Maternité et paternité : les mères prennent plus souvent leur congé que les pères

Tandis que presque toutes les mères, en Suisse, ont pris leur congé payé en 2022, seulement trois quarts des pères en ont fait de même. La raison pour laquelle des pères renoncent à leur droit est moins liée à des normes sociales qu’à leur situation professionnelle et à leur revenu.
Anja Roth, Ulrike Unterhofer
  |  16 janvier 2025
    Recherche et statistique
  • Allocations pour perte de gain
En Suisse, les mères qui travaillent ont droit à 14 semaines de congés payés, les pères à deux semaines. (Keystone)

En un coup d’œil

  • Pour la première fois, la prise des congés de maternité et de paternité a été examinée en fonction de l’éligibilité des pères et des mères aux prestations.
  • En Suisse, en 2022, 94 % des mères et 74 % des pères éligibles ont pris leur congé de maternité ou de paternité.
  • Les différences cantonales dans les taux de pères qui renoncent à leur congé de paternité ne semblent pas dues à des normes de genre, mais plutôt à des facteurs liés à l’employeur ou à un financement du congé en dehors du régime des allocations pour perte de gain.

En 2022, 94 % des mères éligibles de Suisse ont pris leur congé de maternité, ce taux étant nettement plus faible chez les pères, dont seuls 74 % ont pris leur congé de paternité. Ces pourcentages sont issus d’une nouvelle base de données et de calcul, qui permet pour la première fois de vérifier l’éligibilité des parents et de mieux quantifier la prise des congés. Cet objectif a été atteint grâce à la mise en relation de données relatives aux naissances en Suisse, à la perception d’allocations via le régime des allocations pour perte de gain (APG) et à l’activité professionnelle des parents avant la naissance (voir encadré).

Jusqu’à présent, les taux communiqués concernant la prise des congés de maternité et de paternité reposaient principalement sur des données agrégées comparant le nombre de personnes prenant ces congés et le nombre de naissances au cours d’une année (Roth 2022). Toutefois, comme toutes les naissances ne donnent pas droit à un congé, les analyses effectuées jusqu’à présent n’ont pas permis de déterminer la proportion de naissances pour lesquelles des mères et des pères avaient droit à un congé, ni celle de parents éligibles qui prennent effectivement un congé de maternité ou de paternité.

Qui sont les ayants droit ?

Ont seuls droit à un congé payé les parents qui ont été soumis à l’assurance obligatoire pendant 9 mois avant la naissance d’un enfant et qui ont exercé une activité lucrative ou perçu un revenu de remplacement pour cause de chômage ou d’incapacité de travail pendant 5 des 9 mois ainsi qu’au moment de la naissance. Pour le père (ou l’autre parent), une reconnaissance de paternité (ou de parentalité) doit en outre être établie.

L’indemnité est financée par le régime des allocations pour perte de gain. Elle s’élève à 80 % du revenu touché avant la naissance, mais au maximum à 220 francs par jour (actuellement). Le congé de maternité est indemnisé jusqu’à 14 semaines et le congé de paternité jusqu’à 2 semaines.

Après avoir vérifié l’éligibilité, le pourcentage des mères ou des pères ayant pris leur congé par rapport à l’ensemble des naissances ayant ouvert un droit a été calculé. Comme les données sur l’activité lucrative avant la naissance ne sont disponibles qu’avec un certain retard, ce pourcentage ne peut être calculé que jusqu’en 2022. Désormais, ces données seront actualisées chaque année et publiées dans le cadre de la Statistique APG.

Ces taux ne couvrent que les congés qui sont remboursés par les allocations pour perte de gain, à l’exclusion des indemnités de maternité et de paternité qu’un employeur verse sur ses fonds propres. Il en va de même pour les congés qui dépassent ceux prévus par le régime des APG ainsi que pour les congés non payés.

Taux d’ayants droit plus élevé chez les pères

Le graphique 1 présente les congés de maternité et de paternité qui ont été pris, par rapport à l’ensemble des naissances. En 2022, il y a eu environ 76 000 naissances vivantes en Suisse, les naissances multiples n’étant comptées qu’une seule fois, puisqu’elles ne donnent droit qu’à un seul congé. Sur toutes ces naissances, 80 % des mères avaient droit à un congé de maternité et 89 % des pères à un congé de paternité (somme des barres rouges). L’éligibilité plus élevée des pères s’explique par la plus grande participation des hommes au marché du travail.

En ce qui concerne les mères, la proportion d’ayants droit a augmenté d’environ 7 points de pourcentage entre 2013 et 2022, ce qui reflète principalement la participation accrue des mères au marché du travail. Pour les pères, les données ne sont disponibles qu’à partir de 2021, date à laquelle le congé de paternité est entré en vigueur. Les conjointes des mères ne sont pas prises en compte dans ces données, car elles n’ont droit au congé parental que depuis 2023.

Une légère baisse de la proportion d’ayants droit est observée entre 2021 et 2022 chez les pères. Cela s’explique notamment par le fait que les données relatives aux revenus des indépendants en 2022 ne sont pas encore complètes. L’augmentation temporaire de la natalité après la pandémie de COVID, plus prononcée dans certains groupes de population que dans d’autres, a peut-être aussi joué un rôle dans l’évolution de ces chiffres.

En 2022, 94 % des mères éligibles, soit 77 % de toutes les mères, ont donc pris leur congé. Chez les pères, 74 % des ayants droit (soit 67 % de l’ensemble des pères) ont pris leur congé. Cela signifie aussi que 6 % des mères et 26 % des pères n’ont pas fait valoir leur droit et qu’en 2022, 20 % des mères et 11 % des pères n’ont pas eu droit à un congé parental.

Le nombre de mères ayant pris leur congé a légèrement augmenté depuis 2013. Alors que, cette année-là, 8 % des mères éligibles avaient renoncé à leur droit, elles n’étaient plus que 6 % dans ce cas en 2016. Depuis, le taux de perception est stable. Chez les pères aussi, ce nombre a légèrement augmenté entre 2021 et 2022. Dans l’ensemble, le nombre de pères qui prennent leur congé semble toutefois relativement stable et ne paraît pas lié à la nouveauté du congé de paternité.

Ces chiffres placent la Suisse dans le tiers supérieur des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont les données sont disponibles pour 2022. Cette comparaison internationale comporte toutefois des limites, car l’OCDE utilise un autre indicateur. Ainsi, elle met en relation la perception des prestations de maternité ou de paternité versées par l’État avec les naissances vivantes par année civile, et non par année de naissance. En outre, le congé parental et le montant de ces prestations varient fortement d’une institution à l’autre.

Diversité des raisons de renoncer à un congé parental

L’accouchement représente un effort physique important (pour les mères) et leur impose ensuite du repos. Pourtant, un petit nombre de mères ne prennent pas le congé auquel le régime des APG leur donnerait droit.

Les chiffres pour 2022 montrent que les mères qui ne prennent pas leur congé ont, en moyenne, un revenu inférieur à celui des mères qui le prennent. L’une des raisons pourrait résider dans l’irrégularité de l’emploi ou des revenus. En cas d’emplois irréguliers, d’emplois multiples ou d’emplois rémunérés à l’heure, les processus sont probablement moins formalisés pour les ayants droit. Ceci pourrait expliquer le nombre plus élevé de personnes concernées qui ne prennent pas leur congé parental ou qui l’annoncent très tardivement (si bien qu’il n’est alors plus pris en compte dans nos analyses).

Dans le cas des mères touchant un très faible revenu, il est d’ailleurs concevable que certaines reprennent le travail quelques semaines seulement après l’accouchement du fait qu’une perte de revenu de 20 % (régime des APG) est trop élevée pour elles. Il leur est en effet interdit d’exercer une activité rémunérée pendant leur congé de maternité.

D’autre part, le nombre de mères qui ne prennent pas leur congé est également plus élevé chez celles qui ont un revenu très élevé (plus de 250 000 francs par an), mais dans une moindre mesure que chez celles qui ont un faible revenu. Là encore, il est possible qu’un retour plus rapide au travail s’explique par les responsabilités allant de pair avec une rémunération élevée. Là aussi, des considérations financières peuvent jouer un rôle. Comme le taux journalier maximal est de 220 francs, à partir d’un revenu annuel supérieur à 99 000, moins de 80 % du revenu perçu avant l’accouchement est indemnisé.

En outre, la non-perception de l’allocation de maternité est beaucoup plus élevée chez les femmes exerçant exclusivement une activité indépendante (17 %) que chez les salariées (6 %). Pour les mères indépendantes, il est probablement plus compliqué d’interrompre leur activité professionnelle. De plus, ces mères doivent faire valoir elle-même leur droit, sans l’aide d’un employeur. Enfin, il est possible que certaines femmes ne prennent pas leur congé parce qu’elles sont en formation ou parce que leur enfant est décédé peu après la naissance.

Rôle des conditions de vie et du revenu

Contrairement aux mères, à qui il est interdit d’exercer une activité lucrative pendant 8 semaines après la naissance, il est plus facilement envisageable pour un père de reprendre son activité professionnelle immédiatement après la naissance, voire de renoncer entièrement à son congé. Il existe des situations où un père est moins impliqué dans la naissance, par exemple lorsqu’il ne vit pas sous le même toit que son enfant. Les analyses montrent que près de la moitié des pères qui ne vivent pas dans le même ménage que la mère ne prennent pas leur congé de paternité.

Comme pour les mères, les pères ayant un faible revenu (moins de 50 000 francs par an) ou un revenu très élevé (plus de 250 000 francs), ainsi que les indépendants, prennent moins souvent leur congé de paternité. Il est toutefois concevable que la plus grande flexibilité des indépendants et des personnes à revenu élevé, puisse être mise à profit pour passer du temps avec l’enfant ou soutenir la mère sans faire valoir le droit au congé en demandant des allocations pour perte de gain. Si, de surcroît, le taux de remplacement du revenu est inférieur à 40 % (revenus supérieurs à 200 000), il devient encore moins intéressant de déclarer des jours de paternité à leur employeur ou à la caisse de compensation.

Enfin, le taux de perception des congés de paternité est nettement plus faible chez les pères qui perçoivent des indemnités journalières de l’assurance chômage (AC) avant la naissance de l’enfant. L’une des raisons pourrait être que le taux de remplacement du revenu est identique dans l’AC et dans l’APG, d’où une faible motivation à faire valoir son droit à l’allocation de paternité.

Normes sociales non déterminantes pour le congé parental

Nous avons également analysé l’influence des normes de genre, prévalant chez les pères ou dans leur entourage, sur la prise du congé parental. À cet effet, nous avons comparé les taux d’approbation cantonaux lors de la votation populaire du 27 septembre 2020 sur le congé de paternité avec le pourcentage de pères éligibles qui prennent effectivement leur congé.

Il en ressort que le pourcentage de pères ne prenant pas leur congé est particulièrement élevé dans les cantons qui avaient voté à une nette majorité en faveur de l’introduction du congé de paternité.  Genève et Bâle-Ville, aux taux respectifs de prise du congé de paternité de 50 % et 56 % seulement, sont deux exemples éloquents. À l’inverse, ces mêmes taux se sont avérés supérieurs à la moyenne dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures (81 %) et d’Uri (80 %), qui s’étaient pourtant opposés au congé de paternité.

En d’autres termes, il semble que les normes traditionnelles de genre n’aient guère d’influence sur le fait que les pères prennent plus ou moins souvent leur congé de paternité. On observe même le schéma inverse. Et en Suisse latine, où la tradition des congés de paternité est établie depuis plus longtemps, le taux de pères prenant leur congé est plus faible qu’en Suisse alémanique.

Ces résultats se confirment même si l’on tient compte du fait que les revenus, le pourcentage d’indépendants, la composition des ménages et d’autres facteurs socioéconomiques et socioprofessionnels qui influent sur la prise d’un congé parental peuvent varier d’un canton à l’autre. Ce n’est qu’après avoir contrôlé, à l’aide d’effets fixes pour les employeurs, tout ce qui est identique à tous les travailleurs d’une entreprise que les différences cantonales disparaissent presque complètement.

Ce dernier point porte à croire à l’existence, du côté des employeurs, de facteurs d’influence se traduisant par des différences cantonales. Il est donc possible qu’il soit plus difficile de s’absenter deux semaines de son poste de travail dans certains secteurs que dans d’autres. Il semble cependant peu probable que cette hypothèse explique les résultats observés. D’une part, parce qu’une partie de cet effet est déjà couvert par les facteurs socioéconomiques et socioprofessionnels. D’autre part, parce qu’une telle situation serait plus plausible dans les secteurs primaire ou secondaire, alors que ceux-ci représentent une part importante des emplois aussi bien dans les cantons de Suisse centrale – où les taux de perception des congés de paternité sont très élevés – que dans certains cantons latins, où le pourcentage de pères ayant pris leur congé est faible (OFS 2022). Il est donc difficile d’établir une corrélation entre écarts cantonaux et structure sectorielle.

En outre, on pourrait concevoir que certains employeurs soutiennent plus ou moins la prise du congé parental. Toutefois, si tel était le motif du schéma décrit, les employeurs des cantons plus traditionnels soutiendraient davantage la prise de congés que ceux des cantons plus libéraux. Une autre possibilité serait que les pères prennent certes un congé de paternité, mais que celui-ci soit moins souvent décompté au titre des allocations pour perte de gain, par exemple dans les entreprises du canton de Bâle-Ville ou de Genève, ou qu’il le soit très tard. En d’autres termes, le congé y serait temporairement ou systématiquement financé par leurs propres ressources. Pour identifier avec certitude les raisons des grands écarts cantonaux relevés, il faudrait réaliser des examens supplémentaires dépassant le cadre de cette brève analyse.

Données utilisées

Pour cette analyse, les données de la statistique de la population et des ménages (STATPOP) ont été combinées avec celles des comptes individuels de l’AVS (CI AVS) ainsi qu’avec celles du registre des allocations pour perte de gain. Les naissances vivantes ont été limitées aux naissances annoncées par une mère. Les naissances multiples n’ont été comptabilisées qu’une seule fois.

Le revenu soumis à cotisation durant les neuf mois ayant précédé la naissance a été pris en compte pour déterminer le droit au congé. En outre, seuls les pères inscrits au registre en tant que père de l’enfant ont été pris en compte.

Des imprécisions mineures dans l’examen des droits et du nombre de parents prenant leur congé sont dues à des données incomplètes sur les revenus des travailleurs indépendants et des personnes ayant vécu à l’étranger avant la naissance. En outre, les annonces de congés de maternité et de paternité très tardives (plus de 16 mois après une naissance) n’ont pas été prises en compte.

Une description méthodologique détaillée et une justification des hypothèses retenues sont disponibles ici. La méthodologie de traitement des données et la documentation utilisée seront mises à disposition sur demande.

Docteure en sciences économiques, responsable suppléante du secteur Données de base et analyses, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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Dr en sciences économiques, collaboratrice scientifique, Données de base et analyses, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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