En un coup d'oeil
- Lieu du domicile, horaires de travail, trajets quotidiens et garde des enfants : la vie de famille est marquée par différents facteurs liés à l’espace et au temps.
- Les familles ne disposent pas toutes des mêmes possibilités pour gérer leur quotidien.
- Les familles avec de jeunes enfants, celles dont les parents travaillent en rotation, celles qui disposent d’un revenu modeste ou encore les ménages monoparentaux disposent d’une marge de manœuvre particulièrement faible.
Entre ménages monoparentaux, familles recomposées et familles arc-en-ciel, les arrangements familiaux deviennent de plus en plus complexes ; ces configurations familiales compliquent également la coordination au quotidien. Par conséquent, les familles devraient être considérées sous l’angle du doing family (Jurcyk 2020), c’est-à-dire en partant de questions très concrètes : combien de temps chacun des parents consacre-t-il aux tâches ménagères ? Qui accompagne les enfants à la crèche ? Qui consacre combien de temps à sa carrière professionnelle ? Quelle est la durée du trajet de chacun pour se rendre au travail ? Et, dans le cas des familles recomposées ou séparées, où les enfants passent-ils la nuit ?
Une enquête menée fin 2022 auprès de familles vivant en Suisse montre que celles-ci souhaitent avoir des horaires de travail plus souples et la possibilité de travailler à temps partiel, disposer d’un congé de maternité et d’un congé de paternité plus longs, rencontrer une plus grande compréhension de la part de leurs employeurs concernant la prise en charge des proches et parvenir à une meilleure répartition du temps au sein du couple (Gnaegi & Miller 2023, p. 6 à 20).
On peut en conclure qu’un lieu de résidence bien desservi, des trajets courts pour se rendre au travail, des structures d’accueil et des proches accessibles, de même que des horaires de travail favorables à la vie de famille constituent autant de facteurs clé facilitant la gestion du quotidien familial. À l’inverse, le stress lié à la famille produit des effets délétères sur la santé. La répartition des tâches entre les parents et la prise en charge des enfants figurent parmi les causes principales de ce stress.
Toujours plus de parents épuisés
Les parents de jeunes enfants sont particulièrement vulnérables : à « l’heure de pointe de la vie », ils doivent parvenir à concilier objectifs professionnels, horaires de travail, et prise en charge des enfants y compris aux heures creuses (Muri et Kubat 2018). Les données actuelles du Job-Stress-Index de Promotion Santé Suisse (2022) montrent que, parmi les personnes exerçant une activité lucrative, la part des personnes qui se sentent émotionnellement épuisées est bien plus élevée qu’il y a six ans, les femmes étant davantage touchées (48 %) que les hommes (35 %) d’après un autre sondage (Sotomo 2018). L’enquête de Sotomo montre en effet que les femmes souffrent plus souvent de charges multiples et sont plus fréquemment épuisées que les hommes, tant à la maison qu’au travail.
Les familles aux arrangements multilocaux, en particulier les familles vivant dans des logements séparés, les familles recomposées et les ménages monoparentaux, doivent organiser et financer deux ménages ou plus. Les deux parents doivent disposer d’un appartement qui offre suffisamment d’espace aux enfants. Les familles de ce type disposent donc généralement de moyens financiers plus modestes que celles partageant un même domicile. Les ménages monoparentaux sont le plus fortement touchés par ce phénomène (Bischof et al. 2023, p. 4 à 19), puisque leur situation financière les contraint plus souvent à déménager vers des zones périphériques mal desservies (Kaufmann et al. 2023).
Pour les familles aux arrangements multilocaux, l’organisation du quotidien s’avère particulièrement complexe, puisqu’il s’agit de coordonner les trajets et les horaires de travail de plusieurs personnes de référence tout en assurant la garde des enfants. Ce sont toujours principalement les mères qui assument ce jeu d’équilibriste épuisant (charge mentale) de même que la prise en charge des enfants.
Outre les ménages monoparentaux, les familles avec trois enfants ou plus sont également particulièrement menacées par la pauvreté (OFS 2021, p. 51). Les familles menacées par la pauvreté vivent plus souvent que les autres dans des zones mal desservies, étant donné qu’elles disposent d’un choix plus restreint que les familles aisées concernant leur lieu de domicile et leur lieu de travail. Par conséquent, dans ces familles, les parents parcourent des trajets plus longs pour se rendre au travail. Ils travaillent aussi plus souvent en rotation, ont des horaires de travail moins flexibles ou font du travail sur appel (Travail.Suisse 2023, p. 21). Tout cela complique considérablement la gestion du quotidien (voir aussi OFL 2020, p. 17). Or, le fait de disposer de moins d’autonomie dans la gestion de son temps de travail, de parcourir de longues distances pour se rendre au travail et de disposer de trop peu de temps pour les tâches familiales renforce le stress et les problèmes de santé qui s’ensuivent.
Les parents disposant de faibles revenus ou issus de la migration, de même que les travailleurs non qualifiés et les femmes, travaillent plus souvent en rotation, sur appel ou de nuit (OFS 2022, p. 1). Bien souvent, les trajets ne peuvent pas être effectués en transports publics. Les conséquences sont lourdes pour le quotidien des familles : le calendrier inflexible du travail sur appel n’est pas compatible avec des horaires de prise en charge fixes pour les enfants (Travail.Suisse 2023, p. 29). Les collaborateurs des entreprises de transport, par exemple, passent beaucoup de temps à rentrer chez eux, au détriment de leur vie de famille. Cela se répercute également sur l’équilibre entre le travail et le repos, de même que sur la santé.
Les familles confrontées à des difficultés multiples et ayant des proches nécessitant des soins rencontrent des défis à plusieurs niveaux : près de 20 % des personnes entre 25 et 80 ans apportent leur aide au moins une fois par semaine à une personne de leur entourage atteinte dans sa santé (OFS 2021, p. 2). Les parents de jeunes enfants assument souvent également des tâches de soins. Ce constat vaut également pour les femmes entre 40 et 50 ans qui doivent faire face à des défis tant professionnels que familiaux.
Tous les employeurs ne se montrent pas compréhensifs concernant une demande de réduction du taux d’occupation ou un congé à court terme, et les employés ne connaissent souvent pas suffisamment les offres de soutien disponibles (Travail.Suisse 2023, p. 47 s.). C’est ainsi que la charge devient bien souvent chronique, alors que les réseaux familiaux se fragilisent avec les années. Bien qu’il existe un grand nombre de structures d’accueil de jour et de nuit pour les proches nécessitant des soins spécifiques, celles-ci sont souvent situées à proximité des centres urbains ou ne sont pas assez connues (Neukomm et al. 2019, V).
Une intervention s’impose sur le plan politique
Le fait de mettre l’accent sur une politique spatio-temporelle en faveur des familles contribue à les décharger lorsqu’elles font face à des défis particuliers dans leur quotidien. Pour y parvenir, il faut mettre en place des bases légales et trouver des solutions pragmatiques qui soient adaptées aux situations concrètes et aux besoins réels des groupes cibles tout en se focalisant sur les périodes de surcharge au cours de la vie. Les communes, les cantons, la Confédération et les entreprises doivent élaborer ensemble des solutions permettant une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
Ces démarches doivent tenir compte des éléments suivants :
- Espace et temps : un domicile approprié, des trajets courts pour se rendre au travail, des possibilités de garde accessibles et des horaires de travail adaptés constituent autant de facteurs clés permettant de faire face au quotidien.
- Conditions inégales et cumul des charges : l’espace et le temps comme ressources essentielles pour la famille sont répartis de manière inégale. En tant que facteurs influant sur la capacité des familles à faire face au quotidien, ils devraient faire partie intégrante de la prévention en matière de santé et de pauvreté.
- Périodes de surcharge au cours de la vie : la perspective biographique oriente le regard vers les phases intenses de prise en charge comme l’« heure de pointe de la vie » et le caractère chronique des charges que doivent assumer les familles aux problématiques multiples. Ces dernières ont besoin d’offres de soutien et de décharge qui soient accessibles et répondent à leurs besoins en matière de temps.
- Objectifs communs de la politique spatio-temporelle et de la politique de l’égalité entre les sexes : dans les familles aux arrangements multilocaux et dans les ménages monoparentaux, les charges s’accumulent toujours au détriment des femmes. Il faut y voir une occasion de répartir différemment le volume de travail entre les sexes.
- Considérer les défis liés au principe de subsidiarité comme une chance : la Confédération joue un rôle central en créant les bases légales relatives au temps de travail et en mettant sur pied des projets pilotes à caractère de modèle au niveau régional et local.
Concernant l’avenir, les jeunes adultes entre 18 et 35 ans sont plus souvent épuisés et stressés que les générations précédentes (Sotomo 2022). Ici aussi, les femmes entre 18 et 30 ans (55 %) sont plus touchées que les hommes (24 %). Les femmes assument nettement plus de tâches ménagères que leur partenaire, et la charge mentale, c’est-à-dire la responsabilité de l’organisation du quotidien, leur incombe bien souvent même lorsqu’elles ont un emploi à plein temps. Pour la jeune génération, l’argent est moins important que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la souplesse et le fait de disposer de plus de temps libre. Des conditions spatiales et temporelles adaptées aux besoins des familles contribuent clairement à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, combattent la pénurie de main-d’œuvre, réduisent les coûts de la santé et ont un impact positif sur l’économie.
Ce texte se base sur la contribution de Gabriela Muri « Politique spatiale et temporelle pour les familles – Défis et solutions », publiée le 5 décembre 2023 dans l’ouvrage collectif de la COFF Familles et politique familiale en Suisse — Défis en 2040.
Bibliographie
Bischof, Severin ; Kaderli, Tabea ; Liechti, Lena ; Guggisberg, Jürg (2023). Die wirtschaftliche Situation von Familien in der Schweiz. Die Bedeutung von Geburten und Trennungen und Scheidungen (en allemand, avec résumé en français). Étude mandatée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale : rapport de recherche no 1/23.
Gnaegi, Philippe ; Miller, Yvonne (2023). Baromètre suisse des familles 2023 – Ce qui préoccupe les familles en Suisse. Communiqué de presse du 4 avril 2023.
Jurczyk, Karin (2020). Doing und Undoing Family. Konzeptionelle und empirische Entwicklungen.
Kaufmann, David ; Lutz, Elena ; Kauer, Fiona ; Wehr, Malte ; Wicki, Michael (2023). Erkenntnisse zum aktuellen Wohnungsnotstand: Bautätigkeit, Verdrängung und Akzeptanz.
Muri, Gabriela ; Kubat, Sonja (2018). Stadt der Zukunft II: Perspektiven der Zürcherinnen und Zürcher zwischen 30 und 39 Lebensjahren.
Neukomm, Sarah et al. (2019). Schlussbericht des Forschungsmandats G5 des Förderprogramms «Entlastungsangebote für betreuende Angehörige». Étude mandatée par l’OFSP.
Office fédéral de la statistique (2021). Les familles en Suisse. Rapport statistique 2021. Comment vivent les familles d’aujourd’hui en Suisse ? Communiqué de presse du 11 mai 2021.
Office fédéral de la statistique (2022). Formes d’emploi atypiques 2010-2020, 10 novembre.
Office fédéral du logement (2020). Recherche sur le logement 2020-2023. Programme de recherche de l’OFL, mars 2020.
Promotion Santé Suisse (2022). Job Stress Index 2022. Monitorage des indicateurs du stress chez les personnes actives en Suisse. Feuille d’information 72.
Sotomo (2018). «Wie geht’s dir?». Ein psychisches Stimmungsbild der Schweiz (en allemand). Étude mandatée par Pro Mente Sana.
Sotomo (2022). Étude Helsana sur les émotions 2022 : comment va la Suisse. Étude mandatée par Helsana, 29 août.
Travail.Suisse (2023). Stress et épuisement des travailleurs et travailleuses – causes, effets et mesures pour un monde du travail sain. Prise de position.