Bayerdörfer, vous faites partie des 50 personnes ayant l’expérience de la pauvreté qui ont participé à l’élaboration de ce qui pourrait être une structure permanente pour les questions de pauvreté au niveau national. Comment vous êtes-vous retrouvé à participer à ce projet ?
J’ai fondé en 2016 une association, Workfair 50+, qui s’occupe des personnes qui perdent leur emploi après 45 ans et qui se retrouvent en situation de pauvreté à 65 ans parce qu’il leur manque un 2e pilier. La Plateforme nationale contre la pauvreté m’a contacté dans ce cadre pour savoir si cela m’intéressait de venir à une séance de travail. Ça a commencé comme cela.
Pourquoi avoir accepté de vous engager pour ce mandat en particulier ?
J’étais sceptique au départ. Mais je me suis dit que ce serait bien de venir voir de quoi il s’agissait et de me décider ensuite. Et comme c’était très agréable dès le début, je suis resté. Il faut savoir que les personnes ayant vécu l’expérience de pauvreté restent généralement chez elles et ne recherchent pas le devant de la scène. J’ai trouvé très intéressant de voir des gens concernés s’engager ouvertement et faire tout ce qu’ils peuvent pour que les chosent bougent.
Concrètement, en quoi consistait votre travail ? Aviez-vous des tâches spécifiques ?
Les séances étaient très ouvertes. Nous discutions tous librement. Je me suis avant tout engagé sur les questions en lien avec le marché primaire du travail, pour les gens qui perdent leur emploi et risquent d’être pauvres à 65 ans. Parce qu’avec une rente AVS moyenne de 1800 francs par mois, on ne va pas loin : en fait, on peut juste payer son loyer. Plus généralement, j’essaie de tirer profit de mes connaissances au niveau de la politique et de l’économie partout où cela est utile et où on a besoin de moi. A la fin, j’ai aussi accepté de m’impliquer dans l’organisation de l’atelier qui traite du Conseil pour les questions de pauvreté lors de la Conférence nationale du 22 août.
« Il y a toujours plus de gens concernés qui se mettent debout »
A la suite de ces travaux réunissant personnes avec l’expérience de la pauvreté et professionnels du domaine, quel bilan personnel tirez-vous ?
J’ai vécu cela comme une expérience en plus puisque cela fait quand même plus de 20 ans que je suis actif dans ce domaine. Dans mon association, je travaille bénévolement et directement avec des personnes concernées. Dans le cadre de cette démarche participative, les choses étaient très différentes, avec des gens qui venaient comme moi d’associations d’entraide, des gens qui étaient parfois très pauvres et des professionnels. Je retiens surtout de ce mandat qu’il y a toujours plus de gens concernés qui se mettent debout et qui parlent offensivement de leur problème. Et cela alors qu’en Suisse, nous vivons encore une pauvreté cachée. En regardant en arrière, je me dis que tout le travail qui a été fourni par les personnes ayant l’expérience de pauvreté est impressionnant.
De manière générale, en quoi la participation des personnes concernées est un plus pour les projets de lutte contre la pauvreté ?
C’est une bonne chose de mélanger les deux approches : personnelle et professionnelle. Cela permet d’avoir une image complète. Prenons l’exemple du Cervin : on a tendance à voir deux choses différentes que l’on soit du côté suisse ou du côté italien avec une fois le sujet-photo et l’autre fois une montagne ordinaire. Mais en réalité c’est le même objet. Pour lutter contre la pauvreté, il faut bien sûr d’abord savoir quels sont les principaux problèmes, mais il faut aussi ensuite travailler à des solutions concrètes. En ce sens, j’aime bien utiliser l’expression : « Savoir ne suffit pas, nous devons agir ». La participation ici de personnes ayant une expérience de la pauvreté ne doit pas faire oublier qu’elles restent trop nombreuses à ne pas se faire entendre.
« Il est important de prendre les gens au sérieux et de leur donner une vraie chance de participation »
La décision de la mise en place du Conseil pour les questions de pauvreté pourrait tomber à la fin de l’année. Que diriez-vous au Conseil fédéral pour le convaincre de sa nécessité ?
Le Conseil fédéral s’est fixé comme objectif de réduire de 50% la pauvreté en Suisse d’ici à 2030. Cela veut dire grosso modo 350’000 pauvres en moins. Si le Conseil fédéral ne fait rien, il ne se passera rien. Il est important de prendre les gens au sérieux et de leur donner une vraie chance de participation. Avec un conseil sur la pauvreté qui fonctionne, beaucoup de choses pourraient changer. Mais cela implique que ce ne soit pas une structure alibi et qu’elle ait des ressources.
Trouvez-vous que l’on accorde assez d’importance aux questions de pauvreté en Suisse ?
Non. La majorité des gens ne savent pas ce qu’est la pauvreté. Dans les débats télévisés sur la question, on voit des invités qui sont complètement hors de la réalité. Ils ont zéro idée de ce que c’est de vivre avec 1800 francs par mois, sans aucun matelas de secours pour une facture inattendue. Les personnes qui parlent ne sont pas concernées ou alors elles nient le problème. Alors que le problème, il est énorme. Ce n’est pas parce qu’une statistique s’améliore qu’il y a moins de personnes concernées. Actuellement, il est important de soutenir la Plateforme nationale qui rend la pauvreté visible. On est là et on ne lâchera rien.
Si le Conseil pour les questions de pauvreté voit le jour, auriez-vous envie d’y siéger ?
Je suis très ouvert. J’aime plutôt être du côté de l’organisation. En tant que logisticien ou coach de hockey, j’ai une certaine expérience dans le domaine de l’économie et du sport. Je vois mon rôle non pas sur scène, mais derrière en coulisses.
Rapport « Conseil pour les questions de pauvreté en Suisse »
Commandé par la Plateforme nationale contre la pauvreté, un rapport de recherche propose de mettre en place un Conseil pour les questions de pauvreté en Suisse. Une telle structure permettrait d’intégrer l’expertise des personnes ayant l’expérience de la pauvreté dans le débat sociopolitique. Le rapport a été élaboré dans le cadre d’un processus participatif réunissant plus de cinquante personnes ayant l’expérience de la pauvreté et leurs organisations, ainsi que des professionnels de tous les niveaux fédéraux.