Parents socialement défavorisés et choix professionnel

Les parents influencent la profession choisie par leurs enfants. Ceux-ci reprennent donc souvent le statut professionnel de leurs parents. Une étude a été menée sur la ­manière de ­réduire le risque de transmission sociale au sein des familles défavorisées et sur les ­facteurs ­aidant les parents à soutenir leurs enfants dans leur choix professionnel.
Markus P. Neuenschwander, Stephan Rösselet
  |  03 juin 2016
    Recherche et statistique
  • Pauvreté
  • Réadaptation

L’inégalité sociale et le risque de pauvreté peuvent être transmis en héritage. Le choix d’une profession représente à cet égard un carrefour décisif. En effet, les parents défavorisés sur le plan social et économique ne sont souvent pas à même d’accompagner et de soutenir leurs enfants de la meilleure manière. Mais pour peu qu’ils bénéficient d’offres adaptées à leurs ressources et à leurs besoins, ils peuvent y parvenir.

L’étude présentée ici a cherché à savoir, sur mandat du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, comment le fait d’être socialement défavorisé pèse sur les moyens qu’ont les parents de soutenir adéquatement leurs enfants dans le choix d’une profession. Elle a également mis en évidence les possibilités de compenser efficacement ce handicap. En s’appuyant sur les recherches déjà menées sur le sujet et les acquis de la pratique internationale, l’étude synthétise la doctrine et l’expérience actuelles relatives à l’influence des parents sur la profession choisie par leurs enfants et décrit la fonction des parents. Puis, partant des résultats d’une enquête menée dans dix communes alémaniques, romandes et tessinoises réputées « sensibles » au plan social, elle passe en revue les facteurs qui limitent les parents socialement défavorisés dans l’exercice de leur fonction de soutien. Les tâches et les difficultés ainsi identifiées ont permis d’établir les besoins de soutien des parents, ainsi que les facteurs susceptibles de les aider à jouer pleinement leur rôle. Avec le concours d’experts des trois régions linguistiques, les constats ainsi obtenus ont ensuite servi à l’élaboration d’un guide qui pourra être utilisé dans la pratique pour offrir aux parents socialement défavorisés des possibilités de soutien à la fois efficaces et de qualité.

rôle des parents dans le choix profes­sionnel de l’enfant Le rôle central des parents dans le processus d’orientation professionnelle de leurs enfants est attesté par de nombreuses recherches, mais également par les jeunes eux-mêmes, qui considèrent que leurs parents ont la plus grande influence. Des études montrent que les attentes des parents vis-à-vis de l’enfant permettent de prédire, à performances scolaires égales, leurs aspirations en matière de formation, le niveau d’exigence de la formation choisie au degré secondaire II, ainsi que le statut qui lui est associé (situation verticale). Les parents ont une vision explicite ou implicite du parcours scolaire et professionnel de leur enfant. Cette vision se traduit par des attentes, lesquelles sont assimilées par l’enfant et guident ses choix d’une formation et d’un métier lors de son passage au degré secondaire II.

La situation relationnelle du choix de la profession (adéquation entre la personne et la profession, assurance décisionnelle) est soumise à l’influence parentale, par le biais de processus de rétroaction. Les parents déclenchent le processus d’orientation professionnelle de l’enfant, conseillent ce dernier, l’encouragent, suggèrent une stratégie lorsqu’il s’agit de poser sa candidature, le consolent en cas de refus et lui fournissent des ressources à la fois matérielles et culturelles, comme la langue (Neuenschwander et al. 2012). Le type d’aide et son ampleur influencent l’assurance décisionnelle et l’adéquation de la profession trouvée aux intérêts et aux aptitudes du jeune.

La recherche et la pratique internationale mettent en évidence les tâches assumées par les parents dans le processus d’orientation professionnelle de l’enfant. Leur valeur de modèle a été confirmée dans le cadre de l’enquête. Il s’agit ainsi pour les parents de :

  • fournir à l’enfant les ressources financières et matériellesdont il a besoin dans ce contexte ;
  • le soutenir émotionnellement au cours de ce processus (p. ex. affection, échanges, encouragements) ;
  • s’informer sur les structures de formation actuelles et donner à l’enfant des conseils adéquats sur la marche à suivre ;
  • déclencher et utiliser le soutien d’autres acteurs.

Obstacles rencontrés Les parents ne font pas tous face de la même manière aux tâches qu’implique le processus d’orientation professionnelle de leurs enfants. Ceux qui sont issus d’un milieu social défavorisé, en particulier, se heurtent à des obstacles qui leur compliquent la tâche :

  • Caractéristiques socio-structurelles de la famille : les parents socialement défavorisés ont un bas statut socio-économique et leur accès au marché du travail est limité, voire inexistant (Imdorf 2014). Ils attendent donc fréquemment de leurs enfants qu’ils choisissent une profession leur assurant une rapide indépendance financière. Lorsqu’il s’agit d’obtenir des informations et de préparer un dossier de candidature, le potentiel de soutien familial est souvent limité. S’ils sont issus de l’immigration, les parents socialement défavorisés ont en outre des connaissances généralement réduites de la langue du pays d’accueil.
  • Contexte émotionnel : les parents à bas statut socio-économique tendent à exercer un contrôle plus marqué sur leurs enfants ainsi qu’à les élever de manière plus restrictive et moins valorisante. La vie familiale est moins stimulante du point de vue cognitif, le langage est plus simple et les parents sont plutôt fermés aux nouvelles idées. De plus, le parcours professionnel des parents et les attentes limitées de ces derniers vis-à-vis de la formation de leurs enfants encouragent moins les jeunes à se pencher sérieusement sur le choix de leur profession ou à opter pour une formation exigeante (Neuenschwander 2008).
  • Manque d’information : les parents socialement défavorisés sont souvent mal informés au sujet du système de formation ou du monde du travail, et connaissent mal les exigences spécifiques des différentes filières de formation. En outre, s’ils sont issus de la migration, leurs connaissances et expériences du système suisse de formation professionnelle sont la plupart du temps très limitées, ce qui induit chez eux une méfiance latente.
  • Faiblesse du réseau social : compte tenu de leur intégration professionnelle restreinte et d’un accès limité à des professionnels informés et influents susceptibles, p. ex., de les aider à décrocher un stage en entreprise, les parents socialement défavorisés ne peuvent compter sur un solide réseau professionnel. La difficulté de se faire des relations dans le monde du travail du pays d’accueil empêche les parents issus de l’immigration de faire bénéficier l’enfant des ressources sociales nécessaires au choix d’une profession.

Et lorsque les parents ne peuvent jouer que partiellement leur rôle dans ce processus et qu’un soutien de substitution fait par ailleurs défaut, les jeunes optent plus souvent pour une solution intermédiaire ou pour une formation professionnelle moins exigeante (Neuenschwander 2012). On entend par solution intermédiaire une offre scolaire ou professionnelle de type passerelle qui ne débouche pas sur une formation qualifiante. Mais il peut aussi s’agir d’un emploi occasionnel rémunéré ou d’un travail au sein de la famille ne conduisant pas à une formation avec diplôme du degré secondaire II.

Soutien aux parents socialement dé­­favorisés Si nous voulons améliorer les chances professionnelles des jeunes de milieux socialement défavorisés, contrer les conséquences indésirables de l’héritage social de la pauvreté et assurer l’égalité des chances dans l’attribution des places de formation, il s’agit de développer des mesures de soutien appropriées pour les jeunes et pour leurs parents. Ces mesures doivent viser à renforcer les capacités et les moyens existants, à compenser les ressources manquantes et à créer de nouvelles compétences. Etant donné que l’étude dont il est question ici est axée sur les offres de soutien destinées aux parents, les mesures scolaires, d’orientation professionnelle, de mentorat ou de coaching adressées directement aux jeunes sont exclues des présentes réflexions. Les besoins en recherches et en propositions relatives à l’habilitation des parents socialement défavorisés sont d’autant plus grands que les mesures visant à les renforcer dans leur rôle sont rares. Pour qu’une mesure de soutien puisse déployer l’effet escompté, il est important qu’elle soit mise en œuvre de manière ciblée. Elle doit notamment être en adéquation avec les tâches des parents, mais aussi avec les causes et les conséquences de leur vulnérabilité sociale.

(1) Les offres visant à fournir aux parents une information relative aux filières de formation, au marché du travail ou au processus de sélection d’une profession sont très répandues. Leur efficacité n’a toutefois que rarement été étudiée et doit encore faire l’objet d’investigations plus poussées. Etant donné qu’aujourd’hui, les écoles soutiennent davantage les élèves dans le choix d’une profession qu’auparavant, la coordination entre les parents et les enseignants revêt une importance croissante. Lorsqu’elle s’engage en faveur des jeunes socialement défavorisés, l’école est par ailleurs à même de compenser un soutien parental insuffisant ou inexistant. (2) Il convient toutefois de distinguer ces offres d’information des approches visant à promouvoir une réappropriation par les parents de leur capacité d’action (empowerment), et qui encouragent ceux-ci à prendre une part de responsabilité dans le processus d’orientation professionnelle de leurs enfants. Cette réappropriation peut déployer des effets favorables en encourageant l’émancipation et le sentiment de revalorisation des parents (Goltz 2011). (3) D’autres approches visent à renforcer l’appartenance sociale des parents par le biais du monde du travail, ainsi que leur intégration professionnelle. Cette appartenance est complétée par un réseau constitué d’autres parents, de personnes de référence ainsi que d’organisations, d’associations et d’institutions locales qui partagent avec les parents socialement défavorisés leurs connaissances et expériences et manifestent une attitude positive (Goltz 2011).

Facteurs de réussite des offres On considère qu’une offre est efficace lorsqu’elle atteint les personnes visées, qu’elle les renforce dans l’accomplissement de leurs tâches et qu’elle les aide à franchir des étapes importantes dans le cadre du processus d’orientation professionnelle. Les jeunes tirant parti de telles offres ont de meilleures chances de décrocher un apprentissage ou une formation. Une offre efficace doit néanmoins aussi présenter une organisation adéquate et un bon rapport coût-utilité, tout en correspondant aux dispositions légales.

L’étude a permis d’identifier 43 facteurs caractérisant une offre de soutien efficace et bien étayée. Ces facteurs peuvent être classés parmi les quatre phases principales du développement et de la réalisation d’une offre : l’analyse de ses conditions, l’établissement de ses bases, sa mise en œuvre et son évaluation (voir graphiqueG1). Ces facteurs de réussite sont le fruit de la grande expérience des personnes qui œuvrent dans ce domaine depuis longtemps. Ils ne sont donc pas nécessairement novateurs, mais sont le reflet de réponses éprouvées à des défis essentiels qui se posent dans le travail pratique avec des parents socialement défavorisés.

image11

Il arrive fréquemment que les groupes cibles ne tirent pas parti du soutien qui leur est proposé (Bauer/Bittlingmayer 2005), ce qui peut tenir au fait que les conditions ont été initialement mal analysées ou que lors de l’établissement des bases ou de la mise en œuvre de l’offre, les besoins et les ressources des parents à qui l’offre s’adresse n’ont pas été suffisamment pris en compte. L’examen des facteurs de réussite identifiés montre toutefois que seules les offres qui tiennent compte de ces éléments connaissent le succès escompté.

Le choix d’une profession est un processus de longue haleine qui se déroule dans un système multiforme autorisant les parcours alternatifs, et l’on peut s’en réjouir. Si une étape fait défaut, il existe généralement une deuxième chance. Mais il reste que le choix d’une profession ne place pas tous les parents et tous les jeunes face aux mêmes défis. On observe par conséquent que les offres qui rencontrent un certain succès sont celles qui sont calibrées sur les besoins de leurs groupes cibles et qui parviennent à obtenir l’implication active et durable des parents. La collaboration avec l’école et avec les entreprises constitue elle aussi un avantage. Elle peut fonctionner à condition de ne pas représenter un surcroît de travail pour les enseignants et les employeurs, mais de leur procurer un bénéfice, ou un avantage en termes de recrutement d’apprentis et d’employés dans le cas d’une entreprise.

Les prestataires efficaces s’adressent aux parents socialement défavorisés par plusieurs biais. Au moment d’organiser une rencontre, ils veillent à communiquer de manière répétée, à choisir un lieu que les parents connaissent et peuvent atteindre facilement, ainsi que des heures qui conviennent aux parents d’abord. Etant donné qu’une seule et même offre ne saurait couvrir toutes les situations et les besoins de tous les parents, le succès du soutien dépend le plus souvent d’une orientation appropriée vers celle qui convient le mieux à la situation (tri, information claire sur le type d’offre). Cette orientation exige une organisation en réseau des différents acteurs, leur coordination et leur collaboration, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas aujourd’hui. Les offres qui connaissent une réussite durable évaluent régulièrement leur programme et tirent parti de leurs résultats comme d’une ressource positive pour la suite de leur évolution. L’importance de l’évaluation a été plutôt sous-estimée jusqu’ici, ce qui fait que les offres n’ont que trop rarement été soumises à ce processus.

Guide Afin d’aider les personnes concernées dans leur pratique, un guide tiré de cette étude et rédigé dans un langage clair présente les facteurs susceptibles d’aider les parents à soutenir adéquatement leurs enfants dans le choix d’une profession. Ce guide s’adresse aux écoles, mais également aux responsables compétents des autorités politiques, des services spécialisés et des organismes qui, au sein des communes et des cantons, conçoivent, coordonnent, financent et évaluent les offres correspondantes. A titre d’aide pratique, il contient également des indications relatives à la planification, à la mise en œuvre, au contrôle et au développement de programmes de soutien aux parents sur la question du choix professionnel de leurs enfants, ainsi qu’une liste de contrôle facilitant le processus d’évaluation et d’optimisation de ces programmes. Dès le début de l’été 2016, après sa publication, les milieux concernés pourront collecter les premières expériences réalisées avec ce guide. Son utilité à long terme fera l’objet d’une évaluation au moment de l’achèvement du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté.

  • Bibliographie
  • Neuenschwander, Markus P. ; Rösselet, Stephan ; Cecchini, Amaranta ; Benini, Sara (2016) : Unterstützung von sozial benachteiligten, bildungsfernen Eltern bei der Berufswahl Jugendlicher (en allemand, avec résumé en français) ; [Berne : OFAS]. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 7/16 : www.ofas.admin.ch > Pratique > Recherche > Rapports de recherche.
  • Imdorf, Christian (2014) : « Die Bedeutung von Schulqualifikationen, nationaler Herkunft und Geschlecht beim Übergang von der Schule in die betriebliche Berufsausbildung », in : Markus P. Neuenschwander (éd.) ; Selektion in Schule und Arbeitsmarkt,Zurich : Rüegger, pp. 41-62.
  • Neuenschwander, Markus P. et al. (2012) : Schule und Beruf : Wege in die Erwerbstätigkeit, Wiesbaden : VS Verlag.
  • Neuenschwander, Markus. P. (2008) : « Elternunterstützung im Berufswahlprozess », in : Damian Läge und Andreas Hirschi (éd.) ;Beruf­liche Übergänge : Grundlagen für die Berufs-, Studien- und Laufbahnberatung ; Zurich : LIT Verlag, pp. 135-154.
  • Goltz, Jutta (2011), « Migrantenorganisationen als Bildungsakteure : zwischen Empowerment und Funktionalisierung », in Themenheft LAG JAW, n° 2, 2011, pp. 18-24.
  • Bauer, Ullrich ; Bittlingmayer, Uwe H. (2005) : « Wer profitiert von Elternbildung ? », in Zeitschrift für Soziologie der Erziehung und Sozialisation, n° 3, 2005, pp. 263-280.
Prof. Dr phil., Directeur du centre d’apprentissage et de socialisation de la Haute école pédagogique de la HES de la Suisse du Nord-Ouest, et membre de l’institut des sciences de l’éducation de l’Université de Bâle.
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Lic. phil., collaborateur scientifique au centre d’apprentissage et de socialisation de la Haute école pédagogique de la HES de la Suisse du Nord-Ouest.
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