Le Développement continu de l’AI est entré en vigueur le 1er janvier 2022. La réforme a été majoritairement bien reçue par le Parlement et les médias ; les dispositions d’exécution ont par contre fait l’objet de davantage de critiques, en particulier celles qui concernent les expertises médicales et l’évaluation du taux d’invalidité.
En un coup d'oeil
- Le Développement continu de l’AI est entré en vigueur le 1erjanvier 2022.
- Il a pour but de permettre aux personnes assurées d’exploiter mieux encore leur potentiel de réadaptation et d’améliorer leur aptitude au placement.
- Il comprend de nombreuses mesures qui visent à soutenir de façon individualisée et adaptée aux besoins les enfants, les jeunes et les personnes atteintes dans leur santé psychique en particulier.
- La majorité des mesures ont été très bien accueillies, notamment dans le domaine de la réadaptation professionnelle.
- Depuis l’entrée en vigueur du projet, l’aménagement concret des changements concernant les expertises médicales et l’évaluation du taux d’invalidité cristallise les critiques.
Le 3 novembre 2021, le Conseil fédéral a décidé de mettre en vigueur le Développement continu de l’AI le 1er janvier 2022 et a adopté les dispositions d’exécution correspondantes (RO 2021 705 ; RO 2021 706). Cette réforme particulièrement volumineuse occupe l’OFAS depuis 2014. Les débats parlementaires relatifs au message que le Conseil fédéral avait adopté le 15 février 2017 (FF 2017 2363) ont constitué une phase particulièrement intensive. Deux ans et demi durant, les chambres fédérales ont examiné en détail le projet en déposant de nombreuses propositions (voir aussi CHSS 2/2020). Le 19 juin 2020, le Conseil national a adopté le Développement continu de l’AI à l’unanimité, par 198 voix contre 0 ; le Conseil des États l’a suivi au vote final, par 44 voix contre 1. L’OFAS n’a pas attendu la fin des débats parlementaires pour commencer les travaux relatifs aux dispositions d’exécution, une tâche également de taille étant donné le vaste éventail des thèmes abordés par la réforme.
Révision de la loi : objectif, mesures et débats parlementaires
Le Développement continu de l’AI a pour but de permettre aux personnes assurées d’exploiter mieux encore leur potentiel de réadaptation et d’améliorer leur aptitude au placement. Les enfants, les jeunes et les personnes atteintes dans leur santé psychique en particulier nécessitent un soutien individualisé et adapté à leurs besoins. Pour atteindre cet objectif, de nombreuses mesures ont été proposées dans le cadre de la réforme, mesures qui ont engendré des modifications dans la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI ; RS 831.20), mais aussi dans la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS 830.1), la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP ; RS 831.40) et la loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA ; RS 832.20). Ces mesures comprennent notamment le suivi plus intensif des infirmités congénitales, le soutien ciblé des jeunes lors de la transition vers la vie professionnelle, l’extension des prestations de conseil et de suivi aux personnes atteintes dans leur santé psychique, le renforcement de la collaboration entre les médecins, les employeurs et l’AI, l’introduction d’un système de rentes linéaire et l’uniformisation, pour toutes les assurances sociales, des règles relatives aux expertises médicales (voir aussi CHSS 2/2017 ; CHSS 2/2015, pp. 94 ss).
Le projet a rencontré un écho grandement favorable lors des débats parlementaires. Les mesures visant à améliorer le soutien des jeunes et des personnes atteintes dans leur santé psychique ont été largement soutenues. Les mesures médicales, les expertises médicales et le système de rentes ont particulièrement nourri les discussions, tout comme la neutralité des coûts du projet. La réduction du montant de la rente pour enfant proposée en vue de limiter ces coûts a toutefois été rejetée (voir CHSS 2/2020).
Parmi tous ces changements, attardons-nous sur ceux qui concernent le domaine des expertises médicales. Le Conseil fédéral a créé les bases légales permettant l’enregistrement sonore des entretiens menés dans le cadre des expertises (art. 44, al. 6, LPGA) et a mis sur pied une commission extraparlementaire d’assurance qualité des expertises médicales (art. 44, al. 7, let. c, LPGA ; voir CHSS, présent dossier, Kocher : « Nouveautés concernant les expertises médicales dans les assurances sociales »).
Les dispositions d’exécution en quelques mots
Les bases légales adoptées par le Parlement ‒ avec une adhésion notable ‒ nécessitaient de nombreuses modifications au niveau réglementaire. Celles-ci concernaient en premier lieu le règlement sur l’assurance-invalidité (RAI ; RS 831.201), mais aussi l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales (OPGA ; RS 830.11), le règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS ; RS 831.101) et l’ordonnance sur l’assurance-accidents (OLAA ; RS 832.202). En outre, deux ordonnances départementales ont été créées : l’ordonnance du DFI concernant les infirmités congénitales (OIC-DFI ; RS 831.232.211 ; voir aussi CHSS, présent dossier, Vuilleumier : « Développement continu de l’AI : actualisation de la liste des infirmités congénitales ») et l’ordonnance du DFI sur les prestations de soins fournies sous forme ambulatoire (RS 831.201.21).
Les dispositions d’exécution comprenaient notamment des modifications réglementaires ayant trait à l’optimisation de la réadaptation, aux mesures médicales, à la tarification, au système de rentes et aux expertises médicales (voir aussi les Dispositions d’exécution relatives au Développement continu de l’AI : rapport explicatif [après la procédure de consultation]). En outre, un centre de compétences Médicaments a été créé en vertu du nouvel art. 14ter, al. 5, LAI (voir CHSS, présent dossier, Zeggel : « Comment les médicaments et les produits diététiques destinés au traitement des infirmités congénitales sont-ils remboursés ? ») et la gestion des cas a été concrétisée et étendue aux mesures médicales (voir CHSS, présent dossier, Benz : « La réadaptation prime la rente, version 2.0 »). Se sont ajoutées à cela quelques autres mesures sans rapport avec le Développement continu de l’AI, comme la hausse des forfaits de nuit concernant la contribution d’assistance, ainsi que la planification sur quatre ans et l’encadrement, au moyen d’une enveloppe budgétaire, des frais administratifs des offices AI.
La consultation menée du 4 décembre 2020 au 19 mars 2021 a suscité un grand intérêt : plus de 200 avis ont été récoltés. Les dispositions d’exécution proposées ont été pour l’essentiel saluées. Le transfert de l’ancienne ordonnance concernant les infirmités congénitales (OIC) dans une ordonnance de département (OIC-DFI), la précision des infirmités congénitales dont le traitement est pris en charge par l’AI ainsi que la création d’une liste des spécialités pour les médicaments spécifiques aux infirmités congénitales ont été particulièrement bien accueillis. Les améliorations apportées dans le domaine de la réadaptation professionnelle ont elles aussi reçu un écho favorable. Les critiques portaient quant à elles surtout sur les mesures médicales, sur la procédure concernant les expertises médicales et sur l’ordre de priorité dans l’attribution des aides financières aux organisations faîtières de l’aide privée aux invalides en vertu de l’art. 74 LAI. Pour ce qui est de l’évaluation du taux d’invalidité, l’utilisation des barèmes de l’enquête sur la structure des salaires (ESS) a particulièrement cristallisé les critiques (voir les Dispositions d’exécution relatives au Développement continu de l’AI : rapport explicatif [après la procédure de consultation], chap. 2).
Le projet a intégré certaines idées exprimées dans des propositions faites durant la consultation. À noter que la réglementation de l’ordre de priorité initialement prévue à l’art. 74 LAI avait d’abord été abandonnée. En outre, concernant l’évaluation du taux d’invalidité, le Conseil fédéral a chargé l’OFAS, dans le cadre du Développement continu de l’AI, de se pencher sur l’utilisation des barèmes de l’ESS : l’analyse et le développement d’éventuels nouveaux barèmes devront tenir compte du cadre légal, des conséquences financières et des répercussions pour les autres assurances sociales. Si de nouveaux barèmes pouvaient être créés, les dispositions relatives à l’évaluation du taux d’invalidité devraient être intégralement réexaminées (à ce sujet, voir aussi CHSS, présent dossier, Mauro/Leuenberger : « Évaluation du taux d’invalidité dans le système de rentes linéaire » ; pour plus de détails sur les modifications faisant suite à la consultation, voir les Dispositions d’exécution relatives au Développement continu de l’AI : rapport explicatif [après la procédure de consultation], chap. 2).
Réactions après l’entrée en vigueur
Dans les médias, l’entrée en vigueur du Développement continu de l’AI n’a eu qu’un écho limité au vu de la taille du projet, mais positif : les améliorations apportées dans le domaine de la réadaptation et l’actualisation de la liste des infirmités congénitales en particulier ont été mentionnées. La couverture médiatique était principalement concentrée sur les critiques qui avaient déjà été formulées, lors de la consultation relative aux dispositions d’exécution, à l’encontre de l’évaluation du taux d’invalidité et de l’utilisation des barèmes de l’ESS. Le sujet avait aussi beaucoup fait réagir au Parlement : depuis l’adoption du projet, les membres des chambres fédérales ont déposé plusieurs interventions (voir 21.4522, 21.4480) et de nombreuses questions (21.8158, 21.8155, 21.8150, 21.8102, 21.8091, 21.8074, 21.8048, 21.8019, 21.8014). La dernière intervention en date, une motion de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) (22.3377), souhaite charger le Conseil fédéral d’instaurer d’ici au 30 juin 2023 une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tienne compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé.
Une délibération publique du Tribunal fédéral a elle aussi largement attiré l’attention sur la question de l’évaluation du taux d’invalidité, mais portait toutefois sur l’utilisation des barèmes de l’ESS en vertu de l’ancien droit. Cette délibération faisait suite à toute une série de prises de position publiques de la part de représentants de la doctrine et d’organisations de personnes handicapées (voir par ex. Déclaration commune du 15.11.2021 d’Inclusion Handicap, d’autres organisations de personnes handicapées, de l’Association suisse des assurés « Versicherte Schweiz », d’UNIA et du Bureau de consultation juridique pour les victimes d’accidents et les malades). Le 9 mars 2022, le Tribunal fédéral a décidé de s’en tenir à sa jurisprudence. Dans son arrêt, il renvoie au fait que le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir et est en train d’examiner s’il est possible de développer des bases spécifiques à l’AI pour l’évaluation (communiqué de presse du Tribunal fédéral, 9.3.2022 ; arrêt du TF du 9.3.2022 8C_256/2021, publication prévue).
La pratique en matière d’expertises reste critiquée dans les médias, malgré les améliorations qu’apporte le Développement continu de l’AI. Sur ce sujet aussi, les parlementaires ont déposé des interventions (22.3155, 22.1004) et des questions (22.7026, 22.7044).
Conclusion
Le Développement continu de l’AI est la première réforme de la LAI à être adoptée et à entrer en vigueur depuis le rejet par le Parlement, en 2013, de la révision 6b (11.030). Très complet, il apporte des améliorations essentielles dans de nombreux domaines en faveur des personnes assurées, avis que partagent également le Parlement et les organisations concernées. Les critiques permanentes au sujet des expertises médicales et de l’évaluation du taux d’invalidité ont toutefois terni l’image d’ensemble du projet. En outre, elles ne tiennent pas compte du fait que la réforme a pour but d’apporter des améliorations y compris dans les domaines critiqués, et que ces améliorations, par nature, ne porteront leurs fruits qu’au bout d’un certain temps. Par ailleurs, concernant l’évaluation du taux d’invalidité, les travaux sur le remplacement éventuel des barèmes de l’ESS se poursuivent. Étudier et développer le système de manière approfondie nécessite de pouvoir exploiter des données relatives à l’efficacité des mesures du Développement continu de l’AI et prend donc du temps. Les question complexes doivent également être analysées au regard du système des assurances sociales dans sa globalité et compte tenu des possibles répercussions financières.