La collaboration interinstitutionnelle à l’ère du fédéralisme

La collaboration interinstitutionnelle (CII) relève de la compétence des cantons, chacun en ayant sa propre compréhension et organisation. Le Bureau national CII souhaitait connaître les facteurs d’efficacité de la CII et les défis actuels du point de vue des coordinateurs CII dans les cantons.
Carmen Schenk, Sabina Schmidlin
  |  05 mars 2021
  • Collaboration interinstitutionnelle (CII)

En référence à la décision de la CII nationale, la plupart des cantons définissent la CII comme une stratégie commune des acteurs impliqués pour la coordination de leurs systèmes de sécurité et d’intégration sociaux visant à permettre une réinsertion durable sur le marché primaire du travail des personnes en situation difficile (DFI, DFJP, DEFR 2017 ; voir encadré). Pour cela, une collaboration concrète pour les cas individuels est indispensable. En règle générale, les institutions du système de sécurité sociale, en particulier l’assurance-chômage (AC), l’assurance-invalidité (AI) et l’aide sociale, participent à la CII en tant que partenaires. Si les autorités migratoires et éducatives jouent un rôle majeur dans la CII au niveau national, elles ne sont que rarement représentées dans la CII cantonale.

Rôle des coordinateurs CII dans les cantons En 2001 déjà, la Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique (CDEP) et la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) recommandaient l’encouragement de la CII entre les institutions de la sécurité sociale. Ces recommandations ont été accueillies avec intérêt par la Confédération et les cantons. Ainsi, la Confédération a appuyé le développement de différentes formes de collaboration visant à encourager la CII dans les cantons. Depuis 2010, chaque canton dispose d’un coordinateur ou d’une coordinatrice CII faisant office d’organisme de liaison au niveau fédéral. Dans environ deux cantons sur cinq, ces coordinatrices et coordinateurs dépendent de l’office du travail ou de l’office régional de placement (ORP) ; dans beaucoup d’autres, de l’office AI, et dans quelques cas, des services sociaux.

Dans la décision d’institution du 29 mars 2017 sur l’organisation nationale de la CII, cette dernière est définie comme suit :

« La CII comprend la collaboration d’au moins deux institutions du domaine de la sécurité sociale, de la réinsertion et de la formation (assurance-chômage, assurance-invalidité, aide sociale, formation professionnelle et intégration des personnes étrangères) avec pour but premier d’améliorer les chances de ré­adaptation sur le marché primaire du travail des personnes concernées et de coordonner au mieux les différents systèmes. Dans l’intérêt des personnes soutenues et en vue d’une allocation ciblée des ressources étatiques, les mesures et les offres des organes d’exécution doivent être mises en œuvre avec efficacité et efficience. La CII doit par ailleurs aider les différentes institutions à remplir leurs objectifs, notamment dans la réinsertion par la formation et le travail. »

Dans près de la moitié des cantons, ces personnes ne travaillent pas activement en lien avec la coordination des efforts d’intégration professionnels et sociaux. Parmi ces cantons, un certain nombre indiquent que la collaboration en leur sein a lieu de manière bilatérale entre les divers organes d’exécution concernés et que les mesures requises à cette fin sont élaborées lors des comités stratégiques et mises en œuvre avec les projets au niveau opérationnel.

Si, dans près de la moitié des cantons, les cas complexes relèvent donc de la compétence des organes d’exécution, la coordination de la CII pour les cas individuels est une tâche qui revient explicitement aux coordinatrices et aux coordinateurs dans un certain nombre de cantons. Elle comprend en outre le travail de réseautage et les échanges entre institutions, et aussi parfois un conseil spécialisé sur des questions relatives à la CII ainsi que le soutien des organes d’exécution.

Certaines personnes interrogées rapportent que la CII existe à peine dans leur canton et que son rôle n’est absolument pas clair. Dans les organes d’exécution concernés, la coordination des cas est plutôt aléatoire.

Organisation de la CII dans les cantons Bien que les partenaires CII n’aient encore élaboré aucune stratégie commune dans plusieurs cantons, les structures de pilotage stratégique et de mise en œuvre opérationnelle sont toutefois largement répandues. Dans la plupart des cantons, il existe un comité de pilotage faisant office de superstructure de la CII. Ce comité définit l’orientation stratégique, fixe des objectifs ainsi que des champs d’action et élabore des bases légales ou des conventions. Le comité est occupé par les directions des offices cantonaux impliqués dans la CII.

Dans près de la moitié des cantons, les tâches opérationnelles sont assurées par un service de gestion, un service spécialisé ou par un service de coordination. Ce service comprend une équipe centrale chargée de la direction opérationnelle et un groupe de travail composé de spécialistes des organes d’exécution. Il s’occupe principalement de la coordination et du monitorage des cas concernant les personnes qui rencontrent des difficultés dans plusieurs domaines de la vie.

Près de la moitié des cantons ont fixé les processus CII par écrit, soit en illustration des structures sous la forme d’un diagramme de flux, soit sous forme documentée dans une convention. Les autres cantons ne disposent pas de processus contraignants déterminant un traitement coordonné des cas. Le plus souvent, le déroulement de la procédure s’inspire des cinq phases du case management : inscription/premier entretien, analyse de la situation, convention d’objectifs/planification, monitorage et clôture du cas.

La CII en pratique D’ordinaire, il est question de CII lorsqu’au moins deux institutions du système de sécurité sociale travaillent ensemble. En règle générale, il s’agit de l’assurance-chômage (ou d’un ORP) et de l’assurance-invalidité, ou d’un ORP et de l’aide sociale. Cette configuration basique varie selon les cantons. Dans trois d’entre eux, la personne concernée doit obligatoirement être inscrite auprès d’un ORP ; dans deux, elle doit présenter une atteinte à sa santé afin de pouvoir accéder aux structures de la CII. Dans quelques cantons – surtout les plus petits –, on parle de CII lorsqu’au moins trois acteurs sont impliqués et que la personne concernée présente une problématique multiple.

Une condition est cependant commune à toutes les conceptions de la CII : la personne concernée doit se trouver dans une situation de vie difficile. La CII vise à éviter que cette personne ait à se tourner vers plusieurs institutions en même temps ou à la suite. Le but est de faire en sorte qu’une seule institution coordonne les prestations de réinsertion.

Facteurs de réussite de la CII La perception et l’importance de la CII sont très variables d’un canton à l’autre, ce qui peut offrir des opportunités notamment en termes de possibilités de conception et d’innovation ou de prise en compte de spécificités régionales. Pourtant, une certaine harmonisation de la pratique au moyen de critères normatifs, organisationnels et techniques minimaux serait souhaitable. Dans le cadre d’un webinaire mené par le Bureau national CII, les coordinatrices et coordinateurs ont discuté des facteurs de succès potentiels d’un ancrage durable de la CII et ont pu se mettre fondamentalement d’accord sur quatre éléments centraux :

  • Une base juridique, un engagement au niveau politique (p. ex. une décision du Conseil d’État) et une imprégnation culturelle de la CII au niveau des offices cantonaux sont des conditions essentielles pour l’ancrage institutionnel et un plus grand recours des organes d’exécution à la CII.
  • Des structures stratégiques déterminées, par exemple sous la forme d’un comité de pilotage, permettent la définition de stratégies et de compétences contraignantes.
  • Des ressources suffisantes sont essentielles pour une mise en œuvre efficace de la CII, et notamment, outre des moyens financiers, des ressources personnelles, spécialisées et matérielles.
  • Un monitorage efficace du processus au niveau opérationnel dans les cantons engendre attention et visibilité, ce qui, en fin de compte, augmente l’importance de la CII.

Défis actuels de la CII Les coordinatrices et coordinateurs ont identifié les défis actuels de la CII, qui sont avant tout d’ordre organisationnel et culturel. Afin de pouvoir les relever de manière durable, les personnes concernées doivent penser et agir au-delà des limites et des compétences institutionnelles :

  • Une gestion limitée des connaissances entre les institutions et en leur sein est un frein à la collaboration.
  • Une forte fluctuation des effectifs des organes d’exécution entraîne une perte de connaissances et de savoir-faire pour les institutions et compromet la durabilité de la collaboration interinstitutionnelle.
  • En cas d’obligation de verser des avances, le fractionnement des responsabilités financières peut engendrer des pertes financières et, éventuellement, dissuader les acteurs impliqués de rechercher une bonne solution dans l’intérêt de la personne concernée.
  • En outre, les délimitations institutionnelles en matière de compétences compliquent le financement commun des mesures de réinsertion.
  • Des fonctionnements différents et des structures fortement ancrées au sein de chaque institution limitent la marge de manœuvre interinstitutionnelle. Des différences dans les objectifs fixés et les bases légales peuvent entraîner des conflits d’objectifs.

La CII tournée vers l’avenir Les thématiques actuelles et futures de la CII ont pour but de surmonter les limites du système. En parallèle, le développement légal et institutionnel se fait au sein des structures existantes (aide sociale, AI et assurance-chômage). Le travail des CII cantonales en devient d’autant plus exigeant et complexe. L’adoption et la présentation de bonnes pratiques, l’élaboration de guides ou de critères prometteurs par la CII nationale en lien avec les coordinatrices et les coordinateurs peuvent contribuer à harmoniser la pratique et à faciliter la collaboration dans l’exécution. La CII nationale conseille et soutient les cantons qui en ont besoin dans le développement stratégique de leur CII. Enfin, elle garantit les échanges entre la Confédération et les cantons, mais aussi entre les cantons.

Surmonter les limites du système requiert toutefois plus que des contacts personnels entre les acteurs qui mettent la CII en œuvre. La réussite d’une réinsertion sociale et professionnelle durable du point de vue de la personne soutenue requiert un cadre adapté qui facilite l’exécution décentralisée de la CII, mais aussi un engagement fort de la part de toutes les personnes impliquées avec la collaboration comme objectif premier.

Master of Arts in Public Management and Policy, collaboratrice scientifique, secteur Prestations transversales.
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Lic. phil. I, responsable du Bureau national CII
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