« Une réadaptation réussie dépend de l’engagement de tout un chacun »

L’entreprise lucernoise Elektrisola Feindraht s’engage pour maintenir en emploi ses collaborateurs malades ou victimes d’un accident. Selon Philipp Brun, responsable des finances et des ressources humaines, la réadaptation constitue un bénéfice pour l’entreprise.
Stefan Sonderegger
  |  14 novembre 2024
    Entretien
  • Assurance-invalidité
  • Réadaptation
« Les personnes qui souhaitent ardemment reprendre le travail ont les meilleures chances de réussir. » Philipp Brun, responsable des finances et des ressources humaines chez Elektrisola Feindraht SA. (Tanja Schneuwly / OFAS)

Monsieur Brun, l’office AI de Lucerne a décerné l’IV Award (prix AI) à votre entreprise pour son engagement dans la réadaptation. En quoi vous distinguez-vous d’autres entreprises ?

Notre personnel éprouve un grand sentiment d’appartenance à l’entreprise. D’ailleurs, nous comptons un nombre substantiel d’employés de longue date : la durée moyenne de service chez nous est de quatorze ans. Lorsqu’une personne subit un coup du sort, que ce soit un accident ou une maladie, c’est normal que nous soyons à ses côtés.

Comment cet engagement est-il perçu au sein de l’entreprise ?

Nos collaborateurs l’apprécient. Heureusement, car pour qu’une réadaptation soit couronnée de succès, tout le monde doit y mettre du sien, en particulier les collaborateurs et les supérieurs hiérarchiques sur place.

Comment votre engagement est-il perçu au niveau régional ?

L’attribution du IV Award a suscité de nombreuses réactions positives, ce qui me réjouit beaucoup. C’est la preuve qu’il vaut la peine de s’investir dans la réadaptation.

Dans quels services les personnes réinsérées travaillent-elles ?

Cela varie selon les cas. La plupart du temps, elles effectuent des travaux moins pénibles sur le plan physique, par exemple dans l’assurance qualité des produits, une activité que l’on peut partiellement exercer en position assise.

La volonté des personnes concernées de retourner au travail est-elle importante ?

Je dirais même plus : elle est décisive. Les chances de réussite sont optimales si les personnes concernées souhaitent ardemment reprendre le travail. Ses chances de réussir sont optimales, si elle souhaite ardemment reprendre le travail.

Le temps partiel peut-il constituer une solution dans certains cas ?

Souvent il fait partie de la solution, l’objectif étant d’augmenter progressivement le taux d’occupation. Dans bien des cas, nous commençons par confier au collaborateur une activité peu intense, qui ne dépasse parfois pas deux heures par jour. Cela lui permet de structurer ses journées et de retrouver l’environnement professionnel qu’il a connu. Par exemple lorsqu’il prend la pause avec ses collègues.

L’année dernière, vous êtes parvenu à maintenir en emploi quatre personnes victimes d’un accident ou atteintes d’une maladie grave. Comment vous y êtes-vous pris ?

Ces personnes avaient toutes travaillé pendant de longues années dans la production. L’une d’entre elles souffrait d’un cancer. Même lorsque les chances de guérison sont incertaines, c’est une évidence pour nous : après un tel coup du sort, nous devons essayer de réintégrer la personne, un point c’est tout.

« Même si les chances de guérison sont incertaines, c’est une évidence pour nous : nous devons essayer, un point c’est tout »

Comment procédez-vous concrètement ?

Tout d’abord, nous restons en contact avec la personne. Son supérieur lui téléphone régulièrement et lui apporte un cadeau de rétablissement. Ensuite, nous tentons de la faire revenir au travail en lui proposant des missions de courte durée.

À quel moment l’AI entre-t-elle en jeu ?

Nous prenons contact avec l’office AI dès que nous voyons que la situation se prolonge. Le concours de l’AI est particulièrement important à partir du moment où la personne peut reprendre le travail. Après un accident par exemple, il se peut qu’elle ait besoin d’une chaise plus ergonomique.

Comment l’expertise professionnelle influence-t-elle l’incitation à garder quelqu’un dans l’entreprise ?

Au fil des ans, notre personnel acquiert un grand savoir-faire, par exemple dans le maniement des machines. Cette compétence ne se remplace pas facilement. Il est préférable de garder un collaborateur plutôt que d’en engager un nouveau.

L’année dernière, vous avez engagé une personne par l’intermédiaire de l’office AI de Lucerne. Comment cela s’est-il passé ?

Il s’agissait d’une personne qui ne pouvait plus exercer son métier initial en raison d’un syndrome de COVID long. Elle a donc postulé chez nous. Dès le dépôt de la candidature, l’office AI de Lucerne nous a contactés en nous proposant une aide à la réadaptation. Cela nous a donné une certaine sécurité financière. Au bout du compte, nous n’avons pas eu à recourir à l’AI et l’insertion du collaborateur s’est déroulée sans accroc.

Avez-vous d’autres exemples de réadaptation réussie ?

Il y a deux ans, une personne a été victime d’un accident entre la signature du contrat et son entrée en service. Elle a subi une blessure au dos. L’encadrement offert par l’assurance-accidents dans cette situation était particulièrement bienvenu. Aujourd’hui, la personne fait partie de notre équipe, même si elle travaille à un taux d’occupation inférieur à ce qui était initialement prévu.

Pour revenir à l’AI, laquelle de ses prestations vous semble particulièrement précieuse ?

D’une part, l’évaluation du poste de travail pour déterminer ce qu’il est raisonnable d’attendre d’une personne atteinte dans sa santé. D’autre part, la sécurité financière offerte par l’AI est importante lorsque nous décidons d’engager une personne confrontée à des problèmes de santé. Il peut s’agir de l’octroi d’indemnités journalières pendant la phase d’insertion ou de moyens auxiliaires, comme une chaise ergonomique.

Le nombre de troubles psychiques augmente. Ce phénomène touche-t-il votre entreprise ?

Oui, nous l’avons remarqué. Certains de nos collaborateurs souffrent aussi de troubles psychiques. En comparaison d’un accident ou d’un problème de santé physique, ce type de maladie est plus sournois. Lorsqu’il y a de sérieux indices de troubles psychiques, par exemple en cas de dépendance, nous cherchons le dialogue avec la personne pour lui dire qu’elle a besoin d’un soutien professionnel. Nous l’informons notamment qu’elle peut s’adresser au centre régional de conseil social. En revanche, nous attendons d’elle qu’elle y prenne rendez-vous.

Comment procédez-vous quand une personne est en congé maladie ?

Une des difficultés est que les médecins attestent souvent d’emblée une incapacité de travail de 100 %. Nous avons l’impression que le corps médical ne considère pas la réadaptation comme sa tâche principale. Pourtant, dans bien des cas, il pourrait être préférable d’essayer de continuer à travailler à un taux réduit.

À votre avis, que faut-il faire pour y parvenir ?

L’AI pourrait s’investir davantage dans son rôle de passerelle entre les entreprises et le corps médical. Idéalement, nous devrions pouvoir approcher l’AI dans le cadre de l’intervention précoce pour discuter d’un cas. Ensuite, l’AI s’adresserait au médecin traitant pour évaluer s’il est possible que le collaborateur continue de travailler à temps partiel. Cette manière de procéder ouvrirait certaines perspectives, tant aux employés qu’aux employeurs.

« L’AI pourrait s’investir davantage dans son rôle de passerelle entre les entreprises et le corps médical »

Où voyez-vous un potentiel d’amélioration pour l’AI ?

Je trouve que l’octroi d’une rente prend trop de temps. J’ai conscience que le processus est complexe ; l’état de santé du patient doit être stable et souvent de nombreux spécialistes sont impliqués. En outre, le processus comprend pas mal de travail administratif. Pour une intervention précoce, il faut remplir un long formulaire. À mon avis, la bureaucratie pourrait probablement être simplifiée.

Que recommandez-vous à d’autres entreprises en ce qui concerne la réadaptation ?

Il vaut la peine de s’engager. La réadaptation permet à l’entreprise de retenir un collaborateur motivé. Elle favorise l’estime mutuelle et contribue au développement d’une bonne culture d’entreprise. En outre, une réadaptation fondée sur des solutions individuelles est souvent couronnée de succès.

L’IV Award qui vous a été décerné était doté de 10 000 francs. Comment les avez-vous utilisés ?

Début septembre, nous avons organisé une fête pour l’ensemble du personnel. C’était notre façon de le remercier pour ses efforts. En effet, pour qu’une réadaptation réussisse, tous les employés doivent monter à bord : les collègues de la personne atteinte dans sa santé doivent prendre le relais pendant son absence. Mais ses supérieurs hiérarchiques, le service des ressources humaines et la direction de l’entreprise doivent eux aussi s’engager. En amont de la fête, nous avons interrogé divers collaborateurs au sujet de la réadaptation, puis nous avons imprimé leurs réponses sur des affiches.

Parmi les réponses données, lesquelles vous ont marqué ?

Une personne a déclaré que son médecin était sceptique, mais que son supérieur croyait en elle et que la confiance accordée l’avait énormément aidée. À mon avis, un tel témoignage montre que le soutien au travail peut favoriser le processus de guérison.

Philipp Brun – Elektrisola Feindraht

Philipp Brun, 39 ans, dirige depuis quatorze ans le service des finances et des ressources humaines d’Elektrisola Feindraht SA à Escholzmatt, dans le canton de Lucerne. Cette filiale de l’entreprise familiale allemande Elektrisola produit des fils pour smartphones, appareils médicaux et voitures électriques. Elle emploie quelque 200 personnes. En 2024, l’entreprise s’est vu décerner l’IV Award par l’office AI de Lucerne pour son engagement en faveur de l’intégration de personnes atteintes dans leur santé.

Mesures de l’AI à l’intention des employeurs

L’AI fournit les prestations suivantes aux employeurs qui en ont besoin :

Conseils axés sur la réadaptation : des conseils facilement accessibles pour les employeurs et des informations sur le mandat et les prestations de l’AI, sur la gestion des atteintes à la santé des collaborateurs, le recours à la détection précoce ou le dépôt d’une demande pour une personne à risque.

Conseils et suivi par les offices AI : des conseils et un suivi continus de longue durée pour l’assuré et son employeur.

Adaptations du poste de travail et maintien en emploi : l’adaptation du poste de travail (par ex. mesures d’ergonomie), un coaching professionnel ou l’examen d’un changement de poste au sein de l’entreprise.

Placement à l’essai : il permet à l’assuré de tester ses aptitudes réelles sur le marché primaire du travail. Si les conditions d’octroi sont remplies, l’AI verse des indemnités journalières pendant la durée de l’essai. L’employeur pour sa part n’a pas à verser de salaire.

Allocation d’initiation au travail : il s’agit d’une incitation financière à durée limitée versée aux employeurs dans le but de les encourager à embaucher définitivement des assurés en situation de handicap.

Indemnité en cas d’augmentation des cotisations : l’indemnité apporte une compensation financière à l’employeur qui assume une augmentation des cotisations à la prévoyance professionnelle obligatoire ou l’augmentation des primes de l’assurance d’indemnités journalières en raison de la maladie d’un employé.

 Accès des jeunes adultes à une formation professionnelle initiale : une indemnité journalière est versée par l’AI pour les jeunes assurés qui suivent une formation professionnelle initiale avec le soutien de l’AI.

Rédacteur en chef, Sécurité sociale (CHSS)
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