communes, il peut donc être très intéressant d’apporter un soutien à ces offres de garanties financières, notamment parce que celles-ci sont souvent combinées avec un soutien non financier. Ces offres peuvent, par exemple, prévenir les conséquences coûteuses d’une expulsion, éviter l’hébergement dans des hôtels, aux frais des pouvoirs publics, des ménages à la recherche d’un logement, ou encore combler les lacunes dans la sécurité du logement à la sortie de l’aide sociale. Une collaboration avec des organisations non gouvernementales actives dans le domaine de l’aide au logement est également intéressante, car ces organisations sont solidement implantées dans la société civile, peuvent agir plus rapidement et possèdent des compétences qui font souvent défaut aux services sociaux étatiques. En concluant des conventions de prestations avec des tiers et en leur versant des subventions, les cantons, les villes et les communes peuvent déterminer clairement le type de prestations et de collaboration qu’ils souhaitent, en contrôler la réalisation et procéder aux adaptations voulues à la lumière des évolutions récentes et de leurs propres expériences. Une représentation au sein des organes stratégiques des fondations qu’ils soutiennent permet aux pouvoirs publics d’avoir une vue d’ensemble du travail accompli, de veiller à l’utilisation des fonds, et d’assurer ainsi le contrôle de la qualité. Un élément crucial pour améliorer les conditions de logement des ménages socialement défavorisés est la volonté des communes de promouvoir des systèmes de garantie pour les locataires à faible revenu en dehors de l’aide sociale. Sur ce point aussi, la collaboration avec des tiers est indiquée, car elle permet parfois d’obtenir des résultats importants pour un investissement relativement modeste7. Une telle collaboration constitue une option intéressante pour les cantons, les villes et les communes qui ne peuvent pas fournir directement de garanties financières, soit parce que les risques leur paraissent trop importants, soit parce que les bases légales font défaut. Les pouvoirs publics obtiennent ainsi la possibilité d’améliorer les conditions de logement des ménages défavorisés et de participer activement à l’aide au logement.
Bibliographie
- Bibliographie
- Althaus, Eveline ; Schmidt, Michaela ; Glaser, Marie (2017) : Sicherung und verbesserter Zugang zu Wohnraum für sozial benachteiligte Haushalte. Finanzielle Garantiemodelle gegenüber Vermietenden (étude en allemand, réalisée dans le cadre du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté) ; [Berne : OFAS]. www.contre-la-pauvrete.ch > Logement > Etude sur les modèles de garantie financière.
- Althaus, Eveline ; Schmidt, Michaela ; Glaser, Marie (2016) : Nicht-monetäre Dienstleistungen im Bereich Wohnen für armutsbetroffene und -gefährdete Menschen: eine Untersuchung von staatlichen und nicht-staatlichen Angeboten (en allemand avec résumé en français); [Berne : OFAS]. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche no 2/16 : www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Recherche et évaluation > Rapports de recherche.
- 1 www.maryon.ch > Verbürgte Mietkaution.
- 2 www.domicilwohnen.ch > Wohnungsvermittlung > Wie wir helfen > Vereinbarung Solidarhaftung (PDF).
- 3 www.fondation-apollo.ch > Nos prestations.
- 4 M. Rüssli, Kurzmemorandum rechtliche Grundlagen finanzieller Garantien gegenüber Vermietenden, IV, 27, publié en annexe au rapport de Althaus et al. 2017, pp. 37ss.
- 5 Le canton de Fribourg joue actuellement un rôle de pionnier dans ce domaine. En mai 2017, il a annoncé offrir, sur l’ensemble du territoire cantonal, un système de garantie de loyer aux bénéficiaires de l’aide sociale. L’objectif est d’assurer l’accès au logement et d’éviter la perte du logement. La procédure d’octroi d’une garantie de prise en charge des loyers courants ou du cautionnement d’un dépôt de garantie a été harmonisée, tandis que la procédure de transfert entre services sociaux régionaux en cas de changement de domicile a été réglée : www.fr.ch > Toutes les actualités > 3.5.2017 > Pour la première fois à Fribourg et en Suisse romande, l’État, les services sociaux et les régies s’accordent sur un système de garantie de loyer.
- 6 La fondation Domicil offre également aux locataires la possibilité d’établir le bail uniquement au nom de la fondation. Dans le cadre de la présente étude, c’est principalement le modèle de responsabilité solidaire proposé par la fondation Domicil qui a été éxaminé.
- 7 Voir à ce sujet l’étude «Offres de l’aide au logement pour les personnes touchées par la pauvreté : Orientation pour les cantons, les villes et les communes» (EBP / ETH Wohnforum), réalisée dans le cadre du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté et dont la publication est prévue à l’hiver 2018.