L’environnement des caisses de pensions s’est considérablement modifié depuis l’introduction de la LPP en 1985. Si l’augmentation constante de l’espérance de vie et le niveau des taux de conversion sont souvent cités comme les enjeux importants dans le système de retraite, le contexte persistant de taux d’intérêt bas figure en tête de liste des principaux défis des régimes de retraite et d’assurance depuis de nombreuses années en Suisse et dans les pays développés.
En un coup d’œil
- Une étude récente montre les effets de l’évolution des taux d’intérêt sur la capacité financière de la prévoyance professionnelle suisse.
- La baisse des taux d’intérêts observée depuis 1985 a renforcé la performance financière du 2ème Les assurés ont de manière générale profité de ces rendements.
- Sur la base de plusieurs scénarios d’évolution des taux, la solidité du 2ème pilier a aussi été examinée. Il est apparu que le système de financement par capitalisation est approprié.
- Les fondations collectives, notamment celles de grande taille, et les institutions de droit public en capitalisation complète constituent globalement les types d’institutions ayant le risque le plus marqué.
- L’étude fait aussi des recommandations en ce qui concerne les prescriptions légales de placement, le cadre de surveillance du processus de placement et les mesures d’incitation à une politique de placement durable.
Le but principal de l’étude « Effets d’une longue période de faibles taux d’intérêt sur la prévoyance professionnelle » a consisté à montrer les effets directs et indirects de l’évolution des taux d’intérêt sur la capacité financière et la solidité du 2ème pilier. Un second but a porté sur l’examen des dispositions relatives aux placements pour notamment voir si elles font ou non obstacle à une politique de placement favorable au développement durable.
Cette étude a commencé au début de l’année 2021, alors que les caisses de pensions étaient confrontées à un environnement de faibles taux d’intérêt. Depuis, le contexte économique et financier a évolué, avec la hausse marquée de l’inflation et la guerre en Ukraine. Malgré cette évolution inattendue, les éléments de cette étude gardent leur pertinence. En effet, l’étude repose sur des scénarios économiques dont l’objectif est de mettre en lumière les conséquences de certaines évolutions possibles sur la santé financière du 2ème pilier.
Données utilisées et cohortes étudiées
Les résultats ont été analysés sous l’angle global du 2ème pilier et par type d’institutions, à savoir les fondations propres, collectives, communes et les institutions de prévoyance de droit public sans garantie étatique (voir www.oak-bv.admin.ch/fr/themes/recensement-situation-financiere), sur la base des données individuelles fournies par la Commission de Haute Surveillance de la prévoyance professionnelle (ci-après « CHS PP »). Après suppression des institutions écartées en raison de leur caractère particulier (par exemple celles en primauté des prestations), l’univers retenu dans le cadre de l’étude se monte à 1’179 institutions, pour un total d’engagements de 758,1 milliards de francs (75 % des engagements totaux).
Performance financière renforcée par la baisse des taux
Une part importante de la performance financière du 2ème pilier constatée au cours des dernières années a pu être réalisée grâce aux gains en capitaux exceptionnels consécutifs à la baisse des taux d’intérêt, qui s’explique elle-même par les politiques monétaires ultra-accommodantes mises en place. Un scénario de sortie de ces politiques monétaires et une hausse des taux d’intérêt devraient réduire ces niveaux de valorisation et, par conséquent, réduire les performances futures attendues.
Concernant les niveaux des prestations de prévoyance, les institutions de prévoyance ont pu depuis 1985 faire bénéficier les assurés d’intérêts crédités supérieurs, en moyenne, au taux minimum légal selon la LPP. Ces intérêts étaient également supérieurs à l’augmentation nominale des salaires (de l’ordre de 1,5 points de pourcentage en moyenne sur la période 1985-2020). Le système de capitalisation du 2ème pilier a ainsi permis, grâce au troisième cotisant, d’offrir des prestations au-delà du maintien du pouvoir d’achat des assurés, et au-delà de la règle dite d’or qui veut que le taux crédité sur les avoirs de vieillesse corresponde à l’augmentation nominale des salaires. Une rémunération effective supérieure à celle de la règle d’or permet ainsi de dépasser l’objectif de rente de 34 % du salaire coordonné souhaité par le législateur. Si, en pratique, cet objectif de rente visé n’est pas toujours atteint de manière individuelle, cela provient essentiellement d’éléments exogènes au système (par exemple : situation du marché du travail ou familiale ayant impliqué un retrait de capitaux en cours de carrière ou une carrière incomplète au moment du départ à la retraite).
L’étude a aussi permis de montrer que les différents types d’institutions de prévoyance ont connu des évolutions historiques très similaires. Néanmoins une différence est notamment apparue au niveau des fondations collectives. Ces fondations présentent globalement des niveaux de constitution de la réserve de fluctuation de valeurs, par rapport à leur objectif, inférieurs à ceux des autres fondations. La forte croissance de leurs engagements, provenant d’affiliations importantes de nouveaux assurés, a conduit à une certaine dilution de leurs réserves et donc à une certaine contention de leur degré de couverture.
Quatre scénarios de base et trois scénarios de stress
Pour évaluer la santé financière du 2ème pilier, quatre scénarios économiques de base ont été élaborés sur des horizons de temps de 5 et 10 ans : scénario de normalisation qui étudie les effets d’une normalisation de la situation en matière de taux / scénario de statu quo qui met en scène la continuité de la situation de taux d’intérêt négatifs en vigueur / scénario de poursuite qui prévoit la prolongation de la tendance observée ces dernières années (descente continuelle des taux d’intérêt) / scénario d’éclatement puis normalisation qui étudie les conséquences d’un choc haussier de taux. Dans l’objectif de mettre à l’épreuve le système du 2ème pilier, des scénarios dits de stress ont aussi été élaborés.
Pour chaque scénario économique, des calculs d’espérances de performances ont été établis au moyen d’une approche par « building blocks » (approche usuelle dans la branche financière reposant sur des références académiques et adoptée par des instituts de recherche, bancaires et économiques).
Une modélisation individuelle a ensuite été élaborée pour chacune des institutions de prévoyance de l’univers retenu, sur un horizon de 10 ans. Cette projection du bilan se base sur les données à fin 2020 fournies par la CHS PP et sur la situation financière de chaque institution et sur ses caractéristiques.
Pas de défaillance du 2ème pilier, mais des fondations collectives plus à risque
Les résultats des analyses projectives effectuées ont permis de conclure que le système de financement par capitalisation propre au 2ème pilier n’est pas à remettre en cause (graphique 1).
Le risque de défaillance du 2ème pilier peut être écarté au vu de la proportion très limitée des institutions de prévoyance présentant un niveau de couverture inférieur à 90 % après 10 ans. Les analyses mettent cependant en exergue une potentielle dégradation de la santé financière du 2ème pilier dans 10 ans par rapport à la situation actuelle, notamment dans le scénario d’une remontée progressive des taux d’intérêt (normalisation). Dans ce scénario, 20 % des institutions de prévoyance, représentant plus de 35 % des engagements, présenteraient une situation de sous-couverture à l’horizon 2030. La comparaison entre ces deux proportions montre que la taille de l’institution de prévoyance joue un rôle non négligeable dans cette évolution.
Une analyse plus poussée de ces résultats du scénario de normalisation permet de différencier les types d’institutions de prévoyance les plus à risque sur les dix prochaines années (graphique 2).
G2 Cartographie des risques selon le type d’institution de prévoyance
Sur la base de cette analyse cartographique des risques et d’analyses plus avancées relatives au scénario de normalisation, les éléments suivants sont à relever :
- Le principal facteur influençant la santé financière projective est le niveau initial de couverture. Le deuxième facteur d’influence est le niveau des taux de conversion appliqués, notamment lorsque ceux-ci sont supérieurs à 6.0 %.
- Les fondations collectives et les institutions de prévoyance de droit public subissent une dégradation plus prononcée de leur situation financière, au contraire des autres types de fondations.
- La taille a une influence importante sur la situation financière. Le risque porté par les grandes institutions de prévoyance présente donc un enjeu important.
Compte tenu des éléments précédents, et afin d’améliorer la stabilité financière du 2ème pilier, les pistes d’amélioration suivantes devraient être étudiées :
- S’assurer d’un financement structurellement adéquat des prestations versées par la cotisation plutôt que par la performance. La contrainte d’un taux de conversion LPP à 6.8 %, voire à 6 %, implique une pression financière sur la prévoyance professionnelle dans son ensemble, à laquelle il devrait être fait face par un financement additionnel.
- Etudier des mesures pour limiter la dilution du degré de couverture en cas d’affiliation (fondations collectives). Le phénomène de concentration et de dilution des degrés de couverture qui en résulte revêtent un enjeu important dans la stabilité du 2ème
La question de la durabilité des placements
La flexibilité actuelle du cadre légal permet aux institutions de prévoyance d’accéder de manière adéquate à la palette quasi complète des produits financiers, incluant les placements durables. L’introduction de critères contraignants, notamment au niveau des placements durables, ne serait pas conforme à la responsabilité portée actuellement par les organes dirigeants, qui sont légalement responsables du processus de placement. Une modification des limites de placements n’apparaît pas comme nécessaire ou utile.
Afin d’inciter les investisseurs institutionnels, si besoin est, à devenir plus attentifs aux éléments éthiques, durables et de bonne gouvernance de leurs placements, un renforcement de la transparence quant à l’évolution de la durabilité de leur portefeuille est recommandé. Dans cette optique, une publication périodique d’indicateurs clés de la durabilité, à l’instar de ce qui se fait pour les frais de gestion de fortune, pourrait constituer une piste à approfondir.
Au niveau de la gestion des risques de placements, la désignation d’un organe indépendant pour s’assurer de l’adéquation de l’allocation d’actifs, comme cela se fait tant pour la partie actuarielle que comptable (respectivement les experts en caisses de pensions et les organes de révision), serait de nature à renforcer le contrôle de la gestion des risques au niveau des placements.
Bibliographie
Commission de Haute Surveillance (2021) : « Rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance 2021 ». Berne: CHS PP.
Fournier, Marc ; Kern, Olivier ; Riesen, Stéphane ; Scaillet Olivier (2022) : Effets d’une longue période de faibles taux d’intérêt sur la prévoyance professionnelle ; [Berne : OFAS]. Aspects de la Sécurité sociale ; rapport de recherche n° 07/22 .