Investir durablement : une responsabilité fiduciaire des caisses de pension

La stratégie de durabilité d’une caisse de pension relève de la responsabilité de son conseil de fondation. Dans la gestion du patrimoine des assurés, la priorité est donnée au respect du devoir de diligence fiduciaire.
Hanspeter Konrad
  |  07 novembre 2023
    Opinion
  • Prévoyance professionnelle
Des ouvriers installent des panneaux solaires à Berne. (Keystone)

En un coup d’œil

  • Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG) font partie de la stratégie de placement d’une caisse de pension.

  • La responsabilité de la stratégie ESG incombe au conseil de fondation de l’institution de prévoyance, composé de manière paritaire.

  • Les normes de reporting ESG publiées par l’ASIP visent à améliorer la transparence.

Les caisses de pension accordent depuis toujours une place centrale à la durabilité et à la justice intergénérationnelle. Selon la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP), elles sont tenues d’administrer leur fortune de manière à garantir la sécurité des placements, un rendement raisonnable, une répartition appropriée des risques et la couverture des besoins prévisibles de liquidités.

Les caisses de pension s’appuient pour cela sur une stratégie de placement à long terme, tenant compte de leur capacité et de leur propension à assumer des risques. Leurs responsables doivent viser à obtenir un rendement conforme au marché tout en assumant des risques acceptables. Les facteurs environnementaux, climatiques, sociaux et de gouvernance (appelés critères ESG) font partie des risques et des opportunités que doit analyser l’organe suprême des caisses de pension.

Pour l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP), un placement durable de la fortune est une approche qui tient compte des critères environnementaux, sociaux, sociétaux et de bonne gouvernance dans la sélection et la gestion des titres. À ce titre, le respect des critères ESG fait partie des obligations fiduciaires d’une caisse de pension.

L’ASIP dresse un constat positif de la situation : le nombre de caisses de pension qui prennent explicitement en compte les critères ESG dans leurs décisions de placement ne cesse d’augmenter. Cette évolution est dans l’intérêt à long terme des assurés et n’implique pas de pertes de rendement, comme le montrent désormais un grand nombre d’études et d’enquêtes.

Miser sur la réglementation ou la responsabilité ?

L’accord de Paris sur le climat demande d’assurer la compatibilité des flux financiers avec les objectifs climatiques. En Suisse, la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (LCl), adoptée par le peuple en juin 2023, reprend cette exigence. Des interventions parlementaires (comme la motion « Aligner la LPP sur les objectifs suisses en matière de durabilité ») et les projets ESG de la Confédération (comme le rapport du Conseil fédéral du 16 décembre 2022 intitulé « Finance durable en Suisse : champs d’action 2022-2025 en vue d’assurer à la place financière une position de leader en matière de développement durable ») traitent également de la protection du climat.

Dans ce contexte, une tension se dessine pour les caisses de pension entre la responsabilité propre que doivent assumer les organes de direction et l’ampleur des efforts de réglementation potentiels. Dans les discussions politiques à venir, l’ASIP juge essentiel de tenir compte des considérations qui suivent.

La mise en œuvre des critères ESG est une tâche de direction

La politique de placement est une tâche centrale et inaliénable des organes paritaires. C’est également le cas de l’intégration stratégique des facteurs ESG dans la gestion de la fortune. Avec un volume de placement de plus de 1160 milliards de francs, les caisses de pension ont la possibilité de contribuer à orienter durablement les flux financiers vers une économie conforme aux critères ESG. Les approches envisageables sont, notamment, l’exclusion de certains émetteurs ou l’investissement à impact social et environnemental. La façon dont les caisses de pension mettent concrètement en œuvre les critères ESG dans leur politique de placement relève toutefois de la responsabilité de leur organe suprême paritaire, et il devrait continuer d’en être ainsi !

Les caisses de pension sont en effet les seules à assumer la responsabilité pour le placement de la fortune, le rapport entre rendement et risques et le risque de pertes. Ce sont donc elles qui assument la responsabilité fiduciaire pour une gestion durable et porteuse d’avenir de la fortune de leurs assurés. À ce titre, les exigences légales imposées par les régulateurs ne sont guère judicieuses : elles alourdissent la gestion de la fortune et restreignent l’univers de placement et la liberté de décision des caisses. Miser sur la responsabilité individuelle des caisses de pension est bien plus efficace que d’imposer des obligations légales.

Comme il l’écrit dans sa réponse à la motion « Aligner la LPP sur les objectifs suisses en matière de durabilité », le Conseil fédéral privilégie, lui aussi, les solutions volontaires et salue les efforts entrepris par les institutions de prévoyance pour accroître leur durabilité. Cette approche a fait ses preuves. Comme l’ASIP, le Conseil fédéral rejette la motion qui demande l’introduction dans les bases légales de normes pour l’établissement de rapports.

L’autorégulation en point de mire

L’ASIP a pour objectif d’améliorer la transparence dans la gestion des critères ESG au moyen de l’autorégulation. Elle met l’accent sur la transmission des connaissances ainsi que sur la sensibilisation et l’information de l’organe suprême à la question de l’investissement durable. Au niveau stratégique, elle a fixé des lignes directrices pour la mise en œuvre d’une politique de placement responsable en intégrant des aspects de durabilité dans sa circulaire d’information concernant les placements des institutions de prévoyance.

En été 2022, l’ASIP a publié un guide pratique concernant la prise en compte des critères ESG dans les décisions de placement des caisses de pension. Ces dernières doivent toutefois montrer plus clairement à leurs assurés de quelle façon elles intègrent les critères ESG dans leur processus de placement. C’est pourquoi l’ASIP a publié, fin 2022, une norme de reporting ESG en collaboration avec des associations comme Asset Management Association, Swiss Sustainable Finance et la Conférence des administrateurs de fondations de placement.

Cette norme a pour objectif d’améliorer la transparence concernant la mise en œuvre des critères ESG au moyen d’un reporting régulier et exhaustif. Elle reprend par exemple les « Swiss Climate Scores », publiés par le Conseil fédéral en 2022, et peut notamment fournir des informations sur l’intensité carbone des principales classes de placement. Elle met l’accent sur une présentation transparente des informations relatives aux critères ESG permettant à l’ensemble des parties prenantes de suivre comment les caisses de pension investissent leur fortune et quels progrès elles réalisent en matière de durabilité. Les rapports ESG doivent notamment donner des informations qualitatives sur la façon dont les caisses de pension mettent en œuvre les critères ESG ainsi que des indications quantitatives sur les différents placements.

La norme propose deux niveaux d’exigences pour le reporting (de base et avancées) et s’appliquera pour la première fois au rapport portant sur l’exercice 2023. Elle a une valeur de recommandation et sera régulièrement revue. Il est important de noter que les indicateurs ESG recommandés ne comprennent aucun rating ESG.

La priorité est donnée aux intérêts des assurés

En conclusion, la question des critères ESG a gagné considérablement en importance ces dernières années. Ces critères font partie des risques économiques, et les caisses de pension se doivent de les analyser en conséquence. Les caisses de pension sont en bonne voie pour mettre en place une politique de placement durable qui en tienne compte. Elles assument la responsabilité fiduciaire pour une gestion durable et porteuse d’avenir de la fortune de leurs assurés.

L’ASIP juge essentiel que la politique de placement reste de la responsabilité des caisses de pension. Une intervention du législateur ne répond à aucune nécessité. La branche des caisses de pension s’est saisie de cette question de sa propre initiative, communique activement à ce sujet et assume ainsi ses responsabilités dans l’intérêt des assurés.

Avocat, ancien directeur de l’ASIP
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