En un coup d’œil
- Une prise en charge adéquate peut contribuer à permettre aux personnes âgées de prendre soin d’elles-mêmes, de conserver leur autonomie et de continuer à participer à la vie sociale le plus longtemps possible malgré les limitations inhérentes à l’âge et à la maladie.
- Au vu des besoins croissants de prise en charge dans notre société vieillissante, des efforts concertés et renforcés sont aujourd’hui nécessaires, tant au niveau de l’État que sur le plan privé, afin de développer les systèmes de soutien déjà en place et de faciliter l’accès à ces services.
- Les approches intégratives peuvent contribuer à rendre la prise en charge plus adéquate, accessible et efficace en termes de prévention ; elles devraient donc bénéficier d’un soutien accru.
Une prise en charge en adéquation avec les besoins des personnes âgées représente un défi de taille pour la société. C’est pourquoi l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) nous a mandatés pour dresser un état des lieux (Stettler et al. 2023). Notre analyse se fonde sur de nombreux rapports et documents tirés de la pratique ainsi que sur l’expérience et les observations des acteurs sur le terrain.
Mais que faut-il entendre ici par « prise en charge » ? Notre étude entend par là, en s’appuyant sur Knöpfel et al. (2020), le soutien apporté aux personnes âgées qui ne peuvent plus organiser leur quotidien de manière autonome ou participer à la vie sociale en raison de leur situation de vie ou d’un handicap physique, psychique ou cognitif.
En tant que forme de soutien, la prise en charge met l’accent sur le niveau relationnel et sur les aspects sociaux. Elle vise surtout l’objectif de permettre aux personnes âgées de conserver leur autonomie et de participer à la vie sociale malgré les limitations qui sont les leurs. Il s’agit principalement de fournir une « aide à l’autonomie », mais aussi de mener des activités en commun (par exemple, accomplir ensemble des tâches ménagères, discuter de sujets de la vie quotidienne, etc.).
D’autres mesures sont toutefois tout aussi importantes pour que les personnes concernées puissent mener une vie aussi autonome que possible : proposer des aides pratiques (par ex., services de repas ou de transport, aides au nettoyage), mais aussi des cours ou des manifestations ainsi que des moyens auxiliaires et des mesures architecturales. Lorsqu’il est ci-après question de « prise en charge », ces prestations et mesures sont donc également incluses.
Compétence principale dévolue aux cantons
L’étude met en évidence que la prise en charge des personnes âgées est une thématique importante qui fait l’objet de débats à tous les niveaux du système fédéral, y compris chez les prestataires de services, et pour laquelle, au vu de la tâche à accomplir, des solutions ont été recherchées et mises à l’épreuve ces dernières années.
Au niveau fédéral, le cadre juridique actuel, qui attribue la compétence de la prise en charge des personnes âgées aux cantons, limite les possibilités de façonner et de piloter ce domaine. Les systèmes de prestations complémentaires et d’allocations pour impotents déjà en place ne permettent jusqu’à présent de financer une telle prise en charge que de manière marginale. Les aides accordées aux organisations nationales d’aide aux personnes âgées (comme Pro Senectute Suisse, Alzheimer Suisse, etc.) permettent de cofinancer en partie les prestations en faveur de la population âgée.
Les cantons, qui détiennent la compétence principale en matière d’aide et de soins aux personnes âgées, ne définissent pas la prise en charge de ces personnes comme un domaine politique ou de prestations à part entière. La réglementation de la prise en charge est généralement comprise dans les dispositions relatives aux soins de longue durée en milieu hospitalier et ambulatoire. Les politiques cantonales de la vieillesse accordent une place plus ou moins grande aux réglementations et aux stratégies qui concernent la prise en charge des personnes âgées, mais elles ne sont que rarement approfondies et complètes. Dans l’ensemble, les « régimes » de prise en charge des personnes âgées sont très différents d’un canton à l’autre. Souvent, le financement des politiques de la vieillesse et, par conséquent, le financement de la prise en charge ne sont pas assurés à long terme par une base légale.
Les bénévoles : une contribution essentielle
Dans les cantons, l’offre de prise en charge des personnes âgées repose principalement sur les EMS d’utilité publique dans le secteur stationnaire et de l’habitat protégé ; quant au secteur ambulatoire, il est fortement lié aux services d’aide et de soins à domicile publics et privés. Pour ces prestataires axés sur les soins au sens de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), les prestations de prise en charge financées sont très limitées. Ils proposent, certes, aussi d’autres prestations de prise en charge, telles que des conseils sur l’organisation de la vie quotidienne, un soutien pour l’entretien du réseau relationnel ou des discussions portant sur l’adaptation de l’organisation du ménage, mais les personnes concernées doivent les payer en grande partie de leur poche. Une prise en charge sans lien direct avec des soins est principalement fournie par des organisations d’aide aux personnes âgées, qui proposent des offres aux personnes vivant dans un logement privé.
Les proches aidants et d’autres personnes de l’entourage des personnes âgées apportent une contribution essentielle à leur prise en charge. En dehors des EMS, et en particulier au début du processus de « fragilisation », ce sont les proches aidants qui assument la majeure partie de la prise en charge (OFSP 2020). Mais même dans les EMS, les proches et les bénévoles jouent un rôle majeur en rendant visite aux personnes âgées, leur offrant ainsi un soutien et un accompagnement psychosocial.
Des besoins de prise en charge en hausse
L’augmentation des besoins de prise en charge constitue un important défi pour une société vieillissante. Selon les scénarios démographiques actuels, la part des personnes de plus de 65 ans passera de 19 % actuellement à 24 % d’ici 2040 (Pellegrini et al. 2022). Même si les gens restent de plus en plus longtemps en bonne santé, il faut s’attendre à une augmentation significative des besoins de prise en charge chez les personnes âgées. En effet, l’augmentation prévue de la population est particulièrement marquée dans les tranches d’âge élevées. Outre ces évolutions, les professionnels interrogés partent du principe que de plus en plus de personnes âgées vivront seules et que la nouvelle génération de personnes âgées aura des exigences de qualité plus élevées.
Sur le plan individuel, le vieillissement et la fragilisation dépendent d’une multitude de facteurs personnels (origine, niveau d’éducation, sexe, conditions matérielles, situation relationnelle, intégration sociale). Tant le besoin de soutien que le recours à l’aide et à la prise en charge sont en outre influencés par des facteurs contextuels tels que le logement et les conditions structurelles (notamment la réglementation de la couverture des besoins vitaux à la retraite ; la disponibilité, l’organisation et le financement des prestations de soutien nécessaires). Les besoins de prise en charge dépendent de l’évolution du vieillissement et de la fragilisation. Par ailleurs, les maladies psychiques, les handicaps physiques, les handicaps visuels, auditifs et linguistiques, les maladies chroniques ainsi que les addictions entraînent des besoins de prise en charge spécifiques.
Des défis se présentent aussi bien en milieu stationnaire que dans le secteur ambulatoire. En EMS, les enjeux consistent à structurer le quotidien en lui donnant du sens et à assurer une prise en charge fondée sur les relations et les interactions (en fonction du contexte d’exploitation de chaque établissement). Concernant les personnes âgées vivant à domicile, les principaux défis sont le non-recours aux services d’aide, le manque de coordination et de mise à disposition de ces services (tant au niveau individuel que structurel), ainsi que leur financement.
Dans les deux contextes, on constate aujourd’hui déjà que les ressources en temps ne sont pas suffisantes pour assurer une prise en charge optimale (cf. Kägi et al. 2021). On peut supposer que le potentiel d’une prise en charge adéquate des personnes âgées propre à favoriser leur qualité de vie et la prévention n’est actuellement pas réalisé.
De même, le financement de la prise en charge des personnes âgées n’est, de manière générale, pas suffisamment assuré. Comme la prise en charge n’est pas définie comme une tâche obligatoire par les pouvoirs publics, ces prestations sont encore plus que d’autres exposées au risque d’être supprimées dans les budgets cantonaux et communaux lorsque ces derniers se font serrés. La mise en place et le développement de structures et de solutions de financement pour la prise en charge des personnes âgées ont donc généralement un caractère de « projet » dont la pérennité n’est pas garantie.
Prise en charge intégrative
Sous le terme de prise en charge intégrative, l’étude regroupe des concepts et des approches qui considèrent la prise en charge des personnes âgées dans une large mesure comme un domaine à part entière de l’attention et des services qui leur sont destinés. « Intégratif » signifie d’une part que la prise en charge s’oriente systématiquement aux besoins et à la situation des personnes vieillissantes (et de leurs proches), tout en préservant autant que possible leur autonomie et leur indépendance en s’appuyant sur leurs ressources et leurs compétences. D’autre part, le terme intégratif évoque une offre de prise en charge globale et coordonnée. Enfin, l’accessibilité constitue aussi un aspect important, puisque toutes les personnes âgées devraient avoir accès à des soins adéquats. La « prise en charge intégrative » peut donc être caractérisée par les quatre dimensions suivantes :
- centralité des personnes ;
- coordination ;
- approche globale ;
- accessibilité.
Ces dernières années, le thème de la « prise en charge intégrative » des personnes âgées a été abordé à plusieurs reprises en Suisse. Les organisations impliquées dans l’aide aux personnes âgées considèrent que faire passer les personnes au premier plan et coordonner les offres représentent des enjeux essentiels, qu’elles essayent de mettre en œuvre sur le terrain. Toutefois, aucune stratégie concrète et globale n’a encore été élaborée. En revanche, divers modèles de pratique ont été développés et introduits de manière ponctuelle.
Au vu des défis mentionnés, les modèles de prise en charge intégrative semblent judicieux, pour plusieurs raisons. Idéalement, en effet, la coordination des offres et l’implication des bénévoles et des proches améliorent l’efficacité de la prise en charge. De plus, les approches intégratives sont généralement particulièrement accessibles, ce qui augmente le nombre de personnes qui sollicitent à temps du soutien, notamment parmi les personnes âgées jusqu’ici réputées difficiles à atteindre. En outre, en s’orientant systématiquement vers la réalisation des besoins des personnes âgées, la prise en charge intégrative contribue au maintien de leur autonomie et de leur indépendance. On peut donc attribuer à la prise en charge intégrative un effet préventif.
Développement stratégique et coordonné
En conclusion, il faut retenir que, dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées, les tâches et les compétences sont réparties entre les pouvoirs publics (Confédération, cantons et communes), les organisations d’aide aux personnes âgées, les prestataires de l’économie privée ainsi que les proches et les bénévoles selon un système complexe. Ce système manque d’orientation et de coordination, mais une définition reconnue par tous et une réglementation légale de la prise en charge des personnes âgées lui font défaut. De même, la réflexion sur ce qui pourrait représenter un droit légitime de la population âgée à une prise en charge mise à disposition et financée par la société n’est pas suffisamment avancée pour servir de base aux personnes concernées et aux acteurs impliqués.
Dans ce contexte, il est important et urgent que les acteurs concernés, qu’ils soient issus des milieux politiques ou de l’administration, à tous les échelons fédéraux, d’organisations professionnelles ou de la recherche orientée vers la pratique, poursuivent une stratégie commune visant à développer l’accompagnement des personnes âgées. Les approches intégratives, par exemple, peuvent y contribuer ; il convient donc de continuer à les expérimenter et d’en évaluer les effets.
Bibliographie
Kägi, Wolfram ; Frey, Miriam ; Huddleston, Christopher ; Lamprecht, Matthias ; Metzler, Raphael ; Suri, Mirjam (2021) : Coûts et financement d’une bonne prise en charge au troisième âge en Suisse ; sur mandat de la Paul Schiller Stiftung. Bâle : BSS Volkswirtschaftliche Beratung.
Knöpfel, Carlo ; Pardini, Riccardo ; Heinzmann, Claudia (2020) : Guide pour une bonne prise en charge au troisième âge. Clarification de la terminologie et lignes directrices ; édité par Age-Stiftung, Beisheim Stiftung, MBF Foundation, Pour-cent culturel Migros, Paul Schiller Stiftung, Walder Stiftung.
OFSP (éd.) (2020). Rapport de synthèse du programme de promotion « Offres visant à décharger les proches aidants 2017-2020 ». Berne.
Pellegrini, Sonia; Dutoit, Laure; Pahud, Olivier; Dorn, Michael (2022). Besoins en soins de longue durée en Suisse. Projections à l’horizon 2040 (Obsan Bericht 03/2022 ; uniquement en allemand, résumé en français). Neuchâtel : Observatoire suisse de la santé.
Stettler, Peter; Jäggi, Jolanda; Heusser, Caroline; Gajta, Patrik; Stutz, Heidi (2023). Betreuung im Alter – Bedarf, Angebote und integrative Betreuungsmodelle; étude mandatée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 7/23 (en allemand avec résumé en français).