En un coup d’œil
- Les entreprises, surtout celles qui sont établies dans des régions assez urbaines, misent de plus en plus sur des équipes dites agiles avec plus d’autonomie et de responsabilisation pour les collaboratrices et collaborateurs.
- En même temps, de plus en plus de personnes en Suisse se sentent entravées par des problèmes psychiques, les troubles anxieux figurant parmi les maladies psychiques les plus fréquentes.
- Pour que l’AI puisse soutenir les personnes souffrant de troubles anxieux, la désignation obligatoire d’un interlocuteur au sein des entreprises agiles est indispensable.
Ces dernières années, en Suisse, comme le montre une enquête de l’Office fédéral de la statistique, la charge qui pèse sur la santé psychique des gens a augmenté, et ce, pour toutes tranches d’âge (OFS 2023). En 2022, 18 % de la population se sentait entravée par des problèmes psychiques. Les troubles anxieux étaient le plus souvent cités. Une autre enquête menée auprès d’assurés en incapacité de travail a révélé que plus de la moitié des personnes interrogées souffraient de troubles anxieux (Peter et al. 2023).
Les troubles anxieux représentent une charge psychosociale élevée pour les personnes qui en sont atteintes et s’accompagnent de comportements sécuritaires et d’évitement spécifiques à la maladie, qui limitent fortement le rayon d’action spatial, social et intellectuel des personnes concernées (Plag et al. 2024). Citons, par exemple, les crises de panique, qui peuvent ressembler à des crises cardiaques, ou le trouble anxieux généralisé, qui se traduit par une anxiété chronique durant plusieurs mois, accompagnée de sensations de vertige, de mains moites, de palpitations cardiaques, de bourdonnements des oreilles ou de tremblements inexpliqués (Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte 2024).
En principe, les troubles anxieux peuvent être traités : un début de thérapie précoce peut contribuer à en réduire le risque de chronicité et à prévenir l’apparition d’affections secondaires (Behrens-Wittenberg et Wedegärtner 2023). Une structure d’offre en soins psychothérapeutiques suffisante est nécessaire à cet effet. Les troubles anxieux sont souvent combinés à des maladies somatiques ou à d’autres maladies psychiques (Plag et al. 2024), ce qui se reflète bien dans la réalité de l’activité de réadaptation menée par l’assurance-invalidité (AI).
La réadaptation professionnelle de l’AI
L’AI a pour mission d’établir ou de rétablir la capacité de gain des personnes touchées par l’invalidité ou menacées de l’être en leur proposant des mesures de réadaptation appropriées. Leur droit à une rente n’est examiné que si une réadaptation s’avère impossible ou n’est possible que partiellement. La condition sine qua non au soutien de l’AI est que l’atteinte à la santé limite la capacité de gain de l’assuré ; lorsqu’une personne souffrant de troubles anxieux est à même d’exercer son activité professionnelle sans restriction, l’AI n’entre pas en ligne de compte.
Si le trouble anxieux limite sa capacité de gain en raison de sa gravité ou en combinaison avec une autre maladie, un spécialiste de la réadaptation professionnelle de l’office AI cantonal peut suivre cet assuré, coordonner les acteurs impliqués et prendre les mesures qui conviennent. Pour les personnes souffrant de troubles anxieux, les mesures appropriées dépendent des ressources, des possibilités et des restrictions individuelles de chacun.
Un large éventail de mesures est disponible (OFAS 2024). Les mesures d’intervention précoce permettent de conserver l’emploi d’un assuré, tandis que les mesures de réinsertion visent à développer progressivement sa capacité de travail. L’orientation professionnelle, la formation, le soutien dans la recherche d’un emploi ou un placement à l’essai sont autant de mesures visant une (nouvelle) réadaptation professionnelle sur le marché ordinaire de l’emploi. L’activité de réadaptation de l’AI gagne en importance depuis de nombreuses années.
Les entreprises agiles en Suisse
Outre le scepticisme des collaborateurs et des supérieurs hiérarchiques face à la maladie psychique (Buess et Vogel 2022), les entreprises dites agiles peuvent présenter des défis pour l’activité de réadaptation professionnelle de l’AI. En 2019 déjà, plus de 40 % des quelque 1200 entreprises suisses interrogées s’intéressaient activement aux principes du travail agile (Peter et al. 2020). Entre-temps, des départements d’entreprises diverses travaillent de manière agile, notamment La Poste Suisse, La Mobilière, le magasin d’équipements de plein air Transa et plusieurs organisations de soins à domicile.
Que ce soit dans la littérature scientifique ou sur le plan pratique, il n’y a pas de définition unique du travail agile. Mais un dénominateur commun réside dans le principe d’organisation autonome : les collaborateurs prennent directement les décisions techniques en vue d’augmenter leur capacité de réaction, d’adaptation et d’innovation (Porschen-Hueck et al. 2020). Pour que ce modèle puisse bien fonctionner, il est nécessaire de disposer d’une maturité propice à l’autonomie dans l’organisation, de même que d’une aptitude à communiquer, à critiquer ou à travailler en équipe, ce qui place les collaborateurs face à des exigences élevées. En même temps, le travail agile permet de développer les aspects positifs de l’activité professionnelle que sont la flexibilité, l’autonomie, la reconnaissance ou l’efficacité personnelle.
Les entretiens avec des employeurs agiles – qui n’œuvrent pas dans les organisations susmentionnées – montrent non seulement que les formes d’organisation agiles mises en œuvre sont diverses, mais aussi qu’on trouve au sein d’une même forme d’organisation agile différents niveaux de déhiérarchisation (Benz 2024). Alors que, dans certaines entreprises, les équipes agiles sont toujours chapeautées par un chef ou une cheffe d’équipe assumant des tâches de conduite du personnel, dans d’autres, ces équipes sont directement subordonnées à la direction de l’entreprise, sans hiérarchie intermédiaire. Or la diversité des modes de mise en œuvre et l’absence de directions d’équipe revêtent une importance décisive pour le travail de réadaptation des offices AI.
Un interlocuteur disposant des compétences nécessaires
Les spécialistes des offices AI soulignent quant à eux que les supérieurs hiérarchiques comme les directions d’équipe jouent un rôle capital dans la réadaptation professionnelle des personnes souffrant de troubles anxieux. En effet, leur compétence claire en matière de personnel est gage de stabilité et peut favoriser la reconnaissance et l’estime (Benz 2024). Pour les personnes souffrant de troubles anxieux, ces aspects sont très importants en raison des stratégies d’évitement qu’elles mettent en place, de leur crainte de commettre des erreurs ou de leurs difficultés de délimitation.
Dans la réadaptation d’une personne souffrant de troubles anxieux active au sein d’une entreprise agile sans direction d’équipe, un facteur de réussite essentiel est donc la disponibilité d’un autre interlocuteur désigné par l’entreprise. Celui-ci doit en outre pouvoir gérer les exigences du travail agile et les ressources, notamment en attribuant les tâches, afin que la personne concernée puisse d’emblée entraîner et développer son auto-organisation (voir l’illustration).
Les défis à relever par l’AI
Pour assurer la réussite d’une réadaptation professionnelle, il faut donc contrôler les défis et promouvoir les ressources de travail agile. Ce pilotage doit être réalisé par l’interlocuteur désigné au sein de l’entreprise. L’AI peut, si nécessaire, soutenir les personnes concernées par des conseils, un coaching ou des cours, ou atténuer les craintes et les réserves de l’employeur et de l’assuré en convenant d’un placement à l’essai.
Indépendamment des environnements de travail agiles, il importe, en cas de troubles anxieux, que les thérapeutes encouragent l’assuré dans ses efforts de réadaptation. Là encore, l’AI est tributaire de la bonne collaboration des thérapeutes. Une réadaptation professionnelle peut favoriser le rétablissement psychique, car elle permet de structurer la journée, d’apprendre des stratégies d’adaptation, de se sentir efficace et d’obtenir de la reconnaissance (Drake et Wallach 2020).
Selon les experts, le travail agile suscite un certain engouement, même s’il se propage probablement plutôt en régions urbaines. Il peut aussi s’accompagner d’une mise en œuvre non structurée qui, dans certains cas, est préjudiciable à la santé des collaborateurs. Quand bien même une telle situation aurait des répercussions sur la réadaptation professionnelle ou sur sa réussite, il n’incombe pas à l’office AI d’y remédier.
Bibliographie
Behrens-Wittenberg, E. ; Wedegaertner, F. (2023). Effectiveness of a Return to Work Intervention After Occupational Disability Retirement Due to Depression and Anxiety. Psychology, Health & Medicine, 28, 5, p. 1387-1398.
Benz, F. (2024). Agilität, Angststörungen und die Eingliederungstätigkeit der Invalidenversicherung (MAS-Thesis). Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW).
Buess, M. ; Vogel, R. (2022). Le point de vue des employeurs sur l’AI et ses instruments. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 3/22.
Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (2024). Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10e révision German Modification, version 2025 (ICD-10-GM Version 2025).
Drake, E. R. ; Wallach, A. M. (2020). Employment Is a Critical Mental Health Intervention. Epidemiology and Psychiatric Sciences 29, e178, p. 1-3.
OFAS (2024). Le nombre de réadaptations professionnelles de l’AI continue d’augmenter.
OFS (2023). Enquête suisse sur la santé 2022 – Vue d’ensemble.
Peter, C. ; Tuch, A. ; Schuler, D. (2023). Psychische Gesundheit – Erhebung Herbst 2022. Wie geht es der Bevölkerung in der Schweiz? Sucht sie sich bei psychischen Problemen Hilfe? Rapport Obsan 03/2023.
Peter, M. K. (éd.) (2020). Arbeitswelt 4.0. Als KMU die Arbeitswelt der Zukunft gestalten. Forschungsresultate und Praxisleitfaden. Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW).
Plag, J. ; Ströhle, A. ; Hoyer, J. (2023). Praxishandbuch Angststörungen. Ursachen, Diagnostik, Behandlung, Prävention.
Porschen-Hueck, S. ; Jungtäubl, M. ; Weihrich, M. (2020). Agilität? Herausforderungen neuer Konzepte der Selbstorganisation.
Schaufeli, W.B. (2017). Applying the Job Demands-Resources Model: A «How to» Guide to Measuring and Tackling Work Engagement and Burnout. Organizational Dynamics 46, p. 120-132.