En un coup d’œil
- Dans une position, la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) a formulé des recommandations pour la promotion de la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme.
- Outre l’amélioration de la qualité des données et un suivi à long terme, les recommandations englobent également des mesures structurelles qui concernent les conditions de vie et la discrimination.
- La CFEJ recommande aussi de prendre des mesures pour améliorer l’offre dans le domaine de la prévention, du repérage et de l’intervention précoces ainsi que l’offre de soins.
Des reportages dans les médias, les chiffres du recours aux numéros d’urgence comme le 147 et les données scientifiques mettent en relief que les enfants et les jeunes se sentent fragilisés sur le plan psychique. À l’échelle globale, 13 à 20 % des enfants et des jeunes souffrent de troubles psychiques (Polanczyk et al. 2015 ; OMS 2017 ; Sacco et al. 2022). Cette fragilité accrue des enfants et des jeunes par rapport aux générations précédentes se profilait avant même la pandémie de COVID-19 (Mojtabai et al., 2016).
Dans leur développement neurobiologique, les enfants et les jeunes sont particulièrement vulnérables face aux troubles psychiques (Parker et al. 2020). Mais ils ne courent pas tous les mêmes risques à cet égard : des facteurs liés à l’environnement et des facteurs sociaux tels que le fait d’avoir été victime de discrimination, mais également le genre (les femmes étant plus souvent touchées que les hommes) jouent un rôle dans l’apparition et l’évolution des troubles psychiques.
Les données concernant la prise en charge montrent par ailleurs que la Suisse souffre d’une lacune dans ce domaine. En effet, seule une minorité des personnes touchées par des troubles psychiques obtient le soutien nécessaire (Weisz et al 2017).
Deux facteurs peuvent expliquer cette lacune dans la prise en charge : sur le plan individuel, le comportement des jeunes varie fortement en ce qui concerne la recherche de soutien. Un jeune aura d’autant moins tendance à chercher de l’aide si ses compétences en matière de santé sont faibles ou s’il a été victime de stigmatisation et de discrimination. Certains obstacles sont également inhérents au système de santé, par exemple la pénurie de personnel qualifié (Bural et al 2023) ou le manque de modèles de prise en charge alternatifs, adaptés aux besoins des jeunes et faciles à moduler (comme des solutions basées sur le numérique et des approches incluant l’intervention de pairs). En outre, l’étendue de la prise en charge des coûts par l’assurance-maladie obligatoire (LAMal) peut également influencer la tendance à chercher de l’aide ou non.
Jeunes inégaux face aux troubles psychiques
Les enfants et les jeunes n’ont pas tous les mêmes armes pour affronter les troubles psychiques. Les facteurs sociaux influencent grandement la santé mentale. Des études montrent que le statut socio-économique, donc par exemple le revenu du ménage, joue un rôle fondamental à cet égard. Un statut socio-économique élevé a tendance à réduire le risque de souffrir d’une maladie psychique et, le cas échéant, à en atténuer la gravité des symptômes (Lund et al. 2010 et 2018 ; Reiss 2013 ; Peverill et al. 2021 ; Alegria et al. 2023). À l’inverse, l’insécurité matérielle, le chômage ou des conditions de travail précaires peuvent altérer la santé mentale (Li et al. 2023; Peter et al. 2023).
Le niveau de formation constitue un autre facteur : les personnes avec un faible niveau de formation sont plus sujettes aux troubles psychiques que celles au bénéfice d’un diplôme d’études supérieures (Alegria et al. 2023 ; Luo et al. 2023). Leur comportement concernant la recherche d’aide diffère également (Peter et al. 2023).
Par ailleurs, les relations sociales jouent elles aussi un rôle décisif : les enfants et les jeunes qui ont grandi dans un contexte difficile (violence, conflits entre les parents, harcèlement, discrimination, exil) ont un risque accru de développer des troubles psychiques. L’environnement immédiat constitue un facteur supplémentaire : le bruit, la pollution de l’air et l’insécurité d’un quartier ont également des répercussions négatives sur la santé mentale de ses habitants.
Recommandations pratiques
Partant de ces faits, la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) a formulé des recommandations dans une position publiée en mars 2024. Ce document est le fruit d’un travail de deux ans mené par des membres de la CFEJ disposant d’une expertise interdisciplinaire. Concernant la santé mentale, la commission s’est orientée à la définition large qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé (OMS ; OMS 2001, 2022).
Les recommandations de la CFEJ visent à garantir le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible tel que stipulé à l’art. 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Elles s’inscrivent dans quatre champs d’action pour lesquels la participation des enfants et des jeunes doit toujours jouer un rôle central.
Données et suivi
Le premier champ de recommandations concerne l’état des données et le monitoring. Pour étudier les évolutions dans le domaine de la santé mentale et identifier les problèmes, il est nécessaire de disposer de données suffisamment détaillées et constantes. La CFEJ estime qu’il existe un potentiel inexploité tant quantitatif que qualitatif pour améliorer l’état des données.
Le monitoring devrait englober les enfants dès l’âge préscolaire, être mis en place à long terme et être standardisé, pour montrer à la fois l’état de la situation et les changements. Il devrait en outre fournir des informations sur des facteurs explicatifs tels que le genre, la pauvreté, l’expérience de la migration ou l’orientation sexuelle. De plus, il faudrait mettre en place un monitoring du système de prise en charge en tant que tel afin de mieux ajuster l’offre aux besoins.
Mesures structurelles et déterminants de la santé
La CFEJ a également formulé des recommandations sur le plan structurel et sociétal. Le cadre de vie, mais aussi le contexte social plus large influencent directement la santé mentale des enfants et des jeunes. La commission estime qu’il est primordial de renforcer la participation de ces derniers. En effet, le bien-être des enfants et des jeunes s’accroît lorsqu’ils ont la possibilité de participer à l’aménagement de leur environnement et d’exprimer leur avis. Afin de leur fournir plus d’occasions de s’impliquer, il faudrait, par exemple, encourager les activités de loisir et les réseaux de quartier. La lutte contre la violence, le harcèlement et la discrimination dans les familles, mais aussi à l’école et dans l’espace social constitue un autre élément important pour créer un environnement sain.
Sur le plan structurel, l’État joue un rôle décisif : il peut, en effet, prendre des mesures pour lutter contre la pauvreté ou contre le réchauffement climatique, afin que les enfants et les jeunes grandissent dans un environnement sain et durable. En outre, la CFEJ appelle les autorités, la politique et les médias à présenter les informations qui se rapportent à des thèmes anxiogènes d’une manière adaptée aux enfants et en passant par des canaux appropriés. Il importe également de renforcer les compétences médiatiques des enfants et des jeunes, pour éviter par exemple que leur perception d’eux-mêmes ne soit faussée par les réseaux sociaux. Afin de réduire la pression à la performance que les jeunes subissent, la CFEJ recommande de laisser plus de place au jeu libre et au temps non planifié, dans le domaine scolaire aussi bien qu’extrascolaire.
Prévention, repérage et intervention précoces
Le troisième champ de recommandations se concentre sur la prévention, le repérage et l’intervention précoces. Pour la CFEJ, il faut améliorer l’offre en proposant davantage de mesures de sensibilisation faciles d’accès, échelonnées et systématiques. Ces mesures devraient intervenir dès la petite enfance : plus la mesure est précoce, plus elle sera efficace.
Outre les programmes de prévention, il faut également mettre en place des offres de formation et de formation continue pour les professionnels et les bénévoles actifs dans les domaines scolaires et extrascolaires. Ces personnes pourront ainsi repérer à temps les troubles psychiques et orienter les jeunes vers les services appropriés. En effet, des offres de prévention précoce faciles d’accès peuvent empêcher que les problèmes ne s’aggravent.
L’école joue à cet égard un rôle particulier puisqu’elle a accès à tous les enfants et adolescents. Il faut mettre en place des programmes visant à créer un bon climat scolaire et à renforcer les compétences de vie, sans oublier la prévention du harcèlement et du suicide. La priorité doit être accordée aux enfants et aux jeunes particulièrement vulnérables en misant sur des mesures de prévention ciblées et des offres faciles d’accès. Il importe en outre de réduire la stigmatisation autour des problématiques de santé mentale.
Élargir l’offre de prise en charge
Enfin, la CFEJ recommande d’étendre et de diversifier les offres de prise en charge. Pour adapter l’offre aux besoins de prestations ambulatoires et stationnaires, il faudrait augmenter les ressources et le personnel. En parallèle, la CFEJ conseille d’améliorer l’information sur les offres existantes et de simplifier l’accès à ces offres, par exemple en proposant des modèles de traitement innovants et alternatifs, tels que des interventions numériques ou des approches incluant l’intervention de pairs.
Pour la CFEJ, il faut aussi adapter davantage les offres aux besoins des enfants et des jeunes concernés ; le travail social hors murs pourrait jouer un rôle important à cet égard. Ici aussi, la participation des enfants et des jeunes à la conception des offres permet de proposer des aides plus efficaces.
Il s’agit maintenant de soumettre ces recommandations aux instances de décision, et de leur montrer comment favoriser et renforcer de manière efficace et durable la santé mentale des enfants et des jeunes. L’enjeu est de taille, puisqu’il en va de l’avenir de notre société et de la réalisation des droits de l’enfant.
Bibliographie
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