Formations courtes : nouveau dispositif de formation professionnelle

Le dispositif « Formazioni brevi », que l’Office AI du Canton du Tessin a mis sur pied avec les organisations du monde du travail pour améliorer la capacité de gain et le potentiel de ­réadaptation des assurés AI peu qualifiés et relativement âgés qui sont atteints dans leur santé ou risquent de l’être, vient d’être évalué pour la première fois.
Gregorio Avilés, Maurizio Bigotta, Maël Dif-Pradalier, Spartaco Greppi
  |  02 mars 2018
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
  • Réadaptation

Le présent article porte sur le dispositif « Formazioni brevi » (formations courtes, FC) que l’Office AI (OAI) du Canton du Tessin a réalisé en collaboration avec les organisations du monde du travail. L’objectif de ce projet lancé en 2013 était de maintenir, rétablir ou améliorer la capacité de gain et d’augmenter les chances de réinsertion professionnelle des assurés atteints dans leur santé ou risquant de l’être, en leur proposant des formations de courte durée destinées à valoriser leur expérience professionnelle ainsi que leur potentiel d’insertion sur le marché ordinaire du travail.

Sur mandat de l’OFAS, la SUPSI a évalué la conception, la mise en œuvre et les premiers résultats du projet. Le présent article expose les principaux résultats de l’étude. Cette recherche (Greppi et al. 2017) se fonde sur une enquête quantitative qui exploite les bases de données administratives existantes (données de la Centrale de compensation et des comptes individuels de l’AVS), mais aussi les données primaires fournies par une enquête téléphonique auprès d’un échantillon de 48 assurés, soit un peu plus de la moitié des 93 personnes qui ont entrepris une FC entre 2013 et le moment de l’enquête. La partie quantitative a été complétée par une enquête qualitative qui s’est appuyée sur l’analyse de documents et sur 23 entretiens menés avec les principaux acteurs concernés par le dispositif (bénéficiaires de prestations de l’AI, employeurs qui ont dispensé une formation pendant la FC ou simplement embauché un assuré au terme d’une FC, responsables d’associations professionnelles et d’organismes de formation, conseillers AI).

Genèse du dispositif Les FC ont été conçues pour accroître l’offre de mesures de réadaptation destinées aux personnes d’âge moyen ou avancé, disposant d’une expérience professionnelle importante mais de faibles références sur les plans scolaire et de la formation, qui, en raison d’une atteinte à la santé, principalement sur le plan physique, auraient pu avoir droit au mieux à l’aide au placement.

Les FC préparent à une profession et permettent d’acquérir une qualification professionnelle au bout de neuf mois en moyenne, soit moins que pour une mesure de reclassement complète en vue d’obtenir un certificat fédéral de capacité (CFC) ou une attestation fédérale de formation professionnelle (AFP).

L’objectif initial des FC était de répondre efficacement à la fois aux besoins des assurés et aux exigences des associations professionnelles et des employeurs que celles-ci représentent. On ne peut donc pas comprendre leur apparition si on ne prend pas en compte la structure du marché du travail tessinois. Celui-ci se caractérise, d’une part, par la proportion la plus élevée de Suisse de PME et de micro-entreprises (OFS 2017a), lesquelles ont besoin de collaborateurs plutôt polyvalents et rapidement opérationnels, mais aussi, d’autre part, par une forte présence de travailleurs frontaliers qui occupent un emploi sur quatre au Tessin (OFS 2017b) et qui constituent une forte concurrence pour les nationaux et résidents au profil fragile à la recherche d’un emploi. Ce contexte a conduit l’OAI à s’adresser aux entreprises pour identifier leurs besoins en termes de profils de compétences et à s’efforcer d’y répondre par une formation courte axée sur la pratique.

Sur les cinq secteurs économiques en expansion identifiés durant la phase de projet (logistique, santé, gestion des installations, tourisme et construction), une seule a effectivement permis la réalisation d’un cursus de FC, celui de la logistique. L’échec de la mise en œuvre du projet dans les autres secteurs est imputable à l’inadéquation des tâches prévues au regard des limitations fonctionnelles des assurés, à un nombre insuffisant de candidats ou d’employeurs, ainsi qu’à un intérêt limité de la part de certaines associations professionnelles et des organismes de formation correspondants. Cela dit, outre la logistique, des parcours de formation courte ont aussi été lancés dans la vente, puis dans le domaine commercial, tirant parti de ressources formatives préexistantes et partant du principe que ces formations fournissent aux assurés des compétences transversales qu’ils pourront mettre à profit dans d’autres branches 1.

Au terme de la FC, les participants obtiennent une attestation ou un certificat délivré par les associations professionnelles cantonales et reconnus aussi, dans le cas de la vente, par le Département de la formation professionnelle du Canton du Tessin.

Premiers effets observables Du point de vue statistique, il n’est pas possible d’identifier des effets causals « nets » du dispositif FC, en raison de limites d’ordre méthodologique, à commencer par l’absence d’un groupe témoin. On peut en revanche décrire les résultats objectifs obtenus au terme des FC pour le groupe de participants étudié.

Parmi les assurés qui ne suivaient plus de FC, un pourcentage relativement modeste, moins de 20 %, ont interrompu le parcours de formation. En outre, presque aucun participant n’a dû recourir à des prestations financières supplémentaires de l’AI au terme de la FC.

S’agissant de la réinsertion sur le marché primaire du travail, les données semblent indiquer un taux de réussite honorable, puisque près de la moitié des assurés ayant achevé une FC avaient un emploi au moment de l’enquête.

Cela dit, vu le nombre encore limité de personnes engagées dans ce dispositif, ces « effets » devront être vérifiés à l’avenir par d’autres enquêtes, sur la base de panels plus vastes.

Les évaluations livrées par les participants eux-mêmes indiquent un degré de satisfaction généralement bon, bien que nombre d’entre eux estiment que des améliorations pourraient être apportées à l’organisation et au contenu des FC. En particulier, la majorité des assurés actuellement employés relèvent que leurs conditions salariales se sont dégradées par rapport au dernier emploi occupé avant la FC 2. Il conviendrait de quantifier ce résultat et de le comparer avec des données objectives, en vérifiant aussi, dans l’optique d’une « carrière », les perspectives salariales des assurés en l’absence de FC.

Facteurs de succès et avantages des formations courtes L’étude a permis d’identifier deux types principaux de facteurs de succès des FC : les facteurs liés au système et à la stratégie de mise en œuvre, d’une part, et ceux liés aux personnes et aux organismes, d’autre part. Pour ce qui est du premier type, le fait de choisir une FC qui permette au candidat de valoriser ses compétences professionnelles acquises constitue indubitablement un facteur de succès. En outre, le contact direct avec un employeur durant la période relativement longue de la FC (par rapport à d’autres dispositifs de ce type) se révèle décisif pour surmonter la stigmatisation dont sont souvent victimes les bénéficiaires de prestations sociales dans le processus de sélection du personnel. De manière plus générale, l’effet qualifiant et l’utilité des FC sont renforcés par la collaboration avec les associations professionnelles, elle-même gage d’un enseignement correspondant aux besoins du marché du travail.

Pour ce qui concerne les facteurs liés aux personnes et aux organismes, il est très important que le conseiller AI garantisse à l’employeur un soutien et un accompagnement non seulement à l’occasion de l’entretien initial, mais aussi tout au long de la formation, p. ex. en cas de problèmes avec l’assuré ou s’il y a des lacunes à combler dans la formation. En outre, il est essentiel que les conseillers AI constituent un réseau d’entreprises partenaires sur le territoire et deviennent des interlocuteurs de référence pour un secteur donné, aussi bien pour leurs collègues que pour les employeurs et les organismes formateurs. Réussir à motiver l’assuré autour d’un projet de formation partagé et maintenir l’implication des entreprises qui collaborent avec l’AI constituent des conditions tout aussi importantes.

Alors que les facteurs de succès sont définis par rapport aux objectifs spécifiques des FC, l’étude a aussi permis de mettre en lumière trois catégories principales d’avantages que les FC présentent par rapport à d’autres mesures d’ordre professionnel : les avantages économiques et financiers, les avantages en termes de réseautage et de gouvernance, et les avantages structurels ou systémiques. S’agissant des aspects économiques, l’intérêt pour les employeurs réside dans le fait qu’ils tirent parti des FC et du soutien de l’AI sans courir de risque financier significatif, puisque c’est cette dernière qui prend en charge les frais de reclassement professionnel et le versement des indemnités journalières.

Quant aux avantages en termes de réseautage et de gouvernance, les FC permettent aux assurés d’engranger de l’expérience et d’enrichir leur CV, mais aussi d’ouvrir les portes d’une entreprise du marché ordinaire du travail, ce qui se révèle souvent décisif dans la perspective d’un engagement de l’assuré au terme de la FC. Enfin, les FC étendent le réseau des interlocuteurs et des acteurs qui évoluent autour du système des mesures d’ordre professionnel de l’AI : Etat, partenaires sociaux, organismes de formation, assurés et représentants de ces derniers.

Pour ce qui est des avantages structurels ou systémiques, les FC offrent – s’agissant de l’adaptation de la présence en cours et sur le lieu de travail aux limitations fonctionnelles de l’assuré – une plus grande flexibilité que les filières menant à des diplômes reconnus aux niveaux fédéral et cantonal. L’orientation marquée vers la pratique professionnelle et la durée relativement courte des FC permettent de remobiliser des assurés souvent découragés à l’idée de devoir entreprendre un parcours de reclassement portant sur plusieurs années.

Limites des formations courtes A côté du jugement globalement positif émis par les divers acteurs impliqués, quelques limites (constatées ou potentielles) du dispositif des FC ont également été identifiées, et notamment la nécessité d’intensifier davantage l’information et la sensibilisation des employeurs aux mesures que propose l’OAI. Comme les résultats de l’étude semblent indiquer qu’il est plus difficile pour les participants aux FC de trouver un débouché professionnel s’ils ne sont pas engagés par l’entreprise qui les a formés, il paraît crucial de sélectionner des employeurs qui se montrent d’emblée ouverts à l’idée d’engager des assurés au terme de la FC, mais éventuellement aussi par la suite, en utilisant l’office AI comme canal de recrutement. La difficulté actuelle à trouver un emploi hors de l’entreprise formatrice pourrait venir de ce que les employeurs connaissent encore mal le dispositif, et aussi de ce que le certificat de FC s’avère d’une utilité limitée par rapport à un apprentissage traditionnel ; il peut cependant prendre de la valeur dans le curriculum de l’assuré, dès lors qu’il se combine avec l’expérience et des compétences professionnelles spécifiques acquises par ce dernier au fil de son parcours professionnel.

Enfin, l’étude confirme qu’il est important de rester sur ses gardes et d’éviter de collaborer avec des entreprises qui exploitent à leur avantage les FC – pour se procurer du personnel non rémunéré – et qui demandent sans cesse de nouvelles personnes à former sans jamais en embaucher une. Par ailleurs, au cas où le nombre de FC dispensées et donc d’assurés qui les suivent devait s’élever substantiellement à l’avenir, la concurrence pourrait se durcir entre demandeurs d’emploi, et en particulier entre personnes affichant un faible niveau de qualification (FC) et personnes attestant d’un meilleur niveau de qualification (AFP/CFC), avec pour effet possible d’accentuer la pression sur des salaires déjà assez bas au Tessin, surtout dans certains secteurs plutôt saturés ou à faible valeur ajoutée. En ce sens, l’efficacité des FC dépendra de la persistance d’une demande suffisante pour des tâches répétitives et peu spécialisées dans des secteurs économiques spécifiques du marché tessinois du travail, activités adaptées aux assurés AI mais pas nécessairement intéressantes pour le personnel mieux qualifié.

Conclusions L’étude se conclut par une série de recommandations et de propositions d’amélioration. En particulier, quatre niveaux d’extension possible du dispositif FC ont été identifiés : (a) extension à d’autres secteurs ; (b) extension à d’autres assurés AI (p. ex. à ceux dont l’atteinte à la santé est de nature psychique), avec renforcement du caractère préventif de la mesure ; (c) extension à d’autres secteurs de la sécurité sociale (formation de migrants et de personnes tributaires de l’aide sociale, mise à niveau de personnes sorties depuis longtemps du monde du travail, etc.), impliquant une intensification de la collaboration interinstitutionnelle ; (d) extension à d’autres réalités cantonales confrontées à des problématiques similaires à celles qu’affronte l’OAI du Tessin.

Pour donner plus de valeur et d’utilité aux FC, on pourrait imaginer un certificat reconnu par les associations professionnelles au niveau intercantonal. En outre, il est important que les titres délivrés se réfèrent explicitement au profil de compétences de la profession tel qu’il est codifié dans les ordonnances fédérales relatives à la formation professionnelle, afin d’en faciliter la validation par le canton. Le certificat délivré par une association professionnelle devrait enfin être conçu de manière à permettre l’établissement d’équivalences claires en vue de l’obtention d’un CFC ou d’une AFP, étant donné que certains des participants aux FC en auraient la capacité.

  • 1. A la différence des autres FC, l’un des deux cursus lancés dans le domaine commercial l’a été en collaboration avec un syndicat de travailleurs et non avec une association représentant les employeurs.
  • 2. Ce constat pourrait s’expliquer, du moins en partie, par le fait que, bien que l’objectif des mesures de réinsertion de l’AI soit de rétablir (ou de maintenir) la capacité de gain théorique estimée sur la base des salaires de référence à l’échelle nationale, les différences salariales importantes constatées entre les régions pénalisent les assurés tessinois en réduisant, de fait, le taux de leur incapacité de gain.
PhD, einseignant-chercheur, Dipartimento economia aziendale, sanità e sociale (DEASS), Scuola universitaria della Svizzera italiana (SUPSI).
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MSc, chercheur, Dipartimento economia aziendale, sanità e sociale (DEASS), Scuola universitaria della Svizzera italiana (SUPSI).
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PhD, enseignant-chercheur, Dipartimento economia aziendale, sanità e sociale (DEASS), Scuola universitaria della Svizzera italiana (SUPSI).
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Docteur ès sciences sociales, professeur, Scuola universitaria professionale della Svizzera italiana.
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