Nouvelle loi fédérale sur la protection des mineurs en matière de films et de jeux vidéo

Yvonne Haldimann
  |  08 octobre 2021
    Droit et politique
  • Enfants
  • Jeunesse
  • Protection de l’enfance et de la jeunesse

Le Conseil fédéral veut mieux protéger les mineurs contre les contenus médiatiques inappropriés. Les indications de limite d’âge et les restrictions d’accès aux films et aux jeux vidéo seront donc réglementées de manière uniforme pour toute la Suisse. Lors de la session d’été, le Conseil national a adopté le projet de loi moyennant quelques adaptations.

En un coup d’œil

  • 99% des 12-19 ans possèdent un smartphone. En moyenne, les jeunes sont en ligne 3 heures et 10 minutes les jours de la semaine; 5 heures le week-end.
  • 51 % des 6-13 ans utilisent au moins une fois par semaine un téléphone portable. 42 % recourent régulièrement à une tablette et 64 % surfent régulièrement sur Internet.
  •  Les mineurs regardent des films ou jouent à des jeux vidéo souvent seuls ou avec des jeunes du même âge.
  • La réglementation dans les secteurs du film et du jeu vidéo est complexe : en fonction du média concerné, elle est du ressort soit de la Confédération (télévision), soit des cantons (cinéma, films, jeux vidéo). La plupart des cantons renoncent toutefois à légiférer. Et certaines organisations faîtières ont adopté des mesures d’autorégulation. 
  • Dans la nouvelle loi, le Conseil fédéral propose une corégulation : les exigences minimales (indications de l’âge, description de contenu, contrôle de l’âge) sont formulées dans la loi. Les prescriptions pratiques concrètes sont de la responsabilité des différents acteurs du film et du jeu vidéo.

Il est difficile de concevoir aujourd’hui un monde sans médias numériques. Les enfants et les jeunes les utilisent quotidiennement durant leur temps libre, à l’école et sur leur lieu de formation. En participant activement à notre société médiatique, ils apprennent non seulement à lire, écrire et calculer, mais acquièrent également des techniques aujourd’hui indispensables pour gérer de nombreuses situations de la vie quotidienne ou professionnelle. L’utilisation des médias numériques comporte cependant aussi de nombreux risques qui peuvent avoir des conséquences néfastes pour la santé physique et psychique des enfants et des jeunes. Ces dangers ont d’ailleurs fait l’objet de nombreuses interventions parlementaires par le passé, auxquelles le Conseil fédéral a répondu en publiant plusieurs rapports. En outre, de 2011 à 2015, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a mis en œuvre le programme national Jeunes et médias sur mandat du Conseil fédéral. Ce dernier a, au terme du programme, adopté le rapport « Jeunes et médias » (Conseil fédéral 2015) qui dresse un état des lieux de la protection des enfants et des jeunes face aux médias. Ce rapport identifie les problématiques prioritaires et propose différentes mesures : afin de protéger les mineurs contre les contenus inadéquats, il examine notamment la possibilité de légiférer à l’échelle fédérale pour mettre en place une corégulation dans les secteurs du film et du jeu vidéo. Par ailleurs, il charge l’OFAS de poursuivre les mesures de la Confédération en faveur du développement des compétences médiatiques via la plateforme Jeunes et médias. Ces mesures consistent principalement à informer et à sensibiliser les groupes cibles, à développer une base de connaissances ainsi qu’à soutenir, à coordonner et à mettre en réseau les acteurs impliqués.

Utilisation des médias en Suisse

Les chiffres de l’étude JAMES 2020 révèlent les tendances d’utilisation des médias numériques chez les adolescents en Suisse: 99% des 12-19 ans possèdent un smartphone. En moyenne, les jeunes sont en ligne 3 heures et 10 minutes les jours de la semaine et 5 heures le week-end. Ils passent la majeure partie de ce temps sur les réseaux sociaux, les plateformes d’hébergement de vidéos et les moteurs de recherche; 98% sont inscrits sur au moins un réseau social (Bernath et al. 2020).

Les enfants consacrent eux aussi une grande partie de leur temps libre à l’utilisation des médias. L’étude MIKE 2019 (Waller et al. 2019), qui s’est intéressée au comportement en matière d’utilisation des médias des enfants de 6 à 13 ans en Suisse, révèle que ces derniers regardent surtout la télévision; viennent ensuite la musique, les jeux vidéo et la lecture. Une bonne moitié des enfants (51%) utilisent régulièrement un téléphone portable (au moins une fois par semaine); ils s’en servent surtout pour jouer à des jeux vidéo, écouter de la musique et visionner des vidéos en ligne, ainsi que pour envoyer ou recevoir des messages. 42% des enfants disent utiliser régulièrement une tablette et 64% surfent régulièrement sur Internet.

L’âge auquel les enfants commencent à utiliser les différents médias numériques n’a cessé de baisser ces dernières années. Cela vaut non seulement pour la télévision, mais aussi et surtout pour les ordinateurs (ou tablettes), les téléphones mobiles et tout ce qui permet d’accéder à Internet (étude MIKE). Parallèlement, la durée d’utilisation quotidienne de ces médias augmente chez les enfants et les adolescents; ces derniers ont en permanence un smartphone sur eux.

Durant le confinement dû au coronavirus de mi-mars à fin avril 2020, les enfants et les jeunes ont fait une utilisation encore plus intensive des médias numériques. L’étude JAMES 2020 révèle que le temps passé en ligne a en moyenne augmenté de 40 minutes par jour la semaine et de 55 minutes par jour le week-end par rapport à 2018. Il s’agit là de la progression la plus marquée depuis le début de cette série d’enquêtes en 2010. En outre, selon l’étude Kids’ Digital lives in Covid-19
times (KiDiCoTi), réalisée dans toute l’Europe, les jeunes de 11 à 18 ans en Suisse ont passé en moyenne 5 heures 50 par jour sur des médias numériques durant le confinement du printemps 2020, dont environ 3 heures 30 pour l’école (Lobe et al. 2021). Ces chiffres mettent en évidence l’importance centrale de ces médias pour les mineurs en Suisse.

Les secteurs du film et du jeu vidéo se sont énormément développés sur le plan technique ces dernières années. Ces produits peuvent être diffusés et visionnés sur une grande variété d’appareils et de canaux médiatiques (voir tableau T1). Aujourd’hui, les divers modes d’accès et la richesse de l’offre impliquent que souvent les mineurs regardent des films ou jouent à des jeux vidéo seuls ou avec des jeunes de leur âge, et non plus en présence des parents, comme c’était encore généralement le cas il y a quelques années. Cette évolution soulève de nouveaux défis pour la protection des enfants et des adolescents : leur accompagnement dans l’utilisation des médias doit être repensé et les mesures de protection adaptées.

Réglementation actuelle et nécessité d'agir

La réglementation dans les secteurs du film et du jeu vidéo se caractérise par sa grande complexité : en fonction du média concerné, elle est soit du ressort de la Confédération (télévision), soit du ressort des cantons (cinéma, films, jeux vidéo). Toutefois, la plupart des cantons renoncent à légiférer en la matière. Plusieurs organisations faîtières ont par ailleurs adopté des mesures d’autorégulation.

Tableau présentant la réglementation en matière de films et de jeux vidéo selon le média et le degré de réglementation (droit international, constitution, droit fédéral, autorégulation de la branche).

Abréviations utilisées dans le tableau T2

  • ASV : Association suisse du vidéogramme
  • CCDJP :  Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police
  • CDIP : Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique
  • CETT : Convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontière ; RS 0.784.405
  • CP : Code pénal suisse du 21 décembre 1937 ; RS 211.0
  • Cst. : Constitution fédérale du 18 avril 1999 ; RS 101
  • Directive SMA : Directive 2010/13/UE sur les services de médias audiovisuels
  • FSK : Freiwillige Selbstkontrolle der Filmwirtschaft GmbH (système allemand d’auto-contrôle du secteur du film)
  • JIF : Commission nationale du film et de la protection des mineurs
  • LRTV : Loi fédérale du 24 mars 2006 sur la radio et la télévision ; RS 784.40
  • ORTV : Ordonnance du 9 mars 2007 sur la radio et la télévision ;
    RS 784.401
  • PEGI : Pan-European Game Information (système de classification des jeux vidéo, indiquant notamment l’âge requis)
  • ProCinema : Association faîtière des exploitants de salles de cinéma et des distributeurs suisses de films
  • SIEA : Association suisse de l’industrie du jeu vidéo (Swiss Interactive Entertainment Association)
  • SSR : Société suisse de radiodiffusion et télévision
  • USK : Unterhaltungssoftware Selbstkontrolle (système allemand d’auto-contrôle des logiciels de divertissement)

L’analyse de la réglementation en matière de protection des mineurs dans le secteur du film et celui du jeu vidéo en Suisse fait non seulement état d’une situation extrêmement fragmentée et hétérogène (voir tableau T2), mais également de diverses lacunes et faiblesses de la réglementation, ainsi que de problèmes de mise en œuvre. Compte tenu de l’essor des médias numériques et de leur capacité de nuisance élevée par rapport aux médias imprimés, le Conseil fédéral a conclu qu’il était nécessaire de prendre des mesures pour protéger les enfants et les jeunes contre les risques liés à ces outils.

L’avis des experts sur ce qui peut être qualifié de dangereux ou de préjudiciable pour les mineurs a certes évolué au cours des dernières décennies, dans la mesure où les jeunes sont jugés plus critiques et plus matures sur le plan politique que par le passé. Néanmoins, les études réalisées sur les effets des médias postulent que les enfants et les jeunes sont influençables et que les contenus violents, menaçants, haineux, à caractère sexuel ou à potentiel addictif peuvent nuire à leur développement (Hajok/Hildebrandt 2017).

Corégulation : exigences minimales fixées par l'état, mais réglementation pratique

La nouvelle loi (Conseil fédéral 2020) vise à protéger les mineurs face aux contenus de films et de jeux vidéo qui sont susceptibles de porter préjudice à leur développement physique, mental, psychique, moral ou social. Elle est conçue selon le principe de la corégulation: autrement dit, la loi formule les exigences minimales requises en matière de protection des mineurs et laisse aux différents acteurs des secteurs du film et du jeu vidéo la responsabilité de fixer des prescriptions concrètes. Cette forme de réglementation permet d’adapter les dispositions de manière flexible aux évolutions inhérentes à ce domaine extrêmement dynamique.

Grandes lignes de la loi

Les films et jeux vidéo proposés lors d’événements publics (cinéma, salons de jeux vidéo), sur des supports audiovisuels (DVD, Blu-ray, etc.) ou par l’intermédiaire de services à la demande (Swisscom TV, Netflix, app stores, etc.) devront à l’avenir être dotés d’un descripteur de contenu et d’une mention de l’âge requis. Ces indications, qui précisent à partir de quel âge le film ou le jeu vidéo est autorisé et quels types de contenus potentiellement préjudiciables aux mineurs il comporte, permettent aux parents ainsi qu’aux jeunes eux-mêmes de savoir si le film ou le jeu vidéo concerné est adapté à leur âge. Par ailleurs, les prestataires seront tenus d’effectuer des contrôles afin d’interdire l’accès à un film ou un jeu vidéo donné aux jeunes n’ayant pas encore l’âge requis.

Le développement des systèmes de catégories d’âge et des règles en matière d’indication de l’âge minimal et de contrôle est du ressort des acteurs des secteurs du film et du jeu vidéo. À cette fin, ces derniers se regrouperont au sein d’organisations de protection des mineurs pour élaborer une réglementation en la matière, qu’ils soumettront au Conseil fédéral afin que celui-ci la déclare de force obligatoire. Ils seront aussi chargés de la mise en œuvre concrète de ces dispositions ; la Confédération et les cantons, quant à eux, auront un rôle de surveillance. Les cantons contrôleront au moyen d’achats-tests si l’âge requis est bien indiqué sur les produits et contrôlé dans les magasins, les cinémas, etc. Ils remettront chaque année à l’OFAS un rapport sur leur activité de surveillance. Cet office sera lui chargé de surveiller la vente en ligne ainsi que le respect des règles par les services à la demande et les services de plateforme. Si aucune réglementation de protection des mineurs n’a été déclarée de force obligatoire deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, le Conseil fédéral pourra édicter les prescriptions nécessaires.

Harmonisation avec le nivau de protections existant dans l'Union Europénne

Les prestataires de services à la demande et de services de plateforme seront tenus de mettre en place un dispositif de contrôle de l’âge. Les services à la demande devront proposer un système de contrôle parental et les services de plateforme, offrir aux parents la possibilité de signaler des contenus non adaptés aux personnes mineures. Le projet de loi s’inspire ici de la Directive UE sur les services de médias audiovisuels (Directive SMA) qui a fait l’objet d’une révision fin 2018. Avec les mesures proposées, les prestataires de services à la demande et de services de plateforme dans le secteur du film ayant leur siège en Suisse devront se conformer à des normes légales comparables à celles s’appliquant aux exploitants qui ont leur siège ou une succursale au sein de l’UE. Le Conseil fédéral entend ainsi garantir un niveau de protection des mineurs comparable à celui en vigueur en Europe.

Débats parlementaires

Le Conseil national a débattu du projet au cours de la session d’été 2021. Il l’a adopté lors du vote final par 112 voix contre 74 et 4 abstentions et a essentiellement procédé à deux adaptations par rapport au projet du Conseil fédéral. Premièrement, il souhaite créer une base légale empêchant les mineurs d’effectuer des microtransactions (ou achats intégrés) dans des jeux vidéo et de dépenser ainsi des sommes importantes, souvent sans s’en rendre compte. Deuxièmement, les mesures de promotion des compétences médiatiques et de prévention prises par la Confédération doivent être intégrées à la loi. Le Conseil des États devrait débattre du projet durant la session d’hiver.

Bibliographie

Lobe, Bojana ; Velicu, Anca ; Staksrud, Elisabeth ; Chaudron, Stephane ; Di Gioia, Rosanna (2021). How children (10-18) experienced online risks during the Covid-19 lockdown – Spring 2020 . Luxembourg : Office des publications de l’Union européenne. doi 10.2760/562534

Bernath, Jael et al. (2020). JAMES – Jeunes, activités, médias – enquête Suisse. Rapport sur les résultats de l’étude JAMES 2020. [Zurich : Haute école zurichoise de sciences appliquées. Département de psychologie appliquée].

Conseil fédéral (2020) : Message du 11 septembre 2020 concernant la loi fédérale sur la protection des mineurs dans les secteurs du film et du jeu vidéo. FF 2020 7907

Waller, Gregor et al. (2019). MIKE. Medien / Interaktion / Kinder / Eltern. Rapport sur les résultats de l’étude MIKE 2019. [Zurich : Haute école
zurichoise de sciences appliquées. Département de psychologie appliquée]..

Hajok, Daniel ; Hildebrandt, Daniel (2017) : Jugendgefährdung im Wandel der Zeit: Perspektiven des Jugendmedienschutzes auf das Gefährdungs­potenzial von Medien und den besonderen Schutzbedarf von Kindern und Jugendlichen. Diskurs Kindheits- und Jugendforschung 12, p. 71-87.

Conseil fédéral (2015). Jeunes et médias. Aménagement de la protection des enfants et des jeunes face aux médias en Suisse. Rapport du Conseil fédéral en réponse à la motion Bischofberger 10.3466 : « Internet.
Renforcer la protection des jeunes et la lutte contre la cybercriminalité ».

Lic. rer. soc., collaboratrice scientifique, secteur Questions 
de l’enfance et de la jeunesse, FGS, OFAS.
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