Soutien des enfants par l’aide sociale : peut mieux faire

Les prestations de l’aide sociale ne couvrent pas entièrement la garantie d’existence sociale des enfants et des jeunes. C’est ce que révèle une étude menée récemment.
Dominic Höglinger, Caroline Heusser, Patrice Sager
  |  17 octobre 2024
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La participation sociale est importante pour le développement de la personnalité. Excursion au zoo de Bâle. (Keystone/Stefan Bohrer)

En un coup d’œil

  • Sur mandat de la Charte Aide Sociale Suisse, une étude a analysé la situation matérielle des enfants et des jeunes à l’aide sociale.
  • Les auteurs recommandent de définir les besoins de base des familles avec enfants de manière plus réaliste et d’optimiser l’échelle d’équivalence en conséquence.
  • En ce qui concerne le paiement des prestations circonstancielles prévues pour les enfants, les normes CSIAS correspondantes doivent être rédigées de manière plus explicite et plus contraignante.

Les enfants et les jeunes sont particulièrement exposés au risque de pauvreté : au total, quelque 270 000 enfants et jeunes de notre pays – soit un mineur sur six, une proportion nettement plus élevée que chez les adultes en âge de travailler – vivent sous le seuil de risque de pauvreté (OFS 2024). Les enfants et les jeunes représentent donc une part considérable (environ un tiers) des bénéficiaires de l’aide sociale. Chez les mineurs, le non-recours aux prestations de l’aide sociale est en outre plus fréquent que chez les adultes, comme le montre une étude menée à Bâle-Ville (Hümbelin et al. 2023).

Pour les enfants concernés, la pauvreté s’accompagne de risques nombreux et importants pour leur développement et leur bien-être : leur participation sociale s’en trouve réduite, la fréquence des problèmes de santé et des troubles psychiques est accrue. La pauvreté influence aussi négativement les opportunités qui se présentent à eux ultérieurement en termes de formation et d’emploi. Pour y remédier, la Suisse a adhéré en 1997 à la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant et s’est engagée à permettre aux enfants de mener une vie sûre et digne (cf. Bennour 2024).

Sur mandat de la Charte Aide Sociale Suisse, nous avons examiné la situation matérielle des enfants et des jeunes à l’aide sociale (Höglinger et al. 2024). Dans ce contexte, les questions suivantes sont primordiales : les prestations d’aide sociale accordées suffisent-elles à couvrir la garantie d’existence sociale des enfants touchés par la pauvreté et de leurs familles ? Et les besoins spécifiques des enfants sont-ils suffisamment couverts, notamment dans les domaines particulièrement importants pour leur développement comme la formation et la sociabilisation ?

Dans cette étude, nous avons analysé de manière approfondie la théorie et la pratique du calcul des prestations d’aide sociale pour les familles et les enfants et avons également interrogé des spécialistes des services sociaux, des services spécialisés et des services de conseil budget de différentes régions linguistiques du pays. Nos co-auteurs juristes Pascal Coullery, de la Haute école spécialisée bernoise, ainsi que Gülcan Akkaya et Peter Mösch, de la Haute école de Lucerne, ont examiné les aspects constitutionnels et de droit international. L’étude aborde par ailleurs la situation des mineurs requérants d’asile et réfugiés, auxquels des taux inférieurs sont parfois applicables (voir encadré).

Prise en charge des requérants d’asile : la situation précaire des enfants

Tandis que les réfugiés ont droit à l’aide sociale ordinaire en cas de besoin et sont à cet égard assimilés au reste de la population, les personnes admises à titre provisoire touchent – tout comme les requérants d’asile, y compris après un séjour prolongé – l’aide sociale, mais à des taux inférieurs liés à leur statut particulier. De même, les réfugiés d’Ukraine (statut de protection S) ne perçoivent que l’assistance destinée aux requérants d’asile. Par rapport aux besoins de base prévus par l’aide sociale ordinaire, basés sur le minimum vital social déterminé empiriquement et statistiquement, les taux de l’assistance destinée aux requérants d’asile sont généralement plus bas, l’écart précis variant selon les cantons et, parfois aussi, entre les communes. Pour une famille avec deux enfants, par exemple, les besoins de base estimés sont de 14 à 52 % inférieurs à ceux prévus dans le cadre de l’aide sociale ordinaire (CSIAS 2023). Les spécialistes interrogés considèrent également que la couverture de la garantie d’existence sociale des requérants d’asile mineurs est extrêmement précaire et insatisfaisante. En fait, les enfants dans cette situation vivent en dessous du minimum vital social. Particulièrement vulnérables, accablés par leur passé de réfugiés et leur situation juridique précaire, ils vivent dès lors dans des conditions néfastes à leur bien-être et à leur développement, ce qui freine beaucoup leur sociabilisation et diminue leurs perspectives d’avenir. Environ trois enfants à l’aide sociale sur dix touchent l’assistance aux taux inférieurs destinés aux requérants d’asile.

Les familles auraient-elles des besoins de base moins élevés ?

L’aide sociale évalue les besoins matériels de base – en particulier des familles – à un niveau nettement inférieur à d’autres taux de protection sociale minimale, comme celui prévu par les prestations complémentaires et en droit des poursuites (voir graphique). Le montant des besoins de base des ménages de plusieurs personnes est calculé au moyen de l’échelle d’équivalence CSIAS, en fonction des besoins de base de référence pour un ménage d’une personne, ces besoins étant dérivés du minimum vital social déterminé empiriquement et statistiquement. L’échelle CSIAS définit donc dans une large mesure le montant des prestations que touchent les familles avec enfants.

Dans l’étude, nous mettons en évidence différents points critiques concernant l’échelle CSIAS. Par exemple, comparée à d’autres échelles usuelles d’équivalence, l’échelle CSIAS est particulièrement dégressive. En d’autres termes, la pondération de chaque membre du ménage diminue fortement au fur et à mesure que le ménage s’agrandit. De plus, l’échelle CSIAS ne fait pas de distinction entre enfants plus jeunes ou plus âgés, alors que des taux échelonnés en fonction de l’âge sont appliqués, par exemple, pour le calcul des prestations complémentaires à l’AVS/AI ou de la garantie des besoins vitaux en Allemagne. De tels échelonnements permettent de tenir compte des coûts plus élevés de la nourriture, des vêtements et des loisirs des enfants plus âgés.

Prestations circonstancielles visant à favoriser le développement de l’enfant

En ce qui concerne les critères de versement de prestations circonstancielles visant à favoriser le développement de l’enfant, par exemple pour obtenir des cours de soutien parascolaires ou participer à des activités associatives, les normes CSIAS sont formulées de manière relativement succincte et ouverte, laissant ainsi une grande marge d’appréciation aux services sociaux. Cette formulation permet certes une certaine flexibilité dans les cas particuliers, mais elle est aussi à l’origine de pratiques très variables d’une commune à l’autre – comme le montre, par exemple, la participation aux frais des camps de ski (Roulin et Hassler 2023). Alors que les services sociaux les plus professionnalisés reconnaissent l’importance cruciale des prestations circonstancielles pour le bien-être et le développement de l’enfant, d’autres n’en ont pas conscience et ne les accordent que rarement.

Les spécialistes interrogés estiment que la grande hétérogénéité des prestations circonstancielles prévues dépasse souvent le cadre d’une variance dans l’appréciation et semble plutôt relever de l’arbitraire. Les normes CSIAS ne peuvent souvent pas, à elles seules, servir de base de décision, en raison de leur imprécision. Les manuels cantonaux sur l’aide sociale, parfois plus détaillés, et les directives internes correspondantes, qui ont fait leurs preuves et dont disposent souvent les grands services sociaux, sont jugés plus utiles.

Tenir compte des besoins des enfants

En résumé, les prestations d’aide sociale pour les enfants et les jeunes en Suisse ne suffisent pas toujours. Afin d’améliorer la situation des enfants bénéficiant de l’aide sociale et de renforcer l’application des prescriptions en matière de droits de l’enfant, nous formulons une série de recommandations.

Trois d’entre elles concernent les besoins de base et l’échelle d’équivalence :

  • Échelonnement en fonction de l’âge : Lors de l’évaluation des besoins de base dans le cadre l’aide sociale, il convient de tenir compte des différents besoins des enfants au moyen de prestations échelonnées en fonction de l’âge, comme c’est le cas ailleurs, par exemple pour les prestations complémentaires ou, en Allemagne, avec les besoins vitaux.
  • Augmenter les montants destinés aux enfants supplémentaires : L’échelle CSIAS est nettement plus dégressive que d’autres échelles ; ses bases scientifiques sont toutefois anciennes et ne démontrent pas de manière très probante qu’une telle échelle convienne à l’évaluation des besoins des familles. Il y a lieu de craindre que, pour les ménages familiaux, les taux correspondant aux besoins de base soient trop bas pour garantir une couverture adéquate des besoins vitaux et que leurs montants insuffisants provoquent un déficit structurel.
  • Contrôle empirique régulier des besoins de base de référence : Les taux pour tous les autres ménages, y compris les ménages familiaux avec enfants, sont calculés en se fondant sur les besoins de base pour un ménage d’une personne. Il convient donc de s’assurer que cette référence pour l’évaluation des besoins est pertinente et à jour. Il faut donc viser une nouvelle évaluation à échelonnement fixe, tout en soumettant la méthodologie utilisée à une réflexion critique et tout en la développant.

Deux recommandations concernent les prestations circonstancielles prévues pour les enfants :

  • Mieux préciser les normes CSIAS : Une formulation plus précise des prestations circonstancielles prévues pour les enfants fournira des repères aux travailleurs sociaux et à leurs services, favorisant des décisions plus transparentes et équitables.
  • Fixer des forfaits pour les enfants : Comme alternative à la prise en charge circonstancielle des coûts, il convient d’examiner l’option d’introduire un forfait mensuel pour certaines prestations destinées aux enfants, comme le fait par exemple le canton de Genève. Ces forfaits réduiraient la charge administrative des services sociaux et renforceraient l’autonomie des familles concernées.

D’autres recommandations visent à renforcer la prise en compte des besoins et des droits de tous les enfants bénéficiant de l’aide sociale :

  • Donner la priorité aux besoins des enfants : Il faut sensibiliser les services sociaux aux besoins et aux droits des enfants et former les collaborateurs en conséquence. La Convention relative aux droits de l’enfant exige de privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant dans les mesures qui le concernent.
  • Renforcer la participation : Les enfants ont le droit d’être consultés sur les questions qui les concernent. Les services sociaux sont appelés à promouvoir la participation des enfants, en fonction de leur situation et de leur âge, et il convient de créer les bases et les conditions nécessaires à cet effet.
  • Adapter le droit au niveau cantonal : Les normes de droit constitutionnel et international en vigueur concernant le minimum vital social des enfants doivent être plus fortement ancrées dans le droit cantonal de l’aide sociale et systématiquement prises en compte dans le développement continu du droit de l’aide sociale.

Les mesures recommandées par l’étude, dont une partie seulement est énumérée ici, visent toutes à améliorer durablement la qualité de vie et la participation sociale des enfants touchés par la pauvreté en Suisse, tout en améliorant leurs perspectives d’avenir. Elles ne servent pas seulement le bien-être des enfants concernés, mais contribuent aussi de manière déterminante à la prospérité et à la cohésion à long terme de la société.

Bibliographie

Bennour, Salomon (2024). Les enfants sont souvent touchés par la pauvreté, Sécurité sociale CHSS, 5 mars.

Office fédéral de la statistique OFS (2024). Risque de pauvreté, selon différentes caractéristiques socio-démographiques, 2007–2022, 26 mars.

Dominic Höglinger, Caroline Heusser, Patrice Sager (BASS) avec la collaboration de Pascal Coullery (BFH), Gülcan Akkaya et Peter Mösch (HSLU) (2024). La situation matérielle des enfants et des adolescents dans l’aide sociale. Une étude réalisée sur mandat de la Charte Aide Sociale Suisse sur la situation matérielle des enfants et des jeunes bénéficiaires de l’aide sociale. Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS.

Garcia Delahaye, Sylvia ; Dubath, Caroline ; Patrizi, Elena ; Stanić, Paola (2024). La pauvreté en héritage : une fatalité ? Donne une place aux enfants à l’aide sociale. ARTIAS Dossier du mois.

Hümbelin, Oliver ; Elsener, Nadine ; Lehmann, Olivier (2023). Nichtbezug von Sozialhilfe in der Stadt Basel, 2016–2020. Haute école spécialisée bernoise.

Roulin, Christophe ; Hassler, Benedikt (2023). Vergleich von Sozialhilfeleistungen in fünf Schweizer Kantonen (HarmSoz). Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest.

CSIAS (2023). L’aide sociale dans le domaine de l’asile : le forfait pour l’entretien. Prise de position d’expertise de la CSIAS.

Membre de la direction, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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Collaboratrice scientifique, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS
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Collaborateur scientifique, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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