Vivre chez soi ou en foyer ?

Plusieurs modèles de financement soutiennent le logement protégé. Le modèle appelé « financement des personnes » est celui qui permet la plus grande liberté dans le choix du logement.
Tobias Fritschi, Franziska Müller, Matthias von Bergen
  |  30 mars 2023
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
  • Handicap
Petit-déjeuner dans une résidence pour personnes handicapées en Appenzell. (Keystone)

En un coup d’œil

  • Dans les cantons ayant adopté le modèle de financement des personnes pour l’hébergement des personnes handicapées, la part des dépenses allouée aux logements privés est plus importante que dans les cantons utilisant le modèle de financement de l’offre.
  • Selon les personnes handicapées, l’accès à l’offre de soutien, l’étendue des prestations, l’attitude des institutions, le type de handicap, la nature du besoin, la motivation personnelle, l’accompagnement par des personnes de confiance et l’existence de logements sans obstacles et abordables sont des facteurs décisifs pour le passage à une forme de logement privée.
  • La comparaison intercantonale montre que le modèle du financement des personnes est celui qui favorise le plus le logement privé.

Selon les cantons, on distingue en Suisse trois modèles pour le financement du logement des personnes handicapées. On peut citer en premier les cantons appliquant le financement de l’offre, c’est-à-dire qui dédommagent les institutions offrant des prestations de logement sur une base forfaitaire. En second, citons les cantons ayant institué un « financement de l’offre axé sur les personnes », où les institutions sont indemnisées en fonction des prestations sur la base du besoin individuel des bénéficiaires. Troisièmement, les cantons sont de plus en plus nombreux à adopter le modèle du financement des personnes, dans lequel les prestations sont prises en charge en fonction du besoin et les personnes handicapées peuvent choisir elles-mêmes leur prestataire.

Le financement de l’offre est principalement conçu pour les institutions. Comparativement, le modèle du financement des personnes représente une solution tout à fait viable pour les deux formes de logement (privée et institutionnelle). Dans l’assurance-invalidité (AI), ces deux formes se distinguent par plusieurs éléments. Un exemple d’indicateur est le fait que le logement est loué ou acheté soit à un privé, soit à une institution (Fritschi et al. 2019). Selon la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Suisse en 2014, les personnes handicapées doivent pouvoir choisir librement leur forme de logement.

Analyse de quatre cantons

La Haute école spécialisée bernoise et le centre de recherche Interface ont réalisé, sur mandat du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH), de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) et de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), une étude sur l’impact du modèle de financement des cantons sur le choix de la forme de logement (Fritschi et al. 2022). Pour cette étude, le choix des cantons s’est porté sur Bâle-Ville, Saint-Gall, le Valais et Zoug, parce que ces cantons utilisent divers modes de financement et parce qu’ils se distinguent par leur offre de prestations de soutien ambulatoire au logement : en effet, le canton du Valais utilise le financement de l’offre et propose des services cantonaux ambulatoires ponctuels. Le canton de Saint-Gall pratique le financement de l’offre axé sur les personnes et offre également des services cantonaux ambulatoires ponctuels. Enfin, le canton de Bâle-Ville a introduit le financement des personnes. Le canton de Zoug a été intégré à l’étude car il constitue un cas spécial : il utilise le financement de l’offre et mène parallèlement des projets pilotes de financement des personnes destinés à des logements privés.

Les données individuelles des registres de l’OFAS sur les prestations de l’AI et sur les statistiques des revenus dans l’AVS ont constitué une source précieuse pour l’analyse quantitative des flux financiers. Les cantons étudiés ont également mis à disposition les données concernant les prestations cantonales, en partie sous la forme de données individuelles et en partie sous forme agrégée. L’analyse qualitative des motivations et des conditions à remplir pour le passage au logement privé repose sur quatre entretiens avec des organisations d’aide aux personnes handicapées et quatorze entretiens avec des personnes atteintes d’un handicap. Pour une représentation fidèle de la situation des personnes handicapées, l’échantillon utilisé pour l’enquête SILC (Statistics on Income and Living Conditions) de l’Office fédéral de la statistique (OFS) a servi de base à notre étude.

Différences dans la part prise en charge par les cantons

Le soutien cantonal aux formes de logement privé varie fortement selon les cantons. De manière générale, on constate que plus le financement est orienté vers les personnes, plus la participation des cantons au logement privé est importante. Ainsi, la part supportée par le canton du Valais, qui utilise le financement de l’offre, est la plus basse de la comparaison. Le canton finance un peu moins du quart des dépenses totales dans le domaine du logement privé (contributions cantonales, prestations complémentaires [PC] au titre de remboursement des frais de maladie et d’invalidité, part cantonale des PC périodiques, aide et soins à domicile, prestations complémentaires cantonales aux PC) (cf. fig. 1). Le canton de Bâle-Ville se trouve à l’autre extrémité de l’échelle de comparaison, avec une part cantonale équivalente au tiers des dépenses totales. Quant aux parts de financement cantonales de Saint-Gall et de Zoug, elles se situent entre les deux, avec respectivement 25 % et 30 %.

Au niveau fédéral, outre les prestations de l’AI spécifiques au logement (allocation pour impotent, contribution d’assistance, mesures professionnelles comme l’internat et les moyens auxiliaires), ce sont principalement les prestations complémentaires qui ont une incidence financière. Pour les besoins de l’étude, la rente AI est considérée comme le revenu (de substitution) des personnes handicapées. La participation fédérale au logement privé sans compter les rentes AI représente en moyenne environ un cinquième du financement. Tandis que la part du financement fédéral se situe juste en dessous de la part cantonale en Valais et à Saint-Gall, elle est nettement moindre dans les cantons de Bâle-Ville et Zoug (où elle représente environ un tiers). En moyenne, les personnes handicapées supportent elles-mêmes environ la moitié du coût du logement privé.

En ce qui concerne la participation au financement du logement institutionnel, la différence entre les cantons n’est pas aussi marquée que pour le logement privé : elle varie entre deux tiers (à Saint-Gall) et trois quarts (Bâle-Ville et Zoug, ce dernier comptant également la contribution cantonale aux logements extracantonaux), avec une participation au financement autour de 70 % pour le canton du Valais.

La part fédérale au financement du logement institutionnel sans les rentes AI est de 10 % en moyenne. Dans les cantons assumant une importante part du financement, les personnes handicapées supportent elles-mêmes 16 % du coût, c’est-à-dire une part légèrement moins importante que dans les cantons assumant une moindre part de ce financement, où les personnes contribuent au coût de leur logement à hauteur de 20 % environ.

Changement de forme de logement

Dans les quatre cantons étudiés, les personnes en situation de handicap ont la possibilité de changer de forme de logement. Selon les personnes handicapées interviewées, cette option dépend largement de facteurs tels que les principes de base et les modèles directeurs des institutions, le type de handicap et le besoin de soutien. Elles sont d’avis que la motivation personnelle, l’accompagnement par des personnes de confiance (spécialistes ou proches) et une attitude favorable de la part des institutions sont autant de facteurs clefs. Enfin, l’accès à l’offre de soutien (contribution d’assistance de l’AI, accompagnement à domicile, conseils spécialisés) et l’étendue des prestations fournies sont les facteurs décisifs de ce processus.

Les spécialistes interviewés citent comme facteurs déterminants pour le succès d’un changement de forme de logement les ressources individuelles des personnes concernées et de leur entourage (proches, etc.), l’offre professionnelle disponible de soutien à domicile et l’offre des institutions.

Spécialistes et personnes handicapées s’accordent à dire que ces constats ne sont vrais que s’il existe sur le marché des logements adaptés à des prix abordables. Pour garantir véritablement le libre choix de la forme de logement, il est indispensable que des solutions de logement privé « simples et claires » (organisation moins bureaucratique, prestations garanties pour les cas d’urgence) soient disponibles avec davantage d’options pour les personnes handicapées (pouvoir choisir soi-même les personnes soignantes, plates-formes de recherche efficaces pour l’embauche de personnel d’assistance). Les prestations facilitant le logement privé doivent être renforcées, par exemple en optimisant la contribution d’assistance. En particulier, les prestations de surveillance et de présence devraient être mieux indemnisées.

Les démarches pour obtenir une contribution d’assistance en vertu de la LAI restent complexes et constituent un obstacle, en particulier pour les personnes atteintes d’un handicap cognitif ou psychique. Enfin, un renforcement des prestations ambulatoires pour l’accompagnement à domicile est indiqué, comme la création d’espaces de rencontre ou de prestations d’accompagnement spécialisées.

Bâle-Ville, le champion du logement privé

La comparaison intercantonale montre que la participation cantonale au logement privé est plus élevée lorsque le modèle de financement des personnes est appliqué (Bâle-Ville : 33 %) ou testé (Zoug : 30 %). Cela s’explique notamment par des prestations cantonales supplémentaires. Pour l’heure, rien n’indique (encore) que ces cantons réalisent des économies dans les formes de logement institutionnel en encourageant le logement privé. Par ailleurs, le changement de modèle de financement dans le canton de Bâle-Ville est récent et il n’est pas exclu que l’économicité du financement des personnes ne devienne visible que sur le long terme ; de plus, Zoug n’a appliqué ce modèle que dans le cadre de projets pilotes jusque-là. Un financement des personnes permet de mieux contrôler les prestations et tend par conséquent à réduire le coût par rapport aux prestations fournies. L’évaluation systématiquement positive des conséquences financières du passage à un logement privé, notamment par ceux qui bénéficient d’une contribution d’assistance en vertu de la LAI, soutient l’hypothèse selon laquelle le modèle de financement des personnes ou les modèles mixtes mettent les personnes handicapées dans une situation financièrement plus favorable.

Si l’on additionne, dans le domaine institutionnel, les personnes bénéficiant d’une contribution cantonale et, dans le domaine privé, les personnes bénéficiant d’une prestation de l’AI en lien avec le logement, on constate que la part des personnes vivant en institution s’élevait en 2020 à 15 % dans le canton de Bâle-Ville (financement des personnes), à 20 % dans le canton de Saint-Gall (financement de l’offre axé sur les personnes) et à 18 % dans le canton du Valais (appliquant le financement de l’offre au domaine institutionnel). Les chiffres du canton de Zoug (30 %) ne sont pas utilisables dans une comparaison, car ils comprennent également le logement institutionnel extracantonal.

Ainsi, la comparaison intercantonale montre que le modèle du financement des personnes est celui qui favorise le plus le logement privé. Dans le canton de Bâle-Ville (financement des personnes), la proportion de personnes handicapées vivant en institution est plus faible que dans les cantons avec un financement de l’offre axé sur les personnes ou un financement de l’offre classique. C’est dans ce canton que le choix de la forme de logement semble le plus libre et les possibilités de changement, les plus accessibles.

Bibliographie

Fritschi, Tobias ; Von Bergen, Matthias ; Müller, Franziska ; Bucher, Noëlle ; Ostrowski, Gaspard ; Kraus, Simonina ; Luchsinger, Larissa (2019). Bestandesaufnahme des Wohnangebots für Menschen mit Behinderungen. Étude mandatée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 7/19 (en allemand, avec résumé en français).

Fritschi, Tobias ; von Bergen, Matthias ; Müller, Franziska ; Lehmann, Olivier ; Pfiffner, Roger ; Kaufmann, Cornel ; Hänggeli, Alissa (2022). Finanzflüsse und Finanzierungsmodelle im Bereich Wohnangebote für Menschen mit Behinderung. Schlussbericht zuhanden des EBGB, des BSV und der SODK (en allemand, avec résumé en français). 31 octobre

Enseignant et chef de projet, Haute école spécialisée bernoise – Travail social
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Responsable de secteur, Interface Politikstudien Forschung Beratung
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Enseignant et chef de projet, Haute école spécialisée bernoise – Travail social
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